Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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Messages - Alecto Nemed

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Alecto s’était mordu la langue avec ferveur pour ne surtout rien répondre et en aucun cas, faire de mouvements irresponsables, dès lors que son Maître lui eut confirmé qu’ils devaient être raisonnables, et revenir dans le droit chemin sans s’en écarter. C’était une torture qu’elle connaissait, pourtant, mais l’Esclave avait l’habitude d’être sa propre frustration, d’engager elle-même sa droiture à l’encontre de ses passions. Jadis, elle était passée maîtresse dans l’art de tout refouler, de souffrir en silence de ces pulsions dévastatrices qu’elle retenait, étouffait, tout le temps.

Le glyphe lui rendait la tache difficile, elle devait faire des efforts bien plus conséquents, et les mots du Démon n’aidèrent en rien… Elle frissonna à la seule idée d’être au soir, souhaitant alors que cette journée, voyage, rencontre, affaire peu importait, passe le plus vite possible. La perspective de sa récompense faisait vibrer l’intérieur de ses cuisses, et elle se rendit compte que quelques mots et évocations suffisaient à la rendre fiévreuse.

Il fallait pourtant se calmer, et loin d’y parvenir aussi facilement -en apparence- que le Démon, Alecto cru fondre à la vue de ce regard infernal qui lui promettait mille tourments délicieux. Damascus avait l’art de souffler le chaud et le froid dans son cœur, comme dans son corps, et elle s’en trouva durablement émue, passant le début du voyage silencieuse, trop occupée à respirer lentement pour faire retomber la pression.

Il fallait avouer qu’elle se sentait étrange dans cette mystique et ancestrale forêt, comme si elle n’était pas à sa place. Un sentiment qu’elle avait souvent eu, depuis qu’elle avait quitté le Sanctuaire où elle avait vécu, mais cette fois, c’était impressionnant et écrasant. Tentant de faire bonne figure, elle esquissa un sourire lorsque son Maître la félicita et se soucia de sa bonne condition, mais sa voix avait trahi combien elle peinait à se remettre de ces quelques instants, anodins, mais puissants pour elle.

« J… oui oui. » Avait-elle répondu, mentant cette fois sans mal.

Son état se calma d’un coup, dès qu’ils eurent franchi la route, et pénétré dans les ruines. A vrai dire, elle se sentit, elle, étrange dans ces lieux, une sensation spirituelle qui lui rappelait quelque chose d’enfouis en elle. La fontaine, immaculée, lui arracha un sourire admiratif et naïf, et elle fut trop aveuglée par cette lumière et la vision apaisante de cette pièce pour percevoir le noir tableau décrit par Damascus.

Elle songea qu’il exagérait, sans doute bien trop sombre comme devaient l’être les Démons… Alecto se serait laissé bercée avec joie, comme appelée par la quiétude mystérieuse et anormale du lieu. Buvant l’eau claire et fraiche, remplissant les outres, elle soupira d’aise mais manqua de s’étouffer quand le cri ébranla sa tranquillité. Sursautant, essuyant son menton trempé en grimaçant de la douleur réveillée à sa mâchoire, le Petit Corbeau écarquilla des yeux horrifiés à la vue de cette créature immonde et agressive.

L’apparition de ses confrères lui arracha un cri strident, et d’instinct, fit coulisser sa rapière de son baudrier. Pourtant, Alecto n’avait jamais été en véritable situation de s’en servir dans pareilles conditions, et aurait tremblé de peur s’il n’avait pas fallu immédiatement réagir pour ne pas succomber.

Piquant dans le tas, aveuglément d’abord, elle grognait son envie furieuse de vivre à chaque mouvement chaotique. Loin de réussir à appliquer les leçons de son Maître dans la bataille, elle s’essoufflait vite, et reculait toujours plus, au point de sentir sous ses talons la pièce usée d’une colonne. Le cerveau, le cerveau, songea-t-elle avec une lueur d’esprit dans le regard, reprenant une légère maîtrise de son instinct de survie qui agissait à l’aveuglette sans réfléchir.

Elle esquiva de peu une volée de griffes qui voulait l’atteindre au visage, les mouvements de goules bien moins rapides que les siens malgré les courbatures, et elle lança le bras avec une sorte d’élégance trop peu brutale, mais parfaite pour son arme, transperçant une bouche grande ouverte, sans que cela ne semble chatouiller la créature.
Le cerveau, bon dieu.
Alecto pinça les lèvres, pesta entre ses dents en retirant sa fine lame, pour venir de nouveau piquer son dard dans l’œil, avec une efficacité bien plus grande.

Avec souplesse, elle virevolta pour contourner ses assaillantes décharnées, et revenir près de Damascus. Peu expérimentée dans le domaine, elle hésita à prendre les devants, mais entretemps, les goules s’étaient retournées enfin, et revenaient vers eux, les bras en avant en hurlant.

Avec sa longue aiguille, elle peinerait à se débarrasser d’elles, songea-t-elle, cherchant à éviter de céder à la panique, et la présence du Démon lui garantissant sa protection ; Cependant, l’idée même que les créatures s’attaquent à son Maître lui retournait l’estomac et la faisait enrager. Au point qu’elle s’élança au-devant de ces choses infames, s’accroupissant pour en faire tomber plusieurs par le balayage de sa jambe tendue, et leur garantir plus de latitude pour trancher membres ou têtes grâce à la lame épaisse de Damascus.

Ce fut largement plus efficace, et bientôt deux goules restèrent animées, grognant et sifflant. Laissant la plus proche du Démon à son Maître, elle jeta la pierre la plus grosse qu’elle ait pu trouver et porter sur la seconde, mais la visée l’empêcha de la toucher à la tête. Pourtant heurtée à l’épaule, la retardant grandement pendant que son corps décharné s’arrachait en craquant en faisant prendre son bras aux lambeaux de peau grise, la goule avançait imperturbable vers le Petit Corbeau.

Son apparence était perturbante, la croix qu’elle portait faisait frémir Alecto, qui se trouvait troublée par la créature, désormais que l’adrénaline lui laissait un peu de répit, puisqu’elle savait qu’ils en sortiraient victorieux… La goule trébucha sur la tête tranchée d’une consœur, et l’Esclave s’ému de cette triste mais sordide condition.

« Q… Ne… n’y a-t-il aucun moyen pour les… sortir de là ? Les… les sauver ? » Souffla-t-elle, en attrapant tout de même une seconde pierre pour s’assurer quelques défenses. 

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Alecto avait froncé les sourcils et bougonné, tentant vainement de récupérer la chaude couverture que constituait son manteau. Elle se sentait bien trop apaisée dans la moiteur de leur abri, avec le silence naturel pour lui garantir la sérénité… Mais la voix de Damascus la tira de cet état de torpeur, et à contre-cœur, le Petit Corbeau se redressa, comme on déplie une vieille veste fripée par les ans. Des courbatures se rappelèrent à son bon souvenir, et elle grimaça, avant de bailler en approchant de la carte qu’elle avait recopié.

A la lumière du jour, elle trouva son trait bien trop brouillon, et il y avait des taches d’encres disgracieuses… Mais elle souvenait parfaitement des conditions dans lesquelles elle avait tracé ces lignes, et estima le résultat chanceux. Et puis, le compliment de son Maître valait tout l’or du monde… Elle en tira une fierté qui lui chauffa les joues, la rendant immédiatement guillerette. Et lui donnant la force de se lever complètement et attaquer cette journée sous les meilleurs auspices.

Visiblement, leur objectif était une ruine et ils allaient profiter du couvert de cette forêt extraordinaire… Levant le nez au faîte des gigantesques arbres qui la constituaient, Alecto se sentit minuscule et insignifiante. Vulnérable, aussi.
Mais, allons, elle cilla et se remit au travail.

L’Esclave avait hâte de révéler au Démon l’étendue des trésors qu’elle avait emportée, en plus des précieuses cartes, de la garnison militaire. En réalité, elle s’imaginait déjà combien il serait fier d’elle, et par anticipation, en songe pendant qu’elle repliait manteaux et paquetages, se sentait prise d’une émotion délicieuse, mêlant l’orgueil et la passion. L’idée même de satisfaire Damascus la laissait toujours autant béate d’adoration, une sorte de plénitude comme elle l’avait connu autrefois dans des moments de communions dogmatiques.

Elle sanglait fermement un bagage à la selle de sa jument lorsqu’elle sursauta du contact du Démon contre son dos. Son baiser la fit frémir et fondre bien trop vite pour ne pas attester d’une emprise déjà tout acquise. Et cette voix… qui lui souffla à l’oreille si proche, la rendant folle…
Damascus soufflait clairement sur des braises déjà bien prises, attisant le feu, pour l’éteindre en quelques mots. Elle se mordit la lèvre, fermant les yeux en restant immobile.

« Vous… » La respiration infernale fit remonter un frisson le long de sa colonne vertébrale, l’ébranlant avec délice, alors qu’elle n’arrivait pas à savoir ce qu’elle devait faire. « Vous êtes… fier de moi ? » Murmura le Petit Corbeau, qui rien qu’à prononcer cette phrase, laissa échapper un gémissement.

C’eut été risible de voir l’état d’émoi dans lequel elle était plongée instantanément, alors que Damascus n’avait fait que chuchoter à son oreille en se collant à elle. Contrairement à leur première rencontre, Alecto était bien différente, et lui était totalement attachée. Il en résultait un attrait irrésistible qu’elle ne savait décrire ou expliquer. Les jointures de ses doigts blanchirent quand elle serra bien fort la sangle de la sacoche pour se raccrocher à la réalité.

« Si nous… si nous ne partions pas tout de suite… Nous hm… nous serions rattrapés plus facilement par. Par les mutins. Ce. » Elle ferma les yeux pour se concentrer. « Ce serait dommageable pour notre sécurité. » Ils avaient parfaitement raison : il était in-dis-pen-sable de partir sur le champ. Leurs bagages étaient harnachés, les chevaux prêts, il ne manquait plus que les cavaliers… Il aurait été terriblement imprudent de céder à leurs pulsions.

Mais lentement, aux antipodes de ce qu’elle venait d’articuler avec peine, elle se cambrait pour rencontrer son bassin… Si sa raison avait parlé, son corps, lui était loin d’être de son avis.

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Alecto masqua la déception de ne pas s’arrêter au plus vite dans ce miteux bosquet, mais le tonnerre et surtout le départ de feu furent assez convainquant ; d’autant que dans ces conditions et son état, le Petit Corbeau était tout disposé à obéir aveuglément à son Maître. Il fallait avouer qu’elle se sentait étrange, l’adrénaline retombant déjà et la laissant trop sensible à tout ce qui se passait autour d’elle. Affaiblie, elle crut pleurer quand il fallut continuer à chevaucher sous l’orage qui la terrifiait, mais tint bon.

Mais ils avaient bien fait de prolonger leurs efforts, et dès qu’ils franchirent la frontière de cette forêt ancestrale, l’Esclave se sentit étrange. Rassurée, évidemment, puisque les bruits des éléments qui se déchaînaient avaient miraculeusement stoppés, mais aussi lourde et mal à l’aise. Le silence était pesant et soudain, elle se sentait totalement étrangère à ce lieu… Et pour cause, sortir de Nexus était une grande première, cet endroit l’impressionnait, dans une dimension mystique.

Suivant le Démon comme son ombre en frissonnant, l’abri que leur offrit la souche lui tira une larme, épuisée. Le contre-coup fut brutal, elle qui espérait un bon feu pour réchauffer ses os trempés, et elle en aurait pleuré de désespoir si la fin de sa phrase n’avait pas été salvatrice. La simple perspective de se retrouver contre Damascus lui donna l’énergie suffisante pour se dévêtir, étendre ce qui étaient des serpillères désormais pour espérer qu’ils sèchent un peu, et mettre à l’abri les précieuses cartes.

Alecto faisait peine à voir, avec sa mâchoire qui gonflait et ses cheveux collant à son crâne comme son front, lorsqu’elle rejoignit son Maître pour se blottir dans ses bras en serpentant sous les épais manteaux de voyage. Ses bras l’enlacèrent avec conviction, et son contact l’apaisa. Elle avait envie de pleurer. Elle ne savait pas exactement pour quelles raisons : avoir de nouveau tué un homme, au moins, entraîner la mort d’autres, et peut-être Optio qui s’était montré gentil avec elle. Pour avoir charmé avec insolence et d’avoir éprouvé un plaisir pervers à se faire épier par un homme qu’elle avait ligoté juste avant ? Pour s’être fait humilier par Artus, puis battre ? Pour avoir mis le feu à une garnison de sa Nation ?
Pour avoir accompli la mission donnée par son Démon adoré, sans démériter, se surpassant et allant au-delà de ses limites pour lui plaire ?

« Je… Je peux monter la g… » La voix molle et éreintée du Petit Corbeau n’était pas nette et à mesure qu’elle parlait, ses paupières se fermaient. Alors qu’elle sombrait dans un sommeil lourd et sans rêve, ses doigts agrippèrent Damascus comme pour lui interdire de s’éloigner.

Elle dormit longtemps. Du moins était-ce l’impression qu’elle avait. Et quand on l’éveilla, ses sourcils se froncèrent pour bougonner, lançant les épaules pour se dégager et repousser quiconque la dérangeait dans ce délicieux sommeil. Encore cinq minutes.

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A bout de souffle, et se laissant gagner par la panique, Alecto grimaça dès que le Démon lui releva le visage. Sa mâchoire était gonflée et le sang peinait à sécher dans cette averse torrentielle, mais la seule information importante restait à lui délivrer.

« Oui, oui, j’ai les cartes ! » Fit-elle avec un demi-sourire rendu gauche par l’ankylose de sa joue. Et dans le chaos ambiant, chercha à résumer au mieux… mais étrangement, elle se sentait honteuse.

« J’ai mis le feu au camp… c’est euh… Je n’ai pas eu le choix, je vous jure. Mais je crois que le Légat, et aussi son Second, sont morts. Enfin. Le Second, c’est sûr. » Elle fronça le nez quand Damascus éclata d’un rire enjoué, comme si toute cette pagaille n’était pas un drame. Ce qui la rassura, en réalité.

Comme il n’était pas temps d’en rire ensemble, et qu’elle sursautait à chaque hurlement ou course d’un groupe de mutins dans cette guérilla anarchique, il ne lui fallut pas le lui répéter deux fois, et elle se mit en branle. Les éléments se déchainaient, laissant les deux voyageurs dans un état misérable et Alecto n’eut pas le temps de demander la raison pour laquelle ils n’avaient plus que leurs deux montures.

Ce détail l’ennuya, trempée, pataugeant, alors qu’elle rassemblait leurs affaires à la hâte sans réussir à faire de choix. Elle avait fourré dans sa besace ces trésors et aurait tout le temps plus tard d’avertir son Maître de ses petites trouvailles, en attendant, elle restait perplexe face à la quantité de possessions qu’ils devraient laisser derrière eux.

Il lui sembla impossible de voyager sans couvertures ni manteaux, et elle se refusait à laisser de côté les vêtements qu’ils avaient acheté ensemble à Nexus pour préparer ce périple. Quant aux outres et aux rations, c’était indispensable, évidemment : elle ne savait pas chasser et n’avait pas le talent nécessaire pour se nourrir par elle-même avec ce qu’ils trouveraient sur la route. Le bien-être de leurs serviables montures lui paraissant important, elle garda avec elle l’avoine qui leur plaisait tant. D’autant que les Contrées du Chaos ne vendaient aucun rêve culinaire, ni pour les bêtes, ni pour eux, dans son imaginaire. Et comme elle grelottait sous la pluie, impossible de se passer d’un nécessaire à feu, ça non.

Avec horreur, elle constata cependant que tout ceci représentait bien trop de volume et de poids pour leurs chevaux et paniqua. Adieux les couvertures de voyage, elle les poussa sur le côté, estimant qu’ils dormiraient sous le gros et chaud manteau. Un soupir de regret lui serrait le cœur, mais il était temps de déguerpir, autour d’eux le campement était mis à sac, à feu et à sang, et il ne faudrait pas longtemps pour qu’on les prenne à partie.

Elle harnacha au mieux sa jument que l’atmosphère rendait nerveuse, raclant la boue de son sabot. Même cette bête docile semblait avoir vécu une soirée hors du commun… Alecto caressa son encolure trempée où ruisselait la pluie drue en tentant de la calmer. S’enroulant dans son épais manteau, les cartes toujours bien à l’abri entre sa peau et son corsage, le Petit Corbeau grimpa en selle. Il était temps de s’enfuir, et pour cela, il faudrait talonner leurs destriers et rester bien en place : pas question de tomber maintenant. Au moins l’eau gelée apaisait sa mâchoire…

Sans un regard en arrière, ils prirent donc la fuite, laissant derrière eux bien plus que ce qu’ils avaient réellement perdu. Mais au moins, ils avaient ce qu’ils étaient venu chercher.

Il fallut galoper de nuit, sous l’orage, ce qui n’était en aucun cas une excellente idée. A chaque éclair, le Petit Corbeau sursautait, voutée sur sa jument pour éviter autant que possible la pluie qui battait son visage, l’empêchant de voir quoi que ce soit. En réalité, elle ignorait totalement la direction qu’ils prenaient, mais quand ils atteignirent, des heures après que la lueur des flammes de la garnison eut disparues derrière eux, un bosquet famélique, elle le vit comme la plus salvatrice des options.

Ce serait moins pire, du moins.

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Alors que le Légat se remettait difficilement de ses émotions, Alecto s’était agenouillée au pied du Second, dont le buste était attaché à un fauteuil légèrement plus confortable que ceux qui se trouvaient dans la tente qu’on lui avait mis à disposition. Toujours bâillonné, l’homme se débattait avec une farouche haine dans le regard, ses pupilles étaient deux billes rondes et noires lui lançant des éclairs…

Pourtant, électrisée par le plaisir qu’elle venait de prendre en pleine figure à la manière d’un raz-de-marée, le Petit Corbeau ressentait une sorte d’envie malsaine de faire bouillir cet immonde Artus. Parce qu’il l’avait insultée. Insultée de Putain. Et qu’il fallait que l’un paie pour avoir user, encore, de cette vulgarité envers elle, en souillant sa vertu. Vertu assez faible, actuellement, il fallait l’avouer, cependant qu’elle ouvrait le pantalon du bougre qui pestait en panique dans son bâillon.

Elle n’entendait pas ce qu’il disait réellement, mais cela ressemblait à des promesses de mort. Et Alecto se sentit puissante… C’était la seconde fois qu’elle ressentait l’envie perverse de posséder un homme qui ne pouvait pas réagir, et qui n’aurait pas son mot à dire, loin de là. Artus ne l’excitait pas en tant que mâle, le sexe qui pendait désormais entre ses jambes ne l’attirait pas, non… C’était comme un désir puissant de domination.

Le regard du Petit Corbeau scintilla de malice lorsqu’elle le prit en bouche, s’acharna de longues minutes…
Mais le membre restait mou et flasque.

Elle fronça les sourcils, cracha dans sa main, et l’astiqua avec une vigueur qui trahissait son agacement. Mais rien n’y faisait. Pire encore, Artus se mettait à ricaner en baragouinant des insultes. Elle se redressa, et la gifle siffla sur la joue mal rasée du Second.

« La ferme ! » Gronda-t-elle, mais il était hilare, et il riait en faisant balloter un membre toujours aussi serein. Véritablement dégoûté par sa présence. Elle n’avait aucune emprise sur lui… Alors que tous les hommes avaient eu, de près ou de loin, quelques envies en la voyant. Alecto déglutit, et aurait réitérer une baffe si le Légat, derrière elle, n’était pas venu se coller contre ses fesses. Au contraire de l’Officier, le Supérieur était, lui, très excité de nouveau.

Elle grogna, rendue bougon par l’humiliation, sans une once de désir désormais pour Optio, mais l’homme n’était pas de cet avis, et se frottait à elle avec insistance. Alecto peinait à réfléchir, tant la colère tapait à ses tempes. Il lui fallait du temps, et du calme. Luxe qu’elle n’eut pas, les épaisses mains du soldat passait le long de ses côtes, pour palper ses seins.

Elle allait le repousser nerveusement quand une violente douleur lui vrilla le tibia, la faisant se plier en deux sous le choc, pour se prendre un magistral coup de pied dans la mâchoire. Artus face à elle venait de trouver le moment opportun pour lui asséner de vifs coups de bottes, se relevant en cherchant à se défaire de ses liens comme un forcené.

Tombant à la renverse après l’attaque cinglante, Alecto échoua sur le Légat qui fut entraîné dans sa chute. Cependant, là où le Gradé offrit un atterrissage plus doux à l’Esclave, Octavius rencontra le coin du secrétaire, et dans un bruit sec, s’effondra, inerte.

Cet incident passa pourtant inaperçu pour le Petit Corbeau, qui se releva avec difficulté, rendue moins adroite par son pantalon à mi-cuisse, mais obligée de bouger afin d’éviter d’autres coups de pieds agressifs et fort heureusement rendus chaotiques par la rage de son assaillant. Elle voulut reculer, mais fut déstabilisée par le corps d’Optio, et dans un réflexe de survie, Artus ayant fini par briser ses liens et se jetant sur elle, Alecto dégaina le gladius du Légat au sol, qu’elle pointa droit devant elle.

En une seconde, les grognements du Second cessèrent. Embroché à la courte lame, son poids lui fit lâcher le pommeau et elle se retrouva, presque nue, entourée de deux gisants.

Sa première pensée fut de fuir, mais elle se souvint des cartes. Tentant de ne pas céder à la panique, encore galvanisée par l’adrénaline de cette attaque, Alecto se rhabilla à la hâte, et contourna le petit bureau, pour dérouler un grand morceau de parchemin. D’une main tremblante, elle superposa les documents et recopia sur la feuille vierge les lignes et contours du dessous.
Ce n’était en rien les meilleures conditions pour qu’elle cartographie correctement, mais il faudrait s’en contenter. Au dehors, un hennissement lui glaça le sang, la perturbant, laissant une tache se former sur le parchemin qui buvait l’encre. Malgré tout, elle transcrivit de manière plus ou moins lisible les éléments demandés…

Les documents roulés furent mis à l’abri dans son corsage, et elle prit le temps d’observer les deux hommes immobiles. Optio respirait toujours, mais perdait beaucoup de sang à l’arrière du crâne… La jeune femme fut prise de terribles remords, et eut un haut-le-cœur. Mais elle n’avait ni la place, ni le temps pour la pitié. C’était elle ou eux. Et le Petit Corbeau avait une mission… Et il ne faudrait pas longtemps avant que quelqu’un n’entre ici et constate ce qui c’était passé. Si on l’avait vue entrer chez le Légat, elle serait rapidement accusée… Il fallait agir vite.

Ses pas revinrent vers le secrétaire, qu’elle pilla : une bourse d’or, des lettres de marque, un ordre de mission, un sceau militaire, un compas et une petite boîte qui contenait du tabac. L’air grave, elle se pencha sur Octavius, posa un baiser sur ses tempes en s’excusant à mi-voix, et d’un net mouvement du pied, fit basculer le brasero. Les charbons ardents se déversèrent sur les tapis et les pans de tissus de la tente, les flammes se propageaient rapidement…

Dès lors, elle s’enfuit sans demander son reste, entendant déjà les cris et alertes au feu. Même sous l’averse, alimenté de la sorte, l’incendie serait pénible et causerait des dégâts irréparables… La cohue fut telle, que personne ne se soucia d’elle, et alors que le soleil semblait prêt à se lever, Alecto courut dans la boue, jusqu’à leur tente.

Un point de côté lui lacérait le ventre quand elle s’en approcha, à bout de souffle, avec son butin qui brinquebalait. Sa mâchoire la faisait atrocement souffrir, elle saignait et aurait un imposant hématome, mais elle avait sauvé sa peau. Du moins, pour le moment. Quand elle aperçut Damascus se diriger vers elle, tenant par la bride leur deux montures, elle ne réalisa pas qu’il en manquait une, et accéléra pour le rejoindre, en nage.

« Il… il faut partir, Messire. J’ai… » L’odeur accompagnait les cendres qui se déversaient avec la pluie en collant à la peau, et soudain, des cris plus haut se firent entendre, très nettement.


- Mutinerie !

66
Acculée, Alecto garda son calme. Quelque chose venait de se passer en elle, lorsqu’elle avait réaliser qu’elle n’aurait aucun secours de la part d’un tiers. Elle qui avait toujours compté sur des Maîtres pour la guider et lui assurer protection -relative, selon- se retrouvait indépendante. C’était effrayant, mais elle comprenait que ses actes et ses mots seraient son seul salut. Il lui fallait se débrouiller seule. Pour elle-même, par elle-même.

Le Petit Corbeau afficha un visage désolé, et baissa les yeux humblement.

« Vos rapports auront oublié de mentionner que mon garde du corps est, en effet, un être sauvage et taciturne, qui donnerait sa vie pour sauver la mienne. » Elle souleva ses nattes pour montrer son crâne et alors qu’elle s’y était toujours refusé, déclara sans sourciller.

« Nous avons été pris en tenaille par quatre déserteurs de votre armée, l’une m’a attachée, l’autre m’a tondue, et les deux autres… » Elle se tut, baissant la voix de manière théâtrale, mais convaincante, puisque Optio leva la main pour lui interdire d’en dire davantage.

« Sans l’intervention de celui qui me suit, je n’aurais jamais pu vous porter cette chère missive de la part de mon ami Tadéus. » Il n’en fallait pas plus pour assurer au Légat de la légitime défense, mais Artus serrait la mâchoire et les poings, comme s’il regrettait qu’elle s’en tire si bien. Qu’avait-il donc contre elle ? La haine qu’il lui vouait ne sembler trouver aucune origine, et elle ne demeurait pas à l’aise en sa présence.

Il fallait qu’il ne soit plus un obstacle entre l’amabilité du Gradé et les cartes. Aussi était-il l’heure de jouer une carte qu’elle s’était refusé de poser dès son entrée… Ses grands yeux bleus fixèrent Optio, elle esquissa un sourire des plus purs.

« Mais s’il vous faut une preuve que je ne suis pas armée, j’espère qu’elle vous conviendra. » En parlant, elle dénouait les boutons de son corsage déjà bien échancré, et trempé. Ce fut rapide, il n’en restait pas tant que cela… Le Légat fut désarçonné mais visiblement emballé par ce geste, comme une oasis en plein désert. Le Second éructait d’une colère où le dégoût le disputait à la rancœur.

Une fois la chemise béante sur sa poitrine, la Poupée ouvrit les liens de son pantalon, l’abaissant à mi-cuisse en dévoilant son corps nu. Avec autant de soulagement que lorsqu’il avait lu la fausse lettre du Gras, Optio paraissait remercier le Ciel de cette vision, mais restait coi.

La nuit était bien avancée, elle n’avait plus tant de temps que cela pour recopier les cartes, et ne savait toujours pas comment elle s’y prendrait pour les obtenir. Cependant, gagner la parfaite confiance du Légat lui semblait une bonne avancée. Il leva une main, non pas timide, mais plutôt hésitante, vers son sein.
Vraisemblablement, la présence de son Second était moins perturbante que la vision de cette nymphe porteuse de tant de bonnes nouvelles. Faisant un pas pour lui forcer la main, Alecto se surprit à ressentir immédiatement une chaleur diffuse, dès que le soldat empoigna ce globe de chair lourd, délicatement comme s’il ne paraissait pas y croire.


- Légat Octavius Optio, vous n’y pensez pas !

Grogna derrière lui le Second hargneux qui paraissait sur le point d’exploser de fureur. Il fallait désamorcer ce piège rapidement avant qu’il ne soit un véritable problème. L’Esclave ronronna.

« J’en ai un deuxième, ne sois pas jaloux. » Mais Artus cracha au sol.


- Toutes des putains ! Même pas en rêve, trainée. Je ne suis pas aussi crédule que …

Oh, le Légat ne semblait pas assez aveugler par sa poitrine pour ne pas prêter attention au sérieux manquement de son officier. Il se tourna vers lui, lâchant avec regret le téton qu’il était en train de faire rouler entre ses doigts. La peste soit de cet Artus ! Alecto, aussi prestement qu’un pantalon au milieu des jambes le lui permettait, se mit entre eux deux, offrant sans doute au caractériel et misogyne Second une vue dégoûtante que ses fesses nues.

« Occupons-nous de lui, il a été un très vilain soldat… »

Elle se sentant de plus en plus à l’aise dans son rôle, mentait avec aisance, à son plus grand étonnement. C’était grisant… Et… les caresses du Légat l’avait, elle devait l’avouer, mise en appétit, la troublant. Dans sa poitrine, le glyphe vibrait imperceptiblement.

Octavius Optio se prit au jeu, visiblement excité par la situation, et parfaitement ferré. Il avait fait preuve d’abstinence depuis trop longtemps, et vu la situation, il serait soit mort, soit malade, soit pendu bientôt… Une nuit de débauche était une modeste lueur d’espoir…
Avec l’aide du Légat, Alecto attacha alors le Second à un fauteuil. Il ne se laissa pas faire, et voulut crier, au point que le Petit Corbeau lui enfonça un morceau de tissu humide dans la bouche en lui susurrant des mots doux à l’oreille.

« Ne t’en fais pas, tu ne seras pas en reste, mais la primeur revient à ton Supérieur. »

Pourquoi cette situation l’excitait-elle autant ? Elle s’étonnait de ses mots, de ses actes… Agir sans craindre d’être jugée par un Maître était une euphorie nouvelle, qu’elle croquait à pleines dents.

Artus gigotait, mais ce fut Octavius qui, libéré des grommellements de son Second, ne put plus attendre. L’homme froid et droit se transforma dès qu’il fut assurer qu’Artus ne tenterait rien, en lui sautant à la gorge pour lui dévorer le cou, ses mains palpant sa chair avec avidité. Mais le Militaire était visiblement empressé, trop au goût d’Alecto qui avait envie de ses attentions, et qui grogna lorsque l’homme la retourna, la pliant en deux pour affaler sa joue contre le secrétaire et la prendre subitement sans autre forme de tendresse.

Ses coups de reins du Gradé étaient pourtant délicieux. Loin d’être aussi sauvage que les assauts infernaux de Damascus, mais un simple humain ne pourrait rivaliser… Non, il était acharné, pourtant, et très expressif. C’était… Enivrant. Il gémissait, complimentant ses hanches et la forme de son postérieur qu’il jugeait même de divin. Il parlait, parlait… Quel bavard, et plus il discourait, plus la tête du petit Corbeau frottait contre les cartes, de plus en plus fort, de plus en plus vite.

Et le tout, sous le regard d’Artus qui exprimait la profonde aversion qu’il avait pour elle. Du coin de l’œil, elle le voyait tenter de bouger, écœuré et furieux… Et elle fut prise de surprise par un orgasme puissant, incontrôlable, qui convulsa tout entière, en hurlant dans un râle rauque et profond.

Rendu fou par l’extase de la jeune femme, Optio se répandit en elle, ne contrôlant plus rien, lâchant un soupir presque ridicule, et se retira d’elle en reculant comme un homme hagard mais bienheureux. Alecto prit quelques instants pour se remettre. Ses yeux se tournèrent vers le Second qui avait presque l’air paniqué, cependant qu’elle essuyait ses cuisses luisantes d’un linge, où gouttait déjà la semence de son Supérieur. 

« A ton tour. » Lui sourit-elle.

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Sa besace au côté, Alecto courbait l’échine sous l’averse, recroquevillée sous sa cape de voyage où perlait chaque goutte gelée. Ses bottes étaient crottées et il lui semblait que ses os eux-mêmes seraient bientôt trempés. Elle retrouva avec pleine la tente du Légat, l’absence de soldats dans les allées par ce temps la laissant tourner en rond en se morfondant.

Plus elle avançait, plus il lui était délicat de songer à cette armée miteuse, tant cela la mettait mal à l’aise, même si fort heureusement, les mots de Damascus avaient su la rassurer au sujet de Nexus. Sautant par-dessus des flaques immenses, elle se présenta enfin devant la tente du Légat. Des sons parvenaient difficilement de l’intérieur : il n’était pas seul, ce qui n’arrangeait pas l’Esclave. Mais l’intempérie empêchait de distinguer exactement la teneur de leur propos, alors qu’elle aimait tant épier derrière les portes… Elle s’annonça alors, se raclant la gorge, et ce fut un homme de large stature aux favoris broussailleux mais au font dégarni, le visage buriné par les rides, et l’œil perçant.

Optio s’adoucit lorsqu’il la découvrit, réclamant de son second, Artus, qu’il la laisse entrer rapidement. Elle était congelée et se débarrassa de sa cape détrempée, pendant que le Légat l’approchait d’un brasero qui tentait de réchauffer toute la pièce qui servait de bureau de commandement. Rapidement, Alecto repéra les cartes évoquées par le Démon, mais prit garde à ne pas se faire prendre pendant qu’elle les observait.

Elle n’avait aucune idée de la manière dont elle devait s’y prendre, afin de les recopier. Les voler lui semblait une bien meilleure option, plus facile, et étrangement pour elle, très excitante. Savoir qu’elle pourrait tenter de subtiliser ces documents sous les yeux de leur propriétaire la rendit frémissante, mais ce n’était pas le froid… Oh non, c’était l’envie, l’appel étonnant qui la titillait. Un cadeau du glyphe, ou simplement une vieille pulsion qu’elle n’avait jamais laissé s’exprimer ?

« Les quartiers où nous nous trouvons sont au sec, je voulais venir vous remercier en personne… » Comment l’amadouer, comment détourner leur attention, à tous les deux ? Le Petit Corbeau déglutit, sentant le regard froid du Second posé sans cesse sur celle, méfiant, soucieux. Loin d’être aussi avenant que le Légat. Ce dernier lui servit du vin chaud, et Alecto lui lança alors un visage et un regard des plus reconnaissant… Ce geste parut le troubler, comme si la moindre once de sympathie paraissait le troubler. Pas étonnant, vu l’affreux vétéran qui le suivait, et l’ambiance de mort de son campement.

Il fallait qu’elle ne laisse pas passer cette occasion.

« Et je… Je n’avais pas envie d’être seule. »


- Votre garde du corps ne vous suffit pas ? Grogna immédiatement Artus, coupant la parole à son supérieur. Alecto cilla et esquissa un sourire, en direction d’Optio seulement, d’un air complice.

« Vous conviendrez que la compagnie de dignitaires de votre stature est plus aimable que ce sombre sire peu loquace. »

Elle ressentit à la fois une sorte de piqûre à la poitrine comme si elle venait de blasphémer, et comme si tout à la fois, elle venait de s’alléger d’un poids. Optio ricana, et évidemment Artus pesta entre ses dents quelque chose d’inaudible.

- Quand aurons-nous les largesses de votre marchand ? Aboya de nouveau l’officier dont la présence du Petit Corbeau semblait véritablement le rendre haineux. Un tel déferlement la perturbait, mais le Légat leva une main calme vers lui pour le stopper.

- Quand un contrat sera signé. Artus. Nous n’avons pas pour habitude de faire les choses en dehors des règles.

Le regard glacial du Second fixa les yeux clair d’Alecto comme s’il sondait son âme, et il plissa les paupières en sifflant légèrement. Un tel dégoût la désarçonnait… Optio, lui, paraissait tout au contraire trouver en sa présence un regain d’espoir. Elle se laissa brûler par le vin avant de continuer à avancer ses pions.

« Vos nombreux aides de camp et échansons pourront peut-être rédiger à l’avance ce précieux document, de sorte qu’il n’y ait que la signature du Général à apposer. Mieux vaut ne pas tarder à conclure notre affaire, n’est-ce pas ? »

Le Légat parut gêné, cette fois. Ils n’étaient que deux dans la tente d’ordre, il n’y avait aucun aide de camp. Aucun serviteur, aucun bleu pour les servir. Et ceci n’avait pas échappé au Petit Corbeau, habitué aux hordes d’esclaves autour d’une personne importante. L’air grave, il se laissa à nouveau tomber dans un fauteuil qui grinça… Visiblement, sa façade ne tenait qu’à un fil, exactement comme cette garnison… Il faisait son possible pour tenir bon, pour sauver les apparences. Mais…

Compréhensive, douce et avec un sourire presque maternel, Alecto s’approcha de lui, la tête du soldat à la hauteur de sa poitrine, et posa une main compatissante sur l’épaule qui ne souffrait pas de blessure visible. Artus porta immédiatement la main à la garde de son épée, mais la situation ne paraissait en rien menaçante.

« Laissez-moi écrire pour vous. Hm, voici un bureau en pagaille… » Elle venait de s’installer derrière le petit secrétaire aux nombreuses cartes. Les effleurer la fit frémir de plaisir. Elles étaient à portée de main, mais… Artus ne la lâchait pas des yeux, et désormais, elle percevait également le regard attendri, peut-être désespéré, d’Optio. Elle mit de côté les cartes, en apparence pour les ranger et faire de la place, triant parfaitement celles qui les intéressaient.

Le Second se pencha vers son supérieur et lui murmura quelques mots à l’oreille, et le Légat paru choqué, il se leva et porta une voix moins avenante, fixa le côté de son crâne tondu, sa coiffure élaborée devenue misérable avec la pluie.


- On me rapporte que votre signalement correspond à un couple de bandits qui a semé la mort avec barbarie à plusieurs lieux. Que vous êtes sans doute armée, et mal intentionnée.

Il n’y avait pas grande conviction dans sa voix, mais Artus, lui avait les yeux pétillants de sadisme lorsqu’il la regardait, intensément. Elle savait que son Maître ne lui viendrait pas en aide. Il fallait qu'elle se tire de ce mauvais pas seule.

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Un autre soldat fut chargé de les guider plus en retrait, et comme elle se devait de jouer son rôle du mieux qu’elle le pouvait, la jeune femme marchait avait aisance sans fanfaronner, n’ayant en aucun l’air de laisser traîner ses yeux, ou ses oreilles, à des endroits indiscrets. Contrairement à son Garde du Corps. En chemin, elle conversa avec le petit homme trapu que le casque en soupière protégeait de l’averse contrairement à eux deux…

Même si le militaire n’avait pas l’air du tout de les apprécier, il se dérida un peu lorsqu’elle laissa entendre qu’elle ferait sans doute prochainement le bonheur de leurs estomacs. Tous ces gens semblaient affamés, et ce constat choquant Alecto d’une manière sans doute moins stratégique que Damascus. Il lui paraissait improbable que la cité où elle avait grandi soit défendue par une armée aussi misérable, lui faisant craindre une défaite qui n’aurait rien d’étonnant. Cela la touchait, plus qu’elle ne s’y attendait, tout comme l’état lamentable de cette garnison, chaque passage d’un rongeur la faisant frissonner. Elle les avait en horreur, mais les aboiements enragés d’un molosse lourdement attaché à une chaîne à leur passage la firent cette fois clairement sursauté et gémir.


- ‘trainez po trop près de celui-là, mam’zelle. L’a rien becté depuis des lustres.

Grogna le soldat en les conduisant par un chemin où quelques inutiles planches de bois ne réussissaient pas à constituer un rempart suffisant à la boue qui commençait à couler. Les pans des tentes étaient ruisselants, comme si la pluie tombait depuis des jours, et le ciel bas n’annonçaient aucune éclaircie. C’était triste, et morne à mourir. Le moral d’Alecto, tantôt si enthousiaste et excitée par cette aventure, en prit un sacré coup.

Avant qu’il ne leur indique le lieu plus ou moins sec où ils seraient à l’abri, le soldat glissa sans le vouloir une information capitale. Ils ne risquaient pas de rencontrer le Général Tisza tout de suite, vu son état. L’Esclave allait le questionner mais, se rendant compte qu’il en avait trop dit, il se renfrogna et leur désigna une tente avant de faire demi-tour et de patauger dans la gadoue en chemin inverse, grommelant.

Alecto courut se mettre sous le dais salvateur, constatant qu’un brasero malheureusement éteint n’avait en rien réchauffé l’atmosphère humide et froide de leur unique pièce de vie. Au moins les paillasses n’étaient pas directement sur le sol, et la pente était en leur faveur, ne charriant en rien les eaux noires dans leur direction. Il y avait cependant à parier que les baraquements de la piétaille étaient inondés…

Frigorifiée, elle sursauta quand un autre anonyme vint leur déposer leurs affaires, garantissant que leurs chevaux étaient aux écuries. Mais quelque chose de désagréable alourdissait son estomac, comme un funeste pressentiment au sujet de leurs montures.

« Vous croyez qu’ils les mangeraient ? » S’inquiéta-t-elle, lorsqu’ils furent seuls, et qu’elle se dépêchait de sortir de leur paquetage une couverture. S’ignorant comme souvent, Alecto revenait déjà vers son Maître pour l’éponger.

« Je déteste cet endroit… » Murmura-t-elle, en passant le linge sur les joues détrempées du Démon, comme si elle regrettait déjà l’excitation qui l’avait si bien accompagnée avant de passer les portes de ce maudit camp.

« Que pensez-vous de ce qu’il nous a dit ? Et que voulez-vous exactement à ces gens ? » Sa voix avait été un peu plus nerveuse, peut-être empressée, comme si déjà elle voulait que leurs affaires ici avancent, impatiente de le quitter alors qu’ils venaient d’arriver. 

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Alecto avait rédigé, dessinant les lettres avec une attention méticuleuse, traçant les formes, s’arrêtant pour lever les yeux au ciel, la plume contre la joue, en réfléchissant aux tournures de phrase, se relisant souvent.
Son poignet était souple, ses gestes d’une grâce pure, et tout son être semblait être harmonieux lorsqu’elle agissait ainsi. Elle y prenait un grand plaisir, et cela la rendait invincible. Elle n’eut pas besoin de demander conseil à son Maître, et lorsqu’elle estima que cette missive était idéale, la jeune femme se releva, tira le parchemin, et lui en fit lecture en marchant de long en large.

A vrai dire… elle n’attendait pas l’assentiment du Démon, mais plutôt qu’il soit fier d’elle et qu’il savoure l’élégance des paragraphes, la finesse des idées soufflées comme le plus méticuleux des scribes que pouvait posséder le Porcin Tadéus. Quel imbécile, d’avoir préféré sa bouche à son verbe, alors qu’elle lui proposait de devenir sa biographe…

A cet instant, le document terminé, le sceau apposé avec aisance tant elle était habituée à la chose, et replié dans un carré de cuir fermement noué, Alecto se sentait piquée par l’excitation, un désir qui l’enflammait profondément et elle avait une furieuse envie de ce corps infernal… Ces sensations nouvelles, que le glyphe encourageait là où jadis elle se réfrénait, semblaient difficiles à contrôler. Elle le dévorait des yeux.

Mais il venait de souligner comme il la laissait maîtresse de la situation, et cette confiance qu’il mettait en elle et ses actes agissaient comme un contre-sort efficace. Le Petit Corbeau se faufila de nouveau dans la couverture chaude afin de dormir un peu… Mais Damascus à côté était un aimant brûlant. Ses pensées peinaient à s’évanouir pour lui permettre de trouver le sommeil, elle avait des visions érotiques en tête, qui la perturbaient, et d’un coup, elle tendit la main vers lui, n’y tenant plus.

Au dernier moment, son geste s’interrompit, sa main se crispa dans le vide, tremblant nerveusement, symbole de la lutte qui opérait en elle.

Ils se lèveraient tôt et elle avait à être en pleine possession de ses moyens le lendemain. Elle ne devait pas se laisser distraire par le Démon, elle était clairement dans un état fiévreux anormal… Inspirant, expirant, lentement, Alecto fit revenir son bras docilement, ferma les yeux, le front en sueur, et chercha à se calmer en murmurant.

« Je ne vous décevrai pas, cette fois. »

Ce faisant, elle dormit, de manière assez agitée, ses songes troublés par des rêves orgiaques de succubes et de démons, où un immense porc rôtissait sur une broche au centre de la scène de débauche chaotique.

L’aube l’éveilla avec la sensation d’être humide, ce qu’elle constata, se remémorant ses fantasmes nocturnes. Sans attendre cependant, l’air plus grave, elle avait déjà replié tout leur modeste campement lorsque Damascus fut prêt.

Alecto accorda un soin particulier à sa mine, tressant ses cheveux en nattes qui, habilement nouées et retombées, cachaient partiellement sa tonsure disgracieuse. Elle c’était vue, dans le reflet du ruisseau, et en aurait pleuré tant elle s’était trouvée laide… Aussi, le Petit Corbeau avait laissé sa tunique ouverte sur un décolleté probant, pour attirer le regard sur une partie de son corps qui, selon elle, n’était pas aussi repoussant que son visage.

Des perles de métal dans ses tresses et quelques bijoux attesteraient de sa condition d’émissaire d’un riche marchand. Ils chevauchèrent, elle suivant la monture des ténèbres jusqu’à arriver proche de la garnison en question… Là, elle talonna sa jument pour aller au-devant de Damascus, prenant immédiatement son rôle.

L’Esclave n’était pas à l’aise. Elle allait mentir.
Mais, contrairement à sa prestation devant Saïf, elle avait été consultée par le Démon, et avait prit part à la supercherie… Il avait fait une erreur en la prenant de cours sans l’avertir, mais cette fois, c’était radicalement différent. Et Alecto n’était plus la simple suivante de son Maître, elle était, elle, l’Officielle.

Elle s’approcha en tête, le dos bien droit, la stature d’une noblesse étonnante, que lui conférait sa grâce simple et naturelle. Improviser n’était pas son fort, aussi avait-elle eu le temps du voyage pour songer à ce qu’elle dirait, répétant son texte intérieurement, afin de camper au mieux son personnage. La crainte était présente, mais quelque chose en elle chassait le doute. Ils réussiraient, elle le savait. Elle avait cette foi. Cette foi qui la rendait intouchable.


« Salutations, l’ami. Loin de moi l’idée de déranger les exceptionnels héros qui protègent avec bravoure la glorieuse nation de Nexus, contre ces chiens d’Ashnard, mais … » Elle se redressa, sur son cheval. Des trois soldats misérablement en poste pour la garde de ce qui était une des entrées du camp militaire, l’une semblait avoir du mal à entendre, l’un avait un œil crevé disgracieux, et seulement le troisième avait l’air de pouvoir tenir le choc, s’ils avaient été des brigands.

« … Mais j’ai là une missive de la plus généreuse importance à porter à la connaissance de votre Général. »

Le troisième, alerte, les observait d’un œil méfiant, même si Alecto perçu quelques coups d’œil à son décolleté. Elle s’efforça de garder la tête haute, et leva légèrement l’étui léger où se trouvait le parchemin falsifié.

Puisqu’il demandait qui les envoyait et qui était cet homme en armure, l’Esclave eu le réflexe de répondre d’elle-même, alors qu’elle allait attendre que Damascus, son Maître, prenne la parole.

« Je suis l’émissaire de Tadéus Kervipar. Oh, et lui ? » Elle tourna les yeux vers le Démon, se retint de lui sourire en le trouvant exquis, et renchérit. « Mon garde du corps. Les routes ne sont pas sûres, vous en conviendrez. Mais… Je n’ai plus rien à craindre, désormais que me voici entourée de courageux soldats. »

L’homme n’avait pas l’air sensible à la flatterie, mais il considéra Damascus, alors qu’il avait clairement hoché la tête en entendant le nom du Marchand.

On leur permit l’accès et ce fut la femme qui fut missionnée pour les conduire jusqu’au Général. Cependant, par mesure de sécurité, elle les laissa à pieds, et devant une tente qui, d’allure, ne semblait pas être celle du plus haut gradé militaire présent. Alecto ne connaissait rien aux insignes martiaux, et ne reconnut pas les armes du Légat qui secondait le Général.

On les fit poireauter de longues minutes, au point que la jeune femme commença à craindre qu’on ne les ait pas cru. Tournant les yeux vers son Maître, elle fut surprise par la pluie qui tomba, drue, d’un seul coup comme la mousson. Tout le camp militaire se mit en branle, on courait mettre les quelques tonneaux ouverts à l’abri, les denrées, les armes sensibles… Et ce fut leur sauf-conduit.

Le pan rouge de la tente s’ouvrit et une main les invita à entrer prestement.


- Allons, allons, qu’on ne nous accuse pas d’avoir laissé dehors sous l’averse l’amie de Tadéus Kervipar.

Le Légat était un homme très grand, au point qu’Alecto dut lever haut la tête pour voir qui parlait ainsi. Son armure attestait des batailles endurées, et les sutures sur son nez, le cocard, les bandages à son épaule jusqu’à sa main, témoignaient qu’ils n’avaient pas été vainqueurs souvent.

Elle s’inclina immédiatement, portant la main au porte-document.

« Je saurai témoigner à mon bon ami Tadéus de votre compassion à mon égard. » Et elle se redressa sans attendre qu’on le lui autorise, ce qui était en soit, un effort colossal. Le Légat n’était cependant pas confiant de nature, il les observait de ses petits yeux bruns.

Il se présenta, rapidement, et tendit la main, pour vérifier le fameux document invoqué. Alecto tendit donc la missive au dénommé Octavius Optio, second du Général Tisza. Après une brève lecture, Optio se laissa lourdement choir dans un fauteuil, comme si un soulagement comme un harassement brutal venait de l’assommer.


- Par tous les dieux, c’est inespéré.

Le Petit Corbeau réprima l’envie de sourire victorieusement, et de lancer un regard complice au Démon.

- Le Général Tisza n’est pas visitable aujourd’hui. Vous avez dû faire une longue route, je vais vous assigner une tente, hm, rien d’aussi riche que ce que possède le Gr… hm, votre ami, mais lorsqu’il sera visible, le Dux prendra attache avec vous pour …

Il s’interrompit, semblant seulement maintenant remarquer la tunique dénouée d’Alecto, laissant peu de place à l’imagination quant à la forme et la taille de sa poitrine. Pourtant, immédiatement, il reprit, droit dans ses bottes.

- Pour un contrat en bonne et due forme.

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En réalité, Alecto passa la plus délicieuse des soirées. Ecouter Damascus lui décrire une sorte de monde qu’elle n’avait aucune idée de représentation hormi celles des tableaux dans les Temples, était épatée par ce qu’il faisait vivre par ses mots. C’était difficilement imaginable pour un être humain aussi vulgaire qu’elle, ignorante jusqu’à peu que les ‘Démons’ fussent bien réels autrement que pour faire peur aux Croyants.

Elle ne connaissait rien aux succubes, et de mémoire, on lui avait interdit de lire les ouvrages qui traitaient des Enfers et ses créatures, dans la bibliothèque du Sanctuaire où elle avait été élevée… Cependant, le Petit Corbeau fut tant captivé par ce récit à la fois terriblement excitant, et parfaitement effrayant, qu’elle n’osa en rien demander ce qu’était cette créature. A bien y réfléchir, ce devait être une bête assoiffée de luxure, pour épuiser autant d’esclave lors d’orgies. Se mordant la lèvre, elle se sentait énorgueillie des douces paroles promettant sa vengeance et dès lors, la petite Poupée eut pour Damascus un regard, il est vrai, fou de dévotion. De reconnaissance, également.

« Je voudrai m’occuper moi-même de Saïf. » Avait-elle murmuré entre ses dents lorsqu’il avait évoqué les retrouvailles, après leur quête. Elle se força à ne pas ajouter ‘si vous le voulez-bien’, puisqu’elle tentait d’appliquer les préceptes que le Démon avait édicté plus tôt. Sans demander la permission… Cela n’était encore pas à sa portée, sans de gros efforts. Mais cela viendrait, car, au fond d’elle, Alecto était convaincue qu’elle comptait, que son avis était important, et qu’elle devait agir telle qu’elle le souhaitait, elle, et personne d’autre.

Le Palais de Damascus devait être somptueux, et à la hauteur du puissant infernal qu’il était, qu’elle voyait en lui. Elle adora qu’il se livre ainsi et sentait sa poitrine chauffer, au point que lorsqu’elle sentit le chatouillement d’un tentacule aventureux, elle se laissa immédiatement aller à pousser un soupir, prête à écarter les jambes ; Elle était comme, envoutée par sa voix, et l’envie de son corps si proche sous cette couverture enflammait ses sens, comme s’ils étaient seuls au monde.

Un sursaut accompagna le timbre tonitruant de son Maître, la faisant se redresser d’un bond alors qu’il venait vraisemblablement de trouver un plan infaillible pour qu’ils entrent sans peine dans la garnison de soldats. C’était une stratégie rusée, et cela marcherait, songea-t-elle, loin cependant d’être très douée en tactique de ce genre, puisque n’en n’ayant aucune expérience.

« Oh, oui. » Son regard devint lumineux, de braise, même, mais il n’y avait pas que du désir cette fois. Elle était excitée par ce stratagème qu’ils élaboraient et où elle se sentait bien plus importante que son rôle habituel consistant à offrir son corps à n’importe qui. Elle jubilait, lorsqu’il réclamait qu’elle écrive et alors, d’une voix assurée comme métamorphosée, elle se jeta sur sa besace brodée, en sortit le nécessaire volé : parchemins, flacon d’encre, plume ouvragée, même un porteplume et …

« Je vais mériter une belle récompense, Messire. » Susurra-t-elle en levant devant le nez du Démon le sceau gravé du Porcin Marchand amateur de reliques. A vrai dire, elle n’avait pas imaginé que cela lui serait utile, mais il était très joli, et elle avait eu l’occasion de le prendre sans risquer de se faire voir lorsqu’elle était alitée… La gravure en creux représentait deux pièces de monnaie, la face présentant un éclair, et le pile dessinant une clé pleine de sorte qu’elle paraissait, une fois imprimée dans la cire, être sombre. C’était un travail minutieux, mais pas une pièce de maître, et le Gras devait en posséder tant qu’il n’avait sans doute pas remarqué son absence.

Elle fit danser le sceau devant le visage de Damascus avec un sourire ravi, ajoutant avec une sorte d’orgueil nouveau.

« Je sais rédiger des contrats commerciaux, des lettres d’amour, les notifications d’huissiers pour solde de taxes, les bilans financiers et des cantiques de l’Ord… » Elle se stoppa, sa poitrine venant de lui faire mal, comme une aiguille qu’on lui aurait enfoncée, fonçant les sourcils sous le coup. Mais c’était immédiatement effacé.

Alecto revivait. Elle se révélait bien droite et fière, le visage plein de prestance et le regard vibrant d’assurance. Sans attendre tant elle était enthousiaste, elle cala un rouleau de parchemin sur sa besace épaisse qui ferait office d’écritoire, et disposa ses ustensiles avec un plaisir qui irradiait de tout son être. Elle avait toujours aimé l’odeur des ouvrages et du vélin, et avoir l’occasion de montrer l’étendue de ses talents à son Maître la rendait folle.

La plume en main, la pointe déjà trempée dans l’encre noire, et plongea ses yeux dans les siens. Pour un peu, elle aurait fait voler tout ce petit secrétaire de voyage pour lui sauter à la gorge, mais Alecto savait aussi combien il lui serait délicieux de dessiner ces lettres.

« Je vous écoute, que voulez-vous dire, je transformerai vos mots, ils n’y verront que du feu. »

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Alecto garda le nez en l’air, observant le ciel alors qu’elle n’osait pas croiser le regard de Damascus. Non pas qu’elle était effrayée, mais il fallait admettre qu’elle était mal à l’aise qu’il ouisse percevoir si nettement ses troubles, et qu’il soit plus lucide, lui, de ce qui se tramait en elle. Le Petit Corbeau ne savait mettre de mots sur ses réflexions floues, et que le Démon, lui semble les sentir et en discuter sans gêne, la perturbait.

Mais à vrai dire, même les graines de la rébellion en elle furent charmées par sa voix, et par les doux mots qu’il prononçait, sincères ou non. Qu’il puisse mentir ne lui venait pas à l’esprit, elle était profondément disposée à le croire, et se savoir chère à ses yeux l’emplit d’une large euphorie bienheureuse, soufflant fatigue et doute.

Avec une lucidité exquise et simple, Alecto baissa le regard de la voûte céleste jusqu’au gris de ses iris, et esquissa un sourire d’une honnêteté à tout rompre.

« Vous me voulez à votre image pour mon bien, et mon bien sert vos desseins. »

Au contact de son index sur son nez, elle le fronça comme une ingénue, et gloussa légèrement. Elle se demandait véritablement si elle apprécierait se faire passer dessus par une armée entière… Et repensa aux serviteurs de Saïf. Non. Pas comme cela.
Elle cilla en voulant répondre, car elle venait de toucher du doigt ce qui véritablement faisait la différence. Sa Volonté. Son humiliation était imposée, un traitement dicté par un Oriental, un étranger à leur cercle, sans doute loin d’être parfaitement dictée par le Démon. Alors que s’il le suggérait, ou si elle se doutait que cela puisse être bénéfique à leurs affaires, Alecto se donnerait à quiconque pourrait les aider, et… peut-être apprécierait-elle, en effet. Le Petit Corbeau frissonna à cette pensée.

Tendant le bras vers lui, elle repoussa une longue mèche de cheveux noirs qui s’était détaché de son catogan. Et fronça les sourcils. Immédiatement, elle se redressa avec souplesse, tourna dans son dos, et entreprit de remanier la tenue des liens qui enserraient sa chevelure d’ébène, en de petits gestes élégants, maîtrisés, satisfaits de l’ordre qu’ils mettaient.

« Il me plairait que vous soyez présents, dans ce cas. » Lui répondit-elle comme si ses instincts maniaques n’avaient pas coupé leur conversation.

« Avez-vous… aimé me voir châtiée par tous les serviteurs de Saïf ? » Cette question tournait en boucle dans son esprit, et prononcé son nom la dégoûtait. Elle y aurait trouvé quelque réconfort, à vrai dire, sachant son Maître excité du spectacle qu’elle donnait malgré elle.

Mais elle l’avait vu converser avec le Marchand, et se désintéresser de son sort, jusqu’à ce que l’adolescent ne se montre trop hargneux…

Alecto repensait à sa dernière phrase ; avait-elle tant crié lorsqu’il l’avait prise avec autant de bestialité ? Quelque chose la titilla, et elle gigota un peu derrière lui, finissant le joli nœud dans ses cheveux, et restant dans son dos.
Elle se demandait si elle serait capable de lui faire perdre le contrôle en d’autres circonstances… A des moments gênants ? Ses lèvres se pincèrent, pour éviter de sourire et glousser, à cette réflexion. Mais il faudrait qu’elle ait la réponse. Cette sorte de pouvoir qu’elle avait sur lui, il fallait qu’elle le teste, pour pouvoir l’exploiter, un jour… Sait-on jamais.

Saurait-elle un jour lui imposer ce qu'elle voulait, elle ?

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Les mots du Démon l’aiguillonnaient, et le désir grandissant rendaient ses gestes plus intenses, la faisant soupirer puis gémir légèrement. Elle vivait pleinement chaque va et vient qu’elle produisait le long du membre dur, enserrée par le tentacule avec délice, fermant les yeux pour savourer davantage.

Elle prit ce qu’il dit pour des encouragements, mais sursauta lorsque la situation lui échappa, sentant ses chairs écartées violemment par l’instinct animal de son Maître qui, s’il fallait une preuve à ce qu’elle venait de lui murmurer, n’avait su se maîtriser. Il perdit le contrôle en la prenant brutalement, Alecto poussant derechef des cris étouffés tant elle était submergée par sa bestialité. Il la possédait tout en aboyant, ses muscles contractés dans l’effort décuplant l’adoration dans le regard clair du Petit Corbeau.

Ballotée au gré de ses coups de reins déchaînés, Alecto n’avait pas le temps de réfléchir, elle se laissait portée par le plaisir et lançait la tête en arrière avec délectation lorsqu’il s’enfonçait si profondément qu’elle hoquetait, souriant même, tirant parfois sur un rire délicieux de constater comme sa vision se faisait floue sous les assauts.

Et puis, la fraicheur de la pierre dans son dos, le corps fourbu et la sensation d’être tout autant vide, que pleine. Pour la jolie Poupée, l’indescriptible émotion d’avoir contenté son cher Maître, qui lui laissait ce regard dévoué. Elle soupira d’aise… Mais quelque chose en elle était incomplet. Cillant, elle se redressa et l’observa alors qu’il lui réclamait ses conclusions sur son discours.

Alecto réalisa alors qu’il avait retourné la situation et avait pris le contrôle. Alors même qu’il l’avait encouragée à agir tel qu’elle le souhaitait, elle, puisqu’il avait évoqué la nuit où elle avait abusé de son corps si attirant, inconscient… Damascus ne lui avait pas laissé le loisir de le posséder elle, pourtant. D’un sens, c’était flatteur : en quelques caresses, et quelques mots susurrés, elle avait provoqué le Démon, et sans trop se fatiguer. Cela devait supposer qu’elle avait un certain pouvoir, sur lui, certes.

Mais il ne lui avait laissé aucune liberté, n’avait semble-t-il, pas considéré qu’elle pouvait mener la danse.

N’était-ce pas, après tout, son rôle de Maître ?
Une partie d’elle en était convaincue, et elle esquissa un léger sourire à l’homme, les instincts dociles en elle se cachant derrière cet état de fait rassurant. Il prenait ce qu’il voulait, il en avait le droit, peut-être devrait-elle s’estimer heureuse de ce qu’elle avait déjà réussi à voler, cette nuit-là ?

Mais une partie d’elle, infime, grognait que non.
Qu’elle avait droit d’affirmer ses désirs, et tant pis s’ils n’étaient pas tels que Damascus les voulait. Il réclamait une femme offensive, percutante et vulgaire, et si cela ne convenait pas au Petit Corbeau, après tout ? La nuit de l’Incident de la Caravane, elle avait pris son plaisir, son plaisir à elle, comme elle l’entendait, et c’était la première fois qu’elle pouvait se le permettre. Pas une audacieuse provocatrice, pas une catin dévergondée, juste elle, juste Alecto.

Et pire, quelque chose souffla à son esprit
‘Et tant pis si cela ne lui convient pas.’ Et elle manqua une respiration, horrifiée de ce qu’elle venait de penser.

Immédiatement, le Petit Corbeau récita une leçon d’une voix délicate, mais où l’on percevait son trouble.

« J’apprendrai Messire, dans peu de temps, je serai telle que vous le désirez. Je serai entreprenante et effrontée, querelleuse et irrévérencieuse, et vous regretterez la molle et ennuyeuse Alecto tant je vous épuiserai, et que les nations se disputeront mes baisers. »

Un rire prometteur accompagna ses paroles, et elle entreprit de se laver, de nouveau, pour repartir parfaitement propre. Cependant, en elle, la graine germerait. Peut-être un léger ton de reproche avait-il pu être relevé dans sa voix, puisqu’elle avait comme l’amère sentiment qu’il la voulait différente, et que, d’un sens, elle ne voulait pas être changée… Elle voulait changer, si elle le souhaitait, et quand elle le voudrait. La laisser se faire violer pour lui apprendre à mentir et s’affirmer, lui tondre les cheveux dans un accès de colère, la menacer de la tuer ou de la mutiler parce qu’elle avait agi en harmonie avec ses convictions et ses désirs…

Toute la chevauchée, elle resta silencieuse, tout ceci tournant en boucle dans son esprit, au point qu’elle en développa une migraine. Le glyphe lui laissant son libre-arbitre lui compliquait la vie, elle qui avait l’habitude de suivre aveuglément des Chefs ou des Dogmes. Fort heureusement, la halte pour la nuit fut la bienvenue, et s’occuper des montures étaient salvateur : ainsi occupée, elle n’eut plus le temps de réfléchir.

Fourbue, et se sentant étrange, elle s’était assise en tailleur près du feu, mais observer les flammes la rendait trop grave. Le spectacle de la voie lactée fut réconfortant et lui offrit un répit, tout comme l’annonce de ce qui les attendait : au moins, elle ne ruminait pas.

« Les officiers commandent… » répéta-t-elle, presque pour elle seule. Et elle soupira sans s’en rendre compte ; les amadouer voulait dire les charmer, et elle commençait à croire que Damascus n’avait que cela en tête quant à son utilité dans leur entreprise. Mais rapidement elle se reprit. Non. C’était ainsi, elle était heureuse de le servir, et si cela entendait qu’elle séduise des armées, elle le ferait sans rechigner.

« Ne pourrions-nous pas nous procurer quelques insignes et galons ? Ce serait nous, les officiers. » Elle esquissa un sourire complice, toute pensée de rébellion effacée, dès qu’elle croisa son regard gris. « Vous devriez commander des légions entières, ce ne sont que des hommes, et vous êtes un Démon. »

Comme si elle n’avait jamais émis une bribe de doute en elle, Alecto semblait convaincue que Damascus était digne d’être au-dessus de ces vulgaires mercenaires à la solde des royaumes. De misérables royaumes, en comparaison avec son Maître.

« Je les mettrai à vos pieds. » Souffla-t-elle alors, comme métamorphosée, ou suivant de manière très assidue ses apprentissages, en s’approchant pour poser sa bouche sur la sienne. « Dussè-je me laisser prendre par tous les soldats. »

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Remonter à cheval voulait dire nouvelles douleurs, certes devenues habituelles, mais tout de même sourde, comme un vieux rhumatisme. Pourtant, elle avait dormi si lourdement, s’effondrant contre le Démon comme une masse, qu’elle avait agréablement profité des heures d’un sommeil réparateur, enfin. Cette énergie lui permit de savourer bien mieux le voyage qu’ils reprirent, réussissant de mieux en mieux à suivre le mouvement doux du pas de son cheval, et parfois même le trouvant agréable, comme bercée. Le soleil, cela-dit, semblait lui conférer une bien meilleure mine, et tenter d’effacer les immondes scènes passées.

Ecouter Damascus lui délivrer son savoir sur la région était une distraction qu’elle appréciait, Alecto avait toujours adoré les contes, et bien qu’elle sache qu’il s’agissait de faits réels et géographiques, la voix du Démon la portait toujours comme si elle pouvait voyager à travers ses mots, se figurant à l’avance ce qu’il décrivait. L’Esclave n’avait pas d’imagination en propre, mais savait d’une simple évocation, constituer d’autres images… Celles des troupes armées d’une armée en déroute ne l’enchantaient pas, pas plus que les terres du chaos, à vrai-dire.

Elle restait convaincue de n’être pas faite pour la guerre, ses talents restant concentrés sur les travaux lettrés ; écrire de belles lettres, tourner savamment des phrases diplomates, enflammer le cœur d’un amant, ou faire passer quelques menaces si besoin était… Mais manier l’épée, c’était une autre paire de manches. Pourtant, ils s’approchaient chaque jour un peu plus de cette échéance qu’elle redoutait, et craignant, dans l’état de son Maître, de n’être un fardeau plus qu’une aide. Et s’il lui arrivait malheur par sa faute ? Cette pensée lui faisait redouter le pire, et la hantait souvent ; comment pourrait-elle le protéger alors qu’elle ne savait ni attaquer, ni se défendre ?

Ces réflexions tombaient toujours sous un soupir fataliste, consciente de n’avoir ni réponse satisfaisante, ni solution à proposer pour le moment. Aussi, la halte près d’un ruisseau qui chantait lui permit de retrouver un sourire qui avait disparu alors qu’elle se noyait dans d’hasardeuses projections martiales.

Le petit tas de ses vêtements avait été parfaitement plié et ordonné, avec une minutie à la limite de la névrose, mais la satisfaction qu’elle en tirait la métamorphosait. L’eau était glacée, mais l’envie d’être propre gagnait ce duel largement, surtout après les affres de l’aube et le sentiment encore bien présent d’être profondément salie. Durablement.

Agenouillée sur une pierre plus grosse et plate, le Petit Corbeau se penchait pour récupérer l’eau froide et se frictionner en frissonnant, mais la sensation que l’onde lavait jusqu’à son âme la rendait plus sereine.

Elle sursauta, pourtant, lorsque Damascus l’interpella et elle ne put contenir un rougissement léger à l’évocation de ce qu’elle avait fait. Comment avait-il su ? Hm, à vrai dire, elle n’avait pas cherché à être discrète, et se souvenait parfaitement que, dans son état d’esprit indescriptible d’alors, elle n’avait fait qu’écouter ses envies.
Tournant ses deux billes claires vers lui, au bon moment pour se prendre en plein visage le liquide gelé, elle ne put retenir un rire cristallin. Mais quelque chose en elle se demandait toujours si elle n’avait pas eu tord d’abuser de son Maître, sans sa permission, et ce, même s’il ne paraissait pas le lui reprocher… au contraire.

« Oh… » Elle cilla, mais loin d’être mal à l’aise véritablement, le Petit Corbeau leva les yeux pour croiser le regard gris du Démon. « Je n’ai pas pu résister… Vous voir ainsi… » Alecto déglutit, la scène se repassant dans sa mémoire, ravivait les sensations vécues. « Vous étiez si… si attirant. »

Se disant, elle esquissa un fin sourire, que l’évocation de cette nuit rendait presque carnassier, et se releva pour venir contre lui. Il fallait qu’elle ‘prenne sur elle’ ? C’était tout autre chose que de profiter d’un homme inconscient, qui ne pouvait ni vous juger, ni protester, que d’oser se dévoiler telle qu’elle était, et comme elle le voulait, elle.

Se contenter d’être ce qu’il voulait était simple.

Sa paume glissa son l’avant-bras du Démon, lentement, et elle sembla chercher à se dédouaner. « Cela risque de vous déplaire. Je suis loin d’être aussi… bestiale, et fougueuse, que vous. »

Et pourtant, le désir était brûlant, commençait déjà à lui chauffer les pommettes, et l’intérieur des cuisses malgré l’eau froide que tentait de sécher le soleil sur sa peau. Sa main remonta le long de son bras, caressa du bout de l’index l’intérieur du coude en plissant les yeux avec une tendresse mièvre, avant de caresser son épaule, plus insistante puisque ce simple effleurement la rendait petit à petit plus électrique.

Mais comme le Démon avait semblé lui laisser carte blanche, et même souhaité qu’elle agisse telle qu’elle l’avait fait la nuit de l’incident de la caravane de Saïf, le Petit Corbeau continua de faire serpenter ses doigts le long de son torse, penchant la tête sur le côté à mesure qu’elle se délectait de cette vision dont elle ne se lassait pas. L’aura infernale avait cela de captivant, qu’elle commenta presque pour elle-même, quand sa main descendait sur l’entrejambe de son Maître.

« Vous semblez si froid et détaché… alors qu’à la moindre étincelle, vous explosez comme un volcan. » Il n’était jamais conseillé de donner son avis sur la personne qui la possédait, mais le glyphe, et l’envie de lui, déliait sa langue.

Elle ne fit qu’effleurer l’aine de Damascus, car aussitôt elle passa dans son dos, et couvrit ses épaules de ses paumes qu’elle venait de réchauffer en soufflant dessus, massant ses muscles avec douceur, insistants sur les nœuds qu’elle percevait sous la pulpe de ses doigts. Il paraissait tout le temps en parfaite maîtrise des choses, mais…   

« Vous n’êtes jamais détendu. Toujours au bord du précipice. » Un baiser souffla contre son cou, alors qu’elle avait dégagé ses longs cheveux noirs de sa nuque. « Vous ne supportez pas de ne pas tout contrôler, n’est-ce pas ? Et lorsque c’est le cas, c’est votre nature démoniaque qui prend le relai, pour affirmer votre prise… »

Elle ne parlait en aucun cas d’une manière défiante ou fanfaronne, au contraire, c’était comme si elle délivrait en toute honnêteté ses réflexions, et son admiration, et venant coller sa poitrine contre son dos, ses mains refirent le cheminement jusqu’à son sexe, le caressant doucement, en respirant plus fort contre son oreille.

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La voix du Démon la réveilla d’une sorte de transe, alors qu’elle restait prostrée en se balançant d’avant en arrière, lentement. Toute bribe de souvenir meurtrier s’envola. Mais la mémoire immédiate, elle, était intacte…

Elle peina à se mettre debout, ses jambes paraissaient refuser de la porter, mais revint s’asseoir, sagement, à côté de son Maître, tel qu’il le réclamait. Facile ? Ce fut facile ?
Elle cilla. La morte avait été attachée et Alecto, elle, était armée… C’était en effet d’une facilité déloyale. Elle-même s’était retrouvée dans des situations injustes, toujours en sa défaveur, et elle en avait souffert. Pourtant, la pitié qui lui avait effleuré le cœur était partie dès lors que l’amère jalousie avait empoigné son amour-propre.

Assise sur ses talons, bien droite comme elle savait le faire, le Petit Corbeau suivit méticuleusement les gestes de Damascus, avant de comprendre ce qu’il entreprenait. Aussitôt, elle détourna le regard. Fixant calmement le tas de baies qu’elle avait abandonné, et qui s’était trouvé piétiné dans l’assaut, elle entendit lentement chaque incision, la musique de la lame tranchante dans ce travail d’orfèvre délivrant une mélodie atypique, glauque et froide.

Découperait-on son visage, à elle aussi, à sa mort ?
Après sa panique nerveuse, la jolie Poupée maculée de sang était d’un calme à faire frémir. Elle contenait admirablement les émotions fortes qui l’avaient assaillie, dans la résilience qu’elle avait toujours possédée.

Cependant, ce fut impossible pour elle de rester impassible dès qu’elle reçut la peau de l’écorchée, tendue par son Maître comme s’il s’était agi d’un vulgaire butin quelconque. Alecto frissonna au contact de cette peau froide, lisse… si morne, inexpressive… Et soudainement, elle esquissa un petit sourire pour elle-même, comme se félicitant d’être la vivante, celle qui avait gagné ; Une triste fatalité, mais qui, étrangement, lui procurait une satisfaction perverse.

Il fallait avouer néanmoins qu’elle se sentait toujours nauséeuse, et ne tournait en aucune façon son regard vers le cadavre de leur victime, alors qu’elle emballait leur laisser-passer dans un linge propre, le pliant avec soin, et le rangeant dans l’une des sacoches de la selle du noir destrier que l’odeur du sang agitait.

Damascus lui récita son plan, et elle tourna vers lui un regard équivoque : elle le trouvait intelligent, rusé et sadique. Sans doute un trait typique des Infernaux… Elle qui avait jadis la tête farcie de chevaliers blancs, symboles de l’Ordre Immaculé, ne savait que peu de choses des Démons et leurs comportements. Au contact de son Maître, pourtant, il lui semblait qu’elle apprenait à le connaître… Tout comme il restait un véritable mystère.

Comment manger alors qu’elle avait encore l’estomac retourné par ce qu’ils venaient de vivre ? Elle se força, évidemment, puisqu’il était hors de question de reprendre la route sans avoir rien avalé… Mais l’appétit était absent, et pire, elle lançait des regards réguliers à la sacoche où se trouvait le visage mou…

« On me découpera le visage, à moi aussi, après m’avoir tué ? » Souffla-t-elle d’une voix terne.

Quelque chose l’horrifiait dans cette image. Elle se toucha les joues, se souvint qu’elle était poisseuse de sang, et s’éloigna sans attendre de réponse, pour une toilette succincte. L’eau froide la réveilla d’une sorte de torpeur morbide.

Quand elle reparut, l’endormi s’était éveillé et il les dévisagea comme un couple des Enfers. Alecto suivit son cri en tendant l’oreille, jusqu’à s’assurer qu’il était loin…

« Et s’il revenait se venger ? »

Sa question était posée avec naïveté, alors qu’elle savait que le Démon la voulait reposée pour repartir dans une paire d’heures. Mais sa tête était encombrée. Elle avait eu beau laver le sang, ses mains lui grattait. Ce sentiment d’être profondément souillée lui paraissait familier.

Pourtant, elle vint se lover contre son Maître, soulagée de sa douceur. Elle enfouit son nez contre son cou, inspira son parfum dans une profonde respiration qui lui vrilla les sinus. La clairière s’effaça. Les craintes aussi. Comme une enfant, elle l’enserra dans un demi-sommeil, comme pour s’assurer qu’il ne s’enfuirait pas. A elle. Il était à elle. Et toi, vilaine brindille, ton visage est à nous.

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Dès que Damascus fut debout, Alecto se sentit plus apte à surmonter ce qui viendrait. Pourtant, ses instructions quant à sa fuite vers la route ne lui convenaient en rien, il était hors de question qu’elle s’éloigne de lui, et voulut le lui faire savoir.

« Quoi ? Mais non je… »

Elle fut stoppée dans son élan par les quatre renégats qui faisaient leur entrée, cherchant à les encercler. Quatre contre deux, enfin, plutôt un et un boulet à sa cheville, le Petit Corbeau avait beau avoir déjà vu le Démon à l’œuvre, elle craignait que dans son état moins à même d’être glorieux, il ne réussisse à les sauver.

Alecto s’était emparée de sa fluette rapière, elle la tenait cependant d’une manière bien maladroite, indiquant sans doute sans peine à des soldats de carrière combien elle était inexpérimentée, et une adversaire facile. L’un de ceux qui paraissaient les plus dangereux siffla des insultes et elle serra les dents. Son cul ? Encore ? Qu’avaient tous ces hommes à le vouloir, ne pouvaient-ils pas faire abstraction de ce qu’ils avaient entre les jambes, pour une fois ? Elle n’était cependant pas en position de grogner, d’autant que, chaque fois qu’on la traitait de catin, elle se sentait autant peinée qu’agacée. C’était une insulte qu’elle n’avait jamais supportée, mais jamais elle ne l’avait vraiment montré, après tout.

Et pourquoi pas l’inverse ? Faisait-elle moins noble que le Démon ?
Le tonnerre dans la bouche de Damascus la recentra sur la réalité, alors qu’elle tremblait sans le vouloir ; pourtant, la panique qu’elle aurait habituellement ressenti était absente de ses entrailles, elle ne maîtrisait pas la situation, loin de là, mais accordait à son Maître une confiance suffisante pour agir tel qu’il le réclamerait. Et il avait dit qu’ils se battraient…

Alors que l’un se jetait sur le Démon, le second songea qu’elle serait facilement neutralisable, et s’avança vers elle en chargeant. Son épée en l’air pour chercher sans doute à la trancher en deux, il n’était pas des plus rapides, et dans un réflexe, Alecto fit un bond en arrière, se retrouva dans la trajectoire d’une giclée du sang du comparse décapité.

Sa vision brouillée, la jeune femme chercha à repérer l’adversaire, qui s’était tourné vers son Infernal Maître, et n’avait pas changé de tactique d’attaque brutale. Peine perdue, elle assista au spectacle rapide et morbide de sa fin, s’écartant cette fois pour éviter de reprendre une gerbe de sang sur son visage déjà maculé.

Alors qu’elle allait se diriger vers le pauvre adolescent inconscient contre l’arbre derrière les deux animaux nerveux qui gigotaient en tous sens, elle fut interrompue et ne put que suivre son Maître, obéissante, les jambes flageolantes face aux macabres scènes vécues, mais loin de s’en trouver excessivement émue, étrangement.

Il restait la femme, qui n’avait pas prit par à la bataille. Désormais ligotée à un tronc, Alecto prit le temps de l’observer en détail. Elle était finement musclée, il était étonnant qu’elle n’ait pas chercher à les attaquer, mais il fallait avouer que Damascus ne leur en avait pas laissé le temps… Elle était misérable, et soudainement, le Petit Corbeau ressenti de la pitié pour celle qui pleurait.

Une pitié qui tourna aussitôt les suppliques et propositions qu’elle sanglotait, et lorsque la voix de son Démon résonna, l’Esclave frémit. Il aimait son visage ? Ses yeux se plissèrent pour l’examiner de plus nettement, et une évidence lui sauta à l’esprit. La fille était quelconque, elle avait une cicatrice disgracieuse à la lèvre, et un lobe fendu. Elle n’était ni gracieuse, ni raffinée, elle avait les traits grossiers. Comment pouvait-il apprécier ce minois-là ?

La petite étincelle s’alluma.
Dès que le pommeau fut à portée, le Petit Corbeau s’en saisit docilement et prit la place de son Maître. Elle n’arrivait plus à retirer ses yeux clairs, où perlait la jalousie, du faciès de cette femme en pleurs qui s’efforçait de ne faire aucun mouvement, tant elle craignait pour son œil. Et pour sa vie.

Elle n’avait aucun charme.
Mais comme elle sentait sans doute l’animosité de son vis-à-vis, la guerrière tourna les yeux embués vers Damascus pour renchérir.


- Je ferai tout ce que vous voudrez, tout, regardez mes seins, ils sont à vous ! Tout, pitié. Pitié.

Puisque c’était une sorte d’invitation, Alecto piqua de la pointe affutée de la dague les attaches d’une brigandine mince, puis d’une chemise épaisse, et même de bandes autour de sa poitrine. La prisonnière pensa sans doute qu’elle avait une chance de s’en sortir et essaya de bomber le torse.

Le regard clair, devenu piquant, de la Poupée passa sur ses seins. De petites poires tombantes, ni appétissantes, ni rondes. Filiforme. Insipide. Alecto s’agaçait du haussement de cette poitrine que l’autre exposait avec espoir face à son Maître.


- Touchez-la !

Ajouta-t-elle dans une ultime tentative de survie désespérée. C’en était trop pour la Corneille, encore galvanisée par les sensations causées par l’attaque et sans pouvoir l’expliquer vraiment, presque excitée. D’un mouvement soudain et vif, elle replaça le poignard à l’exact endroit où Damascus l’y avait placé avant de lui céder sa place, et sans réfléchir, aveuglée par la jalousie et la hargne, enfonça de toutes ses forces, perçant l’œil d’un coup. Elle était tant emportée qu’elle enfonça la lame jusqu’à la garde, son poing cognant contre les sanglants épanchements qui avaient giclés.

Durant un long instant, elle resta ainsi, la main et le visage souillé dans une expression de haine, le bras bien droit, sentant la pointe bloquer contre le crâne, de l’autre côté… Mais quand elle sembla reprendre ses esprits, réaliser son geste, elle lâcha l’arme qui resta un petit moment accroché, puis tomba au sol, alors qu’Alecto reculait à quatre pattes, se redressait maladroitement, et se tournait en hâte pour rendre une bile aigre.

Elle avait tué quelqu’un.
Et volontairement.
Sa vie était-elle en danger, réellement ?
Mais Damascus le lui avait pratiquement demandé, ordonné ! C’était son devoir.

La paume plaquée sur sa bouche, blême, le Petit Corbeau se sentait nauséeuse, et réalisa à quel point le sang sur sa peau sentait mauvais. Avec un acharnement frénétique et dément, elle arracha des fourrés des feuilles pour frotter ses mains, son visage également, qu’importait les brûlures ou les réactions urticantes.

Elle avait tué quelqu’un.
Et… au fond d’elle, Alecto savait qu’elle avait aimé cela.
Et cela résonnait en elle, comme un souvenir lointain, et enfouit. Elle avait déjà tué auparavant.

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