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« le: vendredi 03 décembre 2010, 18:21:12 »
La jeune fille au cheveux roses calcule mentalement la trajectoire de la boule, fait coulisser la queue de billard une fois, deux fois, entre ses petits doigts vernis, et frappe de toute ses forces. Choc élastique entre la boule et la suivante, les autres rebonds étant couverts par les exclamations de ses amis autour de la table. Elle sourit timidement et viens se blottir dans les bras du jeune homme à lunette en s'excusant d'avoir manqué son coup.
Erogène Jones, assis un peu plus loin, détourne le regard. Derrière la vitre du bar, la pluie continue de tomber.
-Vous devriez retirer ce manteau, Miya. Il est complètement trempé.
Il a parlé d'un ton faussement détaché, sans oser faire face à son interlocutrice. Sa voix ne la fait même pas tressaillir. Recroquevillée sur la chaise en face de lui, elle ressemble toujours à une petite fille abandonnée sur le bord de la route, avec ses cheveux dégoulinant de pluie et les trainées de mascara qui embrument son regard lointain, plein d'une tristesse sans limites. Un petit démon malsain continue d'y danser son cercle de feu. Le manteau dont il parle est le sien. un imperméable terne qu'il a glissé sur ses frêles épaules lorsqu'il l'a fait sortir par la portière, une main fermée sur son bras. Ferme, mais sans violence, comme plus tôt dans la nuit. Une fois sortie de l'habitacle, elle s'est arrêté un instant, comme si elle n'était pas sûre que ses jambes puisse la porter. Puis elle a levé la tête et regardé le ciel et ses nuages ténèbreux.
Ca aurait pu se passer plus mal...
A vrai dire, ça aurait DU se passer plus mal. Même s'il ne comprends toujours pas la nature de Miya, un instinct primaire, reptilien le lui souffle à l'oreille... tout comme il lui soufflait de prendre ses jambes à son cou, tout à l'heure, sous la pluie. Dans le silence irréel de cette impasse, alors qu'elle le contemplait désespérément derrière le part-brise embué.
Oui. Lorsqu'elle lui a parlé de cette toute petite voix, son premier réflexe a été de sortir de la voiture. A crai dire, il a même bondit comme s'il avait le diable à ses trousse... Pour ce qu'il en sait, c'était peut-être le cas. Mais est-ce que le Diable aurait sursauté de cette façon lorsqu'il a claqué la portière avec tant de violence? Elle l'a fixé avec cet air si humble, si suppliant pendant qu'il marchait de longs en large sous la pluie, ses mains serrées sur ses tempes, prit de la frénésie de celui qui devient fou et qui songe à s'ouvrir le crâne pour que les vents mauvais des temps anciens s'en échappent, retournent se perdre quelque part dans la nuit...
Une main dans sa poitrine, qui perfore ses os et ses chairs. Il la sent encore à présent et ne peut retenir un frisson.
Assis sur sa chaise, Jones prend une profonde inspiration, comme il l'a fait alors, debout dans cette allée. Et comme il l'a fait alors, il lève les yeux vers Miya. Qu'est-ce qu'il a bien pu penser? Il se rappel s'être arrêté, l'avoir fixée, immobile, pendant d'interminables minutes. Son souffle était d'abord court, dangereusement court, puis, peu à peu... Peut-être qu'Erogène Jones s'est souvenu qu'il était Erogène Jones... Peut-être qu'il s'est souvenu qu'il avait déjà connu le danger, sentit la lourdeur de la mort passer au dessus de sa tête, faire frissonner son échine. Qu'il s'est souvenu qu'il convient de l'ignorer, de l'oublier pour se concentrer sur l'instant présent. Une bonne idée, vraiment? Ou peut-être qu'il s'est souvenu qu'il savait lire les gens, leurs émotions, et aussi qu'il pouvait faire bien plus que les lire... Alors il a compris que cette petite chose dans la voiture, les épaules secouées de sanglots était folle et très dangereuse... mais qu'elle avait encore plus peur que lui. Plus peur de le perdre qu'il n'avait peur de se perdre lui même.
A ce moment, il croit avoir réprimé un sourire. Quelque part derrière son épaule, le fantôme d'Effy l'a traité de cinglé.
Mais il l'a laissé a la porte, avec tout le reste de ces folies. Non? Ils ont marché en silence, et elle s'accrochait à lui car elle avait peur qu'il s'enfuie comme un possédé. Elle était revenue à un état trop primitif pour savoir marcher avec des talons aiguilles, et il l'a empêchée de tomber plus d'une fois. Pas un mot échangé, juste ces petits doigts crispés sur sa manche...
Puis ils sont entré dans le premier endroit ouvert, avec de la lumière et de la chaleur. Un lieu calme, fond sonore de boules de billards qui s'entrechoquent, de rires discrets et d'une petite musique insipide qui meuble le silence de banalité en conserve. Tranquille, rassurant. Un parfait compromis pour s'assoir, respirer, et peut-être discuter.
Vraiment?
Il est assis droit sur sa chaise, ses mèches ténébreuses collées sur son beau visage. Croiser son regard n'était pas si difficile, n'est-ce pas, Jones?... Alors le jeune policier, l'ami de Ryuga qu'il n'a jamais cessé d'être, pose les mains sur la table et se penche en avant.
-Miya... Il faut tout me dire, maintenant.
De l'autre côté de la table, il la regarde sortir doucement du brouillard. Bien. Un homme au comptoir paye pour sa bière, et à la jeune fille aux cheveux roses choisit une nouvelle boule. Erogène Jones, lui, attend une réponse.