L'auberge du Coucher de Lune. Bien qu'elle fut l'auberge la plus connue de tout Nexus, Kyô n'y avait jamais posé un pied par le passé, et c'était en grande partie parce qu'il ne payait jamais son ardoise. Il évitait en effet les établissements populaires possédant des agents de sécurité pour limiter que ses créances n'engendrent un conflit violent duquel s'ensuivrait le décès de plusieurs innocents. En gros, qu'il ne provoque pas de baston générale et finisse par exploser l'auberge et les autres bâtiments alentours. Il avait profité de ses grands changements physiques pour éviter les soucis et faire comme les mortels, en utilisant leurs petits ronds de métal inutiles qui décident de la vie et de la mort. Ce qui emmerdait le plus notre divinité aux cheveux d'ébène en réalité, c'était que l'argent était aussi influent qu'un Dieu. Voire plus populaire encore.
Il était accoudé au comptoir, une chope de bonne cervoise fraiche comme on en fait plus sur Terre à la main. Tout comme sa chambre, il l'avait payée sans broncher avec de l'argent qu'il n'avait pas volé à un innocent mais bien en travaillant dur et honnêtement. Si autrefois il passait pour le bretteur qui avait marché pendant des jours au mépris des éléments, il était maintenant bien habillé, et il était venu en volant sous un beau soleil de printemps, de toute façon.
Cependant, aussi prestigieux cet établissement fut-il, il n'était pas à l'abri d'altercations violentes entrainant des dommages matériels considérables aux alentours. Ça se résumait tout simplement à maravage, mais Hadès lui avait collé plein de formulations à la con, en tant que technique pour faire fuir le glandu de base et le garde bas du front*. Et ainsi, pour une raison qui ne trouverait sans doute jamais d'explication logique et rationnelle, un type balança une chaise à la gueule d'un autre. Le lancer avait raté de façon maladroite, l'objet étant tombé sur la table plutôt que sur le type. Mais alors qu'on s'attendait à une intervention musclée du personnel de sécurité, l'homme s'est levé, et a collé un coup de bâton magistral à son pseudo-agresseur, faisant valser du mobilier comme il est de coutume lors d'une bonne vieille baston d'auberge. Kyô observait la scène comme un con: aucune réaction, tout est normal, les gardes se touchent la nouille? L'assemblée semblait subjuguée par le type aux cheveux verts, ou peut-être trop impressionnée par son tour de force surprenant. Le Dieu faisait une drôle de moue, et se tourna vers le tenancier:
"Juste pour savoir, si je balance mon tabouret dans les bouteilles derrière toi, que je fous le feu et que j'encule une serveuse sur le comptoir, ça va susciter une réaction?"
Bien sûr, c'était l'apanage des grandes villes que d'y trouver des mecs en mal d'attention qui ont besoin de jeter des objets pour qu'on s'occupe d'eux. Mais de là à ce qu'un mec en envoie un autre dans le coma sans que personne ne panique ou que la sécurité ne fasse rien, c'était plutôt fort. L'aubergiste secoua la tête comme pour s'en remettre, comme si Zeus lui-même s'était pointé pour poser une pêche dans son salon. Puis il adressa aux gardes un petit geste. Lesquels s'empressèrent de ramasser le type inconscient et de coller dans le caniveau. L'homme répondit enfin à Kyô:
"C'est juste que... Ce gars-là... Ben on dit qu'il avait déjà tué un dragon à mains nues!"
Le Dieu des Chagrins haussa un sourcil, faisant passer le moustachu bien bâti qui tenait l'établissement pour les dernier des enfants naïfs. Bien sûûûûûûr, et le père Noël a fait un strip-tease sur le marché aux esclaves! Le Dieu sans lignée répondit avec la belle verbe qui lui sied si bien:
"J'veux bien te croire... Si le dragon était en réalité un bébé iguane grippé! J'ai buté un dragon des glaces il y a deux jours, j'en fait pas tout un fromage!"
L'homme ne prit pas la peine de relever cet état de fait, parce que dans le doute, il le prenait encore pour un con. Autant se faire tout petit et hocher la tête en signe d'approbation, le regard fuyant. Kyô adressa ensuite à une serveuse terranide un demi-sourire et un regard qui signifiait qu'il voulait plonger dans son décolleté, mais ça n'avait pas vraiment d'importance, puisque dans l'immédiat il avait autre chose à foutre.
Il se leva donc, et alla s'asseoir à la table du délinquant juvénile aux yeux d’émeraude, sans rien demander et en raflant même la bouteille de rhum qu'on venait de lui apporter. Il préférait le boire en haute mer en s'incrustant sur un bateau pirate en pleine ripaille, mais bon. Il alla droit au but, en lui parlant comme s'il le connaissait depuis toujours:
"T'es un petit con puéril qui a besoin de montrer qu'il en a une paire, c'est ça? C'est ton pied de tabasser des inconnus? Ça t'amuse d'assommer un type sans penser au conséquences? Et si ce type était de la haute, hein? Si il engageait des tueurs pour te courir au cul juste pour ça? S'il m'embauchait pour te ramener auprès de lui, et te faire bouffer du verre pilé pendant que tu te fais saillir par sa monture, tu ferais quoi?"
Il but une gorgée de rhum, parce qu'une réplique au-dessus de deux lignes ça assèche la gorge**. Puis il sourit chaleureusement, comme quand on trouve un camarade de beuverie.
"T'es impulsif, j'aime ça. Moi c'est Kyô, et toi?"
Il lui tendit la bouteille, l'invitant à prendre une rasade de ce goûteux breuvage. Il était toujours agacé de voir que malgré son récent statut de Dieu majeur, il n'y avait toujours aucun éclat de voix lorsqu'il donnait son nom. Il faudrait qu'il accomplisse un truc classe comme ouvrir une boîte et répandre le mal sur le monde, ou donner un truc comme le feu aux Mortels... Pour l'instant, il en était juste à l'envoi d'un Fléau dont personne n'avait jamais entendu parler, et du meurtre de son propre enfant. Ce qui était moins connu, et moins vendeur. Lui qui avait pourtant sauté presque autant de nanas que Zeus.
*=Ce que moi-même je justifie par une envie de mettre des jolies phrases pour faire chier mon monde et jouer avec les italiques.
**= Ceci est un effet de style. Si si!