Le nouveau William Shakespeare ; ben tiens. T'as pas les chevilles qui enflent ?
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« changer d'air », une expression qui pouvait signifier et impliquer bien des choses... et en cacher beaucoup d'autres ! A en juger par les talents peu communs dont Azazel était capable de faire montre, sans compter son apparence pas banale qui laissait entrevoir un caractère bien particulier, les circonstances de son départ n'avaient pas dû être aussi paisibles qu'il l'aurait bien voulu. Quant à savoir leur teneur exacte, Hypocras était bon psychologue, mais pas télépathe pour autant, aussi ne pouvait-il en avoir au mieux qu'une idée bien floue, ce qui titilla vaguement sa curiosité sans qu'il se laissât pour autant aller à pousser la question plus avant. Tout le monde avait ses petits secrets et était en droit de les garder pour lui, lui le premier, aussi aurait-il été mal placé pour exiger de quelqu'un d'autre qu'il ne révélât que le vérité, rien que la vérité.
Le cheminement de ses pensées fut à ce moment interrompu par le son des pas du serveur décidément bien prompt à la tâche, lequel déposa les deux verres des consommations exigées avant de se fendre d'une légère courbette et de repartir comme il était venu. L'instant d'après fut alors l'occasion d'un moment de surprise pour le vieux satyre, qui vit son interlocuteur se jeter sur le champ sur sa consommation avec une promptitude qui n'eut rien à envier à celle d'un ivrogne en phase terminale d'abstinence. Déjà qu'il avait été légèrement étonné que le garçon se laissât tenter par quelque chose d'alcoolisé là où il l'aurait cru nettement plus enfant sage, il était désormais étonnant de le voir écluser avec tant d'ardeur ! Probablement, à en juger par la nervosité dont il faisait plus ou moins consciemment montre, cela avait-il à voir avec l'excitation qu'il avait à être en la présence d'une créature si exceptionnelle pour le commun des mortels.
Et justement, alors même que le rouquin sirotait sa consommation – une simple Hitachino comme on pouvait en trouver couramment dans les bars et supermarché japonais – le petit magicien aux cheveux lilas ne put s'empêcher, manifestement enhardi par l'influence roborative de sa liqueur, de lui demander sans ambages si d'autres êtres du même calibre que lui fréquentaient la bonne ville de Seikusu. Affichant en réponse un sourire matois tout en reposant posément sa boisson, il envisagea une fraction de seconde de le mener en bateau, puis se décida pour le parti contraire ; après tout, quel mal pouvait-il bien y avoir à satisfaire sa curiosité de toute évidence parfaitement innocente ?
« Messire faune ; comme tu y vas ! » Répondit-il avec un rire franc dénué de méchanceté, n'eusse-été que parce qu'il aurait été bien hypocrite de lui reprocher cette formulation quelque peu grandiloquente après l'avoir lui-même appelé « fils de l'ange ». « Et bien non mon garçon ; pas le premier, loin de là. Seikusu est peuplé d'une faune assez particulière et probablement plus nombreuse que tu te l'imagines. » Répondit-il en ponctuant ses propos d'une expression faciale mêlant confidence, amusement, et emphase.
Et oui, manieurs de pouvoirs en tous genres, créatures de mythes et de légendes, esprits étranges, voire divinités ; beaucoup étaient ceux qui échouaient plus ou moins volontairement à Sekusu, ou y faisaient l'escale, que ce fût depuis la mystique Terra ou depuis des lieux beaucoup plus terrestres... ou carrément bien autres ! Il était sans doute quelque peu imprudent de se laisser aller à des révélations de ce genre devant un gaillard aussi ingénu et qu'il connaissait si peu, mais Hypocras avait toujours été un désastre en matière de responsabilités, se lavant aisément les mains des problèmes des autres et fuyant autant que possible ses propres obligations. Ne se faisant donc guère de mouron quant à ce que son manque de discrétion pourrait entraîner, il demanda à son tour, sur un ton de conversation qui ne départissait pour autant pas d'une intensité marquante dans sa voix autant que dans son regard :
« Et pourquoi donc est-ce que tu me demandes ça au fait ? Mythologue acharné ? Ou est-ce qu'il y a des raisons plus personnelles ? »
Voilà qui aurait facilement pu laisser la place au timbre de l'accusation ou de l'interrogation inquisitrice, mais rien n'en était. Encore une fois, le satyre gaillard s'en tenait à une attitude cordiale, nourrissant un intérêt certes pas ardent mais néanmoins réel envers le jeune sorcier décidément bien mignon, se demandant de façon badine jusqu'à quel point pouvait aller l'ouverture d'esprit d'Azazel et son attraction pour ce qui sortait de l'ordinaire. Quoi qu'il en fût, il conservait une posture relaxée et détendue adaptée au lieu de détente dans lequel ils se trouvaient, ne paraissait nullement agité ou inquiet. Et en ce qui concerna la nouvelle manifestation des pouvoirs de l'angelot, qui se laissa voir dans le contenu de son verre, si le chèvre-pied la remarqua, il n'en laissa rien paraître, maintenant son attention sur son interlocuteur.