Ciel bleu, grand soleil, vent frais. Cocktail idéal pour une journée en extérieur, mais tout aussi bon pour se dépenser dans une salle climatisée dont les immenses baies vitrées offraient aux sportifs et aux sportives un panorama des plus sympathiques sur la ville et la côte en fond. Au quatrième étage d’un immeuble lambda, les hauts-parleurs du Fitness Go Go Go crachaient de la musique eurodance censée motiver les troupes à se bouger. Automne, de son côté, semblait dans son propre petit monde rien qu’à elle, écouteurs dans les oreilles pour étouffer ces sons roses bonbons par une playlist metal spécial workout. Un véritable cliché corroboré par son apparence : cheveux colorés, crop top à l’effigie du groupe Vader ("c’est du metal polonais, tu connais pas"), tatouages omniprésents et musculature à l’avenant. Même si elle n’était installée à Seikusu que depuis peu, la polonaise avait déjà éprouvé la plupart des salles de fitness de la ville. L’une était mal fréquentée, une autre ne disposait que de maigres équipements, dans encore une autre la climatisation soufflait trop fort : rien ne lui convenait jamais, de toute façon. Celle-ci était sa favorite, son plus gros défaut étant de se trouver assez loin de son appartement. Elle ne s’y rendait donc que les jours de beau temps comme celui-ci, en trottinant, histoire de s’échauffer quelque peu avant de plonger dans le grand bain.
Installée depuis une petite dizaine de minutes sur le tapis de course, elle courrait à son rythme, préparant ses muscles et ses articulations à ce qu’elle allait leur infliger. Son rythme, justement, était significativement plus rapide que celui de ses voisines directes alors que le capteur cardiaque indiquait des valeurs encore faibles. Si elle commençait ses séances sur les tapis plutôt que les vélos elliptiques ou les rameurs, c’était parce qu’ils lui offraient une vue parfaitement et sur le panorama offert par les baies vitrées, et sur les nouveaux et nouvelles arrivant(e)s. Justement, l’une d’entre elles venait de faire son entrée, une jolie brune d’une taille équivalente à la sienne et à la démarche assurée. Durant le temps que celle-ci passa à se changer dans les vestiaires, Automne quitta sa machine lorsque le bip de son chronomètre retentit dans son sac. Quinze minutes de course, près de cinq kilomètres parcourus : un résultat probant. Elle prit sa serviette en main pour essuyer les quelques rares gouttes de sueurs qui avaient perlé sur son front, avant de vider le contenu de sa gourde.
Sur le chemin jusqu’à la fontaine, elle croisa la brune qu’elle venait d’observer, et ne manqua pas de continuer à la détailler du regard après l’avoir saluée d’un signe de tête. Sa nouvelle tenue n’était pas des plus couvrantes, laissant voir son corps athlétique et sa fine musculature. Ce n’était pas une débutante, bien au contraire, et la polonaise ne se lassait jamais du spectacle d’une jolie femme dans son genre entraîner son corps et le pousser dans ses derniers retranchements. Finalement, Automne s’installa aux barres de traction, grimpa sur le marchepied avant de s’accrocher et de commencer ses mouvements. Les yeux clos, la respiration contrôlée, les répétitions s’enchaînèrent. Un, deux...cinq...dix...quinze. Elle s’arrêta là, reprit contact avec le sol et s’essuya la nuque et le haut du dos. A ses côtés, la présence de la belle athlète la ravit. Elle porta sa gourde à ses lèvres, avala une gorgée, et toussa en manquant de s’étouffer juste sous les yeux de la jeune femme. Elle qui ne savait pas comment l’aborder, venait de trouver le moyen parfait de briser la glace. Quoique...
Bon, pour la street cred, on repassera. Après une quinte de toux qui attira l’attention de la moitié de la salle, Automne était devenue le centre de l’attention. Pas pour les bonnes raisons, certes, mais l’essentiel était là : sa voisine l’avait remarquée. Mieux encore, elle lui parlait ! Elle ne pouvait pas encore lui répondre, cependant, trop occupée qu’elle était à reprendre son souffle. Quand enfin elle put la regarder, ce fut avec des yeux embués de larmes et le visage rougi.
« Oui euh...non...oui ça va, t’inquiète pas ! »
Elle ne répondait pas du tout à sa question, mais bref. Elle prit une nouvelle gorgée d’eau minérale, qui ne se trompa pas de chemin cette fois, puis s’essuya le visage avec sa serviette. A ses côtés, la jeune femme s’était installée à la presse à jambes et enchaînait les répétitions avec une régularité impressionnante. Pas besoin de se demander si elle avait lesté la machine avec de nombreux poids, les muscles de ses cuisses se dessinant sous sa peau pâle. Son visage arborait une expression de plus en plus fermée, trahissant au fil de ses efforts la douleur qui irradiait dans ses jambes.
La punk ne pouvait s’empêcher de se mordiller la lèvre devant ce spectacle. Pour elle, c’en était presque indécent et érotique, de montrer ainsi sa magnifique musculature. Mais extrêmement plaisant à mater. Elle offrit à la sportive son plus beau sourire lorsque celle-ci stoppa son exercice après de nombreuses séries de nombreuses répétitions.
« Je peux ? »
Elle s’installa à son tour à la machine, posa ses pieds sur la plate-forme sans regarder le lest, et commença à pousser. Les répétitions s’enchaînèrent, avec une relative facilité qui ne lui correspondait pas. Après une dizaine de celles-ci, elle rajouta dix kilos de poids et recommença à pousser sur ses jambes. Voilà qui était mieux, beaucoup mieux, et digne de son niveau. Au bout de huit, elle commença à sentir cette chaleur particulière irradier dans ses cuisses, celle qu’elle avait appris au bout de nombreuses années à apprivoiser, et même à apprécier.
Son visage se ferma en même temps que ses yeux quand elle passa les douze répétitions. La musique dans son casque s’était coupée, mais ça ne la dérangeait pas outre mesure. Par de longues et lentes respirations, elle s’était concentrée sur son effort, laissant de côté la douleur pour ne plus laisser place qu’au plaisir un peu masochiste de sentir sa musculature se tendre et se relâcher à intervalles réguliers. Elle perdit finalement le compte après une vingtaine de répétitions, mais ne s’arrêta pas pour autant. Pas une émotion ne transparaissait sur son visage, malgré la souffrance qui l’envahissait. Une dernière...Et elle arrêta avant que ses jambes ne lâchent. Combien de fois avait-elle poussé cette presse ? Trente, quarante, cinquante ? Elle-même n’en savait rien. Un bref coup d’œil à ses cuisses lui prouva qu’elle avait bien travaillé, la vue de ses muscles saillants la remplissant de satisfaction. En se levant, elle lâcha un nouveau sourire à la dame en rouge.
« Au fait, moi c’est Automne. »