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« le: samedi 30 mai 2020, 15:47:05 »
Durant tout ce chemin parcouru dans ses bras, Alecto eut le temps de retrouver une respiration quasi-normale. Bien sûr, être portée ainsi par son Roi était une profonde source d'émoi, mais la barrière des vêtements retrouvés, et surtout, la perspective de se diriger vers un lieu de culte, arrivaient à baisser sa panique, et ses frustrations. Plus ils s'approchaient, et plus elle soufflait lentement, expirant savamment pour tempérer ses ardeurs. Loin d'avoir la maîtrise du Monarque, Alecto bénéficiait cependant de nombreuses années d'apprentissage de la méditation, du retour au calme, et du maintien de ses émotions. Savoir tout cacher à l'intérieur était une qualité, lorsque l'on est Esclave. Cela évite des ennuis, toujours.
Elle n'aurait su décrire son soulagement lorsqu'elle constata l'existence de la Chapelle à l'intérieur de la forteresse. Une grâce souffla entre ses lèvres, sans qu'on sache si elle louait Dieu, ou Serenos. Sans doute les deux... Impressionnée par ses dons, le regardant agir et malaxer la réel comme bon lui semblait pour rendre aux lieux un semblant de faste, la Compagne fut surprise de le voir travailler le bois, alors qu'il aurait pu sculpté la matière par sa simple pensée et ses pouvoirs. Son regard se perdit dans ses gestes, sur ses mains habiles qui transformaient le matériaux brut en un symbole qui lui était cher.
Son cœur se mit à battre plus fort quand l'étoile fut en bonne place, illuminé des cierges. Cette petite pièce avait quelque chose de chaleureux pour elle, malgré la nudité des murs et les circonstances. Cependant, le discours de Serenos firent passer une ombre sur le visage clair de la jeune fille. Il y avait beaucoup d'informations à saisir, là dedans... Il avait évoqué des choses qui, naturellement, la mettait mal à l'aise. Parmi elle, l'évocation de sa descendance. Elle savait parfaitement qu'il était bien plus âgé qu'elle, évidemment. Mais... vieux comment ? Cela pouvait paraître absurde à beaucoup, mais pour Alecto, croyante, connaître à quel moment de vie une personne se trouvait semblait important. Même si Dieu pouvait rappeler quiconque à lui comme bon lui semblait.
Sa relation avec le Pontife était hostile, il l'avait déjà exprimé peu de temps avant. Elle acquiesça en silence d'abord, en l'écoutant avec attention, dans une attitude contrite. Il paraissait logique qu'elle soit mal à l'aise d'entendre des dires négatifs sur les représentants de l'Ordre. Mais là encore, en tant que Sœur d'un petit couvent de campagne, Alecto savait en son fort intérieur que les Hommes étaient, en effet, corruptibles et pêcheurs. Il n'était pas étonnant, dès lors, que même un Pontife puisse aimer et chérir le pouvoir, se perdre dans les intrigues politiques viles, et en oublier ses réelles fonctions. Il serait jugé en son temps, songea-t-elle, sans jamais oser le prononcer à haute voix, ou couper la parole du Monarque.
La fin de son discours lui serra le cœur.
Elle savait bien que certains ne reconnaissaient pas la Souveraineté de Dieu sur tout ce qui vit. Alors qu'elle faisait une très discrète moue désapprobatrice, elle se souvint alors parfaitement de l'attitude à adopter. Tout s'éclaira. Elle lui sourit d'un air étrange, plein de dévotion, assuré, même. Elle n'osa pas le contredire, mais ils auraient très certainement l'occasion d'avoir d'autres discussions ensemble, à ce sujet... S'il le souhaitait. L'Esclave avait du mal à se dire qu'elle était considérée comme son égale, mais il faudrait qu'elle s'y fasse. L'inconnu était effrayant mais... terriblement attirant.
Alors qu'il quittait les lieux, elle s'inclina, comme un réflexe, en murmurant.
"Merci, Monsei... euh. S... Serenos." C'était si dur. Elle pinça les lèvres en se redressant, se tournant pour observer l'étendue de son petit domaine. Elle était seule, pour la première fois depuis sa rencontre avec le Roi.
En se signant avec délicatesse, elle s'agenouilla devant l'autel, les flammes jouant sur son visage. Elle mit un moment avant de s'habituer à leur caresse, et leva le menton pour dépasser le symbole étoilé. Alecto aimait les représentations, elle les chérissait comme il se devait. Mais elle Savait qu'elle s'adressait à ce qui n'était pas matériel, ni représentable. Alors, comme elle le faisait depuis toujours, quand elle priait, elle perdit son regard sur le plafond avec une adoration extrême.
Sa voix changea, peut-être était-elle audible de l'autre côté du mur, mais elle ne s'en souciait. Une voix suave et pourtant dénuée de sensualité. Une voix une grave, comme celle des litanies.
"Qu'il me soit donné, Seigneur, de résister à la tentation que les Mortels m'imposent. Et s'il ne Vous en convient pas, qu'il me soit donné, Seigneur, de déceler Vos signes afin d'obtenir votre Pardon.
Je Vous en supplie, bonté infinie, Dieu, Père tout-puissant, ne me livrez pas à la perdition, moi votre créature.
Prêtez-moi Votre main, Seigneur, et arrachez-moi au lac profond de mes péchés. Relevez-moi de ma chute, illuminez mon aveuglement, misérable que je suis.
Vous voyez et Vous êtes témoin que je veux répudier toutes mes fautes, et obéir à Vos saints commandements. Mais de moi-même je ne puis rien, et il n'est rien dans ma chair qui soit bon."
Elle prit une profonde inspiration, et souffla lentement. Peu à peu, elle se sentait apaisée. Lorsque sa voix s'éleva à nouveau, ce fut en un chant non dénué de mélodie, mais cela restait un psaume religieux, qu'elle récitait par chœur.
"Sauve-moi, ô mon Sauveur,
Toi qui as sauvé mon âme,
Sauve ma chair de la flamme
Qui me gâche ta Saveur !
Sauve-moi des tentations ;
Chasse de moi les pensées
Perverses et insensées,
D’un souffle de ta Passion !"
Alecto frissonna. Tout bas, elle murmura : "Protègez le Roi Serenos, ô Tout Puissant, même s'il Vous nie. Il n'est pas Homme plus humble et plus digne de Votre Lumière. Qu'il me soit donné de le chérir selon Vos préceptes sans ..." Elle déglutit. "... sans abîmer mon Âme."
Après un silence, elle rajouta timidement, honteuse. "Protégez Thiana Gian, ô Très-Haut Saint Père, des douleurs et des ténèbres où elle navigue. Permettez-moi de demander son Pardon, pour tout le mal que je lui ai fait."
Elle ferma les yeux, et inspira à nouveau doucement, les mains sur les genoux, paumes vers le ciel.
"Seigneur, Vous êtes mon Rédempteur. Par mes actes, je ferai pénitence." D'un geste sans faille, elle saisit un cierge, qu'elle pencha en soulevant sa robe, jusqu'à faire couler la cire brûlante sur sa cuisse. Elle serra la mâchoire et les poing, mais ne se plaint pas, n'émit aucun cri de douleur. La cire liquide se solidifia au contact de sa peau et après quelques minutes, elle la gratta en plissant les yeux pour résister à l'envie de gémir, tant elle souffrait.
Replaçant la bougie à sa bonne place, elle se redressa avec peine, avec une moue meurtrie, mais se signa plusieurs fois.
Quand elle ouvrit la porte de la Chapelle, son visage était celui d'une Sainte. Elle irradiait de cette Foi qui la caractérisait, son cœur apaisé, bien que sa cuisse vibrant de la brûlure qui grignotait encore un peu sa peau.