Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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Messages - Telka

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Le parc et son sous-bois / Re : Oh, une odeur alléchante (Telka)
« le: dimanche 15 septembre 2013, 23:02:14 »
C'est à mon tour de m’esclaffer, sans toutefois qu'il n'y ait la moindre moquerie dans mon rire. Je considère déjà le fait que Moto connaisse tant de choses sur les chrétiens comme la preuve d'une certaine culture générale. Même s'il n'en connaît visiblement que des clichés, la religion est si peu développée au Japon que la plupart des gens ignoraient la plupart de nos préceptes, et quelques fois nos symboles. Les jeunes, plus exposés que les anciens à la culture occidentale, évidemment, sont un peu moins ignorants sur le sujet. Enfin, ça n'est pas encore ça.

-Non, pas vraiment ! Même si nous avons une église, il n'y a pas de couvent, à Seikusu, et je ne suis pas une moniale ! Je suis libre, et liée par aucun vœux d'obéissance... En réalité, je voyage beaucoup. J'ai déjà été en Afrique, une fois... C'est une terre chrétienne ! Mais je suis née en Pologne.

Je ne peux pas tout lui dire, bien évidemment. Le peu de pouvoirs que j'ai déjà révélé au monde m'a attiré suffisamment de problème comme cela. Inutile de lui avouer qu'en plus, je voyage entre les plans, de par des dimensions parallèles où vivent des monstres dont il n'a aucune idée de l'existence. Je me rends parallèlement compte que sa confusion vient d'une négligence de ma part. À quoi pensais-je ? J'aurais du me décrire bien plus tôt ! Je me rattrapes, un peu confuse :

-Oh, euh, et je ne suis pas du tout noire... Alors voilà, je suis blanche, avec des cheveux mi-longs, châtains. J'ai des yeux verts, et je suis plutôt fine. Pas très féminine, pour ne rien te cacher ! Mais enfin...

Je m'apprête à reprendre là où je me suis arrêtée. La tradition des guérisseurs, dans le monde entier, est presque universelle. Chaque culture a son chaman, son rebouteux, son médecin, son mystique, qui soigne par des moyens plus ou moins conventionnels. Beaucoup de gens s'accordent encore à dire que certaines personnes ont des capacités particulières pour cela, et généralement, cela ne les choque pas, même s'ils ont tendance à faire un peu trop de bruit ensuite.

-Je n'ai pas vraiment de connaissance en médecine classique non-plus ! Je n'ai jamais eu le courage de faire des grandes études ! Mais Dieu m'a donné un don peut-être plus précieux encore. Je guéris par imposition des mains. La plupart des maux, en réalité. Peut-être tu n'y crois pas, la plupart des gens n'y croient pas ! Mais ça fonctionne quand même presque toujours. Ne le répète pas trop, je me retrouverais vite débordée !

Je ne fais pas semblant de me servir, et lui laisse la totalité du bentô. À la place, je cherche dans ma poche mon paquet de cigarette, et en sort une nouvelle. Je ne lui donnerai pas plus de quinze ou seize ans, il doit être encore en pleine croissance. Qui serais-je pour le couper ? Surtout que sur ce plan là, il n'est pas bien grand. Cela participe sans doute un peu au fait qu'il soit si attendrissant. Sans parler du fait que sa volonté de partager me semble admirable. Je n'ai d'autre envie, en cet instant, que de l'aider. Il ne paraît pas tellement susceptible, alors je tente.

-Ça te dérange si je fume un peu ? … Hm, tu sais, j'ai déjà redonné la vue à des aveugles. Quand ce sont les nerfs qui sont abîmés, j'ai vraiment d'excellents résultats.

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Le parc et son sous-bois / Re : Oh, une odeur alléchante (Telka)
« le: samedi 14 septembre 2013, 21:02:01 »
Je regarde un sourire s’inscrire sur le visage lumineux du garçon, et je me dis que c'est un salaire amplement suffisamment pour le peu que je lui donne.

-C'est sûr ! Je ne sais pas ce que je ferais de cet argent, de toute façon. On a tout ce qu'il faut, ici.

Je tente de ne pas trop m'imposer comme guide. Après lui avoir indiqué la direction de la table, je ne fais que m'assurer qu'il ne dévie pas trop de sa trajectoire, et qu'il s'assoit correctement. Heureusement, il semble parfaitement habitué à sa cécité. Celle-ci, je songe, ne doit pas être récente. Sans doute l'a-t-il depuis tout petit, ou même est-il aveugle de naissance. Dans tous les cas, je ne veux pas donner l'impression que je pense qu'il a trop besoin de moi pour s'orienter. Je fais de mon mieux pour lui laisser toute sa dignité et son indépendance. Après tout, il n'a pas eu besoin de moi pour arriver jusqu'ici. D'ailleurs, la chose m'intrigue un peu. S'il n'est pas facile d'éviter les gens qui marchent, les bruits qu'ils émettent rendent la chose possible. En revanche, sans canne blanche, éviter les obstacles immobiles, ou trouver un parcours viable me semble plus difficile encore.

-Tu es un habitué de la promenade solitaire le ventre vide, alors ? C'est l'odeur des fleurs qui t'attire dans les jardins ?

Le garçon a lui-même avoué avoir un odorat plus sensible que la moyenne. J'ai aussi entendu dire que le cerveau de certain aveugles précoces développait une zone spécifique qui leur offrait une surprenante capacité de perception de la résonance des sons. Certains pouvaient ainsi, si je me souviens bien, déterminer la taille des pièces dans lesquels ils se trouvaient en faisant simplement claquer leur langue dans leur bouche. Quelques uns prétendaient même pouvoir ainsi repérer coins de rues et même poteaux, sans que je sache quel crédit accorder à tout ça. Je ne suis en fait sûre que d'une chose : c'est que le Créateur a donné à l'être humain les moyens de se sortir de n'importe quelle situation.

-Hey, au fait, je m'appelle Telka ! Je suis guérisseuse, entre autres, par la grâce de Dieu !

Bien sûr, j'ai songé à lui rendre la vue dès que je l'ai croisé. Soigner les infirmes et les malades, c'est ce que le Sauveur faisait de visuellement plus impressionnant. Pourtant, même lui disait que ça n'était rien, et que son véritable pouvoir était ailleurs. Je repense à cet évangile qui le décrit si bien, et qui est l'un de mes favoris : Jésus, qui avait été appelé au chevet d'un paralysé, et il lui disait simplement ''Tes pêchers sont pardonnés''. Toute l'assemblée était alors déçue de ne pas voir de guérison, et commençait alors à douter de lui. Pourtant, le Christ avait alors dit ''Croyez-vous que pardonner les fautes soit plus facile que de guérir ? Il n'en est rien, mais pour vous prouver que je possède le premier don, je ferais usage du second.'' et l'homme alité s'était alors relevé. Plus rationnellement, j'attends qu'éventuellement, il aborde le sujet lui-même. Je ne veux pas le brusquer.

-Et toi ? j'ajoute sur un ton léger.

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Les bas fonds / Re : Lorsque deux prédateurs se croisent... [ Telka ]
« le: mercredi 11 septembre 2013, 14:31:01 »
Je suis un peu surprise de l'attitude de Laura vis à vis du liquide trouble que nous a servi l'aubergiste. La plupart des autres femmes que je connais auraient froncé le nez rien qu'en sentant l'odeur du breuvage : elle n'est décidément pas aussi délicate, je songe, qu'elle en a l'air. Les épisodes de l'arrestation, de l'emprisonnement, puis notre fuite, m'ont presque fait oublier la cause fondamentale de notre situation. Alors que j'y pense de nouveau, le meurtre commis par l'îlienne me paraît presque incongru, et tellement éloigné de ce que nous avons vécu ensuite… Une large part de moi-même me prie d'ignorer ce crime, et de la considérer ainsi que je l'ai connue ensuite, timide, réservée, reconnaissante… envoûtante aussi. Sans oublier le fait qu'elle ait pris des risques pour m'extraire de la prison. Je crois de tout cœur à la rédemption. Pourtant, cela ne fait même pas vingt-quatre heures que ce soûlard a rejoint les cieux. Puis-je dire alors, c'est pardonné ? Je n'ai pas ce droit. C'est ma conscience, cette fois, qui me l’ascèse.

-Le mieux, c'est quand même d'espérer qu'ils ne viennent pas. Sinon, le plus important, c'est qu'ils ne te prennent pas là. Moi, je ne reste jamais longtemps au même endroit. Pas même en prison.

Je bois une nouvelle gorgée, puis une autre, presque à la suite. Suite à ce traitement, ma conscience, enfin, me laisse un peu tranquille. Dans le même temps, l'alcool qui commence maintenant à faire un peu d'effet sur moi me donne la réponse à mon interrogation de tout-à-l'heure. Je ne suis pas le Christ, je ne suis pas prophète, je ne suis même pas un membre du clergé au sens strict ; je ne peux pas parler au nom du Seigneur et assurer le pardon des pêchers. En revanche, je peux lui pardonner à titre personnel, et laisser le reste à Dieu, à plus tard. Au moins, cela réglera les derniers scrupules que j'ai encore à la considérer à présent de plus en plus comme une amie. Il lui reste encore toute une vie, peut-être même cette vie sera-t-elle longue si elle évite à l'avenir certains quartiers, pour s'illustrer dans la vertu. Est-ce la détente causée par la boisson sur mon esprit qui me fait aussi bien accepter une telle perspective ? Je suis incapable d'évaluer quelle part l'alcool prend dans ma décision. Je sais que l'alcool, toutefois, est un révélateur, qu'il ne fait pas mentir. Je sens que j'y crois, au plus profond de moi.

-En fait, de temps en temps, Dieu m'appelle et… je mime avec mes mains une petite explosion : …zwip ! …je disparais !

Je jette un œil au verre déjà à moitié vide de Laura. Le degré d'alcool du jus de châtaigne est difficile à quantifier, et doit varier, je pense, un peu, entre chaque bouteille. Cependant, même si le goût est un peu traître, je ne lui donnerai pas moins de 40° pour les crus les plus sucrés. La quantité bue, en si peu de temps, serait considérée comme alarmante sur Terre, et un peu moins sur Terra, où les gens sont en général plus rude. Je n'ai pas le sentiment d'être en danger, car je sais assez bien les effets qu'a l'alcool sur moi, en revanche, je réalise que je n'ai pas pris la peine d'en informer mon interlocutrice. À jeun et avec une dose aussi importante absorbée en si peu de temps, sur elle comme sur moi, les premiers signes d'ivresse ne tarderont sans doute pas à se faire sentir.  Heureusement, nous ne courrons aucun risque majeur : mon pouvoir est capable de détruire la moindre molécule d'alcool superflue dans un corps. Je n'ai plus beaucoup de doute sur le fait que mon comportement est dors et déjà changé, de toute façon. Il n'y a rien de malhonnête, après tout, à rendre la conversation un peu plus intéressante, d'autant que ma curiosité me titille.

-C'est pénible, au début, mais on s'y fait assez vite ! Enfin, tu sais le plus gênant ? Je baisse d'un ton, et pouffe : c'est que je réapparais complètement nue. Parfois au milieu des gens, ou dans des endroits terriblement… Une fois dans un vestiaire de foot, avec plein de garçons qui se déshabillaient. Huhu.

Je me rends bien compte qu'il s'agit exactement du genre d’anecdote que je n'aurais jamais même évoquée sobre. D'un autre côté, contrairement au comportement plus discret que j'adopte sur Terre, je n'ai jamais vraiment essayé de cacher mes pouvoirs sur Terra, où ils sont relativement courants. J'essaie simplement d'éviter d'attirer l'attention sur moi, et d'en faire trop l'étalage, car évidemment, ils entraînent aussi des convoitises. Le degré d'intimité concerne plutôt la situation dans laquelle je me retrouve après manifestation du phénomène. Avec Laura, je n'ai de toute façon rien à craindre. C'est ma grande amie, et je me sens prête à tout lui dire si elle me le demande.

-Non ! On peut faire des prières avant d'aller se coucher, et quelques fois, on doit veiller mais… Oh, ça n'est pas intéressant. Huhu. Parle-moi plutôt de… comment tu es arrivée à Nexus ou alors… Je secoue la tête, jugeant la question trop sérieuse et ennuyeuse. …de la chose la plus gênante qu'il te soit jamais arrivée ?

J'esquisse un grand sourire. Je me sens légère.

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Je ne suis pas en mesure de bouger, mais cela ne me panique pas plus que ça. Simplement parce que je suis incapable de le réaliser. À mes oreilles résonnent quelques bruits, et mes yeux captent quelques lumières, peut-être. Ces stimulus extérieurs viennent s'ajouter à un rêve flou, à des songes douloureux qui n'ont rien de ceux plus imagés et cohérents d'un vrai sommeil. Il ne s'agit que des divagations, je crois, de mon cerveau étourdit, cherchant désespérément à retourner à la conscience et à reprendre le contrôle du corps dont il est habituellement maître. Je ne peux pas exactement dire ce qui relève des délires causés par le coups, et de ce qui est acheminé par mes sens à moitié éteins. Ici, je crois voir une forme, sans me rendre compte que mes paupières sont closes, là, j'entends des paroles dont je ne saisi pas le sens. Je n'en garde que peu de souvenirs, comme si je savais malgré tout que ces sensations ne sont pas exploitables.

Les premières impressions distinctes qui me parviennent sont finalement d'ordre tactile. Je sens la fraîcheur de la nuit sur ma peau que je présume vaguement toujours nue, un peu d'humidité dans l'air aussi ; et la chaleur d'un corps, sous-moi. Des secousses, je n'ai pas, encore retrouvé le sens de l'équilibre, mais je réalise que je suis probablement en train de bouger. La position me semble précaire, même si on me tient, je crois. Je n'ai pas la force d'en changer, de toute façon. Puis c'est avec le centre de la douleur que mon cerveau se réconcilie. J'ai mal un peu partout, au crâne surtout, sur le moment, je ne peux pas être beaucoup plus précise. La vague de souffrance qui m'assaille manque de me faire perdre de nouveau connaissance. Décidément, la manière dont on me porte n'est pas confortable. Je gémis. Je ne sais pas si je reste dans cet état longtemps. Je n'ai pas plus conscience du temps que de désir de comprendre ce qui m'arrive.

Soudain, un brusque changement s'opère. Le déclic ne vient pas de moi, d'un quelconque succès de ma volonté, mais bien de l'extérieur. Le choc du passage d'un milieu aérien et fortement mouvant au sol plein et statique suffit à me donner l'impulsion dont j'ai besoin pour ouvrir les yeux. Face contre terre, je ne vois toujours rien ; je les referme, plus cligne des paupières pour les débarrasser de la poussière. Ma bouche s'emplit du goût salé de mon propre sang. Au prix de douleurs supplémentaires, je parviens à me hisser sur mes avant-bras, puis jusqu'à une position à genoux. J'ai la tête qui tourne, je vois d'abord des arbres, innombrables, et un ciel nocturne. Sans trop prendre compte de mon état, je tente de me mettre debout.

Prise d'un violent vertige, j'y renonce aussitôt. Je me pose, je reste quelques secondes encore, désorientée. Je regarde devant moi : dans l'ombre, un corps gît, immobile. Je reconnais cette fois sans difficulté le mage aux iris violets, responsable de notre mésaventure. Je ne comprends pas immédiatement ce qu'il fait là. Je n'ai pas vraiment le temps d'élaborer un scénario.

-Josaphat !

Je sursaute presque puis plisse les yeux, interpellée par l'étrange phénomène qui s'étend sur le dos du jeune homme. L'ayant déjà vue de haut en bas, je sais que son épiderme, lorsque nous étions encore dans la grotte, était vierge de cette inscription. Je ne peux pas ignorer la nature surnaturelle de ce qui se déroule devant moi. En d'autres circonstance, cela ne m'aurait peut-être pas interpellé de la même manière, mais au réveil, dans la confusion, je sens mon cœur qui accélère. J'hésite sur la marche à suivre, je vois deux solutions. Je pourrais tenter de m'éloigner en pensant qu'il s'agit d'un événement magique qui n'impactera pas sur son initiateur. Toutefois, même si la décision paraît prudente, elle n'est pas dénuée de lâcheté : cela revient simplement à laisser le mage à son sort, dans tous les sens du terme.

Si je m'interdis une telle échappatoire à titre personnel, mes vœux me l'interdise en sus. Je parcours en rampant les deux bons mètres qui me sépare de lui. Avec un peu de précipitation, je place mes mains sur son dos abîmé, faisant fi de l'étrange inscription. Sans réfléchir, j'approche mes doigts de sa peau, et commence à réparer les multiples hématomes et coupures qui la parsème. Le geste a été instinctif, et je n'ai aucune idée de si cela a, en fin de compte, aggravé ou amélioré sa situation. Je sens la chaleur réparatrice qui se dégage de mes mains et qui se meut sur des distances de quelques centimètres, par de petits bonds, pour atteindre au mieux les zones endommagées. Quoiqu'il en soit, les plaies disparaissent presque aussitôt, la plupart ne laissant aucune marque. Je cherche frénétiquement une blessure plus importante, auscultant dans l'obscurité l'épiderme abîmé et dérangeant ses cheveux en prévention d'une éventuelle blessure au crâne. Sans ménagement, je retourne le corps inanimé, et fait subir à la face ventrale le même traitement ; mais les sévices y sont encore plus superficiels.

-Réveille toi, allez ! Allez ! je m'affole.

J'augmente la puissance de mon pouvoir, mes avants-bras commencent à fourmiller. À ce niveau là, il ne doit plus rester une seule bactérie ou germe pathogène dans tout son organisme. Paniquée, je colle mon oreille contre son torse… et constate qu'il respire parfaitement bien, et que les battements de son cœur sont apaisés. Je m'autorise à souffler. Je me sens stupide.

-D'accord, t'es juste fatigué. Ça va.

J'en viens à sourire, soulagée. Le comportement du jeune homme a beau avoir été reprochable à bien des égards, je me serais sentie affreusement responsable s'il avait expiré. Je sais que l'utilisation de la magie a tendance à épuiser les utilisateurs, mais si c'est, comme je le pense, lui qui m'a portée pendant tout ce temps, son exténuation est compréhensible. Les soins que je viens de lui prodiguer lui auront sûrement fait du bien, mais rien, je crois, ne remplace le repos naturel. Rapidement, je m'occupe un peu de moi, localisant les zones où on m'a frappée, et les restaurant sans faire de zèle. Puis, cette fois avec douceur, je tire le dormeur dans un espace herbeux moins rude que je débarrasse de quelques mouvements des brindilles et des cailloux. Ma main, à cette occasion, tombe par hasard sur un éclat de roche caractéristique : un silex. À force d'apparaître au milieu de nulle part sans le moindre outil, j'ai appris à me débrouiller avec les moyens du bord. Ce que je viens de trouver m'évite les efforts de la constitution d'une drille à main. Une vingtaine de minutes et un peu d'acharnement plus tard, une flamme vient embraser un petit tas d'herbe sèche. Je peux guérir les blessures du froid, mais il n'en reste pas moins qu'un peu de chaleur au milieu de la nuit fraîche est particulièrement agréable.

Le brasier lance une lumière rougeâtre et irrégulière sur nos corps et sur les troncs qui nous entoure. Maintenant que le jeune homme dort et que je n'ai plus froid, je peux me poser un peu… et puis, puisqu'il ne se rend compte de rien, j'en profite pour faire du regard un petit état général. Je me dis que cela ne peut pas le gêner, et que cela pourrait le sauver s'il y avait encore une blessure que je n'avais pas encore remarqué. Je me convainc qu'il s'agit là de mes seules motivations, et que de toute façon, tant que je ne fais que regarder, il n'y a pas de mal. Je le dévisage, regrettant simplement que ses paupières soient fermés, cachant ses yeux si particuliers, mais admirant l'harmonie de ses traits. En y regardant de plus près, je remarque quelques minuscules cicatrices qui doivent être le vestige d'emplacement de nombreux piercings. Si le voyage lui les a fait perdre, les soins globaux que je lui ai appliqué ont du refermer les trous. Je doute qu'il s'en formalise beaucoup, sur le coup. J'estime que ses épaules et son buste ne sont pas celles d'un grand habitué de l'exercice physique. Je ne peux m'empêcher de penser que si besoin était, je pourrais peut-être encore le maîtriser au corps à corps. Enfin, je descends, et descends encore… Je m'éclaircis la gorge. Je m'empêche de m'attarder trop, sous peine de ne plus pouvoir que qualifier de voyeurisme ce qui peut encore passer pour de la curiosité.

Le bruit de feuilles qui se soulève parvient à mes oreilles. Je me lève, aux aguets. Je reste à observer autour de moi, avant de conclure que l'intrus n'est sans doute d'un petit animal, ou que c'est l’œuvre du vent. Je prends seulement à ce moment conscience des risques que nous courrons. Si la plupart des bêtes seront repoussé par le foyer, les flammes pourraient en revanche attirer des humanoïdes. Où sont passés les hommes-poisons ? Si j'en crois l’environnement, nous ne sommes plus dans ce qui ressemble à leur territoire. J'ignore s'ils nous cherchent encore, ou si le mage est parvenu à tous les neutraliser. Dans quelle mesure dois-je la vie à l'intrigant jeune homme ? Il va m'être difficile de ne pas l'assaillir de questions lorsqu'il reviendra à lui. Je fais quelques pas, et arrache de grosses poignées d'une mousse qui se décolle en bloc compacts. Je pose la couverture artisanale sur le bassin du sorcier. En attendant, il me semble élémentaire de le veiller. Je ne me sens pas la force d'aller chercher plus loin tant qu'il fait encore nuit. Je m'allonge à côté de lui, sans fermer les yeux. Je regarde le ciel, et j'attends.

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Les bas fonds / Re : Lorsque deux prédateurs se croisent... [ Telka ]
« le: vendredi 06 septembre 2013, 18:47:23 »
-Oui, on est revenues dans les quartiers marchands. C'est bon, suis-moi !

La tension nerveuse descend alors que mon esprit se situe dans l'espace. J'ai été assez de fois à Nexus pour localiser ces ruelles : si je ne les connais pas dans le détail, je les sais adjacentes aux allées principales. On y trouve des magasins plus petits et plus locaux, où les artisans travaillent seuls, souvent sans le support d'une guilde et avec assez peu d'ambition. Ils servent des clients moins aisés, et quelques rares fois, ils présentent des articles qu'on ne trouve pas ailleurs, ou à des prix inhabituels. Lorsqu'il n'y a personne, comme c'est le cas cette nuit, ces petites venelles semblent plutôt étroites, mais c'est sans compter la foule bruyante qui ampli les grandes avenues les jours de marché, et qui rend au bout du compte ces dernières bien pires que leurs homologues plus confidentielles.

Je fais en sorte que nous ne nous attardions plus trop et, longeant avec prudence les murs d'une large artère, je nous fais engouffrer dans une ruelle presque semblable à celle où nous étions, et parallèle à elle. Nous nous retrouvons devant une bâtisse en bois brut, modeste et simple dans son architecture, mais néanmoins assez imposante. Au-dessus de l'épaisse porte en chêne est dressée l'enseigne, peinte d'une seule teinte de blanc, qui reflète un peu la rare lumière : une grande croix surmontée d'un toit triangulaire, puis la mention « Ad Veniat, coucher et dîner ». Je souris à cette vue familière, puis toque à l'huis.

-L'aubergiste est un homme pieux et bon, je m'explique. J'ai soigné sa fille il y a quelques années, et depuis il m'aide à chaque fois que je viens à Nexus. Il nous offrira la chambre, et nous cachera si c'est nécessaire.

Au bout de deux bonnes minutes, le bruit d'un loquet se fait entendre, et celui que je sais être le propriétaire ouvre. Il s'agit d'un plutôt curieux personnage, bedonnant et qui ne doit pas dépasser le mètre quarante. D'autant que j'en sais, c'est pourtant bien d'un humain. Même si je me sens toujours coupable de penser ainsi, je dois avouer que c'est un homme objectivement assez laid, avec une barbe hirsute noire tirant sur le blanc, à la crinière éparse, aux yeux bleus presque globuleux et toujours rougis, au visage où se devine les dégâts de l'alcool et à l'âge indéfinissable, quelque-part dans la cinquante ou soixantaine. Pour autant, s'il ne semble pas beaucoup s'entretenir, il n'est pas sale pour autant, et son habit, une tunique brune sans doute enfilée à la va-vite, n'a rien de particulièrement négligé. Il ouvre une bouche à la dentition usée et irrégulière, surpris, et tente de cacher derrière son dos l'arbalète qu'il tient à la main.

-Bonsoir monsieur Eylo, je murmure. Je suis confuse de vous déranger au milieu de la nuit. Voilà, pour être honnête, nous avons eu quelques soucis avec la garde. Une sorte de malentendu, vous voyez ?

Je sais pertinemment que les chances qu'il me refuse sont inexistantes, et pourtant, je suis soulagée lorsqu'il hausse les épaules et répond :

-Où c'que ça traîne les jeunes filles d'nos jours ? Et ça s'attire des ennuis, bah. J't'attendais pas si tard. Bah.
-Vous... vous êtes conscient des risques, n'est-ce pas ?
-Bah ! Pas b'soin d'ça pour savoir que les gardes sont tous cons.

Sa voix est encore pâteuse, et il détache ses syllabes plutôt mal, ce qui ne le rend pas particulièrement compréhensible. Eylo sourit, et je trouve malgré moi son rictus inquiétant. Il recule d'un pas, pour nous laisser entrer, et je guide Laura à l'intérieur. La température rien que sur le seuil doit être supérieure de cinq bons degrés à celle de l'extérieur. Une odeur de légumes bouillis, sans doute le repas ayant été servi le soir même, flotte encore. Le mobilier de l'auberge est semblable à sa charpente : rustique, dénudé. Quelques tables et quelques chaises sont disposées près d'un âtre et dans le fond, un escalier monte vers l'étage et les chambres. Le propriétaire glisse avec une certaine vivacité derrière un comptoir rectangulaire, et en sort une bouteille, étiquette griffonnée à la main, remplie d'un liquide trouble.

-Jus de châtaigne pour les tit'dames qu'ont froid, fait-il en présentant des verres dans le même temps. Bah, hein, ça s'refuse pas, hein ?
-Tibi Gratias mille vicibus carissi ! Ça va nous faire du bien.

Je m'approche à mon tour du comptoir. Je peux me remémorer exactement quel goût a la boisson qu'on nous propose. C'est toujours la même, quelque-chose d'assez proche de la liqueur, avec un arrière goût sucré qui fait passer sans problème le haut taux d'alcool. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas un grand cru, mais ça se boit facilement. Eylo doit en avoir des dizaines identiques, car il en ouvre une de ce type à chaque fois que je viens. Je me retourne vers Laura et lui glisse :

-Vous avez ce genre de chose sur ton île ? Te sens pas obligée de boire si tu trouves ça fort...

Il faut dire que ce n'est pas davantage une boisson de femme, ou même une boisson raffinée. Je ne me sens pas très à l'aise de devoir confronter un être si fin à une denrée si brute. Dans le même temps, j'ai aussi peur de vexer l'aubergiste en ne recommandant pas son alcool. J'essaie de faire comprendre par le regard à Laura que je suis dans une situation un peu difficile. Bientôt, le malaise est brisé par une question du vieil homme.

-Alors en voilà une autre étrangère, hein ? C'est-elle une sainte guérisseuse comme vous mam’zelle Telka ?

Je secoue la tête, négative, et bois une première gorgée du breuvage.

-Mais elle a d'autres dons.

Suite à cette affirmation, il la dévisage, puis la détaille de haut en bas, ce qu'il ne semblait pas s'être permis jusqu'ici. Je réalise seulement l'état dans lequel nous sommes, et celui de nos vêtements. Le mien est est crasseux et déchiré sur tout un côté. Heureusement, le propriétaire ne fait pas plus de commentaire.

-Mouais... j'en doute pas. Bah, t'sais où sont tes affaires, t'sais où est la chambre de ma fille si vous passez la nuit ici.

Finalement, empreinte une porte derrière le comptoir, et s'éloigne par le couloir qu'elle révèle en grommelant :

-C'est qu'y en a qui bossent, figurez-vous, bah.

J'attends qu'il ait disparu pour parler de nouveau à Laura.

-Je me sens un peu coupable de lui faire prendre des risques pour nous, mais je crois qu'ils ne sont pas trop grands. Personne ne nous cherchera ici... Tu ne crois pas ?

J'ai essayé de me montrer assurée jusqu'ici pour éviter la panique et la confusion. Toutefois, maintenant que je suis posée et que j'ai plus de temps pour réfléchir, je commence à douter un peu. Je peux au moins à présent me permettre de faire un peu tomber le masque : je ne suis pas tellement plus avisée que n'importe qui lorsqu'il s'agit de fuir la garde. Ce n'est pas vraiment ma spécialité, et en règle générale, mes activités n'éveillent pas leur attention d'une telle manière. Je trempe une seconde fois mes lèvres dans la liqueur de châtaigne, et laisse le liquide me réchauffer l'intérieur de la bouche, puis la gorge.

-En tout cas, on sera bien ici pour la nuit ! Et au matin, on verra bien ce qu'on fait.

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Les bas fonds / Re : Lorsque deux prédateurs se croisent... [ Telka ]
« le: lundi 08 juillet 2013, 18:07:38 »
J'ignore si ce sont nos aventures récentes qui ont placé dans sa voix tant d'émotion et de trouble. Est-ce possible que son chant, si céleste, l'ait elle aussi atteint, et bien qu'elle en soit à l'origine, l'est bouleversée presque autant que moi ? Je crois que la mélodie en avait le pouvoir, peut-être même la chanteuse l'a-t-elle ressentie plus puissamment encore, peut-être cela a-t-il épuisé son être. Ou a-t-elle ressentie une élévation, dans son art, ou dans son geste ? A-t-elle frôlé la félicité, perçu un signe furtif du divin, a-t-elle embrassé, l'espace d'un instant, la piété que j'ai essayée de lui enseigner ? Ou est-ce la tension, la peur d'être rattrapée, de croiser un milicien et que tout cela recommence ? Je ne peux jurer de rien. Je préfère envisager le plus beau des ravissements, et ça n'est pas tellement grave si mon impression n'est pas la bonne. À défaut de béatifier son être, ma croyance enchantera le mien, et, j'en suis sûre, cela finira bien par atteindre le sien, même juste un peu.

Très doucement, je reprends la position que nous avions quitté peu avant, moi plus petite, la tête contre son épaule. J'essaie de me montrer forte, lorsque je doute, que je faibli, je refuse de le montrer à ceux qui croient en moi. Révéler ma fébrilité ou ma confusion serait faire une insulte au Seigneur qui a placé en mon pauvre être tant de sa grâce et de sa faveur. Mais je ne suis qu'une humaine dans des temps difficiles, et si je sais que Dieu me donnera dans les épreuves les plus terribles la foi dont j'ai besoin, le reste du temps, quand la pression retombe, quand ma détermination n'a plus d'objet, je ne suis plus aussi fière. Alors j'ai besoin de réconfort matériel… pourtant, je n'en trouve presque jamais. Telle est la vie que je me suis choisie. Celle qui me distrait le moins de l'amour que je porte au créateur de toute chose.

Nos corps se serrent tendrement. J'ai froid, la nuit me fait frisonner. J'ai besoin de sa chaleur, de sa présence. J'entends dans sa poitrine son cœur battre, vite et fort. Le mien aussi, mais finalement, il finit par se calmer. Tout, ou presque, est terminé. Il n'y a plus de peur à avoir, plus que de la sérénité et du soulagement à ressentir. Je ne sais pas exactement combien de temps je reste ainsi, ma vision trouble, les oreilles écoutant le bruit d'une ville qui dort. Un instant, je pense m'être laissée moi-même tombée dans un léger sommeil. Je ne réponds que tard à sa question.

-Je ne sais pas combien de temps va mettre le soldat pour donner l'alerte… Mais en pleine nuit, ils n'ont pas assez d'hommes pour nous traquer correctement. Nous sommes déjà loin. Peut-être nous signaleront-ils demain ? Il n'y a que trois personnes qui ont vu nos visages, ça ne fait pas beaucoup… et leur signalement ne risque pas d'être très précis. Enfin… tu as quand même raison. On devrait se faire discrètes dans les prochains jours. Je sais qui peut nous cacher ! Viens.

Je ne lui dis pas qu'il serait plus sûr d'éviter de se montrer ensemble, pour correspondre encore moins aux avis de recherche. J'ignore pourquoi, mais je ne peux m'y résoudre. Je ne crois pas que ce soit très important. Je ne fais pas courir beaucoup de risque à qui que ce soit. Combien de fugitives sont à déplorer dans une ville aussi grande que Nexus ? Je garde sa main dans la mienne, et je l'entraîne encore une fois. J'essaie tant bien que mal de retrouver mon chemin, nous faisant arrêter dès qu'une lueur de lanterne apparaît au coin d'une rue. Je cherche l'auberge de l'homme dont j'ai sauvé la fille. C'est le meilleur refuge dont je dispose, mais je peine à reconnaître les routes que j'ai prises. J'ai peur que nous tournions en rond.

Que mon cœur soit pur, ô Seigneur, que mon esprit soit digne encore une fois,
Enlève tous mes pêchés, prends moi avec Toi, élève moi dans Ta grâce,
Rends moi la joie d'être sauvée, fais que j'entende les chants et les fêtes,
À ceux qui pêchent j'enseignerai Tes chemins, vers Toi reviendront ceux qui se sont égarés,
Libère-moi des sangs versés, Dieu sauveur, et ma langue acclamera Ta justice.


Je répète à voix basse une traduction libre de quelques psaumes repris par le Miserere Mei. La récitation empêche mon esprit de s'embrumer. Le latin, bien sûr, aurait été plus fort, mais je ne désespère pas que Laura en saisissent un peu du sens. Je m'explique :

-Dans les maisons du Seigneur, ce chant est repris par des chorales d'enfants. Je pensais que leur voix était le son le plus céleste au monde… jusqu'à ce que j'entende la tienne. Où as-tu appris ? Y a-t-il beaucoup de chanteuses comme toi sur l'île d'où tu viens ? Ce doit être un endroit magnifique…

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Il y a des choses que je ne peux pas saisir. Malgré toute ma bonne volonté, la sagesse, le discernement dont j'essaie de faire preuve, il y a des mystères que, par inexpérience, par manque d'informations, je suis incapable d'appréhender. Je sens, alors que j'ai à peine terminé de satisfaire mon envie naturelle, quand Laura me prend le bras, qu'elle n'est plus dans le même état d'esprit. Son attitude a changé, elle semble plus agitée, plus nerveuse plutôt, que quelques secondes auparavant. Je suis incapable de comprendre ce qui s'est passé, et se passe à présent dans sa tête, quel tourment la hante encore. J'avais espéré que notre étreinte l'avait un peu rassurée, l'avait faite oublier dans quelle situation nous nous trouvions. Je constate qu'il n'en est rien, mais je mets un moment, jusqu'à ce qu'elle se saisisse de mon poignet et me donne une consigne précise, avant de me rendre compte qu'elle a une idée en tête.

-Est-ce que ça va ? je m'enquière simplement.

J'ignore pourquoi elle se place au milieu de la cellule. Le fait qu'elle n'apporte à ma question aucune réponse ne me rassure pas. La perplexité se lit sur mon visage, toutefois je n'ai aucune raison de lui résister. Je ne vois pas vraiment, en réalité, comment elle pourrait empirer la situation, même en y mettant beaucoup du sien. Mais même sans cela, elle n'a jamais manifesté à mon égard la moindre agressivité, et si elle n'avait pas assassiné un homme sans défense sous mes yeux, j'aurais la plus profonde envie de lui faire confiance. Je reste assise où elle m'a indiqué de la faire, silencieuse après ma remarque. Je l'observe plus que je ne la surveille. Je n'ai rien à craindre, et seule sa propre appréhension me tend un peu.

Ma tension s'évapore aux premiers sons qui sortent d'entre ses lèvres. Cette musique, je l'entends à peine, au départ, puis, sans que je m'en rendre réellement compte, elle accapare toute mon attention. Je prête de moins en moins d'intérêt à son corps qui se balance lentement, et me laisse captiver par la mélodie douce, un peu plaintive, qui prend peu à peu possession de tout l'espace sonore. En des années d'aventure à travers les plans, je n'ai jamais entendu un tel chant, et pourtant, il me semble étonnamment familier : étrangement évident, malgré sa complexité, chaque note appelant naturellement la suivante, de telle sorte qu'aucune autre ne paraîtrait y avoir sa place. Je me laisse bercer par l’œuvre, je ferme les paupières sans y penser, je ne sens plus l'odeur de crasse, je l'oublie. Je ne fais plus attention au temps, je ne réalise pas davantage le caractère surnaturel que peuvent revêtir certaines intonations.

Lorsque Laura s'arrête un instant, je me sens étonnamment vide. Je n'ai qu'une envie, que son chant reprenne, et m’emplisse de nouveau. Ma tête vrille un peu, mes oreilles bourdonnent, ma volonté, mon attention, vacillent. Je remarque très tard qu'elle s'est mise à parler avec un garde, et si mes yeux, entrouverts, voient que ce dernier est entré dans la cellule, mon cerveau se refuse à le prendre en considération et à agir en conséquence. Enfin, elle ouvre de nouveau la bouche et d'avance, je m'attends à l'entendre reprendre là où elle s'était arrêtée. Pourtant, c'est sur un tout autre ton qu'elle reprend. Cette musique, cette fois, me met plus mal-à-l'aise. Je suis étonnamment tiraillée entre l'irrésistible désir de l’étreindre et celui de fuir le plus loin possible d'elle.

Le changement de chant m'hébète légèrement. Je perçois que cette mélodie là n'est pas pour moi, et finalement, que le soldat repose à présent dans les bras de la divine chanteuse. Je tente de me lever pour l'écarter, pour la protéger, mais, je ne serais dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose, mon corps me paraît soudainement trop lourd pour être bougé. Je résiste tout juste à l'envie de refermer les yeux, de détendre mes membres, et de m'endormir là. Elle m'a indiquée de rester assise après tout. Pourquoi lui désobéir ? Je risque de tout gâcher. Elle se retourne vers moi. Je suis adresse un sourire un peu stupide. Elle ne m'a jamais paru aussi sûre d'elle, à part peut-être quand elle plongeait une longue aiguille dans la chair d'un cou exposé.

La pensée, l'image mentale, me tire brusquement de mes rêveries. Je me pose enfin la question du sens de ce que je viens de voir, de ce que je viens d'entendre. Je réalise que tout cela ne peut être le fait d'une humaine, aussi douée soit-elle. Qui est-elle ? Je n'ignore pas qu'une telle chose peut aussi bien être l’œuvre du Diable que celle de Dieu ; les deux sont capables d'engendrer un chant aussi envoûtant. Mes espérances, bien sûr, vont vers le second, hélas, ma raison n’exclut pas le premier. Attirer ainsi dans ses filets un homme est un système dont le Malin userait avec délectation. L'idée me trouble, je l'éloigne du mieux que je peux, néanmoins, je trouve la force de remettre debout. Sans trop être consciente de ce que je fais, guidée par mon instinct alors que mon esprit, lui, est ailleurs, j'invite Laura à me suivre, la saisissant par la main avec une vivacité qui m'étonne moi-même.

-Il faut partir, je murmure, comme si ça n'était pas évident.

Nous traversons en sens inverse les couloirs. Les soucis d'il y a quelques minutes, les perspectives effrayantes semblent restées derrière, leur agréable perte tout juste contrebalancée par la discrète angoisse de croiser un autre milicien. À cette heure de la nuit, il est possible que le poste de garde ne soit surveillé que par l'un d'entre-eux, toutefois, plus vite nous irons et plus le risque d'en rencontrer un sera faible. D'autant que j'ignore combien de temps son maléfice fera effet sur celui qu'elle a plongé en léthargie. L'air froid de la nuit mord ma peau nue, et dissipant l'impression que j'avais d'être simple spectatrice de mon corps.

J'entraîne encore la jeune femme quelques centaines de mètres plus loin, dans les rues d'une Nexus mal éclairée. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à craindre d'une éventuelle alerte. Les soldats pourront bien donner notre signalement. En cet instant, je m'en fiche. Un coin de rue, à l'abri des regards en provenance de la plus grande avenue, suffira bien à nous abriter pour le moment. Il n'y a guère rien dans cette endroit que quelques caisses de bois plus ou moins réduites à l'état de lattes, dont le contenu, s'il y en a un, est dans l'obscurité indiscernable. Nous ne sommes plus dans un quartier très à risque, je crois, et même les soûlards, à cette heure, dorment, blottis contre une bouteille vide.

-Qu'est-ce que... c'était ? Enfin, c'était, par Josaphat, tellement beau. Je soupire. J'en sais si peu sur toi.

Je m'appuie sur le mur de briques à côté de moi, et je contemple le sol quelques secondes. Qui qu'elle soit, quoi qu'elle soit, je ne peux pas lui en vouloir. Je devine que l'aura de mystère dont elle s'est entourée a peu de chance de cacher une nature très saine, et cependant, je ne suis même pas sûre que la réponse à cette question m'intéresse. Son geste était, je le crois, totalement désintéressé. Est-ce mon discours qui l'a ainsi changée en si peu de temps ? Même si tel est le cas, il n'aura fait que mollement réveiller la bonté qui sommeillait déjà en elle. Tout le mérite de cet acte lui revient. Je n'en suis pas moins fière d'elle, à un point un peu ridicule. Au-delà de l’inquiétude, mon regard qui se relève vers elle reflète mon émoi. J'attrape ses mains ; cette fois, l'initiative ne viendra pas d'elle.

-Merci. Je ne sais pas si c'était dangereux pour toi, pour moi, mais... je suis heureuse que tu l'ais fait... Merci. Je n'oublierai pas : si je peux faire quelque-chose pour toi, alors tu peux compter sur moi.

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Au moins n'a-t-elle pas remis cette histoire de dossier sur la table. Elle essaie de s'expliquer, d'une manière qui serait presque honnête, si la situation n'était pas telle qu'elle est. Je me calme un peu. Si elle se soucie des justifications, alors c'est qu'il y a encore une part de bien en elle. Le Diable fait le mal pour le mal, sans autre objectif, et donc sans raison à avancer autre que sa nature elle-même. Nous n'en sommes pas encore là.

-Quand je te dis que j'ai vu l'enfer, c'est pas qu'une... expression. Je ne fais pas qu’apparaître dans des hangars à esclaves. Comment est-ce que tu crois que je suis arrivée ici ? Les démons, les damnés, les supplices. Tu y aurais ta place, si c'est ce qui t'inquiète...

Je relève le menton. Parler, je sais le faire, tant qu'elle s'abstient de me toucher, tant qu'elle s'abstient de faire peser son chantage sur les membres de ma famille. Ce n'est pas une attitude de défi que je lui oppose. Ce serait stupide, c'est unilatéral, elle est la seule en mesure de me faire souffrir, en mesure d'exercer une pression physique sur moi.

-Mais si tu veux parler de cosmologie, j'aurais préférée être détachée.

Les questions qu'elle amène sont intéressantes. Je les ai toutes étudiées longuement, et avant moi, Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin ont écrit à ce sujet des textes qu'elle ferait bien de lire. Ce sont des sujets qu'il est agréable d'aborder avec un érudit à la terrasse d'un café. Pas enchaînée dans une cave lugubre. Je me contente du minimum.

-Le libre arbitre. Dieu a laissé l'Homme de faire le mal, pour qu'il puisse avoir du mérite dans le bien. C'est ce qui différencie l'homme de l'animal. C'est long à expliquer, mais là aussi, je le ferais si tu m'en laisses l'occasion. Transformer les gens en bêtes assoiffées de... je ne sais quoi, ne les fera pas t'aimer plus. Tu prends le mauvais chemin. Es-tu aveugle ? Pourquoi est-ce que tu ne vois pas l'évidence ? Le malheur que tu engendres ? Qu'est-ce que tu cherches ?

Je souffle. Si Dieu m'a amenée ici, m'a transportée ici, ça n'est peut-être pas tant pour m'imposer une épreuve de foi que pour que son enseignement parvienne à cette terrifiante jeune femme. Je songe à toutes les vies qui pourraient être sauvées de la corruption si elle avait le moindre doute, si le moindre germe de morale christique naissait dans son esprit torturé. Les choses me paraissent claires. Il y a peu de chance, évidemment, que mes paroles l'atteignent aussitôt, c'est un pouvoir que seuls possèdent les plus grands saints. Je dois me résigner, en espérant que ce que je lui dis fera, un jour, son chemin.

-Tu sais, au contraire de la mienne, la patience du Seigneur est infinie... Tu peux encore éviter l'enfer. Il n'est jamais trop tard pour tenter de réparer ses fautes. Quoique tu décides de me faire, j'espère que tu t'en souviendra. Ma foi, peut-être, faillira. Je ne suis pas le Christ, je ne suis pas un esprit céleste, je ne suis qu'une femme, comme toi. Mais rappelle toi que le purgatoire n'est jamais fermé à ceux qui sont sincères.

Les chaînes pèsent lourd sur mes épaules. J'ignore encore quelles sont ses intentions précises à mon égard. Je doute qu'elle-même sache très bien quoi faire de moi. Si elle ne se rend pas compte que ses discours abjectes ne font que renforcer ma détermination, alors peut-être tardera-t-elle à passe à autre chose. Cela me laissera un peu plus de répit, autant qu'il en soit ainsi.

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Les alentours de la ville / Re : Aimant à limande (Telka)
« le: jeudi 09 mai 2013, 04:15:53 »
C'est toujours pareil avec mes téléportations... Non, ça n'est pas tout-à-fait exact. Car si le processus, les sensations ressenties pendant celui-ci, sont toujours les mêmes, le contexte, lui, est aussi varié que possible. Je ne compte plus les situations désastreuses où j'ai du m’éclipser en urgence pour éviter d'offrir aux spectateurs éventuels une manifestation magique, aussi inoffensive soit-elle, qui aurait certainement semé le trouble. Généralement, j'essaie de trouver un endroit discret, et je n'ai pour cela qu'une dizaine de secondes. J'ai déjà disparu dans les toilettes d'un bar, en plein milieu d'une messe, derrière un arbre du parc...

Heureusement, il y a quelques fois où les choses se font un peu moins dans la panique. Le père Emmanuel est sorti, je suis seule dans le presbytère, dans la petite pièce qui me sert de chambre. Je suis occupée, assise devant une vielle porte en bois soutenue à l'horizontale par deux tréteaux me servant de bureau, à préparer un cours de latin. Une animation de quatre heures sur le système politique romain, et la culture romaine en général.

Les picotements commencent, remontent le long de mes jambes puis envahissent tout mon être, alors que ma tête se met progressivement à tourner. Calmement, je pose mon crayon, et je me lève. Je souffle, je suis de plus en plus légère, le monde est de plus en plus vaporeux. Je perds l'emprise sur le matériel, je perds les notions de bas et de haut, il me paraît à la fois m'élever et tomber. Cela fait longtemps que l'impression ne me surprend plus. Je ferme les yeux pour éviter à la fois le vertige et l'éblouissement : j'entre dans un univers de lumière.

Je suis un pur esprit. Une âme. Singulière béatitude de ne plus reposer sur rien de physique, d'être réduite à l'essentiel de mon existence !

Enfin, j’atterris. La sensation est à peu près l'exacte inverse de celle du décollage. Je suis concentrée, je cherche à conserver mon équilibre, et à arriver sur mes deux pieds. Ça n'a rien d'évident, et le succès dépend essentiellement de ma capacité à rester parfaitement immobile quel que soit ce qui se passe autour de moi, et en moi. Les premières fois, paniquée, je me trouvais presque toujours à terre, voire plus ou moins la tête en bas. Finalement, je sens le sol, sous mes pieds. Toujours sans ouvrir les paupières, je l'utilise comme repère. L'air sur ma peau nue me confirme que je suis arrivée à destination.

Je m'autorise à présent un regard rapide sur mon environnement. Ce que je vois est plutôt rassurant, du moins, ça n'a rien d'une grotte lugubre, d'un quartier mal famé de Nexus, ou d'un plan où la réalité est distordue par la volonté de ses habitants. Au contraire, je suis visiblement dans une cuisine. Devant moi trônent plusieurs pièces d'électroménager que je n'ai jamais vu en dehors de vitrines, chacun d'eux coûtant plus d'argent que je n'en ai jamais possédé simultanément dans toute ma vie. Cela m'évoque le lieu de vie d'une bonne famille, sans doute assez aisée. Je prends une grande bouffée d'air. Tout va bien se passer.

Je me retourne, prudemment, encore totalement inconsciente de ce qui constitue mon environnement. Hélas, ma main percute un objet métallique, ce qui le fait tomber du plan de travail où il était. Une douleur vive me fait pousser un petit cri stupéfait. Je constate le couteau légèrement tâché de sang, à mes pieds, et la belle entaille rouge vif de mon poignet. Je passe rapidement mon autre main sur la plaie, qui se referme aussitôt sans laisser de marque. Je ramasse la lame, et l'essuyant entre mes doigts, je la replace sur le plan de travail. Je sursaute alors qu'une voix retentit... devant moi.

J'identifie la provenance de l'appel. Aux mots qu'il emploie, c'est vraisemblablement un jeune homme, dont je ne distingue que la coiffure de mèches brunes désordonnées. Il n'a pas l'air méchant, son ton est familier, pas agressif. Il est avachi sur un canapé d'aussi excellente facture que le reste du mobilier. Entre-nous se dresse le bar, qui m'arrive, de fait, un peu en dessous de la poitrine. Je ne mets pas longtemps à fléchir légèrement les jambes pour ne laisser dépasser que mes épaules. Au moins, ma pudeur, ou ce qu'il en reste après toute ces expériences de nudité, est sauve. Je pose un bras devant moi, pour me donner un peu de présence.

-Excuse-moi. On ne se connaît pas, je m’appelle Telka. Je suis arrivée ici par erreur.

Les justifications ne sont pas toujours nécessaires, mais ici, elles me semblent indispensables. Je débarque en pleine journée, dans sa demeure. J'espère simplement qu'il ne va pas se mettre à paniquer, aussi, j'y vais doucement. Le pire qui puisse arriver est qu'il appelle la police, auprès de laquelle il me sera plus difficile de m'expliquer. En règle générale, je reste très vague sur les causes, et ils trouvent eux-même une explication situationnelle à ma présence : une ouverture mal fermée, etc. J'ai choisi de le tutoyer. Vu comment il m'a abordée, ça ne me semble pas superflu.

-Je ne compte pas te déranger longtemps. Juste, je suis désolée, est-ce que t'aurais un vieux vêtement, quelque-chose pour me couvrir ? je lance, soucieuse.

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Je peine à trouver la volonté de lui répondre. C'est que je suis bien, le visage blotti contre son épaule, dans une posture finalement assez maternelle. Ça fait presque un mois que je n'ai pas vu ma mère, ni aucun membre de ma famille, d'ailleurs. Il faut dire que quand je les vois, je n'ai pas grand-chose à leur dire. Ce sont des gens simples, leur révéler la complexité du monde dans lequel nous évoluons ne ferait que les perdre. Mes dons précoces et mes disparitions les ont déjà fait assez souffrir, et sortir de la norme, comme cela. Je n'ai pas vraiment le choix, si je veux veiller à leur bien-être, je suis obligée d'édulcorer considérablement mes aventures. Comment leur expliqué que j'ai été enfermée dans une cellule moyenâgeuse avec pour seule compagnie une jeune femme dont la beauté a, sur Terre, bien peu de concurrents ?

-Dis pas de bêtise. Les gardes sont pas très attentifs, mais tu... enfin, on s'enfuira pas comme ça... Ne t'inquiète pas, tu sais, même dans les pires épreuves, je ne suis pas seule. Jamais.

Je pense à la course-poursuite : si une telle situation se reproduit, il n'y a pas vraiment de raison que cette fois, nous parvenions à nous en tirer. Autant la prévenir de ça. Je relève la tête et je lui souris, tentant de lui démontrer toute l'étendue ma détermination et mon absence de peur. Nous sommes encore très proches, mon corps appuyant sur le sien, toutefois à présent, j'ai l'impression que c'est elle qui me serre plus que l'inverse. Ma promesse l'a-t-elle touchée plus que je ne l'espérais ? Je sens une chaleur monter en moi, mais cette fois, elle est intérieure, et elle empli mon cœur. En si peu de temps, cette fille si froide, capable d'assassinats terrifiants, en vient à se soucier de mon sort. Une telle évolution vaut, de mon point de vue, d'endurer tous les supplices du monde.

-Mais c'est bien, vraiment, je lui souffle avec une émotion perceptible, ma voix tremblant presque.

Hélas, à regret, je dois me dégager de ses bras. Ça n'est pas une histoire de volonté spirituelle, cette fois... c'est quelque-chose de beaucoup plus matériel. En réalité, on peut même difficilement faire plus matériel que ça. Je fais un pas en arrière, puis je jette à Laura un regard en biais, plus amusée que gênée.

-Excuse... si tu pouvais, te, ben, retourner... Peut-être tu devrais essayer de dormir. Demain sera sous doute épuisant.

Sans enthousiasme, je m'approche du sceau prévu à cet effet, me débarrasse du bas de ma tunique, puis m'accroupis. Je crains qu'ensuite, il n'y ait plus rien de pertinent à ajouter à ce sujet.

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La situation a l'air de réellement le gêner, et pas seulement parce qu'elle est désespérée. Je remarque aisément que son regard est un peu trop haut, un peu trop fixe, pour être naturel. Il ne sait pas où poser les yeux, et à bien y réfléchir, c'est tout à son honneur. J'aurais pu tomber sur un lubrique qui ne se serait aucunement privé de m'épier dans mon plus simple appareil... et sans même aller jusque là, un adolescent -s'il est sorti de cette période ingrate, il ne doit pas s'en être encore bien éloigné- aurait sans doute jeté quelques œillades intéressées. Je n'aurais même pas pu lui en vouloir, je sais d'expérience que c'est un comportement plutôt commun. Pourtant, il s'en abstient. Il faut dire qu'au sein d'une église, et surtout au Japon où la foi chrétienne est peu répandue, les jeunes hommes sont souvent assez prudes et bien élevés, issus d'assez bonnes familles.

Je m'interroge brièvement. Mon pouvoir ne transporterait-il que les individus purs ? Vu sa réaction, il a toutes les chances de l'être, et cela pourrait expliquer qu'il ait été amené avec moi... Pour ma part, sans aller dans le voyeurisme, je ne fais pas dans l'excès de pudeur, surtout qu'il masque déjà l'essentiel. Je le regarde rougir, avec un peu d'amusement que je refrène tant bien que mal. C'est normal, il est nerveux, déstabilisé. Là non plus, je ne peux pas lui en vouloir. Ce n'est pas vraiment une brute, pas le genre capable de se défendre correctement à mains nues, d'après sa posture. Il est plutôt maigre, encore qu'il ne soit pas particulièrement chétif. Son corps, tout de même, à quelque-chose d'asexué... Alors que j'ai presque tout loisir de constater qu'il n'en est rien.

Lorsqu'il parle, je croise son regard. Ça n'était pas évident jusqu'alors, mais leur couleur ne m'avait pas paru surprenante. Et pourtant, je n'avais encore jamais vu de tels iris autre part qu'au cinéma, ailleurs que dans quelques films de Liz Taylor, et encore, il ne s'agissait que d'une nuance de bleu. Le violet de ses yeux, lui, semble d'une nature différente. Si je n'avais su qu'il n'avait pu emporter aucun objet avec lui, j'aurais pu croire qu'il portait des lentilles. Il n'en était rien, et si la luminosité n'était pas aussi mauvaise, j'aurais juré que cette nuance particulière de violet avait déteint sur ses cheveux, que j'avais cru dans un premier temps blanc. J'ai déjà eu l'occasion de rencontre des anges, et je trouve en ses traits délicats quelque-chose de céleste. Ça n'est sans doute qu'une impression. Égarée dans ma contemplation de cet être intrigant, j'ai un peu perdu le fil.

-Non, je lui réponds simplement. Je suppose qu'...

Un cri inquiétant se superpose à notre discussion. Je sursaute et me retourne, alors que lui se met à hurler. Je jure : j'aurais du le voir plus tôt, je ne sais pas ce qui m'a pris, je ne sais plus à quoi je pensais. Nous n'avons visiblement pas été suffisamment discrets. Est-il possible que le chasseur que nous avons entrevu nous ait déjà repéré et ait simplement été chercher du renfort avant de nous aborder ? Peut-être n'ai-je pas été assez prudente, que leur ouïe, leur odorat, est plus développé que je ne l'avais estimé. C'est difficile à dire, les créatures semblent provenir d'un autre monde. Un monde plus humide, certes, mais où, je l'espère, on ne pratique pas l'anthropophagie.

Si nous y allons pacifiquement, les négociations sont peut-être possibles. Après tout, les intrus, c'est nous. Ils ne font que réagir normalement face à une menace inconnue qui les frappe en plein milieu de leur repère. En attendant, je dois calmer le jeune homme, dont je ne connais du reste toujours pas le nom. Je pose de nouveau ma main sur son épaule.

-Att'... Josaphat !

Je ne comprends pas bien son geste, mais je saisis de suite, en voyant un des humanoïdes aquatiques être poussé en arrière, la nature de ce qu'il vient de faire. Bon sang, s'il y avait bien quelque-chose dont j'avais encore moins besoin que d'un compagnon d'infortune peureux, c'est un compagnon d’infortune peureux, agressif, et surtout sorcier. Toutes mes théories sur la pureté des individus que mon pouvoir transportent s'effondre. Ce type n'est juste pas net d'un point de vue magique... un domaine d'une moralité très contestable, dont, bienheureusement en règle générale, et bien malheureusement dans ce cas précis, je n'ai pas suffisamment connaissance pour en faire usage moi-même.

Si je n'agis pas immédiatement, c'est que j'espère qu'il dispose de la puissance nécessaire pour nous débarrasser de tous nos assaillants éventuels. La solution ne me plaît pas, mais elle a au moins l'avantage d'avoir une chance de nous sauver la vie. Surtout qu'étant responsable de la situation, je ne peux pas vraiment faire la fine bouche sur les méthodes dont il use pour se sortir de là. Hélas, je constate très vite qu'il use de ses sortilèges uniquement parce qu'il panique. Quand bien même ses manifestations, pour un profane, sont assez impressionnantes, il n'a vraisemblablement aucune chance de nous tirer de là en en faisant un usage aussi piètre. Je me jette sur le côté lorsque les créatures, et c'est bien normal, nous prenne pour cible de leurs projectiles. Tant pis s'il est blessé : j'aurais l'occasion de le soigner si je survis moi-même.

Les lances n'atteignent pas leur cible, cependant les hommes-poissons ne paraissent pas découragés pour autant, surtout que le mage vient de mettre un genou à terre tout en continuant à beugler de terreur. Quel genre de sorcier peut être autant horrifié par des éléments surnaturels, alors qu'il doit bien y être habitué d'une façon ou d'une autre ? Je le vois se hasarder de nouveau à un maléfice de glace qui ne fait que ralentir brièvement ceux qui sont, malgré moi, devenus nos ennemis. Je sens ma colère monter. J'en ai assez. En cet instant, je ne trouve plus d'excuse à ce pleutre. Pas plus qu'à moi, d'ailleurs, toutefois, je compte me rattraper sans tarder de mon inaction.

Bondissant vers mon compagnon, je le plaque au sol, et cette fois, je n'y vais pas vraiment avec délicatesse. Je le bouscule franchement, quitte à le sonner. Pour le moment, il n'a vraisemblablement pas fait beaucoup de dégâts, quelques hématomes, quelques bleus, sur la peau écailleuse de ces chasseurs qui en ont sans doute vu d'autres. Quelques os cassés, au pire, pour celui projeté en arrière. Rien que je sois incapable de réparer. Je n'ai pas l'intention de le laisser tuer, même par maladresse, un des indigènes, autant pour le sort de l'infortunée créature que pour le notre. Ils doivent être suffisamment énervés comme ça. Neutraliser moi-même leur agresseur, à défaut d'attirer leur sympathie, les fera peut-être au moins se questionner.

Mon corps arqué sur celui, à peine plus grand mais surtout plus frêle, du sorcier, je le maintiens assez fermement. La pudeur, ici, n'entre plus en ligne de compte, et j'évite tout juste d'appuyer sur des endroits trop sensibles de son anatomie. Je plaque également une main sur sa bouche. Autant pour l'empêcher d'incanter encore que pour ma propre tranquillité auditive.

-Il se passe, imbécile, que tu viens de contrarier nos hôtes, je lui décoche, presque aussi contrariée que les hôtes eux-même. Comment on rattrape ça maintenant, hein ? Le grand magister compte se débarrasser de toute la tribu ?

Je m'en veux presque aussitôt d'avoir employé un ton aussi dur. Je me calme une seconde, tentant de faire acte de sagesse christique. Lorsque Saint Pierre, le plus béotien et le plus impulsif des apôtres, avait coupé de son épée une oreille à un soldat romain, venu chercher le Fils pour le juger, celui-ci avait condamné l'acte sans pour autant montrer son ire, se contentant de conjurer le mal que son compagnon avait fait. Ce qui se déroule sous mes yeux y ressemble étrangement. Je ne suis pas sûre, cependant, qu'il soit aussi facile de s'expliquer auprès des créatures aquatiques qu'auprès des antiques occupants de Jérusalem. Mais par Josaphat, que ses cris, dans le contexte, étaient énervants !

En parlant de cri, celui étrange des indigènes les rappelle à ma mémoire. Deux ont déjà réussi à passer outre la couche de glace que le jeune homme à répandu sur le sol, et contemplent notre duo étrange, dubitatifs. Cependant, j'en distingue une demi-dizaines d'autres qui s'approchent à grands pas mouillés, sans doute alertés par les appels de leurs congénères.

-Excusez-nous. Nous sommes ici par erreur. Je peux soigner les dégâts que lui -je pointe du doigt le sorcier, toujours sous moi- a causé. Si vous promettez de ne pas nous faire de mal.

Un instant, les humanoïdes semblent comprendre ce que je dis, et paraissent même hocher leur gueule difforme. J'ai un petit espoir, lorsque l'une d'entre elle feule, rugit, ou... gargouille, à l'autre un message qui, en apparence, n'a rien de très agressif. Puis, sans prévenir, l'une d'elle se saisit de la hampe de sa lance, qu'elle a ramassée au sol, et me frappe au front. Des étoiles envahissent mon champs de vision, accompagnées d'une douleur vive, et d'une sensation de flottement qui m'annonce que mon cerveau perd l'emprise sur mon corps.

-Désolée... j'articule à l'adresse du jeune homme, avant qu'une deuxième frappe contondante n'obscurcisse complètement ma conscience.

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L'ambiance morose de la prison tranche avec la chaleur que je ressens lorsque j'enlace Laura. Il me semble qu'à ce moment précis, il n'existe pas d'individu qui puisse me prodiguer plus de réconfort qu'elle. Je ne la connais pas bien, à peine depuis une heure, et pourtant, malgré la situation désastreuse, le cadre malodorant, j'ai rarement ressenti un tel bien-être que depuis qu'elle me serre contre elle. Dans ce rôle, elle est parfaite, son étreinte est douce et tiède, comme si elle avait été façonnée pour ça, comme si tout son être était dévoué à cette seule tâche. Dieu, je songe, a vraiment engendré des créatures magnifiques, il m'en fait encore la démonstration en cet instant.

Nos joues se frôlent. Le contact suave, ajouté à la disposition dans laquelle je me trouve, me fait légèrement frisonner. Je me surprends à penser qu'il doit être réellement agréable pour un homme de plonger plus intimement dans les charmes de la jeune femme. Cela doit relever d'une plénitude complète. J'envie presque ses prétendants. L'ivrogne, tout à son acte infâme, s'il était en capacité d'apprécier correctement la délicatesse de sa victime, n'avait pas du avoir de derniers instants si déplaisants. Une telle aventure dans ses bras me paraît furtivement être une conclusion adéquate à l'expérience d'une vie.

J'aurais été beaucoup moins à l'aise, bien évidemment, si j'avais été de l'autre sexe : l'embrassade aurait alors pu prendre un tout autre sens. Heureusement pour moi, le fait que nous soyons toute deux des femmes enlève toute ambiguïté à notre proximité, et je peux la savourer sereine. Bien que je doute de dégager la même aura, elle-même donne l'impression de se laisser porter, jusqu'à adopter un ton aussi bas que le mien. Hélas, la perspective qu'elle me demande d'évoquer est beaucoup moins attrayante.

-Dieu ne m'a pas seulement donné le don de guérir... Mon âme et mon corps peuvent aussi emprunter des raccourcis à travers l'espace, pour voyager là où a besoin de moi. Cela implique un délais d'une vingtaine d'heures. Ils pourront me juger, mais ils n'auront pas l'occasion de me supplicier bien longtemps. Alors autant qu'ils m'accusent moi.

J'ai mis un certain temps à répondre. Je n'ai pas envie que notre étreinte cesse. Je ferme les yeux. Je prie pour qu'elle dure encore un peu. Je suis plus petite qu'elle, et ma tête va naturellement s'enfouir dans son cou.

-Évite de faire trop de vagues, et tu seras bientôt dehors. Est-ce que tu veux qu'on trouve un lieu pour se retrouver, ensuite ?

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Les bas fonds / Re : Lorsque deux prédateurs se croisent... [ Telka ]
« le: dimanche 05 mai 2013, 20:21:46 »
-Celui que je vénère est au-dessus de ceux que les gens d'ici appellent dieux. C'est un concept bien supérieur, qui ne connaît ni la servitude, ni la traîtrise, ni le caprice. Mais ce qu'il est, finalement, n'est pas le plus important...

La situation me rappelle une parabole faite par le Christ. Le prêcheur, disait-il, est comme un semeur qui répand son grain le long d'une route. Une partie, une grande partie, atterrit sur de la terre meuble, et donne de beaux épis, qui sont autant de croyants fidèles. Une autre partie tombe sur une terre trop sèche, trop dure, et ne peut pousser. Enfin, une dernière partie tombe sur une terre adéquate, nourricière, mais qui est déjà envahie par les mauvaises herbes. Je ne sais à quel cas de figure je fais face. Laura semble pleine de préjugés, qui sont autant de ronces empêchant que mes paroles la touche. Mais peut-être qu'au fond, elle ne m'écoute même pas.

Je ne sais plus comment m'y prendre. Je suppose que j'ai fais ce que je pouvais faire. Un meilleur orateur que moi aurait peut-être obtenu de meilleurs résultats, cependant, ce n'est sans doute pas souhaitable. Ma parole, aussi faible qu'elle est été, avait au moins le mérite d'être sincère : j'ai pensé chaque mot que je lui ai dis, je n'ai pas cherché à travestir la réalité en lui promettant des miracles. Les miracles, bien sûr, existent, j'en suis la preuve vivante, toutefois, par leur nature même, ils sont rares, et je ne suis pas là pour faire du vulgaire racolage. Je m'apprête à mettre un terme à la discussion sur le sujet, pour le laisser tourner un peu dans sa tête. Je peux toujours espérer que cela face son chemin, et qu'elle revienne m'en parler d'elle-même un peu plus tard.

Néanmoins, son attitude me trouble suffisamment pour que je renonce à prononcer quelques mots de conclusion. Je prends ses bras écartés comme un signe d'amitié, une invitation à l'embrasser. Je lui aurais bien dit qu'il était inutile de tenter de combler sa solitude métaphysique auprès des autres mortels, que ce n'est qu'une stérile fuite en avant. Eux-même n'ont pas la réponse, n'ont pas le sens, et de l'addition de multiples termes nuls, aussi nombreux soient-ils, résulte toujours une somme nulle. Se rend-t-elle compte dans quel vide elle évolue ? Je n'en suis pas certaine, mais je trouve le raisonnement bien trop cruel, surtout pour elle, qui semble pour le moment incapable d'accéder à la foi. Je ne lui en fais pas part, je me tais.

À la place, je lui souris à mon tour et j'accepte son étreinte. Je passe mes propres bras autour de son dos, et me serre contre elle, dans un enlacement amical. Les dernières heures ont du être très dures pour elle, et si un peu de tendresse l'aide à récupérer, je suis bien disposée à lui fournir ce que je peux d'affection. Elle n'ont d'ailleurs pas été très tranquilles pour moi non-plus, et je dois bien avouer que ce contact m'est aussi agréable. Les enfants ont leur mère, ou des peluches, les adultes leur partenaire ; moi, j'ai Dieu. Mais Dieu, s'il réchauffe mon esprit, laisse mon corps, malgré moi, parfois un peu froid. En ces instants, je ne refuse pas une bouteille de vin. Hélas, je crains qu'au milieu de cette prison, l'alcool qui ravi le cœur ne soit pas au programme. Alors je profite un peu de cette embrassade.

-Tu n'as pas de soucis à te faire. Ils te relâcheront vite, c'est moi qu'ils accuseront de meurtre, je lui murmure, alors que ma bouche est assez proche de son oreille. Et je ne crains rien. Mon esprit est plus fort que ce qu'ils pourront me faire subir, et mon corps sera bientôt loin.

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Les bas fonds / Re : Lorsque deux prédateurs se croisent... [ Telka ]
« le: dimanche 05 mai 2013, 01:39:17 »
Mon visage enjoué s’assombrit un peu lorsque je comprends que mon enthousiasme n'est pas partagé par mon interlocutrice. Cela me déçoit, mais je conçois m'être un peu emportée. Tout le monde ne peut pas partager ma foi aussi naturellement. Beaucoup de gens ont des problèmes avec Dieu, parce qu'ils l'associent à la violence et à la persécution dont sont parfois responsables certaines institutions religieuses. Je les comprends, on peut faire beaucoup de chose en invoquant le Seigneur, et les croyances sont souvent le prétexte de beaucoup d'atrocités.

Les hommes ont le libre arbitre : Dieu, par l'intermédiaire de son fils, ne leur a transmis qu'un message d'amour et de solidarité. Ceux qui tourmentent en son nom en sont les pires ennemis, et bien souvent, n'ont que faire de ses enseignements. Ça n'est pas pour autant, évidemment, qu'on doit en condamner les fondements. Ils y sont aussi étrangers que Wagner au troisième Reich. Mais comment le lui expliquer ?

-Tu as quelque-chose de particulier contre les dieux ? je lui demande brusquement.

J'ai utilisé le terme pluriel, car je fais une distinction assez nette entre Dieu, et les dieux. J'hésite à lui parler de mes expériences extraplanaires. J'ai rencontré des anges, des démons, des dieux. Souvent, ils ne sont même pas différents des hommes. Il faut dire que pour les qualifier, la mythologie grecque avait certainement raison. Ils sont finalement assez humains. Des humains investie d'une puissance magie, ce qui d'ailleurs les rend fréquemment puérils ou mégalomanes. Ce sont des dieux. Des esprits supérieurs uniquement par le pouvoir. Rien à voir avec ma conception de la divinité. Leur simple multiplicité les empêche d'être créateurs.

-C'est courageux, je suppose, de naviguer seule. Je ne crois pas que j'y parviendrais... Moi, j'ai besoin d'un soutien, d'un guide. Sans ça, je serais complètement perdue, je pense. Le monde, s'il n'était que matériel, me paraîtrait vide, aussi. Mais si tu te sens assez forte pour t'en passer, personne ne pourra t'en faire le reproche... Tu sais, ce n'est qu'une main tendue. Libre à toi de ne pas la saisir, après tout.

Je hausse les épaules, et lui lance un sourire triste. Lui répondre m'est plutôt facile, plus facile en tout cas que de conjecturer sur les raisons qui la poussent à nourrir une telle rancœur.

-Je l'ignore. Est-ce que j'aurais agi de la même manière si personne ne m'avait appris à aimer et aider mon prochain ? Je n'ai pas la prétention d'être bonne par nature, c'est un débat difficile. Mon dieu n'ordonne rien, il ne m'oblige à rien, au contraire. Il ne fait que montrer la voie. Ensuite, il nous laisse une totale liberté de choix.

L'ambiance, avec tout ces débats, s’alourdit un peu. C'est en grande partie de ma faute, et j'en suis consciente. Mais il faut bien avouer que je pars de loin, pour essayer de lui faire toucher un peu de la morale chrétienne. Je ne m'attends pas à ce qu'elle s'y convertisse, toutefois, si elle peut ressortir de cette prison avec une vision un peu moins négative à son égard, alors je n'aurais pas perdu mon temps. J'essaie de détendre un peu l'atmosphère.

-Indirectement, on peut quand même dire que c'est grâce à lui que je suis intervenu. Alors tu as le droit de lui être un reconnaissante, quand même, je propose, d'un ton badin.

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Elle est étrangère. Un peu comme moi, finalement... Ou peut-être au contraire de moi, qui suis chez-moi partout. Si elle n'a pas d'accent très marqué, je sais que c'est typique du voyage entre dimensions. Pour une raison étrange, la Terre paraît être le seul plan possédant une si grande diversité linguistique, peut-être parce que ce sont les humains l'habitant qui construisirent la tour de Babel. La plupart des autres mondes parlent pour la majeure partie de la population, le japonais. C'est assez stupéfiant pour être noté, et je n'ai jamais vraiment réussi à éclaircir ce mystère. On aurait pu s'attendre à l’hébreu, à une langue mésopotamienne, ou même au latin, en tant que dialecte de consensus. Hé bien non, il s'agit bien de la langue nippone, dans sa version moderne, qui plus est. Je sais que nombreux sont ceux qui la nomment, sur Terra, le commun, ou l'humain... et je n'ai jamais trouvé d'endroit où on ne la parlait pas.

-Je comprends, les choses devaient être différentes. Moi aussi, je viens d'assez loin.

Je hoche la tête. Il reste une part d'ombre, mais cela explique quand même pas mal de choses sur son attitude un peu décalée. Il est possible que l'île dont elle est originaire soit un havre de paix et de civilisation, où les agressions de ce type ne sont guère courantes. Ce genre de lieu existe bien... mais je n'en connais pas sur ce plan là. Qu'importe, Terra est vaste, surtout en prenant en considération les moyens de locomotions, généralement archaïque, qui sont à disposition, et surtout en ce qui concerne sa partie sauvage. Je suis loin d'avoir encore tout exploré. J'aimerais bien en savoir plus, mais elle semble avoir un peu de mal à en parler, si je me fis au temps qu'elle a pris à l'évoquer. Je ne creuse donc pas davantage le sujet. Ça n'a pas réellement d'importance.

-Quand on sortira, je te montrerai les quartiers à éviter, si tu veux, et je te donnerai quelques conseils pour éviter que ce genre de chose arrivent encore. Je marque une pause. Par contre, il y a des choses qu'il faut absolument éviter de faire, ici comme ailleurs... On ne tue jamais quelqu'un à terre, comme ça. Ça n'est pas la solution, ça n'apporte que des ennuis. Sans cela, on ne serait pas ici... Enfin.

Je ne vais pas la tourmenter davantage. Ce serait une double-peine : être enfermée dans une cellule sordide, et subir les injonctions d'une dévote pédante. Je ne sais pas quelle était l'état de la culture sur son île. La possibilité existe, même si elle est infime, qu'elle n'ait pas eu conscience de faire quelque-chose de mal. Je crois, j'espère, qu'elle commence quand même à comprendre la leçon. La question qu'elle me pose m'interpelle. Pourquoi je fais tout cela ? Outre la demi-dizaine de vœux qui m'obligeait à lui porter assistance, je n'y ai pas vraiment pensé, mais lorsque je m'interroge, je trouve naturellement la réponse. En revanche, cela me laisse toute latitude pour tenter de refaire son éducation. Nous avons, de toute façon, largement le temps de discuter.

-Ce n'est pas moi qu'il faut remercier, mais Dieu. Le dieu triple et unique, dont je t'ai déjà parlé, et grâce à qui je suis capable de refermer les blessures. Il y a longtemps, il a envoyé son fils, le Sauveur, dans le pays d'où je viens, pour nous apprendre la générosité et l'entraide. Pour que nous puissions vivre en paix, et nous aimer, nous assister, les uns les autres. Il l'a fait par pure bonté. Quant à moi, je ne fais que suivre sa voie, et respecter ses enseignements. Je n'ai pas d'autres mérites.

Mon visage s'est peu à peu illuminé. Exposer les fondamentaux de la foi à un novice fait grandir toujours plus la mienne, comme si je comprenais un peu mieux, même dans les choses très simples, ce qui la composait.

-Tu sais, tu peux t'adresser à lui, toi aussi, il est à l'écoute de chaque homme. Tu peux lui parler, en ton for intérieur, et il t'aidera.

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