« Hmmm… Effectivement, je n’aurais jamais cru pouvoir en rencontrer une ici, dans les souterrains du Coucher de Lune, mais tu as eu raison de m’amener ici, Alastar.
- Tu ne devrais pas douter de mes talents, je l’ai perçu, et j’ai un peu enquêté sur elle. C’est la fille bâtarde d’une fugitive. »
En Enfer, on rencontrait beaucoup de créatures, et il y avait, globalement, deux grandes catégories de démons : ceux faisant partie du système, et qui rejoignaient, à ce titre, les Cercles Infernaux, et les autres, qui cherchaient à s’exclure du système. Les « fugitifs » étaient un terme générique désignant ceux cherchant à s’enfuir de l’Enfer par les Limbes, et qui tombaient sur les gardes, dont le terrible Cerbère. Cette petite furie qui se battait était l’une des engeances de Cerbère, une chienne infernale. La grande sœur d’Alastar, Onyxian (http://img95.xooimage.com/files/e/3/f/onyxian-4203fd3.jpg), avait retracé le destin de cette dernière en cherchant dans les archives.
Les enfants des fugitives ont pour père les cerbères, et sont des chiens démoniaques, terribles créatures, d’une intelligence souvent rudimentaire, et d’une sauvagerie excessive. Cinq chiens avaient été offerts à de puissants seigneurs, et Onyxian en avait entendu parler, car Asmodée, Grand-Prince de la Luxure, avait, précisément, reçu ce cadeau. Onyxian avait cru comprendre que ces cinq chiens étaient de terribles guerriers, et que les cinq Grands-Princes avaient envisagé, pour se divertir, mais surtout pour se quereller (car, entre les démons, tous les moyens étaient bons pour se provoquer), de les faire battre entre eux, dans un Tournoi démoniaque qui, pour le coup, aurait eu lieu au Palais Infernal, dans la demeure de Belzébuth, un endroit neutre, n’appartenant à aucun des Sept Cercles.
Cependant, plusieurs des chiens s’étaient enfuis, dont celui d’Asmodée, et Alastar, par pur hasard, en avait retrouvé une. Un pur hasard, en effet, car, quand il avait perçu l’odeur démoniaque et bestiale d’Edge, il était occupé à butiner une jeune cuisinière dans un recoin de l’auberge. L’odeur l’avait attiré, et il avait constaté que la chienne se battait dans des matchs illégaux organisés dans les souterrains de l’auberge. Le Diablotin avait alors décidé de prévenir sa grande sœur, la Matriarche du clan des Magoa, sa Onyxian.
La disparition des Chiens Infernaux avait toujours été une grande énigme, qui avait même donné sur une guerre entre plusieurs Légions, chaque Grand-Prince accusant l’autre d’avoir volé son familier. Une guerre qui était à relativiser, car, entre les Grands-Princes, il suffisait que l’un dise de l’autre, ou qu’on prétende qu’il ait dit sur un autre, une grossièreté, pour qu’une guerre éclate. En réalité, les Grands-Princes ne semblaient s’accorder en eux que sur le principe de dire qu’ils haïssaient les Anges, car, même au-delà de ça, il leur était déjà arrivé de se faire la guerre en n’arrivant pas à s’entendre, lors de négociations, sur la meilleure façon possible d’envahir les Cieux.
Quoi qu’il en soit, Onyxian savait qu’Asmodée serait ravi qu’on retrouve son familier, mais, au-delà même de ça, Onyxian se disait aussi que, pour asseoir son autorité, avoir une de ces bêtes serait très gratifiant.
« Ma parole, ce monstre est déchaîné, ce soir ! commenta un homme.
- C’est vrai ! D’habitude, elle est beaucoup moins agressive. Je me demande bien ce qu’elle a…
- Sûrement un manque de queue dans son con… »
La réalité était plus simple : la Chienne ressentait la présence de démons. Malgré leur sauvagerie et leur fureur, les Chiens Infernaux obéissaient fidèlement aux démons, même si, là encore, les théories variaient. Toujours est-il que, instinctivement, la Chienne ressentait la présence de ses maîtres.
Cependant, après son dernier exploit, plus aucun belligérant ne semblait vouloir se risquer.
« On combat des humains, pas des monstres ! Regardez cette bête !! »
L’organisateur, qui savait l’importance de ces paris, en prit note, et décida de passer à d’autres festivités.
« Très bien, braves gens ! Il est donc temps que notre petite Edge serve au combat de monstres ! Déplacez-là dans la Fosse !! »
Il y eut des hurlements de joie, tandis que des gardes en armure s’approchaient, ainsi qu’un dresseur, utilisant un collier spécial pour soumettre la chienne. Onyxian fronça les sourcils en reconnaissant la nature démoniaque de ce collier.
« Maudits humains voleurs… C’est l’un des colliers que nous utilisons pour contrôler nos familiers.
- Tu crois qu’ils apprécieront que nous la prenions ? demanda Alastar.
- Presque autant que cet homme qui a voulu te couper la queue quand il t’a surpris dans le lit de sa femme… Avec sa sœur et sa femme. »
Un sourire nostalgique éclaira les lèvres d’Alastar suite à ce souvenir. Qu’avait-il fait de mal, alors, si ce n’est soulager une jeune femme d’un mari passant bien trop de temps au boulot et au bar local ? Après tout, quitte à tromper son homme, autant le faire avec un démon, non ? Quoi qu’il en soit, l’action se déplaça rapidement, les soldats poussant Edge dans une sorte de chenil, qui la mena dans une autre pièce, une sorte de fosse avec des gradins, où les gens se déplacèrent, hurlant de joie.
« Chers Nexusiens, commençons en douceur, voulez-vous ? Voici cinq puissants loups que les chasseurs nexusiens ont capturé dans la forêt environnante ! Je vous laisse parier du nombre de temps que ces monstres tiendront face à notre Furie ! »
Les loups étaient dans des cages, des animaux furieux, à qui on avait injecté des drogues, leur inculquant la rage. Leurs yeux étaient injectés de sang, et Alastar, de son côté, pouvait voir qu’il y avait beaucoup de gardes. Certes, les démons pouvaient utiliser leur magie, mais c’était prendre le risque de violer le pacte avec les Anges, et voir ces derniers débarquer… Ou pire encore, des Inquisiteurs.
L’ambiance était électrique, et, au bout de quelques instants, les cages des loups s’ouvrirent, et les bêtes rugirent furieusement… Avant de charger la démone à la peau noire.
Le maître-dresseur d’Edge, simple Nexusien de son état, n’aurait jamais pu soupçonner les origines de cette puissante bête, qu’il avait toujours assimilé à une sorte de Terranide sauvage, similaire en ce sens à bien d’autres créatures qu’il avait éduqué. De toutes les bêtes dont il disposait, Edge était néanmoins sa préférée. La plus sauvage, la plus redoutable, incapable de s’entendre avec les autres bêtes… Un spectacle de choix pour le public. Cependant, il pouvait la voir devenir complètement furieuse contre les loups, ce qui l’interloqua. Le comportement de sa Edge n’était pas normale, elle n’avait jamais fait ça auparavant. Et le trouble du maître-dresseur s’accentua encore quand il la vit balancer des boules de feu. Elle serait donc capable d’utiliser la magie ?! Perturbé, il se pinça les lèvres, tandis que le public, lui, exultait de joie.
Le comportement sauvage d’Edge perturba même deux loups, le premier, le mâle-Alpha, cherchant à la soumettre sexuellement, et le second, en voyant sa meute réduite en cendres, s’inclinant respectueusement. Inutile d’espérer susciter la sympathie d’Edge. Son maître l’avait déjà vu énervée, à tel point qu’ils avaient dû la changer de cage une fois, car elle menaçait de briser les barreaux. Quand elle était dans une telle frénésie, il fallait être très prudent. L’un de ses assistants avait durement retenu la leçon, quand Edge l’avait mordue à la main, si fort qu’il avait fallu l’en amputer.
Et là, elle se rua alors sur les solides cages, faisant frémir ces dernières, le public commençant à passer des rires à l’inquiétude. Les barreaux seraient-ils suffisamment solides pour retenir cette chienne noire déchaînée ? Et, soudain, ils se rappelèrent alors des flammes que la femme pouvait lancer, et les personnes les plus proches commencèrent à tenter de se reculer.
Si personne ne comprenait ce qui se passait, Alastar et Onyxian, eux, comprenaient bien ce qui traversait la chienne. Elle les avait vus, et la présence des démons faisait ressortir son côté sauvage, une sauvagerie qui s’exprimait par une violence exacerbée, mais aussi, si on en croyait la légende, par la soumission. Car les chiennes étaient les filles de Cerbère, Gardien des Enfers, et Cerbère obéissait aux démons. Par principe, un Chien Infernal ne répondait qu’à un démon, et, une fois le Chien éduqué par ce démon, il n’obéissait même qu’à ce démon seul.
« Je ne sais pas si nous avons bien fait de venir…
- Oh, c’est un grand moment, ironisa Onyxian, le jour où mon petit-frère a peur d’une autre femme que sa sœur adorée…
- Les femmes ne cherchent généralement pas à me mordre…
- À qui veux-tu faire croire ça ? Tu les rends toutes folles, il suffit de voir comment Edge se comporte… »
Onyxian était amusée par la scène. Cependant, les Nexusiens qui organisaient la scène ne tardèrent pas à s’approcha rapidement, tenant dans leurs mains des armes d’hast avec, à leur pointe, des pointes électriques. De longues hallebardes, tandis qu’ils portaient des armures légères, et frappèrent le dos d’Edge, pour la forcer à se calmer. Un autre tenait le collier d’obsidienne entre ses mains, et le maître-dresseur était descendu, celui qui, pour soumettre Edge, avait utilisé des techniques de dressage les plus classiques : affamer la bête, et lui donner ensuite de la viande pour qu’elle s’identifie à lui. Il portait en ce moment un long fouet noir, une autre arme très efficace pour soumettre les bêtes sauvages.
« Calme-toi, Edge, je te l’ordonne ! » intima le maître-dresseur.
Dans les gradins, Onyxian ferma alors les yeux, et profita de ce moment pour une petite expérience, afin de voir si la légende était vraie, et si la Chienne leur obéissait, ou voulait juste vraiment les tuer. Ainsi, fermant les yeux, elle remua quelques doigts, et envoya un message télépathique dans l’esprit d’Edge, qui sonnerait comme un ordre.
*[MT] Tue ces humains qui ont cru pouvoir prendre la place de tes maîtres légitimes… Mais lui, ce dresseur, avant de le tuer, tu lui mangeras les couilles. Fais-le, et sache que tes maîtres légitimes t’ont enfin retrouvé, et que tu pourras reprendre ta place auprès de nous, ma puissante chienne. [/MT]*
Allait-elle obéir ? Onyxian n’avait pas la réponse à cette question, mais, si elle le faisait, ce serait la preuve que les vieilles histoires étaient vraies. Lui demander d’énucléer le maître-dresseur était, par ailleurs, pas tant un acte de cruauté, qu’un moyen de s’assurer qu’elle allait réellement effectuer ses ordres, et non juste tuer ces humains parce qu’ils la dérangeaient.
Mais ce serait aussi un spectacle fascinant à observer…