24
« le: samedi 25 septembre 2010, 16:28:10 »
Maitresse Meisa, salua le vieil homme, s’empressant de venir à la rencontre de la jeune fille qui se tenait sur le seuil de l’entrée.
Selene venait de franchir la grande porte en chêne qui scellait la demeure de la famille Meisa. La nuit d’un noir d’encre empêchait l’identification des taches sombres qui maculaient le corps de l’immortelle, mais le vieux régisseur connaissait bien sa maitresse maintenant. Il savait qu’elle revenait tout juste de mission et que ces taches n’étaient que la preuve que tout c’était bien passé… pour elle. Normalement, le caractère exécrable de la jolie brune empêchait les esclaves de vivre assez longtemps pour s’habituer à elle, mais il semblerait que celui-là avait une espérance de vie plus prometteuse. Son secret ? Il ne haïssait pas sa maitresse, tout simplement. Il avait seulement pitié de cette jeune tueuse, et cette dernière s’en contentait largement.
Votre bain sera bientôt prêt, maitresse, fit le vieil homme en s’inclinant. Puis-je vous proposer de vous restaurer en attendant ?
Non. J’attendrai mon bain… Il n’y a pas que du sang sur moi.
Le régisseur acquiesça avec un hochement de tête hésitant car il tentait de deviner la nature de la substance supplémentaire qui se trouvait sur sa maitresse… Oh mon dieu ! … Le vieil homme écarquilla légèrement les yeux et lâcha un « Bien entendu ! » avant de se mettre à encourager les esclaves de s’activer avec zèle. Et en quelques minutes, la grande baignoire de cuivre était remplie d’une eau chaude et parfumée à l’essence de châtaigne.
Ça faisait cinq ans que Selene était partie des terres de son ancien époux et donc cinq ans que ses filles ainsi que leur propre filles et fils étaient tombé de la main de leur génitrice. Quel soulagement et quelle tristesse lorsque la lame d’acier s’était abattue sur la chair de sa chair. Jamais une descendante de Selene n’avait vécu assez longtemps pour procréer à son tour, et jamais elle n’avait dû abattre de petits enfants… Voilà qui était chose faite. Ces yeux d’une couleur améthyste, voilée de nacre et aux reflets opalescents… Personne ne devait les partager.
Selene s’était donc enfuie. Même si c’était une nécessité pour échapper au châtiment qu’elle méritait, elle serait partie de toute façon puisque plus rien ne la retenait là-bas. Elle était revenue à la capitale où elle avait reprise, en tant que dame Meisa, le manoir qui était autrefois sa maison à elle et son époux. En parlant de lui, elle n’avait aucune idée de ce qu’il était devenu. Capturé après la défaite, ou en fuite ? Ça ne la concernait plus maintenant. Son amour pour lui était totalement éteint. Il n’y avait plus rien si ce n’est un soupçon de haine pour celui qui l’a empêché pendant toutes ces années, d’en finir avec ses enfants. De la haine, il en fallait un peu pour remplacer l’amour car ce dernier ne s’estompe pas aussi facilement qu’on le croit.
Selene se frotta le corps pour chasser les dernières souillures qui tachaient son corps. La moitié inférieure de son visage immergée dans l’eau, tandis que ses cheveux ébène serpentaient comme des anguilles sur la surface, Selene était une nouvelle fois perdue dans ses pensées. La nuit n’avait pas été rude. Elle avait même été très distrayante mais comme à chaque fois, lorsque l’adrénaline, la peur et l’excitation disparaissaient, il ne restait plus qu’un grand vide impossible à combler…
La jeune fille encore dégoulinante d’eau parfumée se fit enroulée dans sa serviette par une adolescente. Elle sortit ensuite de son bain et attendit que les esclaves s’affairent. C’était un plaisir presque nostalgique. Rappelons-le, Selene avait vécue à l’époque où l’esclavage était banalisé et que les matrones romaines ne faisaient jamais rien sans l’assistance de leurs esclaves. Ça, il faut dire que Selene s’était particulièrement bien réhabituée à ce petit confort.
Ses esclaves vinrent ensuite lui enlever la serviette déjà trempée pour la sécher plus efficacement et la pouponner. Se retrouver nu devant une esclave qui frotte l’intégralité de son corps, tandis qu’une autre dépose des gouttes de parfum sur les endroits stratégiques, ne semblait pas la déranger. La pudeur n’avait aucune signification devant des esclaves. Ils n’étaient qu’une partie intégrante du mobilier. Alors qu’une servante démêlait ses cheveux d’ébène et finissait de les sécher, une autre lui présenta un kimono en soie entièrement blanc. Elle enfila donc le long costume sans chercher à réprimer un frisson de plaisir lorsque la douceur du tissu vint caresser sa peau. C’est alors qu’elle exécuta son premier sourire de la journée. Un sourire qui ne dura pas bien longtemps puisqu’un sentiment désagréable vint lui chatouiller la nuque.
Soudain, l’air se mit à grésiller. Selene avait fini par s’habituer à la magie, ou du moins elle ne restait plus figée comme une idiote à chaque fois qu’il se produisait un phénomène qu’elle jugeait impossible. En quelques secondes le manche de son arme vint se loger dans sa paume et la pointe vint se positionner à quelques centimètres de la poitrine de l’homme qui venait d’apparaitre. Les esclaves horrifiés avaient tous reculés dans le fond la grande chambre à coucher, blottis les uns contre les autres. Selene ne bougeait pas, son regard violacé était fixé sur l’homme qui lui faisait face, le menaçant de son sabre, seul obstacle qui se dressait entre eux. L’homme parla enfin, mais Selene ne montra aucun signe qui permettait de dire si elle l’avait entendu. Son regard dur était fixé sur lui, menaçant, mais pas haineux. Il était un intrus dans cette maison qu’elle considérait maintenant comme sienne. C’était ses gens qui l’occupaient et c’était son argent qui finançait l’entretien d’une telle bâtisse. Elle y tenait.
Tu es venu pour te venger ou reprendre ce que tu penses être ta propriété? demanda-t-elle sans baisser son arme.
Si cela lui faisait la moindre chose de voir son ancien amour après si longtemps, elle n’en laissait absolument rien paraitre. De plus, elle ne semblait pas avoir envie d’échanger des politesses. Quant à sa référence sur ce qu’il croyait être « sa propriété », elle ne parlait pas du manoir Meisa, mais bien d’elle-même…