La guerre était le ciment de Wonder Woman, ce pour quoi elle était née. Themiscyra abritait fondamentalement des guerrières, et, depuis qu’elle était toute petite, Diana apprenait à se battre. Elle avait appris la stratégie au cours de son enfance, à partir des grandes batailles ayant marqué l’Histoire antique des hommes, comme la bataille de Troie. Elle avait lu la stratégie militaire et politique de Périclès à travers les écrits que Thucydide en avait fait, elle avait lu les mauvais exemples à suivre, comme Cléon, piètre héritier de Périclès… La guerre du Péloponnèse, les guerres médiques, les affrontements entre Spartes et Athènes… Ce passé révolu et mythologique dans le monde des hommes avait encore constitué les fondements de l’apprentissage des Amazones, dont la philosophie reposait sur celle d’Athènes plutôt que sur Spartes : une main sur la lance, une autre sur le livre. Préparer des ordres de batailles, motiver les troupes, Diana savait combien les jours précédent le conflit étaient cruciaux. C’était là que les meneurs devaient s’affirmer, et les
bons meneurs. Elle savait que cette opération était suicidaire, que l’ennemi leur était extrêmement supérieur, aussi bien en nombre qu’en force. Diana savait donc qu’elle ne devait montrer aucun signe de doute, et, pendant ces soixante-douze heures, elle avait très peu dormi, comme si elle retrouvait une seconde jeunesse. Elle se revoyait à l’époque où, pendant que sa mère jouait l’ambassadrice aux Nations Unies, elle formait ses Amazones pour repousser des hordes de monstres venant du Tartare. Elle vint voir les soldats durant leur formation, elle vint voir les civils, rassurant les enfants, leur assurant que, d’ici quelques jours, ils seraient tous loin d’Ultron et de Brainiac, avec la possibilité de commencer une nouvelle vie. Elle exhortait la capacité de résilience des êtres humains, leur faculté à survivre envers et contre tout. Elle aida à réparer des camions et des véhicules en les soulevant, aidant ainsi les mécaniciens à visser des joints défaillants… Telle une arche de Noé rudimentaire et brinquebalante, les survivants amassaient leurs maigres biens dans ces véhicules.
Pour elle, le temps défila assez vite, et elle en profita pour se renseigner sur ce monde. Elle replongea dans ses archives, étudiant les combats menés contre Ultron et Brainiac. Des deux, Ultron avait été le principal adversaire, le plus motivé à détruire l’humanité. Brainiac, lui, s’était contenté de se poser sur Metropolis, estimant que c’était la ville la plus évoluée du monde, et y avait installé son quartier général, récoltant tout ce qu’il y avait à savoir sur l’humanité, tandis qu’Ultron accomplissait enfin sa raison d’être, sa programmation monstrueuse. Elle avait cherché des plans de bataille, des stratégies et des techniques militaires contre Ultron et ses séides. Elle n’avait rien vu. Ultron, comme elle, connaissait Périclès, Cléon, mais aussi tous les autres grands stratèges… Il connaissait toutes les tactiques de batailles existantes, toutes les stratégies possibles. Il avait broyé l’humanité en quelques jours, par des attaques préliminaires sur les grandes métropoles et sur les grandes flottes, afin de décapiter l’humanité le plus rapidement possible. Une véritable stratégie génocidaire qui était progressivement en train de se terminer.
Voilà où ils en étaient, tous, au terme de ces soixante-douze heures. Lane avait formé plusieurs équipes, avec différents objectifs, le but étant d’atteindre l’Interceptor. Il était protégé par un champ de force, par des Androïdes, et le plan était particulièrement rigoureux et précis, chaque escouade ayant des plans de la ville, ainsi que des plans des patrouilles, que les guetteurs humains avaient eu, pendant des semaines, l’occasion d’observer et de noter. Ultron les changeait régulièrement, mais ils suivaient tous une certaine routine, typiquement robotique, et, au bout d’un certain temps, ils pouvaient les anticiper.
«
Dès que nous aurons détruit le générateur alimentant les barrières énergétiques, le temps nous manquera… Vous aurez moins d’une minute pour détruire l’Interceptor. »
Le plan était vu et revu. Malheureusement, la base était obsolète, et n’avait pas d’équipements permettant de faire des simulations informatiques. Les membres des commandos s’entraînaient tous les jours dans des arènes situées dans les profondeurs de la base, et, pendant ce temps, dehors, les instruments de sécurité d’Ultron s’acharnaient, multipliant les patrouilles, le nombre de projecteurs, les drones et les sondes de surveillance. Après avoir rasé la base moscovite, Ultron sentait qu’il était sur le point de terminer l’achèvement et l’annihilation de l’humanité. Il ne restait plus qu’une base à détruire, et il savait qu’elle était à New York. Tout en organisant le Plan Exodus, le Général Lane avait organisé des pièges, des diversions, afin de duper les Androïdes, en envoyant des leurres électroniques dans des parties éloignées de New York.
Et c’est ainsi que le jour arriva… Celui où, en se levant, toute la base sentit que ce serait leur dernier jour ici. Batman avait travaillé sur l’appareil confié par Athéna, le raccordant à son ordinateur, et s’en était servi pour programmer l’ouverture d’une faille dimensionnelle. Vu la taille du Portail et les ressources énergétiques nécessaires, il faudrait l’ouvrir à Central Park. Dans la base, les ressources énergétiques seraient tellement fortes qu’il y aurait un risque que la base explose sur place. À défaut, Kyle avait donc lancé une opération consistant à transporter les réfugiés sous Central Park, afin de pouvoir s’enfuir dans le Portail qui serait généré.
«
Notre seule chance consistera en une diversion du côté de Ellis Island. Ultron pensera que nous voulons utiliser cet endroit pour nous enfuir, et ne verra pas le piège venir. Une fois son attention déployée et focalisée sur Ellis Island, nous pourrons amener les réfugiés à Central Park. Ensuite, l’équipe se trouvant à Times Square attendra que les générateurs situés à Grand Station soient désactivés, puis détruiront l’appareil, et nous pourrons ensuite fuir. »
Le plan était simple, et se résuma sur une carte :
Le discours final eut ensuite lieu, attirant tout le personnel militaire dont la base avait encore. Le discours fut principalement assuré par Lane et Batman, avec une répartition des rôles :
- Lane se chargerait de transporter les réfugiés à Central Park, et installerait des tourelles de défense sur place, en cas d’attaque des ennemis ;
- Batman se chargerait d’aller détruire le générateur électrique à Grand Station ;
- Sentinel Prime aurait pour tâche de détruire l’Interceptor ;
- Wonder Woman aurait pour tâche de placer la diversion à Ellis Island.
Les choix avaient été placés de manière stratégique et judicieuse. Lane connaissait la base, et était donc le plus à même d’organiser le transfert des réfugiés. Batman, quant à lui, était un spécialiste de l’infiltration, et pourrait donc passer outre les défenses de Grand Station afin de détruire le générateur. Sentinel Prime, de son côté, avec ses décharges d’énergie et sa force naturelle, était plus indiqué pour détruire l’Interceptor ainsi que les éventuels robots qui viendraient. Quant à Diana, sa mission semblait être la plus simple… En apparence seulement. Ellis Island était faiblement surveillée, mais, pour y aller, il faudrait traverser la moitié de la ville, et, surtout, une fois la bombe mise, l’armée entière d’Ultron se déplacerait pour elle.
Sam Lane avait résumé tout cela, d’une voix forte et assurée, et Diana l’écoutait. Elle avait profité de toutes ces heures pour se renseigner sur l’autre Diana, sur celle qui était morte. Elle avait laissé la gestion de Themiscyra à sa sœur, Donna Troy, pendant qu’elle-même prenait à cœur ses tâches de Wonder Woman. Elle avait notamment été au Bangladesh lors d’une forte tempête, et avait réussi à sauver des centaines de personnes. Ambassadrice de la paix au sein de l’ONU, elle était une figure iconique, une égérie, qui n’avait pas hésité à se produire dans de multiples magazines. Son mariage avec leur Sentinel Prime avait été l’évènement du siècle, un mariage qui avait totalement éclipsé celui du Prince William et de Catherine Middleton. Le mariage avait eu lieu à Themiscyra, et plusieurs centaines de millions de gens étaient venus les voir. Diana n’avait jamais vécu ça, mais, en voyant les photos, en voyant toute cette communauté souriante, elle n’avait pu s’empêcher de ressentir une profonde nostalgie. Leur Captain America, mort en défendant la Maison Blanche, avait donné leur bénédiction, et avait été leur parrain. Leur Iron Man, qui était mort quand son armure avait été piratée dans le ciel par Ultron, et avait explosé, avait réimplanté totalement son industrie dans la construction de barrages, de méthodes alternatives de distribution d’énergie, et avait réussi à construire des éoliennes sur les collines et les falaises de Themiscyra. Maintenant, il n’en restait que des ruines.
*
Nous allons leur offrir une autre chance… La perspective d’un avenir meilleur, la chance de pouvoir tout reconstruire…*
D’ici quelques heures, tout serait terminé. Les bombes nucléaires atteindraient le noyau de la Terre, et provoqueraient une réaction en fusion qui détruirait toute la planète. Le discours allait se terminer quand Sentinel Prime, qui était resté relativement discret pendant cette période, arriva alors. Il avait récupéré le costume de leur Sentinel Prime, celui mort sur Times Square… Là où
son Prime se rendrait prochainement, comme si la vie, en quelque sorte, n’était qu’un immense et ironique rembobinage.
Il fit un discours improvisé, mais qui était celui d’un chef de guerre, leur hurlant de se battre, de tenir, et de les vaincre. Il y eut des vivats, une clameur, et même Diana sourit, son cœur frissonnant au discours de l’homme. Pour le coup, elle le voyait très bien dans une armure grecque, levant bien haut son javelot en exhortant à ses hommes de se battre jusqu’à la fin. Il sortit en l’attrapant, et ils arrivèrent à l’entrée du grand hall, avant de se regarder. Il lui indiqua qu’il comptait se mettre sous ses ordres, et elle lui sourit, sans retirer sa main de la sienne.
«
Je suis flattée… Mais tu devras te débrouiller par toi-même au début. Mon seul conseil, c’est d’être à l’heure, et de t’apprêter à tout faire péter quand tu le pourras. Je te rejoindrais dès que j’aurais placé la bombe… Ensuite, il faudra aller à Central Park, et tenir le plus longtemps possible le temps que le Portail dimensionnel s’ouvre. »
Le Portail s’ouvrirait depuis le van de commandement, mais il faudrait laisser quelques minutes au générateur le temps de se charger pour s’actionner, et ainsi leur permettre de fuir. Diana connaissait le plan, elle en connaissait les risques, mais elle savait aussi que, compte tenu de l’adversaire qu’ils affrontaient, c’était, pour l’heure, leur meilleur plan. Ses mains se posèrent donc sur celles de Prime, et elle se pencha vers lui, l’embrassant également sur la joue, à la commissure des lèvres.
«
Tu es fort, Kyle… Voilà le seul conseil que j’ai à te donner : ne doute pas de tes capacités. »