Un pantin? Et c'était supposé le rabaisser? Creedo pensa à sa rencontre avec Tadeus, puis à tout ce temps passé au ludus. Il se rappelait son ancienne vie, et sa vie de gladiateur. Puis il pensa à Titus, ce jeune garçon téméraire qui le considérait non pas comme un serviteur, mais comme un frère. Bien qu'il affichait un air impassible, il souriait intérieurement. Oh que non, il ne se prenait pas pour un autre. Il savait exactement qui il était, et où était sa place dans l'univers. Il savait aussi où irait sa loyauté, quoiqu'il arrive et quoiqu'il en coûte. Toutes les provocations d'Anéa ne sauraient l'atteindre, c'était comme jeter de la neige dans le cratère d'un volcan.
Elle s'avançait vers lui avec une froideur surjouée. Non, en fait, elle ne faisait que s'avancer
dans sa direction. Derrière lui, il y avait la tribune d'honneur. Derrière-lui, il y avait Berzyl. Elle ne comptait pas démordre. Il avait lu ses intentions si facilement...
Il ne bougea aucun muscle lorsqu'elle accéléra, et ne cilla pas quand elle bondit. Quand bien même son saut eut été surhumain, il n'y avait aucune surprise sur le visage du Champion. Seul un sourire lui étira les lèvres, lorsqu'elle l'eut dépassé:
"J'accepte volontiers de danser au creux de la main d'un tel homme..."Il fit volte-face tout en sautant. Ce n'était pas un bond aussi prodigieux que celui de la semi-démone, mais c'était amplement suffisant. Le bras tendu, il avait réussi à la saisir à la cheville, avant de reposer pied à terre. Aucun gibier n'échappe à un loup sur son territoire de chasse. Il rabattit la femme au sol avec force, comme un artisan battant le fer de son marteau. Il agrippa ensuite la jambe avec sa seconde main, et prit une impulsion en fléchissant un peu les jambes, pour l'envoyer en l'air et la rabattre à nouveau. Il se servait de son adversaire pour damer le sol, au sens propre. Il le fit une fois, deux fois, et pas davantage, pour être sûr qu'elle ne trouverait aucun moyen de se libérer. Puis il expira longuement et la lâcha, pour aller récupérer son arme. La foule réclamait le coup de grâce, le pouce baissé.
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Dans la tribune d'honneur, au moment où la guerrière avait bondit, Berzyl avait ressenti un frisson si désagréable que Tadeus avait pu l'apercevoir. On aurait pu parier que la stupeur l'avait paralysé l'espace d'un instant. Si le laniste n'avait pas eu autant confiance en son esclave, il aurait bondi lui-même dans l'arène pour intercepter la furie.
Les traits du démon se détendirent lorsque le Champion la rattrappa et entreprit de la battre contre le sable. La force de l'ancien chasseur de loups-garous était au demeurant spectaculaire pour ceux qui n'y étaient pas habitués, mais Tadeus restait soucieux: l'expression satisfaite de son hôte n'était pas celle d'un homme ridiculisé, et il semblait même ravi de voir sa Championne ainsi écrasée par l'un des plus grands gladiateurs de l'Empire.
En contrebas, Creedo brandissait son bident devant la foule, avant de s'en retourner vers Anéa, toujours sonnée et à terre. Le gladiateur demeurait méfiant, car il ne comptait plus le nombre de fois où un adversaire avait feint l'inconscience pour mieux le prendre par surprise. Il levait l'arme au-dessus de son épaule, pointe vers le bas, pour lui asséner le coup de grâce:
"CREEDO! CESSE!"La voix puissante et grondante de Tadeus avait porté au-delà des clameurs de la foule. Très vite, un silence pesant s'abattait sur le stade. Son maître avait bondit de sa chaise, et semblait très contrarié. Il se tourna vers Berzyl:
"Berzyl... Vous cherchez à m'insulter? Vous n'avez pas organisé cette rencontre pour qu'un duel ait lieu. Vous avez organisé un massacre, et m'avez présenté cette Championne pour que j'accomplisse la basse besogne à votre place. Vous avez voulu m'utiliser pour faire ce que vous étiez incapable de faire, ou, dans le meilleur des cas, m'humilier. Vous y gagniez dans les deux cas. Il n'y a rien d'honorable dans un tel combat."Le démon bredouillait comme un enfant pris en flagrant délit.
Je devrais la laisser l'égorger. Tadeus sauta au bas de la tribune comme on enjamberait une rambarde, et se réceptionna sur un genou, salissant un peu sa toge au passage. Il entendait déjà Alera le réprimander pour ça... Il s'avançait vers les deux gladiateurs, et ne prononça qu'un mot:
"Armes."Et Creedo de s'éxecuter sur le champ, en donnant des coups de pied dans les mains d'Anéa jusqu'à ce qu'elle ne lâche ses armes. Le Prior Sanguinem savait encaisser les blessures comme personne, et ne se sentait pas vraiment en danger, même désarmé, mais... Il craignait davantage pour l'état de ses vêtements si la furie se jetait sur lui. Il lui décocha un léger coup de pied dans l'épaule, et se pencha au-dessus d'elle:
"Hé, toi. Qu'est-ce qui te motives tant à prendre la tête de Berzyl, au point que tu en négligerais ta propre vie? Sa mort a-t-elle plus de sens à tes yeux que ta propre existence? Parle!"