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« le: dimanche 01 novembre 2020, 10:56:39 »
Son Sauveur avait reparu, et demandait qu’elle ait plus d’appétit. Obéissante, sans ajouter un mot à son ordre, elle se saisit de morceaux de viandes séchées, et les grignota dans un silence percutant. Elle semblait capable d’une discrétion démesurée, désormais défaite de ses chaînettes qui tintaient à chaque mouvement, même infime. A croire que sa Maîtresse s’était plusieurs fois faite surprendre par sa présence, à des moments inopportuns, et avait insisté pour qu’elle ne porte des clochettes dans le seul but de l’entendre arriver à l’avance, comme on le fait de petits animaux domestiques trop sournois.
Alecto n’avait aucune intention de mourir, ceci-dit, et prit l’ordre comme un conseil et pire… sa nature pleine de bonté estimait que l’Inconnu tenait à elle, puisqu’il préférait la voir vivre. Elle ne sourit pas à cette pensée, mais chaque bonne action l’emplissait de douceur. Et ce, en dépit de la perspective peu ragoutante d’être dévorée par des charognards, son cadavre encore chaud.
Elle ignorait combien de petits filets de viande elle devrait avaler avant que le Combattant n’estime que cela soit suffisant, mais lorsqu’il reprit la parole après un moment de flottement, la petite Poupée, les marques rouges de ses doigts encore dans le cou, pinça les lèvres.
La jeune fille ne s’était jamais qualifiée d’étrange, mais elle évitait toujours tout jugement sur sa personne, comme sur les autres. Cependant, il ne lui avait pas échappé qu’elle n’était pas comme la majorité des personnes qu’elle croisait, loin de là. Mais pour elle, la réponse était simple… Lui permettre de s’exprimer là-dessus, il l’ignorait sans doute, était surement un cadeau exceptionnel pour la Domestique peu loquace habituellement. Jamais on ne lui posait de questions sur elle, et ses deux billes bleues se mirent à briller de… de reconnaissance ?
Les mots étaient méprisants, pour la plupart, il est vrai, mais Alecto estimait que seule comptait l’attention. Certains hommes peinent à s’exprimer convenablement, trop imbu d’eux-mêmes, bouffi de l’importance qu’il porte à leur personne, et elle n’avait pas à les blâmer pour cela. Soudainement, le visage doux de la Servante s’illumina à mesure qu’elle esquissait un fin sourire, timide, discret… mal à l’aise.
« La Foi, Messire. »
Répondit-elle, simplement, sans chichi, et tout son corps semblait rayonner de cette conviction profonde et viscérale. Ses épaules étaient moins voutées, peut-être avait-elle-même relevé le cou dans un gracieux mouvement.
« Je ne vis que pour servir le Seig… »
Mais elle fut stoppée, alors qu’elle aurait aimé parler encore de cette motivation sans faille qu’elle possédait au plus profondément d’elle-même, par les mouvements du Démon. Alors qu’elle semblait pleine d’assurance, tout retomba comme un soufflet lorsqu’elle vit le corps de son Protecteur se dévoiler, parcelle par parcelle, et qu’elle rougissait.
Les corps nus l’avaient toujours mise dans un profond malaise, et elle baissa les yeux immédiatement, reprenant une attitude soumise et gauche. Ses joues se teintèrent de carmin, en fixant obstinément l’écuelle de viande de chien rabougrie, ses oreilles percevant cependant clairement le tissu mouillé qui crissait sur la peau du Démon, et la tension liée aux douleurs qu’il ressentait ne lui étant pas non plus étrangère.
L’empathie d’Alecto lui envoyait en pleine face la souffrance des gens, et elle eut même un mouvement de réflexe, comme pour venir l’aider à se dévêtir, une envie plus forte, visiblement, que la gêne de la peau dévoilée. Mais elle eut peur de ne pas agir convenablement, et resta assise sur ses talons, le dos rond, à observer la poussière sur le tapis rapiécé du sol.
Une fois allongé, et ayant donné ses ordres, étrangement, la petite Esclave sembla se sentir un peu mieux. Obéir était un refuge rassurant, pour celle qui n’avait jamais connu que cela. Alors, elle se déplia avec douceur, saisit le linge, et après l’avoir immergé plusieurs fois, s’approcha du Démon timidement.
« Attention, l’eau est froide. » Murmura-t-elle, prévenante.
Laver un homme la rendait évidemment anxieuse, et son regard se focalisait sur sa propre main qui s’avançait par réflexe sur les contusions visibles de son buste. Alecto fit preuve d’une extrême douceur, révélant sans doute une de ses qualités, celle qui se vendait à prix d’or… Il semblait que panser les blessures, œuvré au bien-être des autres, la rendait moins misérable.
Elle tapota délicatement sur les déchirures, nettoyant les plaies et les bleus, posant sa main libre sur l’épaule de son Sauveur après avoir soufflé sur sa paume pour la rendre moins gelée. Une perle d’attentions.
Et étrangement, même si son regard était gêné et ses pommettes roses de pudeur, son corps paraissait apprécier rendre ce service. A mieux y songer, l’homme avait une allure élégante, charismatique, même. Il possédait une peau claire, et les traits de son visage était sans pareille, d’une finesse qu’elle n’osait pas détailler. Mais elle se remémora également ses prunelles… Elles étaient étranges et effrayantes, mais Alecto n’avait pas l’audace de relever les yeux pour les analyser.
Le linge humide avait fait son office sur le torse du Démon, elle lavait ses épaules, ses avant-bras avec attention, en penchant même légèrement la tête. On ne pouvait pas dire qu’elle était empressée, et semblait prendre son travail minutieux à cœur, comme si décevoir était une issue abhorrée.
Cependant, lorsque le buste fut d’une relative propreté vu le manque savon, la petite Poupée se stoppa, et se mordit l’intérieur de la joue, son regard sautant vivement du ventre musclé du Combattant à ses genoux. Cette courte pause pleine de malaise la fit frémir, avant qu’elle ne plonge de nouveau le gant de fortune dans l’eau froide, et ne vienne frotter les cuisses de son Protecteur.
Il lui était pénible de songer pouvoir le nettoyer en totalité et avec appréhension, Alecto sembla chercher le regard de cet inconnu, sans doute en quête d’empathie ou de compréhension.