Le Grand Jeu

Plan de Terra => Les contrées du Chaos => Discussion démarrée par: Eyia le dimanche 10 novembre 2024, 17:38:55

Titre: Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le dimanche 10 novembre 2024, 17:38:55




- Elle te fait pas un peu peur, cette île ?
- C’est rien que de la terre et de la roche – de la bonne roche, tu verras.

Dans une légère brume blanche qui semblait respirer au rythme des mouvements des vagues venait d’apparaître la silhouette de l’île Petrichor, l’île principale d’un agrégat de morceaux épars de territoires perdus au milieu de la mer. Tout au long de leur traversée, ils étaient passés à côté de petites îles vertes accueillantes, de volcans endormis, de lagons et de leurs coraux qui se révélaient, à la faveur de la nuit, fluorescents. À présent, il était temps de débarquer au cœur de cet archipel, qui constituait le but de leur voyage – et cette perspective n’enchantait pas vraiment Basile.
Il n’avait jamais vraiment aimé la mer ; raison pour laquelle il avait choisi de devenir mineur. La terre et ses entrailles étaient, à ses yeux, bien plus rassurantes que cette étendue d’eau instable par nature. Après des années à la fréquenter, à la fouiller, à la posséder, il avait fini par si bien connaître la terre qu’il osait se vanter qu’il était capable de prédire le moindre de ses mouvements. En mer, en revanche, il avait l’impression constante d’être assis sur le dos d’un monstre dont les accès de violence étaient aussi imprévisibles que violents. Les îles étaient, de fait, des espaces qui l’inquiétaient - « trop de mer, pas assez de terre », comme il le répétait. Néanmoins, leur guilde avait besoin de se renouveler pour survivre ; en tant que juré*, il avait dû prendre sur lui pour prospecter sur ces lopins de terre perdus au milieu des flots. Alban, son bras droit, l’accompagnait. Bien moins superstitieux, il avait néanmoins l’œil aguerri par des années de labeur ; il « sentait » (comme il le disait) les terres et les roches prometteuses. C’est d’ailleurs lui qui avait suggéré de se rendre sur l’île de Petrichor. Si Basile se disait que ce n’était pas sans raison que cette île n’avait jamais été exploitée, Alban y voyait plutôt une forme de bêtise ou de paresse de la part des mineurs – aucune raison qui soit valable, donc.
« Petrichor – ça vient de petra, “pierre”, et de ichor, “sang” » avait glissé Alban à Basile au moment d’embarquer ; explication qui n’avait guère rassuré ce dernier. Plus ils approchaient, fendant la brume pour s’approcher d’une jungle sauvage d’où surgissait des pans de pierre noire, plus il avait envie de fuir.
Ce n’est donc pas sans émotion qu’il posa le pied sur le sable blanc de l’île.



Ma reine, on s’approche de moi.

C’est dans un sursaut que se réveilla Eyia. Le cœur battant, elle se redressa dans son lit, écartant vivement les draps qui – elle en avait l’impression – pesaient une tonne sur ses frêles épaules. Son regard agité balayait la pièce vide. La main posée sur le ventre, elle mit un temps avant de reprendre ses esprits ; son regard passa alors de perdu à noir. Quelqu’un avait osé s’approcher de son île, berceau de ses pierres.

- Venez, mes filles.

À peine ces mots furent-ils prononcés que deux ombres se matérialisèrent dans son champ de vision, l’une surgissant de l’ombre du rideau, et l’autre de celle de sa bibliothèque.

- Vous avez entendu, n’est-ce pas ?

Les deux ombres hochèrent la tête.

- Cela faisait longtemps, votre Majesté, que personne n’avait atteint Petrichor, souffla l’une d’entre elles.
- Ils sont bien incapables de retenir la moindre leçon, pesta Eyia.

Les poings serrés, elle mit un temps avant de réfréner sa colère.

- Qui peut bien vouloir retourner là-bas ? Pour quelle raison ?
- Nous vous apportons ces réponses, ma Reine.

Un mouvement de tête de la part d’Eyia et les deux ombres s’exécutèrent. Disparaissant de la chambre de leur souveraine…

… Elles surgirent des ombres que dessinaient les roches que Basile et Adam, aidés de quelques apprentis, scrutaient avec autant d’attention que d’enthousiasme. Ils venaient d’entrer dans une caverne - « trop bien creusée pour que ce soit l’œuvre de la nature » avait remarqué Basile – et, à la lueur de leurs lampes, ils s’y enfonçaient peu à peu.  De retour sous terre, Basile se sentait rassuré ; il était ici en territoire conquis. Au fur et à mesure de leur avancée dans le souterrain qui prolongeait la caverne, il partageaient de plus en plus l’enthousiasme d’Alban : les roches étaient prometteuses, et on pourrait, il en était sûr, extraire des minerais d’une qualité rare. Les deux hommes se voyaient déjà rentrer à Meisa, les bras chargés des échantillons de roches que leur apprentis récupéraient dans des gestes encore maladroits. Tout en marchant, ils planifiaient leur installation prochaine sur l’île. Les membres de la guilde n’auraient plus rien à craindre pendant un moment ; ils en étaient persuadés.

Pourtant, c’est un bateau vide aux voiles déchirées et aux mâts brisés qui rentra dans le port de Meisa une dizaine de jours après leur départ. Cet évènement avait fait grand bruit ; certains racontaient qu’ils avaient vu, sur le pont, des ombres de forme humaine bouger ; l’une d’elles, disait-on, avait même fait un signe de la main à la femme de Basile qui, ce jour-là, se promenait sur le port. La pauvre en avait perdu la tête ; morte d’inquiétude, elle n’osait plus rentrer chez elle et passait des heures à faire face à ce navire fantôme que personne n’osait vraiment approcher.






* Les jurés d’une guilde sont choisis parmi les maîtres et les patrons qui la composent pour en être les représentants.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le mardi 12 novembre 2024, 07:07:52
– Ah, mon Roi ! Mon mari, mon pauvre mari !

Madame de Granpré était une militaire de carrière, une femme qui, selon ses supérieurs, n’avait ni le mot pour se plaindre ni le cœur à pleurer, mais la perte de Basile, son mari, l’avait grandement ébranlée. À genoux sur le sol, elle serrait dans ses poings les pans de la royale robe de son souverain, y versant des larmes nombreuses et des sanglots insistants.

Voilà maintenant deux jours que l’embarcation qui avait transporté son mari vers des terres inexplorées étaient revenue à port abandonnée, hormis les rumeurs de fantômes, d’ombre mouvantes, quelque chose que Serenos ne pouvait voir autrement que comme une téméraire provocation, car s’en prendre au peuple du maître des Trois Royaumes était s’en prendre au serment que le Roi fît à sa défunte épouse, et à ce titre, il tenait de répondre à ce geste par des conséquences sévères et immédiates.

Derrière Madame de Granpré, les collègues du juré de la Guilde Minière de Jerali du Val, les mains jointes en signe de supplication, prêtaient leur voix à celle de l’épouse anéantie, car sans Basile, la Guilde et ses employées ne pouvaient espérer reprendre les affaires, et les prêts étaient grands et nombreux, menaçant la fin des opérations et l’emprisonnement des propriétaires pour dettes impayées.

Il n’était pas normalement du ressors du Roi de s’occuper des affaires des guildes. Celles-ci, souvent, tissaient des liens importants avec non seulement les autres guildes, mais également des groupes de Nomades, des aventuriers expérimentés. Seulement, personne, pas même un aventurier, n’accepterait de se lancer dans une entreprise dangereuse dans une terre éloignée sans une somme conséquente, et même là, devant une menace apparemment magique, la plupart s’y refuseraient tout simplement. Cela voulait donc dire que sans l’intervention du Roi, les jurés seraient probablement abandonnés à leur sort.

– Cessez donc vos larmes, madame de Granpré, dit le Roi en posant une main sur sa tête. Votre désespoir a été entendu, et j’y répondrai.

Le Roi tourna la tête vers sa droite, et son regard y croisa celui de son intendante.

– Faites prévenir Aldericht. Je veux également la présence de Laurelian.

– Sire, est-ce bien prudent ? La princesse est…

– Allons, allons, Ygraine, l’interrompit le souverain sur le champ pour étouffer ses protestations. Il est bien temps pour elle de voir autre chose que les murs de ce palais. Et puis, je ne puis m’aventurer hors de Meisa sans prendre avec moi quelque mesure pour me protéger d’un maléfice, n’est-ce pas ? Non. Point ne sert de protester ; faites les chercher. Je veux également ma garde royale et qu’on fasse préparer mon navire. Je partirai pour Petrichor dans l’après-midi.

– Et s’il y a bien une menace, sire ?

– Ma foi, si une menace m’y attends, il ferait beau voir que je m’en dérobe. Voilà trop longtemps que je vis de paix et d’oisiveté. Un peu d’action, même si ce n’est celle de l’épée, me fera le plus grand bien. De toute façon, l’affaire est décidée, et le cas échéant, un nouveau souverain ou régent sera mis sur place avant même que les nouvelles de ma mort ne rejoignent des oreilles mal intentionnées.

– Sire, je trouve votre désinvolture des plus déconcertantes devant les affaires moribondes. Je serais bien mal de vous perdre. S’il vous plait, reconsidérez la chose, et envoyez vos hommes, pas votre personne.

Madame l’Intendante était trop bonne pour le Roi. Une femme telle qu’il n’y en avait pas beaucoup, et dont le Roi avait appris à respecter non seulement l’opinion mais également les inquiétudes ; s’il voyait son sourcil froncé, c’est qu’il y avait surement cause, mais le Roi, une fois fusse l’idée dans sa tête, ne pouvait pas être aisément dissuadé. Toujours est-il que madame l’Intendante ne pouvait pas simplement laisser son patron et ami risquer sa vie sans au moins laisser savoir son opposition. C’était, après tout, ce pour quoi l’on payait ses services, en plus de gérer les domestiques, la garde et la trésorerie du palais.

– Je vous remercie de votre bienveillance, mon amie, l’assura le Roi en posant une main sur l’épaule d’Ygraine. Mais je vous assure que le danger est assurément moindre que vous le craignez, et quand bien même un certain risque était à prendre, avec Laurelian à mes côtés, point de menace ne me prendra dépourvu.

Après tout, si Serenos n’avait pas la prévoyance requise pour contrer le danger qui avait pris ce pauvre Basile de Granpré, il pouvait compter sur celle de la jeune pythie de Meisa, dont le futur ne recelait que bien peu de secrets.

Trois jours plus tard, les voiles du grand navire de guerre du Roi de Meisa jetèrent leur ombre sur l’ile, et le Roi de Meisa, fort de la présence de sa fille et de son fils, ainsi que de celle de ses cent gardes royaux, posa le pied sur Petrichor.

À son œil avisé, il y avait effectivement quelque chose dans l’air. Quelque chose de froid, silencieux et pourtant menaçant. Même ses sens magiques s’en retrouvaient quelque peu déstabilisés, comme l’ouïe sous l’eau.

Laurelian fut cependant la première à réagir à cette instabilité. Comme intimidée, elle fit un pas en arrière, serrant ses bras dans ses mains, prise d’un frisson de malaise.

– Qu’y a-t-il, ma sœur ? demanda le Prince Aldericht en l’enveloppant doucement d’un bras. Que voyez-vous ?

Elle nous voit. Elle sait que nous sommes ici.

– Bien ! dit Serenos, secouant la tête comme pour chasser la sensation d’embrouille qui voilait son esprit.

Le regard de Laurelian se leva alors vers le souverain, son père tant détesté, ce tueur d’hommes dont les milliers de victime s’accrochaient à l’âme comme à un bout de bois dans une mer tourmentée.

– Nous devrions repartir…

Mais Serenos n’écoutait pas. Plutôt que de reconnaître l’avertissement censé de sa fille, il donna l’ordre à ses hommes d’avancer.

Aldericht resserra doucement son bras sur elle, et lui murmura quelque réconfort à l’oreille qui, bien qu’aidant la princesse à se détendre, ne sembla pas la débarrasser de ses appréhensions, et jetant des coups d’œil dans toutes les directions, elle semblait prête à prendre les jambes à son coup au moindre son suspect.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le mardi 12 novembre 2024, 17:52:17
Le temps s’était écoulé – calmement.

Après avoir envoyé ses ombres régler le problème que posaient les mineurs, Eyia avait pris du bon temps, enfin rassurée ; personne n’était plus sur son île (enfin, du moins, personne d’encore vivant). Ses pierres ne risquaient donc plus rien.

Quelle ne fut pas sa déception – et sa rage – quand, quelques jours plus tard, elle fut réveillée par cette même sensation d’écrasement. Elle ne mit que peu de temps à faire le lien avec Petrichor ; chaque pas étranger sur cette île lui donnait l’impression que l’on foulait du pieds son propre ventre. C’est pour calmer la colère qui remontait en elle avec fracas qu’elle appela à elle ses ombres afin qu’elles l’apaisent. Au cours de cette petite éternité qui était la sienne, elle avait bien appris au moins une chose : s’il était nécessaire d’écouter sa colère, cette dernière ne devenait pleinement audible qu’une fois passée sa tempête.

C’est donc après une petite heure à se faire masser par ses ombres qu’Eyia put enfin remettre ses idées en place. Sa première réaction fut de pester :

- Vous savez quel est le problème avec ces êtres inférieurs ? Ils ne savent plus interpréter les signes.

Eyia n’était pas une de ces déesses « traditionnaliste » – pour reprendre ses propres termes – et se foutait globalement des vieux rituels, des cultes ancestraux, des prêtresses et autres thaumaturges, et même parfois des autres déités. Ce n’était que dans le cadre de grandes occasions au cours desquelles sa présence était requise qu’elle ne retournait auprès de ses congénères. L’idée qu’elle se faisait de la vie idéale ne reposait pas sur l’entretien d’une religion par une foule de croyants zélés. Nul besoin d’un temple, ni même de sacrifices : elle vivait sa meilleure vie ici, dans ce manoir, avec pour seule compagnie ses ombres, à veiller sur ses pierres et à s’amuser.

En peu de mots : elle ne regrettait les vieilles traditions que quand ça l’arrangeait.

C’est d’ailleurs cette distance qu’elle avait prise peu à peu avec tout l’appareil cultuel et surnaturel qui l’empêcha de repérer la présence de Laurelian – du moins, de réellement la repérer. Elle avait bien senti que, dans cet amas d’êtres vivants qui venaient de débarquer chez elle, il y avait quelque chose d’étrange – enfin, quelqu’un, comme une présence enveloppée d’une aura indistincte qu’elle ne parvenait pas encore à identifier clairement. « Merde, mais je reconnais ça ». Les sourcils froncés, le visage serré entre ses doigts, elle mit un temps à remettre sa mémoire en place.

Quand elle réussit à mettre le doigt sur les bons souvenirs, un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres d’un rouge qui n’était pas sans rappeler la couleur du sang.

- Une pythie.

L’ombre qui s’appliquait à masser ses épaules marqua un temps d’arrêt.

- Je vous demande pardon, ma Reine ?
- Ils ont une pythie.

La souveraine se détendit lentement, intimant à son ombre de continuer son massage avant de reprendre la parole d’une voix calme :

- Cela faisait si longtemps que je n’avais pas vu de pythie. Souvenez-vous de ces femmes. Vous vous souvenez, n’est-ce pas ? Ces êtres inférieurs, ils ne savent pas toujours très bien nous sentir. Ils nous entendent à peine – aussi faut-il toujours faire tonner l’orage, bousculer leur petit monde avec une tempête, pour qu’ils daignent comprendre que nous nous adressons à eux. Mais elles, elles perçoivent jusqu’à nos murmures, jusqu’à nos intentions quelquefois.

À cette pensée, elle eut un petit rire.

- Les pauvres petites.

À la suite de ces deux petits mots, son sourire se retraça sur son visage, à une nuance prés : il avait gagné en cruauté.
Les ombres savaient à quoi s’en tenir : dans le passé, Eyia s’était souvent et longtemps amusée à torturer de pauvres prophétesses, si bien que plus aucun « être inférieur » – comme elle les appelait – n’avait osé entrer en contact avec elle (ce qui, par ailleurs, arrangeait bien la déesse). Certes, quelques téméraires avaient cherché à le faire, sacrifiant quelques femmes pour cela ; mais ils l’avaient amèrement regretté. C’était la raison pour laquelle aucune pythie ne reconnaissait la voix d’Eyia, sinon par contraste ; les plus malignes comprenaient vite d’où venait cette voix glacée qu’elles n’avaient jamais entendue d’elles-mêmes, mais dont on leur avait parlé – souvent à voix basse, d’un ton inquiet, le regard fuyant et agité, comme on parlait, en somme, d’une malédiction.
La déesse ferma ses paupières, et ne prit que quelques secondes avant de s’approcher de Laurelian –  pas physiquement parlant, bien entendu, mais la jeune femme put entendre avec beaucoup de clarté, comme si la déesse se penchait à son oreille pour le lui murmurer, d’un ton froid et péremptoire :

Vous n’avez rien à faire ici.

Il serait idiot de croire qu’elle s’arrêterait à ces quelques mots. Après un temps de pause – pour ménager un peu de suspens – elle reprit, dans un sourire cette fois :

Je sais que tu m’entends, petite fille – et tu sais (car tu es la seule à le sentir) que vous êtes ici chez moi. Vous n’êtes donc pas à votre place. Et sais-tu ce qui arrive aux êtres comme vous, ceux qui oublient le respect qu’ils doivent à leurs dieux ?

Ce que Laurelian put entendre ensuite ? Ce furent les cris de détresse de Basile, Alban et leurs apprentis,  comme s’ils étaient là, juste à côté d’elle, en train de la supplier de leur venir en aide, de les épargner – et, finalement, d’abréger leurs souffrances.
Ce petit supplice dura un temps, avant que la souveraine n’y mette fin pour lui souffler :

Partez – ou vous connaîtrez le même sort.



Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le mardi 12 novembre 2024, 19:05:34
Le cri strident de la Pythie, dont la présence de la Reine des Pierres était à son esprit ce que le fer rouge était à la peau, déchira l’air tendu, ses mains frêles se pressant contre sa tête alors qu’elle tombait sur les genoux et se recroquevillait au sol. Elle hurlait avec une telle force et un tel abandon que sa voix se brisa de multiples fois, et ses doigts creusèrent ses joues, et elle se frappa violemment la tête d’un poing, dans un vain espoir d’échapper.

Pris au dépourvu devant la soudaine explosion de la princesse, les gardes royaux se mirent immédiatement en position défensive, écus et glaive levé, alors que le Roi de Meisa rebroussait chemin et, d’un pas si empressé qu’il sembla presque voler, réduit à néant la distance qui le séparait de sa fille. Alors qu’Aldericht lui agrippait les mains pour l’empêcher de se faire plus de mal ou de frapper autrui, les mains du Roi força la princesse à lever la tête, et à croiser son regard. À travers les larmes, il vit son regard paniqué et remplis de douleur. Malgré la prévenance d’Aldericht, la princesse parvint à flanquer des coups de pieds à son père méprisé, comme si le blesser, lui, pouvait convaincre la source de sa souffrance d’y mettre fin.

Coinçant les jambes de la princesse sous un bras, le Roi se pencha sur elle de nouveau et tendit l’oreille. Le pouvoir, la sensibilité mystérieuse de la Pythie, dont le sang ashansha surpassait de loin le sien, mais il avait vécu assez longtemps près de Melisende pour savoir que cette sensibilité avait quelque moyen de se transmettre à un autre. En concentrant tout ce qu’il avait d’attention sur la voix de sa fille, Serenos perçut autre chose. Une autre voix, comme cachée sous les hurlements. Par la voix et la bouche de la pythie, quelque chose d’autre s’exprima, quelque chose qui n’était pas sans rappeler les haut-esprits de sa terre natale ou même les Vestiges qui la hantait.

La chose, quelle qu’elle soit, leur intima le départ, non sans leur transmettre quelque nouvelles des jurés de la guilde par le biais d’un hurlement terrifiant, et devant la douleur physique et mentale que sa fille subissait, le Roi l’attrappa et murmura quelque formule.

L’instant d’après, la douleur et la voix de la princesse se turent, et elle se laissa mollement tomber contre Aldericht.

– Mon bon père, dit celui-ci en se relevant, il m’est avis que le maître des lieux n’apprécie guère les visiteurs.

– Sans l’ombre d’un doute, confirma Serenos en faisant de même, mais ainsi sont la plupart des créatures solitaires, qu’ils soient humains ou non. La diplomatie leur est étrangère, et donc ils ont recours à l’intimidation et à la peur.

– Vous parlez de vous, père.

– Indubitablement, mon fils, acquiesça le Roi.

Loin de Meisa et du réseau de glyphes et runes qui contribuaient à amplifier sa sensibilité, Serenos n’était certainement pas au sommet de sa puissance, ce qui le rendait donc beaucoup plus vulnérables à des adversaires plus puissants que lui. Mais les pierres résonnaient de magie en ces lieux. L’ile elle-même transpirait la vie, et il pouvait presque sentir son regard outré peser sur lui.

Le Roi ferma les yeux puis posa une main sur le sol de sable, et sentit, à travers ce simple contact, une étrange chaleur, comme s’il se tenait lui-même debout sur le corps d’un être vivant.

Selon ses précepteurs, il y avait différentes façons de se montrer diplomate avec une force hostile ; soit en lui démontrant une politesse et une soumission excessive, soit en lui apportant quelque cadeau que ce soit, ou alors en lui adressant la même force d’intimidation qu’elle exerçait sur eux, pour montrer qu’il y avait des conséquences à leur mauvais traitement. Les deux premières options étant impossible, dans un premier temps parce que son adversaire ne s’était pas présenté à lui, et dans un second parce qu’il ne savait pas qu’un cadeau serait nécessaire, il n’en eut pas préparé un, il lui restait donc la troisième, et Serenos savait comment agacer ;

Il plongea son bras dans le sable et, drainant l’abondante énergie qu’il ressentait sur l’île elle-même, il la déchargea dans son entièreté dans le sol, dans chaque crevasse, dans chaque recoins de l’île. Si la créature était assez puissante pour causer une telle souffrance à la pythie sans même se manifester physiquement, cela n’était rien de plus que la morsure d’un petit animal. Pas assez, estimait-il, pour sérieusement blesser son interlocutrice, si elle était, comme il le supposait, la source de cette magie qu’il sentait partout autour de lui, mais suffisamment pour au moins lui démontrer qu’il était inflexible et qu’elle ne l’intimiderait pas aussi aisément.

Il se redressa alors et s’avança, seul, vers le cœur de la forêt, comme défiant l’entité de se montrer.

– Je suis Serenos Aeslingr, rugit le souverain, d’une voix claire, forte et prenant bien soin d’articuler ses mots. Maître des Trois Royaumes d’Ayshanra. Nous avons foulé vos terres sans votre permission ; vous m’avez fait affront en enlevant mes citoyens. Vous vous êtes manifesté à ma pythie, j’ai laissé ma marque sur votre domaine. Nous pouvons continuer cet échange frustrant, ou vous pouvez m’accorder audience. Le choix est vôtre, esprit de l’île.

Paraître pompeux, frôlant l'arrogance, était une tactique habituelle du Roi, surtout lorsqu'il rencontrait des souverains étrangers ou des créatures qui, souvent avec raison, se percevaient comme au-dessus de leur interlocuteur.  Ceux-ci réagissaient plus souvent aux provocations qu'aux requêtes polies, car les provocations touchaient l'orgueil, alors que les requêtes le flattaient. C'était d'ailleurs en partie en raison de cette attitude devant des dangers énormes que le Roi avait gagné son titre de Roi Fou.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le mercredi 13 novembre 2024, 11:01:15
Ah, comme cela l’amusait, de torturer des prophétesses. Eyia avait savouré, dans un léger rire frissonnant, les cris de douleur de Laurelian. Elle avait presque oublié ce petit bonheur qu’offrait une cruauté satisfaite ; ça lui donnait comme une envie de recommencer. Alors que la déesse se penchait à nouveau sur la Pythie, elle eut la déception de constater que celle-ci était éteinte, inaccessible – probablement protégée par un sortilège ou évanouie. « J’en ai connu des plus résistantes ».
Néanmoins, la déesse restait attentive à ce qui se tramait sur son île, à peu près certaine que les émois de la prophétesse ne seraient pas suffisants pour faire dégager tout ce beau monde. Au fil des décennies, elle avait pu le constater elle-même : ces individus n’écoutaient qu’à moitié les oracles. On ne comptait plus, au banquet des déités, les anecdotes qui prenaient leur source dans une prophétie négligée ou dans la tentative malheureuse d’un humain de la contrer. Alors que, la tête basse, les épaules détendues, elle profitait des lents frissons du massage que lui prodiguait son ombre, elle se rapprocha à nouveau de l’île.

Et c’est là qu’elle le sentit.

Sa tête se redressa violemment, et ses yeux s’écarquillèrent. Une colère noire bouillonnait dans ses pupilles ; c’est ce que l’ombre qui lui faisait face pu constater. Cette dernière voulut avoir un geste tendre pour sa souveraine, et porta la main à ce visage froissé par la rage ; d’un froncement de sourcils, Eyia arrêta son geste.

Elle l’avait senti dans les tréfonds de sa chair : comme une petite morsure sur sa taille. Rien qu’une « petite morsure », me direz-vous ? Allons, nous parlons d’une reine éternelle, ajouteriez-vous ensuite. Pour quelqu’un comme Eyia, c’était déjà de trop.
Dans son dos, l’ombre avait cessé de la masser ; elle aussi avait senti la décharge, et savait ce que cela signifiait.

- Un putain de mage ? Sur mon île ? Chez moi ?

Les deux derniers mots avaient été prononcés sur un ton enragé, enrobé de cette tonalité d’outre-tombe qui caractérisait la voix en colère d’Eyia : une voix grave, qui frappe à la gorge et au ventre.
Par le mot « mage », elle désignait de façon très générale quiconque maîtrisait la magie avec suffisamment d’expertise pour l’atteindre ; sinon, ils étaient surnommés « petits sorciers de merde » ou autres surnoms affectueux du genre. Il n’était pas difficile de deviner que la déesse ne les portait pas spécialement dans son cœur : parce qu’ils avaient la possibilité de lui répondre, de vraiment l’emmerder, elle ponctuait toute mention d’un mage par « Raaaaaah » ou un « Aaaaargl » qui traduisait mieux que n’importe quel mot son désamour pour eux.

La déesse posa sa main sur sa taille ; la sensation de morsure irradiait encore.

- Il vient de marquer mon île.

Les ombres poussèrent un même soupir indigné ; loyales et respectueuses envers leur souveraine, elles étaient sincèrement choquées d’apprendre qu’on osait la défier.
Se levant de son lit, le corps enveloppé d’un des drap, Eyia avança lentement dans la pièce, attentive aux moindres évènements, les sourcils toujours aussi froncés, les yeux toujours aussi noirs. C’est alors qu’elle entendit les paroles de cet homme ; paroles qui la laissèrent aussi perplexe qu’outrée.

- Une audience, souffla-t-elle à l’intention de ses ombres. Il veut une audience.
- Comme s’il l’avait méritée, répondit l’une d’elles.
- Mais quel affront ! s’exclama une autre.
- Pour qui se prend-il ? renchérit une troisième.

La souveraine leur répondit avec un franc sourire. Aucune compagnie ne valait la leur ; chaque jour en était la confirmation. Elle se rapprocha du lit, sur lequel elle s’allongea à nouveau, prenant le visage de l’une d’elles dans ses mains.

- Voilà ce que nous allons faire. Vous trois, là, vous allez rester ici, avec moi, dans ce lit, car votre reine a besoin de vos caresses pour se détendre. Quant aux autres – j’ai besoin de huit d’entre vous.

À ces paroles, huit ombres se matérialisèrent aux pieds de son lit.

- Vous, vous irez dans cette grotte – car ils vont finir par y aller. J’espère que vous allez laissé comme tels les corps de nos chers petits mineurs ; ainsi, ils verront ce qu’ils n’ont pas su entendre. Ils le verront tous. Ils verront leurs corps démembrés, leurs traits terrifiés sur ce qu’il reste de leur visage, les ongles qui ont gratté la terre et les dents qui se sont brisées sur les rochers. Soyez sûres, mes filles, que cela ne les arrêtera pas – car ils avanceront, je le sais. Un homme aussi sensible à la puissance magique de cette île ne pourra qu’être attiré par ce qui dort dans le ventre de cette montagne.

Elle marqua un temps de pause, le temps de savourer les baisers de son ombre qui s’échouaient dans sa nuque ; puis elle reprit :

- Et c’est là, alors qu’ils progresseront, que vous ferez ce que vous faites de mieux : terrifiez-les. Touchez-les, griffez-les ; murmurez ou criez à leurs oreilles ; proférez des menaces acérées ; faites tomber des roches ; apparaissez, puis disparaissez – peu importe. Je veux qu’ils aient peur. Je veux qu'ils crèvent de peur.
- Et lui, ma Reine ? Celui qui a osé vous toucher ?
- Lui n’aura pas peur. Si vous voulez essayer de l'effrayer, allez-y, mais ne vous faites pas trop d'illusions. Et surtout, méfiez-vous de lui ; s’il a su m’atteindre, il saura en attraper une de vous. Or, vous savez ce que cela signifie.

Les ombres hochèrent la tête, puis s’évaporèrent.

Sur l’île, Serenos ne put que constater que les choses s’étaient comme calmées, comme si la déesse s'était enfuie, comme si elle les avait laissés tranquille après l'intervention de Serenos - comme si le cœur battant de l’île, ce cœur animé par une magie aussi sombre que divine, s’était déplacé. Il palpitait à présent, frénétiquement, sous la roche de la montagne.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le mercredi 13 novembre 2024, 22:32:14
– Est-ce parti, mon Roi des Rois ? demanda l’un de ses gardes, toujours à l’affût, ses muscles bandés et le cœur battant

– Parti ? Non, j’en doute, dit Serenos en croisant les bras. Je ne vais pas trop m’avancer dans mes suppositions, mais si cette chose concèderait volontiers cette île après un petit échange de politesse, elle n’aurait pas attaqué de simples prospecteurs, Mais ça a changé de stratégie. Aussi calme fusse l’air, et silencieuse la terre, je crois, dans mon fort des forts, qu’elle a de nombreuses méthodes pour nous accabler. Allons, mes braves messieurs, mes braves dames ; marchons, mais restons alertes.

Il allait faire un pas quand la main d’Aldericht se posa sur son épaule, ses doigts si crispés et forts que le Roi crut que son fils cherchât à lui briser les os, et le tira vers l’arrière, attirant le regard de son père vers son œil doré et son visage, si beau et pourtant, à ce moment, si terrible.

– Qu’en est-il de Laurelian, père ? siffla-t-il entre ses dents. Qu’en est-il de ma sœur, votre fille ?

Ah, si le visage du Roi reflétait aussi aisément sa pensée, sûrement son fils y aurait déchainé sa rage en raison de l’incertitude qui y aurait régné. Le Roi n’avait aucun intérêt à sacrifier ou mettre la vie de sa fille en danger, mais sachant ce qu’eux deux savaient sur la fatalité qui s’abattrait sur eux, cette même destinée qui, malgré leurs efforts d’éloignement, les ramenait toujours l’un vers l’autre, mais pour cette même raison, il n’avait aucun doute que même la mort n’empêcherait pas ce triste avenir. Ce que la pythie avait prévu pour eux, après tout, semblait être le destin le plus immuable de toute l’histoire de l’art de la prophétie.

– Tu es magicien comme moi, fils. Point n’as-tu besoin de moi pour dire son état. Elle n’est point en douleur, ni capable de la ressentir. Je suis désolé, mais la laisser sur le navire est trop dangereux – même avec une escorte, que sais-je de ce que ce haut-esprit est capable de faire sur son domaine. Hélas, maintenant, deux options s’offrent à nous ; abandonner notre mission et rentrer, ou continuer, lequel cas, mon fils, j’aurai besoin de ton fin esprit.

Une fureur muette déforma momentanément le visage du second Prince de Meisa, mais fut rapidement remplacé par un air de lassitude, alors qu’il soulevait la princesse de terre et la posait dans les bras du Lancier-Maître Lys, qui la recueillit avec la délicatesse d’une mère pour son poupon, mais sans dire un mot.

Le prince de Meisa plongea une main dans sa poche et en tira une petite pierre ronde et lisse, qu’il porta à ses lèvres avant de murmurer des phrases, puis il se tourna vers sa sœur et fit passer la pierre autour d’elle, frôlant sa tête, avant de se tourner vers l’île et tendre la main.

La pierre quitta la paume de sa main, et, les mains dans les poches, le prince s’avança, suivant son artéfact dans la direction où il s’avançait, suivi par son père, et la garde royale, tous dans un silence gêné, comme si un mot pourrait déclencher une dispute dont ils ne reviendraient pas.

Alors qu’ils s’avançaient vers les profondeurs de l’île, grimpant laborieusement une colline qui semblait être les restants abandonnés d’un volcan mort depuis des millénaires. Serenos avait confiance en les talents magiques de son héritier, mais parfois, même la plus puissante des magies ou le sort le plus élaboré pouvait faillir. Or, il ne restait plus qu’à écouter ses sens et son expérience.

Badump.

Qu’est-ce ?

Badump.

Ah.

Badump.

Oui. Voilà ce qu’il voulait entendre ; une autre provocation. Bien peu d’émotions subsistaient encore dans le cœur massacré du Roi, mais au-delà de l’appel de l’honneur à réparer l’affront qu’il lui avait été fait et le crime commis contre son peuple, au-delà même de sa souveraine dignité, il réagissait encore plus à l’excitation d’une confrontation imminente. Comme le damné réclamait son opium, Serenos ne pouvait attendre de confronter cette créature, cette tueuse.

– Père.

La main d’Aldericht, encore une fois sur son épaule, arracha le Roi à ses pensées.

– Vous souriez, mon père.

– Vraiment ? se surprit le Roi, s’efforçant de corriger son expression faciale.

– Peut-être devrions-nous renoncer. J’ai peur de ce que cette île commence à éveiller en vous.

– Point ! s’exclama le Roi, qui baissa immédiatement la voix au regard surpris de son fils. Point, tout va bien. Je vais bien.

– Si vous le dites, mon père…

La méfiance dans son accent n’échappa aucunement au Roi, qui s’efforça de garder une renne ferme sur la flamme que le danger semblait raviver en lui. Plus il s’approchait du son pulsateur, cependant, plus son propre cœur s’emballait, et il n’attendait pas moins qu’une intense résistance. Ah, comme il l’attendait.

Deux heures de marche plus tard, et ils se retrouvèrent devant une petite installation minière. Rien de bien élaboré, seulement quelque équipement pour un prélèvement rapide, histoire de prouver à un investisseur que leur argent sera rentabilisé, et avoir quelque financement pour une opération de plus grande envergure.

Serenos regarda le tunnel sombre devant lui, et regarda son fils.

– Restez dehors, ne me suivez pas. Aldericht, mon fils, mon prince, je te charge de protéger ces braves gens.

– Père…

– La nuit va tomber bientôt, dit le Roi en pointant le ciel d’un index. Et en Meisa, nous avons dominé les ombres et la nuit, mais en ces lieux, qui sait ce que la nuit renferme. Alors… reste sur tes gardes.

Il s’approcha de son enfant, glissant une main dans ses cheveux noirs comme les siens, et lui baissa la tête pour embrasser son front.

– Nos aïeux veillent sur toi, mon enfant.

Et sans attendre un instant de plus, Serenos se tourna vers la grotte et retira sa cape, son manteau, son plastron et la cotte de maille cachée en dessous, se retrouvant donc torse nu. Une armure ne le protègerait jamais d’une créature magique, de cela il était bien convaincu.

La grotte était sombre, mais des filaments lumineux, comme des veines de minerai, éclairaient son chemin, le laissant distinguer son environnement, ou du moins une partie. Et il n’eut pas attendre longtemps. Quelque chose bougea dans l’ombre, et le mouvement filait droit vers sa poitrine. Il leva un bras et d’un geste puissant et calculé dévia la lance d’ombre.

– Ma reine te salue, mortel, ricana la créature dans l’ombre.

Serenos leva sa lame, et para un coup, puis une estoc, une feinte sur la droite passant de sa jambe à son visage, puis un impact soudain sur le côté, avec la force d’impact d’un coup de lutteur, qui le souleva presque du sol, qu’il absorba du bras et d’un saut dans la direction de l’impact, minimisant celui-ci.

Au début, il dénota une seule ombre, puis se joignit à ses rires et ses tourmentes la voix d’une deuxième, d’une troisième, quatrième. Serenos était encerclé, de toute part, par les ténèbres, et dans les ténèbres, ces créatures étaient maîtresses.

Les coups se multiplièrent, et bientôt, le Roi sentit la morsure d’une pique dans son flanc, puis une autre à son bras. Les rires grimpaient dans un crescendo, jusqu’à ce que le Roi ne lâche son épée, et qu’il ne bondisse droit devant lui, faisant fi du danger, et que son poing s’enfonça soudainement dans cette masse d’ombre, et qu’un éclair de lumière éclaira subitement la caverne.

L’ombre, n’ayant probablement jamais expérimenté la douleur, poussa un hurlement inhumain qui témoigna au moins de l’efficacité de ce coup porté.

Serenos, pantelant, se redressa sur ses jambes, inhalant l’air chargé de poussière comme s’il s’agissait de la brise de la mer, et les autres formes que, maintenant, il distinguait beaucoup plus nettement.

***

La nuit tomba hors de la grotte. Plus de deux heures s’étaient écoulés après que le roi les eut quitté. Si le Roi avait été un autre, peut-être que les soldats et le prince se seraient alarmé de sa disparition, mais ils semblaient bien peu inquiets ; le Roi de Meisa était une créature abominable et terrifiante, et il n’avait pas besoin d’une armée pour se protéger. De toute façon, cent hommes traversant les galeries n’auraient fait que se gêner mutuellement, et alors personne ne pourrait organiser des secours.

Aldericht prit place sur le sol près d’un feu que les gardes royaux avaient préparé pour le repas du soir. Quelques fruits, certes, mais de la viande séchée et une soupe lui furent prodigué. Les cent combattants montaient la garde en alternance, leur nombre leur permettant de se relayer aisément et de tous bénéficier de repos.

Mais soudainement, alors que les dernières lumières solaires disparurent complètement pour laisser la place à la nuit, les gardes royaux se redressèrent à l’unisson.

– Eh bien, voilà ce que la nuit renferme, père, murmura Aldericht en se redressant, et, enfournant la dernière bouchée de pain dans sa bouche, se releva et plongea sa main dans les flammes pour en tirer un long bâton incandescent.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le jeudi 14 novembre 2024, 17:32:19
L’adrénaline.

Le cœur de certains individus, dit-on, ne bat qu’à son rythme ; ils sont surnommés « fous » et « têtes brûlées », et on les regarde de loin sans jamais oser s’en approcher. De ce qu’Eyia avait pu observer, le roi qui foulait son île du pied faisait partie de cette caste. Si la peur de tous ceux qui l’accompagnaient était palpable – elle l’avait dégustée avec beaucoup de plaisir – la témérité du souverain détonnait. Comme un feu follet dans une nuit épaisse de brume, elle brûlait, elle scintillait, comme si rien ne pouvait l’éteindre.

Pendant qu’ils progressaient dans la forêt, la souveraine avait pris du bon temps avec ses ombres – elle en avait bien besoin pour garder les idées claires. Adrénaline et fureur avaient une fâcheuse tendance à attiser son désir ; le mélange des trois mettait le feu à son cerveau qui, rongé par cet incendie, prenait bien souvent les pires décisions – d’où la nécessité de ces petites orgies improvisées pour raison garder.
Et maintenant qu’elle avait récupéré toute sa tête dans toute sa clarté, Eyia observait ces pauvres mortels progresser avec le plaisir d’une spectatrice qui observe la restitution d’un show qu’elle a orchestré. Elle gratifia d’un « Futé » la décision du roi de s’aventurer seul : toute une troupe qui panique dans des tunnels souterrains n’est jamais une situation enviable. Elle assista, sereine, au spectacle que lui offrait ses ombres. Aussi vives que soucieuses de plaire à leur souveraine, elles se ruèrent en essaim sur Serenos. Comme Eyia l’avait prévu, il répliqua, au point d’en blesser une – ce qui fit mi-grimacer, mi-sourire la déesse. Rarement une ombre s’était laissée prendre. « Cela leur apprendra à ne pas se reposer sur leurs lauriers, tiens ».
Et il avait progressé. Il s’approchait du noyau de la montagne, de son cœur palpitant, si précieux aux yeux d’Eyia qu’elle s’en voulut d’avoir été aussi désinvolte par goût du spectacle. Comment avait-elle pu le laisser faire ? La déesse serra les poings, sentant ses joues rougir de colère. « C’est toi qui te repose sur tes lauriers, idiote », s’invectiva-t-elle.

- Que comptez-vous faire, ma Reine ? l’interrogea une ombre.

Eyia souffla, le regard dans le vide.

- Vous savez pourquoi je tiens à cette île, mh ?

La question était évidemment rhétorique ; elle ne laissa donc pas ses ombres répondre.

- Il y a des années – des années reculées – un mage m’a enfermée dans cette montagne. J’étais une jeune déesse, pas très maligne ; je me suis laissée piéger avec tellement de facilité que j’en ai encore honte aujourd’hui. C’est pour cela que les autres dieux appellent cette montagne – pour se moquer de moi – mon berceau. J’ignore combien de temps je suis restée là-dedans, mais je me souviens très bien de la manière dont je me suis occupée pendant les longues heures qui ponctuaient ces journées d’une lenteur atroce.

Et c’est cela que Serenos eut sous les yeux, alors qu’il progressait dans la montagne. D’abord, il put apercevoir comme une mosaïque étrange commencer à se former au détour d’un tunnel ; en s’approchant, il put se rendre compte de quelle matière elle était composée. Ici, de minuscules pierres précieuses taillées comme des perles et soigneusement alignées ; là, une roche percée de filaments dorés. La moindre parcelle de ses murs rocheux avait été travaillée, taillée, sculptée avec les pierres et les roches les plus précieuses qui soient. Au début, c’était de vagues motifs qui dessinaient les contours de silhouettes étranges – des dieux, des créatures, des paysages – ou qui traçaient les signes d’un langage inconnu. On se serait cru dans un sanctuaire.

En suivant les dessins, au détour des souterrains, le roi atteignit une grotte plus vaste où il fit face à un immense portrait : celui d’Eyia, comme allongée sur la pierre, avec ses yeux noirs de charbon, ses lèvres rouges de rubis, sa peau blanche ici faite de la craie, là taillée dans de l’aragonite, ses cheveux d’un même blanc tissé de goshenite et de diamant. Même les stalagmites et les stalactites étaient fausses, taillées dans de l’obsidienne, du quartz, de l’émeraude. De façon assez singulière, elles semblaient briller, comme si une flamme palpitait en leur sein – comme si quelque chose de vivant y remuait.

Il ne lui fallut que quelques secondes avant d’entendre une voix distincte, mais dont il ne pouvait pas encore repérer la source :

- Penses-tu que tu mérites d’être ici, petit roi ?

*    *    *

- C’est aussi là-bas que je vous ai rencontré, mes filles, continua Eyia. C’est vous qui m’avez libérée.

Ce qu’Aldericht et les autres soldats purent apercevoir, dans la nuit profonde qui venait de recouvrir l’île, ce fut tout autre chose. Pas de jolies pierres précieuses qui font briller les yeux, non ; ce qu’ils perçurent, ce fut d’abord un souffle. De prime abord, on aurait pu croire qu’il s’agissait là du bruit du vent mais, en y prêtant plus d’attention, on se rendait compte qu’il s’agissait plutôt d’une respiration – lourde, épaisse, bruyante.
Des soldats, en suivant Aldericht, prirent l’initiative de brandir des torches enflammées afin de percevoir ce qui se cachait dans cette lsourde obscurité.

Et, chose étrange, ils ne virent qu’une seule chose se dessiner au bout d’un des chemins qui menait à la grotte : la silhouette d’une femme, seule, immobile. De loin, elle était particulièrement sombre ; impossible de discerner ses traits. Quand elle se mit à avancer doucement vers eux, d’un pas léger, ils purent tous se rendre compte qu’elle n’avait aucun visage. Elle était comme un amas d'ombres et de fumées qui s'entrechoquent, se fondent les unes dans les autres, en mouvement permanent.
Un des soldats, pris de panique ou de curiosité, n’attendit pas d’ordre et lança immédiatement une flèche dans sa direction ; la flèche traversa la silhouette sans même l’atteindre, et elle continua à d’avancer vers eux.

Mais dans son dos apparaissait autre chose.
Il fallait récupérer ses esprits pour se cesser de concentrer sur cette femme énigmatique pour voir que, derrière elle, des formes qui n’avaient rien d’humain, ni même rien de reconnaissable, progressaient en rampant, certaines autres en plantant leurs griffes dans le sol : une armée de chimères obscures aux traits monstrueux, aux gueules béantes, aux crocs acérés. Leur nombre semblait assez honnête, et correspondait au nombre des membres des troupes royales – car, dans son désamour des mortels, la reine savait être juste et proposer des combats équitables (du moins, dans un premiers temps).

La silhouette féminine s’arrêta, à quelques pas de l’armée d’Aldericht ; elle leva la main, fit claquer ses doigts. Alors, les créatures se jetèrent sur eux.

- C’est ici que vous êtes nées, mes petites. Du sang de toutes ces pierres taillées avec toute ma colère.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le vendredi 15 novembre 2024, 06:19:34
- Penses-tu que tu mérites d’être ici, petit roi ? demanda une voix dans l’air.

Immobile devant le portrait d’une femme que Serenos ne pouvait faire autrement que qualifier de « belle », il prit un moment au Roi pour réaliser que la maîtresse des lieues s’adressait à lui. Comme première réponse, le souverain des Trois Royaumes pencha la tête sur la droite, puis sur la gauche, comme pour délier les muscles de son cou, un geste qui, souvent, servait à communiquer son absence de surprise ou de peur. Cependant, parler avec la chose lui permettait au moins de confirmer qu’elle était encore là, et alerte de sa présence, et donc qu’elle lui portait une attention toute particulière.

– Il faudrait déjà que je susse préalablement ce qu’être ici signifiasse pour vous, esprit, pour que j’eusse déterminé mon droit d’apparaître. Mais à votre ton, je peux deviner que quand bien même je serais l’être le plus important de ce plan ou d’un autre, votre accueil aurait été probablement le même.

Pas qu’il s’arrogea d’une telle présomption, car malgré son manque de diplomatie présente, il était capable de déterminer et de juger l’influence de sa réputation ou de son titre, en temps normal. Mais il n’avait rien de normal dans cette situation, et les haut-esprits jugeaient le mérite et le rang d’un être d’une façon bien différente de la sienne. Il devenait donc inutile de faire discours.

– Tout ce que je sais, esprit, c’est que nous avons des comptes à régler.

Et le Roi se détourna du portrait, mais il ne fit pas trois pas qu’il sentit son pas titubant. Il s’appuya contre un mur et porta une main à son visage, puis essuya les sueurs qui perlaient sur son front, avant de porter une main à son pouls. Le manque d’air commençait à faire son effet sur lui. Depuis combien de temps marchait-il ? Difficile de déterminer en l’absence d’un astre, ou encore mieux d’une montre, pour évaluer le temps passé.

Tout hybride qu’il était, il restait homme, et donc humain, et son corps avait besoin d’air frais, ce qui n’était pas forcément le cas pour les habitants de cette caverne. Quand bien même l’air serait empli de gaz toxique normalement scellé dans le sol, il ne serait pas affecté, car il était généralement indifférent face à de tels dangers, mais il savait que plus il s’enfonçait dans les tréfonds de la terre, et moins d’air il y trouverait.

Il ramena de nouveau son attention sur la mosaïque et il remarqua les détails que l’artiste y avait dissimulée par un langage plus artistique ; les marges, le langage non-verbal, le regard du sujet. Un malaise. Une colère. Une résignation.

Le regard d’un prisonnier, un regard que, lui-même, ne connaissait que trop bien, à la fois pour l’avoir évoqué chez d’autres, et pour l’avoir vécu lui-même.

Il vint alors à se questionner si le geste avait été fait par un être humain, auquel cas il était donc normal que l’esprit leur soit hostile. Et les esprits avaient la mémoire longue, très longues. Certains pouvaient même conserver une soif de vengeance pour des siècles, des millénaires si le cœur y était.

– Emprisonner un haut-esprit…

Voilà un geste d’arrogance qui équivalait, voire surpassait, ceux des anciens Roi-Mages de sa terre natale.

***

Le garde royal tira en vain sa flèche, et s’attira par la même occasion un sourcil froncé de la part du Prince de Meisa.

L’apparition d’une armée de monstres arracha un grognement à quelques-uns des soldats, Malgré leur expérience martiale, ils avaient tous un entrainement qui les préparait à des rencontres avec des êtres humanoides plutôt que des créatures qui s’apparentaient aux engeances générées par les Vestiges. Même si cela ne suffit pas à les terrifier, ils savaient déjà qu’ils ne risquaient pas de se sortir de cette situation indemne.

Aldericht laissa quelques hommes protéger le corps inconscient de sa sœur, puis il matérialisa son glaive personnel. L’arme, dotée d’un manche d’un mètre et demi, arborait d’un côté une lame acérée à double tranchant, et de l’autre une pique pointue. Une fusion harmonieuse entre la portée d’une lance et la dignité d’une épée, c’était une arme toute désignée pour la chasse aux monstres qui, normalement, ne s’embarrassaient pas d’une armure.

Les créatures foncèrent vers eux, et Aldericht fit de même, accompagné d’une poignée des gardes royaux, venant de lui-même à la rencontre de ces bêtes, et la bataille s’engagea, et bien vite, le sang macula le sol de pierre et de sable.

De la mêlée, cependant, jaillit une femme, une guerrière, qui atterrit devant la silhouette féminine et qui engagea le combat directement avec la créature qu’elle supposait diriger le groupe de monstres qui s’en prenait à ses camarades et confrères. Elle n’y adressa aucun mot, ni ne poussa un cri de guerre à l’approche, mais quelque chose dans sa démarche experte et le fait qu’elle ne semblait aucunement apeurée par l’entité magique laissait savoir qu’elle était prête à tuer, qu’elle l’avait fait autrefois et qu’elle était prête à recommencer.

Le problème, pour un narrateur, avec les mêlées, c’est qu’un combat, surtout lorsqu’il s’agit non pas de deux armées qui s’affrontaient à l’aide de stratégie et de talent martial, mais de pure violence, c’est qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire ; un chaos s’installait, et pour chaque vie prise par les chimères, les guerriers Meisaens semblaient encore redoubler d’énergie. Il était inutile de chercher à encercler les créatures ; elles étaient capable de bondir hors d’un encerclement, il ne restait donc qu’à profiter de leur absence de raison pour frapper, ensemble, en groupe, de toutes les directions possibles.

Une ombre jaillit alors et, imitant l’apparence de Basile, se dressa devant Aldericht, le séparant de la chimère que le prince cherchait à mettre hors d’état de nuire, puis elle ouvra la bouche, poussant des ricanements avant de soudainement se mettre à imiter sa voix et ses cris, tels qu’elle les avait mémorisés dans les derniers instants du pauvre prospecteur. [/font]
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le vendredi 15 novembre 2024, 16:15:46
Tout ce qu’il se passait sur l’île, elle l’avait jusque-là regardé de loin, allongée dans ce lit rond entourée de voiles et de tissus – qu’on aurait pu croire accrochés arbitrairement, même si l’on finissait par se rendre compte que chacun d’eux concourrait à faire de ce lit un vaste cocon, quelque part entre le nid et la toile d’araignée – qu’elle n’abandonnait que très rarement.
Mais elle le savait : il lui fallait maintenant le quitter pour se présenter devant ce roi. Était-ce par goût de la théâtralité, pour saluer son courage, pour le scruter de plus près ou pour se mesurer à lui ? Était-ce pour faire honneur à son sens logique, et parce qu’elle avait décelé dans ses derniers mots une forme de compassion qui lui avait fait honneur ? Peut-être bien un peu de tout ça. D’un geste de la main, elle drapa son corps d’une de ces toges noires qu’elle affectionnait, et qu’une broche en diamant accrochait à son épaule droite, dénudant l’autre.

Quand Serenos releva les yeux vers ce portrait, il put avoir l’étrange sensation que ses pupilles se mettaient à frémir, comme si son regard s’apprêtait à bouger. En réalité, quelque chose comme une ombre noire faite de fumée se matérialisait devant ce regard. C’était pour la souveraine, qui adorait dramatiser chaque pan de son existence, une manière de soigner son entrée ; sa peau très pâle ne pouvait que trancher, dans un clair-obscur inquiétant, avec le nuage obscur d’où elle s’extrayait, flottant dans les airs un petit moment avant de descendre à son niveau.

La voir demeurait toujours une expérience paradoxale. Eyia était une déesse relativement petite, pâle et frêle, et sa carrure était loin d’être impressionnante ; elle donnait l’impression qu’un vague coup, même pas si puissant que ça, pouvait lui casser quelques os. Et pourtant, ce regard, cette façon qu’elle avait de se tenir et de ne pas trembler, ses expressions faciales trahissaient à la fois son rang et ce qu’elle avait de potentiellement dangereux – voire létal. Une venimeuse petite déesse ; voilà ce qu’elle inspirait.
De facto, malgré le fait que Serenos soit bien plus grand et impressionnant qu’elle, la déesse lui tenait littéralement tête.

- Tu ne t’es pas trompé. Qui que tu sois, je t’aurais accueilli de la même façon ; comme une personne qui n'a rien à faire chez moi tant que je ne l'ai pas conviée. Néanmoins, le simple fait que je me présente à toi est un honneur – j’espère que tu en as conscience.

Je vous présente l’ego d’Eyia. Un vrai petit joyau, n’est-ce pas ?

- Tu ne t’es pas trompé non plus sur la nature de ce lieu, ajouta-t-elle sur un ton chargé d’une colère plus ou moins bien contenue. « Emprisonner un haut-esprit », comme tu l’as si bien dit ; voilà la grande idée qu’a eu un mage, un beau jour. Ce que tu peux contempler ici est de mon fait. C’est le fruit de toutes ces années passées ici, dans cette montagne.

La déesse poussa un long soupir, et répéta, dans un souffle épuisé :

- Tout ce temps passé ici…

Elle se tut tandis que ses yeux balayaient la grotte, chargés d’une forme de nostalgie mêlée de haine. Puis, sur un ton rageur, elle ajouta vivement :

- C’est ici que ces petits cons sont venus me prier, m’honorer, me rendre hommage, après mon évasion. Ils ont fait de ma prison un lieu de culte.

Cette dernière phrase avait été prononcée avec autant de dédain que de colère. Pour Eyia, ce genre de choses confirmait la bêtise infinie des mortels. N’importe quel être un tant soit peu intelligent aurait compris que transformer sa prison en lieu conçu pour l’honorer était une décision des plus stupides. Peu étonnant, alors, qu’elle ait fait le choix de transformer cette île en lieu maudit.
Reprenant ses esprits et sa stature royale (c’est-à-dire plutôt hautaine), elle s’adressa de nouveau à Serenos :

- Mais je ne vais pas commencer à t’assommer de paroles – le manque d’air le fait déjà bien assez, mh ? Nous avons des comptes à régler, me dis-tu ? Continue. Je t’accorde audience ; sois-en digne.

*   *   * 

Les ombres se déchaînaient sur les mortels, à la lueur de flammes qui illuminaient des scènes particulièrement violentes. Ici, une ombre serpentine se ruait sur un soldat pour mieux lui mordre le ventre et lui arracher les entrailles d’un coup sec ; là, d’autres soldats parvenaient à terrasser ce qui ressemblait à une chimère, mi-lionne, mi-lézard, et elle agonisait dans des hurlements fracassants.
Seule une troupe venue d’une contrée magique, dirigée par des mages, pouvait leur tenir tête ; si tel n’avait pas été le cas, les ombres n’auraient fait qu’une bouchée de ces pauvres petites créatures mortelles, et aucune d’entre elles n’aurait été blessée.

Quant à la jeune soldate qui faisait face à la femme qui dirigeait ce cortège funèbre, elle ne se laissait pas impressionner ; alors que l’ombre se jetait sur elle, elle était parvenue à la blesser à la cuisse. Malgré le sang noir, poisseux, qui coulait de sa plaie, l’ombre revint à la charge, parvenant à clouer au sol la pauvre mortelle. Alors qu’elle dirigeait sa main vers son visage, bien décidée à lui crever les yeux, la soldate parvint à lui transpercer le ventre.

Alors, le silence se fit.

Les ombres sont des créatures loyales et dévouées, je vous l’ai déjà dit ; c’est là leur redoutable force comme leur plus grande faiblesse. Elles sont aussi bien incapables d’agir sans chef à leur tête ; aussi, dès lors que celle qui les dirigeait s’écroula lourdement sur le sol, elles marquèrent un temps d’arrêt, avant de lentement retourner dans la nuit.

Aldericht et ses troupes purent savourer l’accalmie qui s’offrait à eux. Elle ne dura néanmoins pas longtemps.

Car du fond de la nuit une créature lentement s’approchait. Une créature, oui ; elle était seule, et elle avait en effet l’aspect d’une femme. Sa seule particularité, c’était sa taille : c’était une géante, elle aussi faite d’ombres de fumée. Sur son visage, un sourire tranquille.

- Vous avez réveillé la gardienne, prononça-t-elle doucement. Cela faisait si longtemps que je dormais. Je suis bien heureuse d’avoir de quoi me divertir.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le vendredi 15 novembre 2024, 20:51:24
Le concept même de la vénération d’un haut esprit n’était pas quelque chose que Serenos comprenait dans ses fondations. Les esprits, comme les humains, ne se conformaient qu’à leur propre nature. Inutile, donc, de prier un esprit des tempêtes de calmer son tourment, puisque sa nature même voulait qu’il soit parfaitement incontrôlable et déraisonnable.

Devant lui se trouvait maintenant une petite femme qui, si elle posait le pied à terre, n’aurait eu la tête qu’au niveau de son torse, le forçant à baisser la tête pour croiser son regard. Un autre que lui aurait probablement vu cet esprit, cette « déesse », et aurait pensé qu’elle n’était pas une menace. Pas Serenos. Serenos le Sorcier s’était tenu devant des monstres titanesques, devant des Vestiges. Il avait ressenti leur force, leur puissance, et devant Eyia, il ressentait exactement ce même sentiment de panique et le besoin urgent de se retirer de sa présence au plus vite, probablement un sentiment partagé par ceux qui se trouvaient devant lui dans ses mauvais instants.

Dans le plan astral, dans lequel il avait toujours un pied trempé, il pouvait même ressentir un silence complet autour de cette femme. Aucun autre esprit, hormis les ombres qu’elle semblait affectionner, n’était présent dans cette pièce. N’était présent que les effluves de rancœur, de haine et peut-être une pointe de curiosité malsaine, toutes émanant de la petiote.

Au sort réservé aux prospecteurs, il comprit que les vénérateurs s’étant perdus sur cette île n’avaient pas eu une très longue vie, malgré leurs suppliques.

Avec un air hautain et fier qui manqua presque de rappeler au Roi leur différence de calibre et faillit lui faire oublier la sensation de danger imminent, elle lui commanda de continuer à parler, d’élaborer ces « comptes » à régler.

– N’allez-vous point me proposer quelque rafraichissement ou un siège pour m’assoir ? demanda le Roi avec une mine faussement étonnée. Pardonnez mes complaintes, votre Grâce, mais vos servantes ont été fort rigoureuses dans leur accueil.

Il indiqua son flanc ensanglanté ainsi que sa jugulaire presque tranchée. Son torse, lui, était luisant de sueur, de sang et de poussière de ses combats antérieur.

Comme Eyia, Serenos était propriétaire d’un sang-froid surhumain, mais il était également téméraire et irrévérencieux, simplement parce qu’il refusait de laisser à quiconque l’impression qu’ils avaient le dessus sur lui. Cependant, à titre de geste diplomatique, il rengaina tout de même son arme, pas qu’une épée, toute magique qu’elle était, ne lui servit à grand-chose contre une femme de ce calibre.

– Vous avez tué plusieurs de mes citoyens. J’aimerais comprendre en quoi cet acte était nécessaire. Ce n’était que de pauvres humains, sans pouvoir, sans mauvaise intention autre que de trouver de quoi nourrir leur famille. Un être de votre puissance, de votre autorité, n’avait guère besoin de quelque chose d’aussi définitif que le meurtre pour se débarrasser de quelques inconvénients. Dépendant de votre réponse, j’ose espérer que nous puissions trouver une façon de rétablir les torts commis. Autrement… eh bien, comme vous le savez surement, l’arrogance humaine et sa déraison ne connait aucune limite.


***

- Vous avez réveillé la gardienne, prononça-t-elle doucement. Cela faisait si longtemps que je dormais. Je suis bien heureuse d’avoir de quoi me divertir.

Devant l’apparition de la géante femme, un homme normal aurait probablement été terrifié. Un homme normal, comme toute créature rationnelle et capable de reconnaître quand elle est en danger, aurait pris la fuite. Un homme normal aurait peut-être même supplié ses dieux de lui épargner le sort que cette chose lui réservait. Mais alors que la géante les dévisageait, un homme peu normal se tira de son groupe. Encore une fois, Aldericht, Prince de Meisa, se tenait devant ses hommes avec un air furieux.

Serenos était le sorcier le plus puissant de Meisa, sans l’ombre d’un doute. En termes de puissance pure, personne, sur tout le continent ayshanran ne lui arrivait à la cheville. Cependant, Aldericht, lui, était le magicien le plus talentueux de sa génération, en grande partie parce qu’il était l’un des premiers à voir eu une éducation en bonne et due forme depuis la restauration et l’instauration de l’académie.

Le prince leva les bras, les paumes vers le ciel, les doigts repliés comme des serres, alors que du sol, et donc de l’énergie même de l’île, il enfonça ses crochets dans la magie environnante et la pliait à sa volonté, causant l’apparition d’un réseau de faisceaux électriques émettant une vive lumière dorée. L’énergie pure, ainsi libérée, se condensa dans les paumes du prince, qui frappa ses mains l’une contre l’autre, puis les sépara. L’énergie suivit le mouvement des mains pour former un javelot électrifié, qu’il agrippa d’une main avant de le lancer droit vers la créature, alors que du même mouvement, il frappa le sol du pied et déchaina cette même force déstabilisée dans le sol, faisant vibrer celui-ci comme sous l’effet d’un tremblement de terre.

Derrière lui, les gardes perdirent pieds, mais parvinrent à se supporter les uns les autres et à se rétablir rapidement du choc sismique, ce qui n’était peut-être pas le cas de l’ombre géante.

La voyant se reformer, Aldericht songea qu’il devrait peut-être éventuellement considérer la retraite, à un moment. Mais, ne se laissant pas décourager aussi facilement, il se prépara à répéter son exploit, quitte à drainer encore plus de la magie de l’île, quitte à enrager davantage sa propriétaire, et quitte, probablement, à se faire écrabouiller. En espérant que son champ de force puisse supporter la pleine puissance de cette créature. Ou même une partie.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le dimanche 17 novembre 2024, 12:29:07
Lorsqu’il rangea son épée, la déesse hocha la tête dans un sourire. C’était, à ses yeux, un signe de sagesse. S’il l’avait brandie devant lui en signe de défi ou s’il l’avait agrippée, elle se serait bien volontiers moquée de lui – quelle idée saugrenue que de croire qu’une arme pouvait la mettre en difficulté. Même si tout dans l’attitude de Serenos était la démonstration d’une forme d’insolence – ce qu’elle aurait d’ailleurs pu interpréter comme le signe qu’il fallait le buter fissa – Eyia mettait volontiers cela sur le compte d’un orgueil propre aux souverains confiants en leurs capacités. Il ne ressemblait pas à un bête mage arrogant, soucieux de se mesurer à une divinité pour parachever son parcours initiatique ; il se comportait comme un roi.

Eyia sembla s’apaiser un peu. Elle posa le pied à terre, une forme de respect qui marquait le fait que, dans une certaine mesure, ils pouvaient être mis, un temps, sur un même pied d’égalité.

- Mes ombres se sont comportées avec toi comme tes soldats se comporteraient avec moi si je venais envahir tes terres, lui répondit-elle. Du moins, si ce sont des hommes fiables et loyaux.

La souveraine approcha sa main de ses plaies, une manière de mesurer leur gravité. Elle fronça les sourcils, marqua un temps de pause et resserra son poing. Lorsqu’elle l’ouvrit, une poudre compacte qui scintillait comme le ferait un diamant s’était matérialisée dans le creux de sa main. Approchant ses lèvres, elle souffla doucement sur cette poudre ; quelques unes de ses effluences s’envolèrent pour venir se déposer sur les plaies du roi.
En quelques secondes, il put se sentir soulagé : ses blessures étaient en effet en train de cicatriser.

- J’exècre les mages, mais je respecte les rois. Parce que tu es un peu des deux, je te soigne, mais ne compte pas sur moi pour te proposer de quoi te sustenter. Si tu veux t’asseoir, tu trouveras de quoi faire dans la roche, continua-t-elle en indiquant un pan d’un mur richement décoré d’inscriptions religieuses. Je l’ai creusée pour m’y reposer pendant mon « séjour » ici.

En effet, certains pans étaient sculptés afin de pouvoir s’asseoir, s’allonger, s’écraser parfois. Le travail était si fin que l’on sentait à peine les aspérités de la pierre, devenue presque douce sous ses doigts. À cette époque, elle avait même utilisé des pierres minuscules, taillées comme des perles, pour se tisser de quoi garnir une forme de couche ; certains restes de coussins et de couvertures erraient ici et là, couverts d’une pellicule de poussière.

Eyia mit un temps avant de formuler sa réponse à la dernière question que lui avait posé Serenos. Les sourcils légèrement froncés, le visage fermé, elle cherchait ses mots – et ce non pas parce qu’elle ne savait pas quoi répondre, mais bien parce qu’elle ne comprenait pas que l’on puisse lui poser une telle question. Pour Eyia, les divinités avaient un droit de vie et de mort sur les mortels qui s’approchaient trop près d’eux ; c’était une évidence. L’expliquer lui paraissait inutile ; le justifier, inenvisageable, surtout auprès de l’un d’eux.

- Je suis chagrinée, vois-tu. Je n’aime guère avoir de compte à rendre à un mortel, répondit-elle enfin, en appuyant avec un léger mépris sur ce dernier mot (un léger mépris appuyé par un roulement d’yeux). Néanmoins, tu es un roi, et je comprends que tu puisses te soucier de tes sujets, même si cela m’apparaît pour le moins – curieux, disons.

D’ordinaire, les souverains se moquaient pas mal que quelques uns de leurs sujets crèvent, surtout au contact d’esprits qu’ils avaient provoqués. D’une part, rois et reines avaient autre chose à faire que de s’occuper de leurs subalternes ; d’autre part, si ces derniers s’étaient attirés des ennuis, c’était leur problème – surtout si ces ennuis impliquaient des divinités auxquelles les monarques, au fond, ne souhaitaient pas se frotter. De fait, Eyia ignorait si cela faisait de Serenos un homme vraiment valeureux ou particulièrement fou.

- Je fais ce que je veux, petit roi.

C’est dans un sourire aussi royal qu’impertinent qu’elle lui répondit.

- Je fais ce que je veux, surtout de ceux qui osent venir sur mes terres. Nous parlons là de mortels, leur existence n’a pas la moindre importance, surtout au regard de celles de divinités – qui sont, reconnais-le, infiniment supérieurs à ces petites créatures. Et puis ils ne pouvaient que mourir – ou alors d’autres seraient venus. Des gens se seraient installés sur cette île, qui sait ? Peut-être même se seraient-ils cru chez eux. Et qu’auraient-ils fait, ensuite ? Ce qu’ils font toujours : piller, amasser, vider chaque lopin de terre qu’ils envahissent de sa moelle, de sa vie, pour mieux se gaver. Je-

La déesse s’interrompit, tournant son visage vers le petit souterrain par lequel Serenos était entré. Elle porta une main à son ventre, tandis que sur ses traits se dessinait un mélange d’affliction et de colère. Elle venait de ressentir en elle le coup qu’Aldericht avait porté à la géante - une douleur vive, piquante. Une telle atteinte à son intégrité la fit enrager.
Tout comme Eyia se tourna vers Serenos, la géante se pencha sur Aldericht ; toutes deux avaient le regard noir.

- Ne comprends-tu pas que s’attaquer à cette terre, c’est s’attaquer à ma chair ?

Cette phrase, Eyia et la géante l’avaient prononcée d’une même voix – une voix sourde, lourde, caverneuse, gonflée de colère.

*   *   *

Au-dehors, la géante eut un geste similaire à celui de sa souveraine : la main sur le ventre, elle tâtait la zone de son corps endolorie par l’attaque. Certes, la blessure s’était refermée, mais la sensation avait été vive. Parce que ce mage drainait l’énergie de l’île pour la rediriger contre elle, la géante se savait plus sensible aux attaques ; raison de plus pour être plus offensive.
Alors, elle se redressa, pour mieux frapper le sol de la paume de la main, l’ébranlant violemment – ce qui eut pour effet de faire trembler les murs de la grotte où se tenaient les deux souverains. Le sol s’agita d’un soubresaut violent, ce qui fit vaciller pas mal de soldats. Et elle recommença, encore une fois, et encore une fois – avant de diriger sa main vers les troupes, pour les frapper d’un revers, en envoyant certains voler à quelques mètres, et d’autres s’écraser dans les arbres environnants.

Puis son visage se dirigea vers Aldericht.

- Les petits mages oublient trop vite qu’ils ne sont pas des dieux, souffla-t-elle.

Sa main se dirigea vers lui, et il ne fallut que quelques doigts pour le heurter et le faire tomber au sol, avant que ses ongles ne s’enfoncent dans la terre. Car non, elle n’avait pas cherché à l’attraper, à l’écraser dans sa main – même si elle aurait pu le faire. Non, non, elle leur réservait quelque chose de plus divertissant. Sous leurs pieds, Aldericht comme ses hommes pouvaient sentir que cette terre, déjà tiède comme le serait un corps, était en train de monter en température. Le sol devint chaud, puis brûlant. La sensation n’était pas des plus agréables, d’autant qu’elle finirait par les faire littéralement suffoquer, avant de les brûler vifs – du moins, c’était là l’intention de la géante.

Bien évidemment, cette brutale montée en température du sol n’atteignit pas la montagne, et ni Serenos ni Eyia ne pouvaient en ressentir les effets.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le lundi 18 novembre 2024, 05:51:11
– Ne comprends-tu pas que s’attaquer à cette terre, c’est s’attaquer à ma chair ?

Serenos ne se laissa pas intimider par le ton de la déesse qui, bien qu’elle sembla lui parler directement, ne s’adressait visiblement pas à lui.

– Je crois, au contraire, qu’en votre sein j’ai déjà fait mes preuves. De votre réaction, je devins que votre personne et votre domaine ne sont, finalement, qu’une seule et même entité. Ne vous déplaise point, mon fils, probablement par zèle de se protéger lui-même, n’a pas les scrupules de son père, et pour tout aussi vicieux que je puisse un jour me montrer, ceux que j’ai engendré le sont tout autant, et qui plus est, je m’enorgueillis de pouvoir dire qu’ils sont encore plus intelligents et compétents que moi-même, si ce n’est qu’ils ne jouissent pas de mon talent pour la violence et l’intimidation. Si j’ai réussi à déduire que votre corps et votre domaine sont lié, croyez-moi, mon fils en a fait tout autant, sinon plus.

Le Roi fit quelques gestes habiles mais brutaux de la main et il se laissa tomber en position assise, alors qu’un trône se manifestait de nulle part, fait à même la pierre du sol. Le souverain des Trois Royaumes regarda la déesse, ses ongles noires caressant et laissant des marques blanches sur la pierre de son trône, émettant un cri sinistre à chaque passage.

–Vous avez raison de croire que la plupart des souverains n’accorderait pas à ses sujets le plus simple des regards, mais madame de Granpré, sa famille et donc, par alliance, son mari, ont été des amis fidèles de la défunte Reine de Meisa, feue mon épouse. Vous comprendrez que, par ces liens discrets et sacrés qui nouent les mortels, ces liens que nous appelons devoir et gratitude nous forcent à des actions qui nous sortent de notre monotonie habituelle. Je ne vous faute pas votre mépris des humains, mes ancêtres savent à quel point je peux moi-même les avoir en horreur, mais pour tous les maux qu’ils causent, certains méritent de voir une fin humaine et digne à leurs jours, pas broyé sous le pouvoir incalculable d’une entité qu’ils n’ont jamais même rencontré auparavant.

Il plongea alors son regard vers le sol, aux pieds de la déesse, toujours creusant la pierre de ses ongles.

– J’ai passé les quarante dernières années de ma vie à forcer les Vestiges dans leur sommeil, j’ai bâti forteresses, temples, sceaux, j’ai commissionné des chaînes créés à partir de matériaux dont l’existence relevait jusque là du mythe, je me suis frotté à des êtres si abominables et dont l’âme ne mériterait rien de moins que le pire des supplices pour protéger mes gens de créatures telles que vous. L’idée même que l’un des miens, de mes sujets, ait été écrasé par vous, oh. Oh, votre Majesté, si vous saviez, si vous pouviez comprendre, oh.

Et il n’était pas bien dur de comprendre pour la déesse ; les créatures s’arrogeant le titre de divinité était ni plus ni moins que ces concepts vivants, des émotions données formes, et pour cette raison, la plupart percevait non seulement les rêves et espoirs de chacun, qui sont parfois offerts sous le thème de la prière, mais ce qu’ils pouvait percevoir encore plus, c’était les émotions. Et en ce moment, alors que son fils et ses soldats sentaient la terre leur brûler les pieds, l’air dans la pièce où se trouvait Eyia et Serenos devint tendue. Et pas seulement ; l’air devenait vicié, pesant, comme si une fumée intense s’était propagée dans l’endroit et se collait à la peau des présents habitants.

Mais, aussi rapidement cette étouffante démonstration de rage s’était manifestée, le Roi la ravala, comme un trou noir dévorait une étoile. Il secoua légèrement la tête, grommelant sourdement quelque chose à propos de contrôle et d’équilibre, avant d’inspirer profondément et de regarder Eyia.

– Il est remarquable pour moi et mon histoire de m’entretenir avec un être tel que vous, je dois l’admettre. La plupart des haut-esprits qui vivent encore sur mes terres ne sont plus que des monstres vide d’intelligence, dont l’instinct n’est aucun autre que de détruire le plus de vie possible. Certains philosophes modernes croient que leur existence n’est qu’une réponse naturelle au manque de foi et de dévotion envers le divin, que leur existence est une punition pour les fautes de nos pères et de nos confrères.

Il poussa un petit rire méprisant, le rire de celui qui connait la vérité et qui se rit de la stupidité de ses semblables. Ah, être le plus malin dans une pièce d’hommes savants, sans l’ombre d’un doute, était une expérience singulière et solitaire.

– Mais vous… vous avez encore votre intelligence. Vous avez le potentiel de changer. De mettre à part votre naturelle cruauté pour le bien de la coexistence. Donc… mettons fin aux hostilités, remettez-moi les corps des Meisaens que vous avez tué, je les embarquerai pour leur sépulture dans leur terre natale, et débutons de là. Surement vous êtes tentée de refuser, donc j’aimerais mettre mon premier argument de l’avant ; vous aimez votre quiétude, vous en avez fait la preuve plusieurs fois, que ce soit par votre dédain de ma personne et de mon espèce, ainsi que votre choix de localisation. Mais, tôt ou tard, vous serez découverte par d’autres, dérangée dans votre confort de nouveau. Peut-être pas par moi, mais par quelqu’un qui aura, probablement, une armée de mages, des ressources et une ferme intention de vous parader dans les rues. Je peux vous éviter cela, si vous consentez à une relation plus amicale.


***

La douleur causée par la déesse, ou du moins sa représentante, ne tarda pas à arracher des cris à toute l’assemblée survivantes. Au loin, les cadavres inconscients ou morts fondirent sous la température grandissante, car trop loin pour être sauvé par les efforts d’Aldericht, qui répondit à cette hausse de température avec un effort similaire, canalisant la chaleur de la même façon qu’il avait généré les éclairs plus tôt.

Pantelant, le Prince de Meisa sentit la chaleur monter en lui, de plus en plus forte et intense, et la douleur suivit, de plus en plus forte. Il se plia de douleur au sol, rugissant alors que sa peau crépitait de flammèches rouges, et pendant que leur seigneur les protégeait de la magie de la géante, les soldats se remirent sur leurs pieds et foncèrent sur elle, piques dressées et prêtes à frapper.

Le prince leva alors ses bras, dont la chair des doigts commençait à se décoller du muscle, et il lâcha sur la géante une salve de flammes.

– Écartez-vous, hurla-t-il à ses soldats, espérant en épargner quelques uns.

Les survivants des cents gardes royaux bondirent hors de la portée des flammes, qui envellopèrent alors la forme géante de la créature, comme un vent de flammes. Manipulée par le prince, sa magie et une bonne part de la magie de l’île elle-même, il maintint le sort aussi longtemps qu’il le put, avant que le manque de force n’y mette fin.

Dans ses derniers moments de force, il leva la tête, ses yeux aveugles se rivant vers sa cible et ses sens, avec horreur, lui laissèrent savoir qu’elle était indemne.

– Hah, cracha-t-il avec un sourire méprisant. Un monstre digne de ce nom.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le lundi 18 novembre 2024, 18:32:34
La déesse l’écouta patiemment. Pendant qu’il parlait, elle s’était trouvée une assise taillée dans la roche, non loin de lui ; une sorte de vaste méridienne en rubis qu’on aurait dit, de loin, tissée de soie. Les reflets de la pierre donnaient à sa peau diaphane une teinte d’un rouge précieux et piquant à la fois. Ainsi, telle une souveraine, elle – s’affala élégamment dessus. Installée sur le ventre et le coude, le visage posé dans ses petites mains, les pieds relevés pour mieux les balancer au rythme de ses paroles, elle le regardait ; une manière de lui témoigner son attention, mais aussi de le laisser apercevoir les moues qui se dessinaient sur son minois tandis qu’il parlait.

Eyia n’avait jamais été très protocolaire, du moins la concernant. S’asseoir sur un trône avec toute l’élégance du monde ? Flotter longuement dans les airs, le dos droit, les épaules et le menton relevés pour en imposer ? Ew. Elle restait attachée à cette posture un peu adolescente, insolente, impertinente qu’elle n’avait, au fond, jamais quitté. Cela avait parfois l’avantage de décontenancer ses interlocuteurs, voire de leur laisser penser qu’elle n’était qu’une petite conne ; avantage dont elle parvenait toujours à tirer profit.

Elle l’écoutait, donc. Lorsqu’il lui annonça avoir fait le lien entre l’île et son propre corps, elle manqua de le gratifier d’un « Pourquoi m’attaquer, alors ? » – mais se retint, se contentant de froncer les sourcils. Au moment où il évoqua ses liens la famille des feu mineurs, une légère grimace d’étonnement froissa son visage ; néanmoins, elle hocha la tête, compréhensive, quand il parla de son mépris des humains. Mais, alors que sa colère se matérialisait, rendant l’air doucement irrespirable, un large sourire se traça sur ses lèvres. La déesse eut l’air intensément satisfaite en sentant l’air s’appesantir et lui coller à l’épiderme comme le feraient les effluves enfumées d’une source chaude.

L’adrénaline.

Eyia a toujours été très sensible à sa propre colère – je ne vais pas revenir dessus. J’aimerais néanmoins préciser que la colère des autres lui procurait une sensation assez proche de l’enivrement. Dès lors, elle n’écouta qu’à moitié ses propositions de paix. C’était, somme toute, des propositions assez honnêtes ;  elle l’aurait elle-même reconnu si elle n’avait pas aperçu cette rage en lui, cette rage qu’il avait réussi à contenir mais qui ne donnait à déesse aussi joueuse et effrontée qu’une envie : la provoquer à nouveau.

Alors, elle se redressa doucement, pour s’asseoir de manière un peu plus correcte sur cette méridienne. Les halos lumineux du rubis lui conféraient une aura inquiétante, se mêlant à l’éclat amusé qui venait de s’allumer dans son regard.

- Tu me parles de coexistence ? Aucun de vous ne mérite de vivre à mes côtés.

… Ce qui est très agréable chez Eyia, c’est vraiment cette bienveillance mêlée d’humilité qui la caractérise, auxquelles s’ajoutent une grande indulgence et un profond respect d’autrui, non ?
Non, bien sûr que non. Elle sait être insupportable ; elle sait même trop bien l’être, et ce en particulier lorsqu’il s’agit de faire enrager quelqu’un.

- Qu’est-ce que tu crois, petit roi ? Qu’un autre mage viendra m’enfermer ici ? Que j’ai peur – pfeuh – d’eux ? Que j’ai une quelconque leçon à recevoir de leur part ?

Sa réplique fut ponctuée d’un petit rire. Le ton était teinté de colère ; une colère à la fois sincère (elle se sentait en effet un peu attaquée dans son ego) et amusée, dopée à l’impertinence. Elle qui était appuyée sur sa méridienne se releva doucement, le regard planté dans le sien, avant de poser ses mains sur un des accoudoirs du trône sur lequel Serenos était assis. Lentement, ses ongles s’enfoncèrent dans la roche, comme s’il s’agissait pour elle d’une quelconque mie de pain. Alors, à voix basse, toute proche de lui, elle murmura d’une voix douce et d’un ton serein :

- Vous qui êtes venus, vous allez tous crever ici. Tes troupes dont il ne reste déjà presque plus rien, ta gamine prophétesse que je finirai par rendre folle, ton fils que ma géante va écraser – et toi, que-

Elle s’interrompit un instant, le visage fermé.
L’attaque que venait de lancer Aldericht sur la géante venait de fouetter sa chair – gênant du même coup son petit laïus. « Ah, ces mortels, vraiment – que ne gâche-t-il pas, je vous le demande ». Dans un sourire, elle reprit donc :

- Et toi, à qui je vais faire regretter cet excès de confiance.

Prononcer des menaces à un individu tout en se tenant aussi proche de lui ; voilà une situation qui pouvait avoir l’air étrange. Un sentiment d’étrangeté renforcé par le fait que, d’une part, elle n’était pas dans une position repli mais se tenait littéralement à disposition de son adversaire, et d’autre part elle ne semblait pas lancer d’offensive pour accompagner son geste. Elle se contentait de le regarder en souriant, attentive à la réaction de Serenos – et avide d’apercevoir à nouveau sa colère.

*   *   *

En effet, la géante s’était vue blessée par cette attaque ; une attaque qui avait, depuis, interrompu la sienne, rendant au sol sa température habituelle. Les ombres qui formaient son épiderme furent un court instant traversées de faisceaux lumineux, comme autant de griffures enflammées. Il ne lui fallut néanmoins que quelques secondes pour reprendre ses esprits, son regard balayant un instant le carnage qu’elle avait initié pour ensuite se poser sur Aldericht.

Elle répondit à sa réplique par un sourire et un hochement de tête.

- Je suis bien heureuse de te divertir, mon petit, souffla-t-elle. Sache que tu m’amuses beaucoup également. Ma reine et moi, nous aimons particulièrement quand les mortels résistent – la victoire n’en est que plus belle.

La géante pouvait percevoir leur fatigue réciproque. À trop drainer la magie de l’île, il s’épuisait – et l’épuisait aussi. Pourtant, là, dans les entrailles de la terre, bouillonnait encore une énergie vive capable de l’animer suffisamment longtemps pour l’éradiquer. Alors, la géante rentra à nouveau ses griffes dans le sol, se concentrant un instant.

D’abord, rien, sinon le silence.
Puis un bruit sourd.

- Si le feu n’a pas eu raison de toi…

Un bruit sourd, comme celui d’une vague.
Un mur semblait se former, au loin, dans le dos de la créature ; un mur qui avançait. D’un claquement des doigts, la géante verrouilla l’entrée de la grotte afin de ne pas impacter sa déesse et son hôte , juste quelques secondes avant qu’une immense vague n’approche, prête à s’écraser sur la montagne. Les vagues, c’était facile, surtout pour une géante ; elle arrivait généralement à noyer ainsi ses adversaires dans ce qui, pour elle, n’était qu’une sorte de bassin dans lequel elle barbotait allègrement en regardant ces pauvres mortels mourir.

- … ce sera la mer qui t’avalera.

Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le mardi 19 novembre 2024, 06:40:10
Elle ria, et le Roi de Meisa comprit qu’elle avait décidé de rester sourde à son offre. Il regarda un moment le plafond, maintenant que ses yeux étaient parfaitement accoutumés aux ténèbres, et expira doucement, consciemment, malgré le fait que ses poumons étaient maintenant fort avares d’air frais.

Elle se moquait de son offre, foulait du pied ses arguments et menaçait maintenant le Roi personnellement, ainsi que ses enfants. Ah, Laryë, pensa-t-il en dévisageant la déesse. Encore une fois, une autre personne te donne tort. Car Laryë, en toute circonstance et malgré son jugement impeccable, croyait qu’il y avait toujours possibilité pour la paix, croyant sincèrement qu’il fallait si peu pour réparer des ponts brisés par un début boiteux.

Le Roi de Meisa ferma les yeux alors qu’elle proférait ses menaces, et il se releva lentement de son siege de pierre, dont les accoudoirs avaient été rongés par les efforts du Roi et de la Déesse des Pierres, toisant la petite déesse de toute sa carrure, avec un air de profonde déception sur son visage. Les mains du Roi se levèrent doucement pour encadrer ce visage si jeune, si poupon, si vrai et pourtant si faux.

– Pour répondre à votre question, votre Majesté… oui.

Et Serenos plongea, penchant la tête et plaquant son front contre celui de l’avatar de la Déesse de Pierre. La peau du Roi se couvrit de frissons, et ses pupilles brillèrent comme deux petits soleils dans les ténèbres de la demeure de la déesse.

Eyia put sentir l’esprit du Roi, qui était déjà fort puissant en raison de sa grande volonté et force de personnalité, mais qui était en plus renforcé par quelque chose qui pouvait peut-être la surprendre ; Serenos avait été altéré, en chair comme en âme. Il avait le sang de la création qui brûlait dans ses veines.

La main de Serenos s’enfonça profondément dans l’être d’Eyia, avec une vitesse et une précision d’exécution propre à la main pratiquée et à l’esprit entrainée. Il n’avait pas besoin de chercher longtemps pour trouver cette chose noire et réprimée qu’étaient ses peurs et souvenirs. Si elle avait oublié ce qu’elle avait ressenti lorsqu’elle avait été scellée pour la première fois, Serenos fit remonter ces sentiments à la surface, inondant l’esprit de la déesse de ses propres désespoirs, de cette claustrophobie qui venait si naturellement à tous les prisonniers. Il lui rappela sa solitude, ce besoin si puissant de ne pas être seule qu’elle avait fait des pierres et des ombres qui l’entouraient ses sujets bien-aimés. Et Serenos fit quelque chose d’intensément cruel ; au milieu de ces sentiments, de ces souvenirs, il imposa un doute, un doute cruelle ; et si les ombres, les pierres, et tout sur quoi elle régnait, n’était rien d’autre que l’illusion créé par un esprit devenu malade par des siècles d’isolation ?

Un mensonge.

Un mensonge cruel.

Un mensonge, cependant, qui avait le potentiel de démontrer à la déesse ce que les mages étaient devenus ; ils n’avaient plus besoin de grand sorts ou d’une grande puissance. Ils n’avaient plus besoin d’imposer leur volonté à force de sceaux et de glyphe. Non, ils étaient devenus encore plus sournois, au point de faire du tour de force du mage l’ayant emprisonné autrefois un geste cru, sans raffinement, sans *talent*.

Serenos, même hors de Meisa, loin de sa forteresse où il était peut-être digne d’être considéré comme un dieu, ou du moins un être qui s’en approchait, était capable de lui faire ses plus grandes terreurs comme si elle les vivait à l’instant présent.

Le geste n’avait duré qu’un très, très court instant. Tout au plus, une seconde et demie. Et le Roi de Meisa dût se retirer de l’esprit de la Reine des Pierres, car il savait que s’il y restait, elle pourrait prendre sa vengeance.

Serenos n’avait simplement pas pris une chose en compte, et ce par simple ignorance de la nature de son adversaire ;

Il s’en prenait à la Reine des Pierres en personne.


***

– Je suis bien heureuse de te divertir, mon petit. Sache que tu m’amuses beaucoup également. Ma reine et moi, nous aimons particulièrement quand les mortels résistent – la victoire n’en est que plus belle. Si le feu n’a pas eu raison de toi, ce sera la mer qui t’avalera.

Trop noble pour se permettre un jeu de mot avec le mot « mer » et « avaler », Aldericht leva la tête en direction de la géante qui venait de déferler sur les montagnes au cœur desquels ils se trouvaient. L’énorme quantité de liquide serait impossible pour le prince à arrêter, quand bien même il aurait été au sommet de sa forme et pas en train de se plier de douleur sur le sol, serrant ses bras meurtris contre lui. Il ne savait pas comment il allait pouvoir se sauver, ou même sauver ce qui restait de ces braves soldats.

Voyant le danger approcher, le prince se redressa et se tourna vers le corps inconscient de sa sœur, autour duquel s’amassaient les quelques dizaines de soldats restants à la garde royale. S’ils revenaient vivants de cette excursion, Aldericht se promit à lui-même de leur accorder l’une des plus somptueuses sépultures qu’il fut en droit de donner. Il se surprit à considérer la possibilité de la survie, qui lui laissait également savoir qu’il n’avait peut-être pas encore abandonné tout espoir de regagner sa terre natale.

– Ah, mère, murmura-t-il en titubant vers sa sœur. Veillez sur votre pauvre fou de fils.

Il redoutait son prochain acte avec la même appréhension qu’il n’aurait eu d’utiliser la force vitale de quiconque d’autre, mais alors qu’il observait Laurelian, cette créature si vigoureuse, remplie d’une magie aussi rare que puissante, il y voyait son salut, et celui des autres. Ignorant la douleur, il bondit jusqu’à son côté, et plaça une main au-dessus de son visage, avant de se tourner vers la géante et le raz-de-marée qu’elle avait convoqué.

Malgré sa décision, il existait toujours dans son for intérieur une hésitation malvenue, une hésitation qui l’empêcha de drainer l’énergie magique de la princesse comme il avait drainée celle de la terre-déesse. Quel genre de frère était-il ?

Et la question mourut dans son esprit quand il sentit une main glisser les doigts entre les siens, et joindre leurs paumes. Il n’avait pas besoin de regarder pour savoir qu’il s’agissait des doigts de la pythie. Et donc, il but. Il but de ce puit perturbé et incontrôlable, et sa force digne d’être qualifié de quasi-divine se déversa en lui à grand débit, le noyant presque dans une tourmente de pouvoir et de félicité.

Les runes magiques se tracèrent dans l’air, et avec un rugissement, le prince de Meisa leva les bras devant lui et les abattit de chaque côté. Le sol se fendit sous eux, et le groupe de guerriers disparurent dans les profondeurs sous la montagne. Aussitôt furent-ils dévorés par la bouche béante du sol qu’elle se referma derrière eux, empêchant l’eau de se joindre à eux. Après une chute de dix mètres, environ, tous les soldats heurtèrent le sol, certains parvenant à se réceptionner sur leurs jambes, d’autres sur le séant. Le duo princier, pour leur part, descendait plus lentement, Aldericht usant de son don pour se suspendre dans sa chute, et Laurelian s’accrochant à sa taille pour ne pas tomber.

Une fois au sol, le prince se laissa tomber sur le siège à son tour, et lâcha un soupir.

– Allumez les torches… surveillez les ombres, dit-il d’un ton las. Elle ne lâchera probablement pas la chose.

– Était-ce bien prudent de gagner les galeries, votre altesse ? N’est-ce pas le domaine de l’ennemi ?

– Surement. Mais vous avez vu comme moi que le monstre a protégé l’entrée pour empêcher l’eau d’inonder les galeries. Elle n’osera rien faire qui puisse mettre sa maîtresse en danger. Et j’ai l’impression que nous courrons moins de danger dans les veines de cette île plutôt que dehors.

Il eut le temps de regretter ses paroles lorsque des voix spectrales explosèrent en rire.

Maledissi, jura-t-il en se laissant tomber sur le sol.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le mardi 19 novembre 2024, 11:54:15
Elle l’avait laissé s’approcher, sans le craindre, sans reculer ; une attitude qui reflétait son absence de peur.

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, on le lui avait toujours inculqué : n’aie pas peur, jamais. Une divinité, quelle qu’elle soit, ne devait jamais avoir peur ; elle devait inspirer la peur. Alors, même quand quelque chose comme son instinct lui disait de se méfier, de reculer, de prendre quelques secondes pour réfléchir un peu, elle n’en faisait rien : elle fonçait, elle s’exposait, quitte à prendre les premiers coups. « Sois l’adversaire qui sait prendre les coups sans broncher, et qui sait les rendre avec fureur » ; voilà avec quel genre de préceptes elle avait été élevée.

Pas de peur, beaucoup de colère ; voilà ce qui composait en grande partie le tempérament d’Eyia.
Lorsqu’il s’insinua dans son esprit, elle fit néanmoins l’expérience d’une émotion qu’elle avait presque oubliée à force de ne plus la côtoyer : la peine.

Son cœur se tordit, étranglé par un battement sourd, alors que remontaient à la surface les émotions qui l’avait traversée, hantée, torturée, pendant son enfermement : la solitude profonde et le silence lourd, les murs froids et le temps qui s’évapore, la rage continuelle et la douleur cinglante. Avec le temps, tout cela s’était comme estompé, et ne restait de cet emprisonnement que colère et rancœur, et quelques souvenirs entamés par le temps. Mais là, à cet instant précis, tout réapparut dans une violence éclatante, annulant du même coup tout ce lent travail salvateur du temps qui consistait à atténuer la peine.
Un doute l’assaillit – celui d’avoir tout rêvé, dans un délire de prisonnière qui se ronge la tête à force d’isolement et de séquestration. Peut-être n’était-elle jamais sortie de cet enfer, peut-être n’avait-elle jamais été libre, peut-être-

Au moment où Serenos s’éloigna, souvenirs et illusions se dissipèrent. Sonnée, la souveraine ne mit pas longtemps à reprendre ses esprits, comprenant ce qui venait de lui arriver.

Sois l’adversaire qui sait prendre les coups sans broncher, et qui sait les rendre avec fureur.

Dans son ventre, la peine s’était écroulée ; de ses décombres avait surgi la colère.

La noirceur de ses yeux brûlants se planta dans le regard de son adversaire. Ses mâchoires, aussi serrées que ses poings, retenaient péniblement les injures qui lui brûlaient les lèvres.

- Je vais te briser.

Et elle fondit sur lui dans un mouvement vif. Au vu de sa petite stature et de celle, imposante, de son adversaire, on aurait pu croire un geste inconsidéré. Espérait-elle faire tomber son adversaire ? Le frapper de ses petits poings ? Si elle avait été une mortelle, nul doute qu’elle se serait fait écraser – mais il n’en était rien. Frappée dans son orgueil et dans ses souvenirs les plus douloureux, animée d’une telle rage, la déesse était dans les meilleures dispositions pour rendre coup pour coup.

Serenos put sentir une main glacée se poser sur le haut de cage thoracique, puis s’y appuyer, provoquant ainsi la désagréable impression que des doigts étaient en train de saisir l’os de son sternum. Certes, heurter la peau, la chair, les muscles était douloureux, mais bien trop classique – alors qu’offrir à son opposant la sensation qu’on venait griffer ses os, faisant résonner cette sourde vibration dans toute son ossature, était infiniment plus jouissif*. La petite déesse s’était élevée dans les airs afin de lui faire face, et d’ainsi décrypter les moindres émotions que trahiraient ses traits.

Puis, d’un geste vif, elle ôta sa main, profitant de l’étourdissement que cette attaque provoquait généralement chez ceux qui la subissaient pour lui rendre ce geste supposément tendre qu’il lui avait adressé précédemment : ses deux mains encadrèrent le visage du roi. Il put ainsi avoir la sensation de ces mains a priori inoffensives étaient en train de littéralement écraser sa mâchoire, comme s’il s’agissait là d’une matière aussi friable que de la craie ramollie par la pluie.

- Tu te penses sincèrement capable de te mesurer à la reine des pierres ? Quelle arrogance. Rien ne me résiste.

*   *   *

Une fois que la mer s’était retirée, la géante constata dans un soupir de déception que les petits humains  avaient trouvé un subterfuge. Ne restaient, accrochés à des arbres, écrasés contre la pierre ou flottant à la surface de quelques flaques, que des corps déjà morts. Se concentrant un instant, elle posa la main sur la terre gorgée d’eau ; un sourire se dessina sur son visage.

Ils étaient toujours là, en-dessous d’elle, sous la terre – un territoire auquel elle n’avait pas accès (pour des raisons logistiques évidentes). La créature poussa un nouveau soupir, et, d’une voix douce :

- Je vous les laisse. Prenez-en soin.

Puis elle retira dans la nuit.

Sous terre, Aldericht, Laurelian et leurs troupes purent en effet, un temps, faire l’expérience d’une forme d’apaisement. Dans leur champ de vision, plus aucune géante capable de faire se mouvoir les éléments à son gré – c’était déjà ça.
Néanmoins, il serait erroné de croire qu’ils étaient mis hors de danger. Ils venaient d’atteindre un espace où les ombres étaient particulièrement puissantes. Tissées de ténèbres, elles s’épanouissaient dans les espaces plongés dans l’obscurité – et ce particulièrement au contact d’une pierre nourricière.

L’excès de confiance d’Aldericht fut sanctionné de leurs rires. Néanmoins, les ombres ne se jetèrent pas sur eux comme des créatures sanguinaires incapables de se contrôler ; elles leur laissèrent le temps de découvrir les galeries où ils venaient d’atterrir. A priori, rien que de la roche suffisamment bien taillée pour permettre à des êtres, quelle que soit leur nature, de progresser aisément. Quand leurs yeux commencèrent à s’habituer à cet espace obscur, ils purent apercevoir autre chose. Des sortes d’inscriptions gravées avec ce qui semblait être une craie en silicate rouge ou du charbon. En s’approchant, ils se seraient rendus compte qu’il ne s’agissait aucunement d’inscriptions ésotériques mais de noms ou de messages d’adieux – et qu’ils n’étaient pas tracés à la craie, mais bien à l’aide d’un sang séché.

Et plus loin, dans des recoins, s’éparpillaient des ossements partiellement brisés ou brûlés.

- Prenez vos aises, chers convives, prononça une voix caverneuse avant d’éclater de rire.

Des ombres qui tapissaient les murs commencèrent alors à s’extraire lentement – avec une forme de théâtralité qui n’était pas sans rappeler la dramatisation qu’affectionnait leur déesse – des ombres de formes féminines aux ongles acérées.





* Quiconque s’est fait tatouer sur des zones osseuses peut témoigner du fait que c’est la pire sensation. Chers lecteurs, chères lectrices : réfléchissez à deux fois avant de vous faire tatouer les côtes.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le jeudi 21 novembre 2024, 17:13:27
La douleur. Ah, cruelle et pourtant si familière amie de toujours. Serenos ne ressentait pas souvent la caresse de l’annonciatrice de supplices à venir, et pour tout homme d’action qu’il soit, il dût admettre, quand les griffes de la créature s’enfoncèrent dans sa chair et crissèrent contre les os de sa cage thoracique, qu’il ne s’était jamais vraiment ennuyé d’elle. Par tous les ancêtres, qu’est-ce que cette sensation était désagréable. Mais Serenos Aeslingr était un homme qui ne se laissait pas broyer aussi facilement, même si son adversaire était absolument terrifiante et très nettement supérieure à lui.

Ce n’est pas qu’Eyia fusse une guerrière plus expérimentée ou plus adroite, mais il y avait de ces créatures dans ce monde pour qui les règles de la physique et même du temps ne contraignaient pas ; qu’importe sa petite stature et son manque d’expérience martiale si, pour elle, un humain était aussi lent et prévisible qu’un escargot.

Un grondement sourd échappa aux lèvres du Roi, dont le regard tressaillit de douleur, et il manqua presque de tomber au sol quand la déesse lui attrapa le visage du Roi et lui enserra la tête comme dans un étau. Si ce n’était pas de son anatomie renforcée par les procédés de Melisende, il eut à craindre que son crâne, voire son squelette entier, ne serait rien de plus qu’un amas de poussière dans sa chair.

- Tu te penses sincèrement capable de te mesurer à la reine des pierres ? Quelle arrogance. Rien ne me résiste.

– Je suis très entêté, parvint à dire le Roi entre ses grognements de douleur.

Et pour le démontrer, le Roi passa ses mains autour de la taille de la Reine des Pierres et, sans crier gare, l’entraina dans une ferme étreinte. Bassin à bassin, torse contre poitrine, presque visage à visage, il sentit l’entièreté de son système nerveux s’enflammer dans une éruption de douleur telle qu’il n’avait pas expérimentée depuis les donjons de Rajj’tara, et pourtant, comme pour démontrer l’entêtement susnommé, il banda les muscles et la garda contre lui, plantant les pieds au sol.

Les murs de la pièce s’illuminèrent, comme si chaque crevasse cachait de la lave volcanique prête à érupter, alors que le sol au complet se mit à trembler.

Eyia sentit alors ce que Serenos venait de faire quand une vive sensation de pénétration la traversa de part en part ; le Roi de Meisa déversait à nouveau sa magie dans son île. Sous leurs pieds, cet odieux ennemi venait de planter en elle, ou plutôt dans son île un pieu d’énergie qui, en raison de leur relation fusionnelle, revenait à lui infliger cette cruelle sensation, comme si un énorme clou lui perforait l’abdomen.

Et pis encore, c’est qu’elle pouvait ressentir la signature du Roi dans cette magie ; c’était comme avoir une part de cette homme dans sa chair, un sentiment qui, pour avoir un analogue plus commun, pouvait être perçu comme un geste absolument infect, cruel et méchant. Puis… vint une remarquable chaleur. De ce pieu cruel qui visait manifestement à lui causer de la douleur, provenait maintenant une vague d’aisance, de calme. Il ne lui faisait plus mal.

– Je peux continuer, grogna le Roi au travers de ce qui semblait être, de son côté, un supplice incommensurable.

***

- Prenez vos aises, chers convives, prononça une voix caverneuse avant d’éclater de rire.

– Oh, que votre voix vous étouffe, grogna le prince.

Un juron purement Meisaen qui, comme vous pouvez le deviner aisément, encourageait son interlocuteur à se taire et crever.

Laurelian posa délicatement la tête d’Aldericht sur le sol, puis se tourna vers les ombres, avant de s’approcher de celle qui lui semblait la plus dense, la plus menaçante, la plus vile. Et ses yeux brillèrent doucement, de la même lueur dorée que celle de Serenos, ou encore du prince, mais avec l’intensité d’une paire d’astre solaires, brillant mais n’émettant aucune ombre.

– Il suffit, souffla doucement la pythie en levant une main et la posant sur « l’ épaule » de la créature d’Eyia.

Un moment de silence suivit, pendant lequel les ombres restèrent comme figé devant la petite princesse.

– Vous le ressentez, n’est-ce pas ?

Elle prit la main griffue de l’ombre et en attira une griffe pour la presser contre sa poitrine, devant l’endroit où se trouvait son cœur.

– Le fil du destin ne se brisera pas ici, que ce soit le mien, le vôtre, celui de votre mère-reine, ou de l’anathème.

Elle pressa la griffe de l’ombre contre sa chair, et la pointe se marqua de sang qui, instantanément, infligea une horreur viscérale aux ombres. Un murmure glacé se propagea dans la caverne, et une chose était absolument certain ; cette femme allait sortir d’ici, que les ombres le veuillent ou non.

*Aussi... Ow.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le vendredi 22 novembre 2024, 10:34:41
- Je suis très entêté.

La déesse étouffa un « J’espère bien » lorsque ses mains se refermèrent autour de sa taille. Elle écarquilla les yeux puis fronça les sourcils lorsqu’il l’étreignit.
« Comment ose-t-il ? » Il était en effet impensable pour un mortel d’approcher la déesse sans son autorisation préalable, et encore moins de la toucher – alors l’étreindre relevait quasiment du crime. Lorsqu’elle se retrouva littéralement collée à lui, son torse s’écrasant celui du roi, son visage si proche du sien, Eyia fut partagée entre deux émotions contraires : une réelle envie de le tabasser pour lui apprendre les bonnes manières et une vague excitation – colère et désir étaient après tout deux choses qu’elle affectionnait au plus haut point.

Néanmoins, lorsqu’elle ressentit l’attaque qu’il lui lançait, le désir s’évanouit : ne resta que la colère.

Tout d’abord, elle ne comprit pas la raison de cette étreinte. Voulait-il l’écraser ? Ridicule ; elle pourrait sans trop d’efforts lui donner l’impression qu’il tenait entre ses bras de la lave en fusion. Puis arriva l’attaque. Le coup qu’il lui porta lui donna l’impression qu’une lame venait de percer son ventre. La sensation n’était pas agréable, loin de là, mais Eyia aurait pu la tolérer.
Ce qui était à ses yeux intolérable, c’est ce qu’il laissa une fois la lame sortie de son ventre : une marque. Il venait de recommencer ; encore une fois, il avait laissé quelque chose de lui en elle, souillant son intégrité en même temps que son île. La souveraine sentit un brasier incendier son cœur d’une profonde rage et d’une grande honte ; elle aurait pu en pleurer de colère. Elle ne put donc pas savourer la fin de ce supplice, ni même profiter un peu de la douce sensation d’une chaleur apaisante ; elle était aveuglée par la haine.

- Je peux continuer.

Il n’eut d’abord pas de réponse d’Eyia, à l’exception du regard chargé de haine qu’elle lui adressait. Il pouvait également sentir le souffle haletant de colère qui agitait son buste, ou voir la façon dont ses mâchoires s’étaient serrées, dessinant de façon plus nette leur ossature. En revanche, les deux mains qu’elle avait appuyées sur les épaules du roi, aussi bien pour essayer de le repousser au début de leur étreinte que pour s’y accrocher alors qu’il l’attaquait, ne bougeaient pas ; elles tremblaient un peu, et ce n’était pas de peur.

- Je m’apprêtais à te demander si tu mesurais la portée de tes actes, petit roi, murmura-t-elle, mais la réponse va de soi : tu as fait tout cela en conscience. Pour cela, crois-moi, tu ne mérites que la mort.

La déesse releva son visage vers celui de Serenos. Son regard était comme éteint, ou du moins il était à présent illisible. Doucement, elle le rapprocha de celui du roi et déposa doucement ses lèvres sur les siennes. De prime abord, on aurait pu croire à un signe de tendresse – il n’en était rien.
Lorsqu’elle retira ses lèvres, il put sentir quelque chose de piquant, puis de brûlant sur ses lèvres, comme si un magma incandescent leur coulait dessus. Cette sensation ne s’arrêta pas à sa bouche ; elle se répandait à présent à l’intérieur de sa bouche, le long de sa langue, sur son palais, puis dans sa gorge – ainsi, ce qui semblait une lave invisible glissait peu à peu dans son organisme.

Et elle, toujours dans ses bras, riait, satisfaite de son coup.

Alors qu’il sentait cette chaleur insupportable glisser toujours plus loin en lui, s’insinuant dans son œsophage et ses poumons, le roi eut un instant de faiblesse ; elle en profita pour se déloger, et retomba au sol dans un mouvement maîtrisé, époussetant ses bras et sa taille, comme pour ôter de la surface de son être l’attaque précédente, sans même lui adresser un regard.

Puis, lui tournant le dos, elle eut ce petit mouvement de la main : un claquement de doigts, puis un poing serré.

Alors, Serenos put sentir les pierres autour de lui s’embraser en s’illuminant, réverbérant une lumière aveuglante. En un instant, la grotte fut remplie de ce halo qui pouvait faire fondre n’importe quelle rétine qui oserait les regarder en face.

Ainsi se déroulait une mise à mort aussi royale que divine : en incendiant le corps de l’intérieur comme de l’extérieur, en l’assommant, l’aveuglant et l’embrasant d’une chaleur insupportable.

- « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face »* parait-il, récita-t-elle d’un voix forte. J’aimerais ajouter : « ni même Eyia ».

*   *   *

Sous la roche, dans les galeries, les ombres tremblaient.

C’était un fait suffisamment rare pour être relevé. Même si les ombres n’étaient pas des répliques d’Eyia, elles n’étaient pas familières de la peur. Pour plaire à leur souveraine, elles avaient appris à ne pas s’y fier. Aussi, quand la Pythie s’approcha d’elle, l’ombre ne recula pas ; elle ne flancha pas quand le frisson de terreur la traversa, même si elle devait s’avouer déstabilisée.

Comme leur reine, les ombres n’appréciaient guère les mages et les prophétesses ; cette rancœur millénaire et cette soif de revanche envers ceux qui avaient osé enfermer leur souveraine l’emportaient sur la peur. Aussi, le premier geste que fit l’ombre fut d’attraper de son autre main le poignet de Laurelian. Elle s’apprêtait à fondre sur elle, au même titre que les autres ombres, quand une voix résonna dans les souterrains :

- Petite prophétesse, je te vois.

Le ton de cette phrase était presque chantonnant.
Laurelian n’eut aucune difficulté à reconnaître là la voix qui l’avait assaillie lors de son arrivée sur l’île. C’était bien celle d’Eyia qui, profitant d’un moment d’accalmie pendant ce qu’elle estimait être la lente mise à mort de Serenos, se tournait à nouveau vers sa fille. Dans une théâtralité qui la caractérisait, Eyia faisait cette fois entendre sa voix à tout le monde, et non pas seulement à Laurelian.

- Tu te souviens de moi, n’est-ce pas ?

Un léger rire ponctua cette phrase – puis Laurelian put nettement sentir la déesse pénétrer à nouveau son esprit. Un vacarme de cris et de bruits de corps brisés résonna à nouveau sous son crâne.
Quant aux ombres, elles comprirent qu’il s’agissait là d’un signal pour lancer leur attaque. D’un même mouvement, elles fondirent sur leurs adversaires.



* Allez hop, un peu de La Rochefoucauld
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le vendredi 22 novembre 2024, 21:48:22
Plonger la déesse dans sa colère la plus intense n’était peut-être pas le geste le plus sensé que le Roi de Meisa, dans son infinie témérité et arrogance, eusse posé. Mais il savait qu’il ne pouvait pas gagner contre la reine seulement avec des attaques physiques et donc, l’énerver pouvait la pousser à commettre une erreur fatale.

Alors, quand elle lui plaqua ses lèvres sur les siennes, Serenos dût admettre que dans l’art de la déstabilisation et de l’imprévu, il avait assurément trouvé son égale. Le baiser était, comme son étreinte, un stratagème pour porter un autre assaut sournois, et pourtant, il se surprit à y répondre, comme si son instinct, à la limite du suicidaire, trouvait le danger absolument irrésistible, et d’un simple contact de lèvres, le duo d’ennemis se retrouvèrent à s’embrasser avec l’abandon haineux qui leur convenait, et ce malgré la sensation de brûlure qui commençait à se propager des lèvres de la belle.

C’était comme si, par l’effort de sa volonté, sa salive était devenue à l’image même des entrailles de la terre, et la douleur prit le Roi, qui sentit immédiatement son corps se convulser de douleur alors que cette lave liquide glissait dans sa gorge. La déesse éclata de rire, visiblement satisfaite du sort qu’elle avait choisi d’infliger au Roi, et alors qu’elle rit, un sourire tout aussi amusé que souffrant déforma les lèvres d’Aeslingr, qui ne tenait maintenant debout qu’à la bonne grâce de la déesse, celle-ci ne tardant point à le laisser tomber au sol maintenant qu’elle avait signé son arrêt de mort.

Serenos n’avait, faute d’avoir un jour trouvé quelqu’un capable de l’infliger, jamais ressenti une telle douleur de toute son existence. Encore une fois, et c’est bien de le rappeler; les hauts esprits ne sont pas liés aux mêmes règles de réalité que lui pouvait l’être, et leur magie, qui n’en était pas vraiment mais qui s’en approchait assez pour être qualifiée de telle, avait des applications et des propriétés que Serenos ne pouvait pas concevoir. Mais même si la transmutation d’une substance vers une autre n’avait rien de bien exceptionnel, là n’était pas la limite du pouvoir de cette créature primordiale.

À son supplice se rajouta soudainement une explosion de lumière vive qui noya sa vision dans une blancheur insoutenable, au point qu’il ressentit sa présence tout aussi douloureusement que si elle lu avait personnellement enfoncé des aiguilles à tricoter en plein dans les globes oculaires.

– « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face », paraît-il. J’aimerais rajouter « ni même Eyia ».

Serenos tomba sur les genoux, bouche ouverte dans un hurlement muet, sa respiration saccadée par ce cri qu’Il n’arrivait pas à pousser, et malgré ses efforts, sa tête finit par tomber sur sa poitrine.

Était-ce là que Serenos Aeslingr, le Sombrechant de Meisa, fléau des empereurs, souverain des trois plus grands domaines de l’Ayshanra allait s’effondrer ? Le destin qui lui avait été promis, ce même destin que pendant des années il avait cherché à se défaire par tous les moyens possibles, lui serait-il épargné par la grâce et la haine d’une divinité rencontrée par hasard ? En voilà un, de sort qui jamais ne devrait s’infliger sur les égarés et les maudits; toute l’histoire qu’il avait créé de ses mains, se soldant par une fin misérable au cœur d’une montagne.

Il entendit alors la voix d’Eyia, de nouveau. Mais cette fois, ce n’était pas par ses lèvres, mais par la marque qu’il avait fait sur elle; elle s’adressait à Laurelian. Par cette marque, il sentit également les efforts qu’elle déploya pour tourmenter la pythie, donc l’âme timide chercha à s’évader de l’influence de la divinité, sans succès.

Serenos n’avait jamais été un bon père pour la princesse. Il n’avait jamais été un bon père pour aucun de ses enfants. Brisé tel qu’il était, il avait toujours jugé qu’il était inapte à aimer ou à être aimé de ses enfants. Laurelian avait été seule, abandonnée par père et mère, sans aucune raison, aucune explication. Elle avait survécu grâce à la malveillance de d’autres, qui l’avaient abusée et exploitée à la limite de ce qui pouvait être considéré comme humainement possible. Et Serenos, après l’avoir retrouvée, n’avait rien fait, absolument rien, pour amoindrir le poids de son passé, et ce au nom d’une haine aveugle et, bien que méritée, qui était probablement basée sur la perception de la « trahison » qu’en avait le Roi.

Cette enfant, cette même fille qu’il avait négligée, Eyia allait lui faire du mal.

Eyn*, fit une voix –sa voix.

Serenos releva la tête, sa voix rauque s’éleva, brisée par l’effort que parler malgré sa chair interne brulée que ses capacités régénératives peinaient à contrecarrer.

Yrn naman Aeslingr dormoren Serenos, brachren yt stagarn.**

Il tendit la main devant lui, même s’il était déjà à bonne distance d’elle, et agrippa, à la force de son esprit et de son talent magique, la déesse par la marque, par la tâche, qu’il avait fait en elle, et le Roi tira férocement sur cette chaine invisible, avec force, et plongea son être dans l’essence de la déesse, s’abreuvant à même sa source.

L’essence d’Eyia était comme la femme elle-même. Puissante, certainement, mais aussi indomptée, et alors qu’elle se mêlait à celle de Serenos, il eut l’impression qu’il venait d’incendier sa propre âme de son plein chef, comme s’il avait plongé de lui-même dans le cœur fumant d’un volcan. L’énergie primordiale et chaotique n’était pas compatible avec sa propre nature, et donc cette parcelle de pouvoir luttait violemment en lui pour s’échapper de son emprise, digne de sa propriétaire originelle.

Mugissant comme une bête sauvage, le Roi nouvellement imbu d’une puissance quasi divine que son corps n’était absolument pas capable de loger brisa l’emprise d’Eiya sur lui-même et sur les pierres environnantes, sacrifiant une énorme part de ce qu’il lui avait volé, avant de foncer droit sur elle et de bondir, la plaquant au sol, et lui saisissant les poignets.

Yrn daghten ralancar, cräamen Vis-hili!***

Cette commande, si la divine nature d’Eyia lui permît d’en comprendre un traitre mot, avait été prononcée avec tant de fiel.

***

Comme Serenos l’avait ressenti, dès le moment que la Pythie avait de nouveau senti le regard et l’influence de la déesse sur elle, créature d’énorme pouvoir dont l’id était beaucoup plus imposant que le sien, elle fléchit. Et elle fléchit de beaucoup. Et les voix s’élevèrent à nouveau dans son esprit, ainsi que les bruits d’os brisés et de chair meurtrie. Elle leva naturellement les mains et se couvrit les oreilles, bien que l’origine de ces bruits ne soient pas d’origine sonore, mais spirituelle.

La princesse hurla de nouveau, opposant toute la force de sa volonté et de son esprit, diminué par la peur et la panique, alors qu’elle sentait celui la déesse la couvrit de façon fort menaçante, et que les ombres de l’ennemi se ruèrent vers elle.

Un des gardes royaux, cependant, s’interposa et, une épée inconnue à la main, se plaça entre la princesse et ses ennemis, avant de décrire un arc de cercle violent, et au même moment où les ombres se dispersèrent devant son arme, temporairement comme à chaque fois, la princesse cessa de crier. Le valeureux guerrier agrippa la main de la pythie et l’aida à se relever, avant de la tirer à sa suite, sachant que la retraite était encore le seul moyen de garantir leur survie.

Ils ne firent que quelques mètres avant de se retrouver, une nouvelle fois, confronté à un groupe d’ombre, manifestés à même l’obscurité de la grotte. Le garde bondit vers l’arrière, entrainant la princesse au sol, pour lui éviter un coup de griffe mortel de la part de ces ombres, et il se releva prestement sur ses pieds.

Aldericht, pour sa part, semblait être devenu la victime désignée d’une autre ombre qui, profitant de son immobilité, s’était accaparé son attention et le maintenait au sol. Les bras meurtris du prince battaient furieusement sur le visage féminin de l’ombre, mais il n’était plus vraiment en état de lutter. Enfin, ce fut jusqu’à ce que la même guerrière qui avait affronté la bête de tantôt apparut et, d’un féroce coup de pied au visage, décrocha l’ombre d’Aldericht, qu’elle remit sur ses pieds.

– Les autres ? haleta le prince en tirant un couteau dans sa main encore capable.

– Moins de survivants que je le voudrais, mais plus que je l’espérait, répondit la combattante.

Le duo s’élanca vers Laurelian et le monstre qui se muait dans l’ombre, Aldericht brandissant une main lumineuse pour chasser les ténèbres autant qu’il était encore possible de le faire dans son état.


* : Non.
** : Je suis Serenos de la maison Aeslingr, fier et immuable.
*** : Relâche ma fille, sorcière d’antan!
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le mardi 26 novembre 2024, 19:20:13
Il aurait dû crever.

Ce qu’il venait de subir, c’était une mise à mort – la plus grande de toutes, et pour cela la pire de toutes. Certains étaient honorés de mourir ainsi ; du moins, c’est ce qu’elle en avait déduit en voyant certains des mortels qui lui vouaient un culte boire des métaux que l’extrême chaleur avait rendu liquides ou se jeter dans des brasiers. C’était un rituel qu’elle avait toujours trouvé étrange, tout en reconnaissant un certain goût pour le spectaculaire chez celles et ceux qui le subissaient. La plupart s’imaginaient ainsi pouvoir rejoindre ses ombres. « Les pauvres ». Il n’en était évidemment rien. Déesse cruelle, Eyia ne s’était jamais intéressée à ces pauvres mortels prêts à mourir pour elle dans de telles conditions.

Aucun mortel ne pouvait survivre à cette lave incandescente, à ce brasier, à cette lumière aveuglante. Aucun.

Aussi vécut-elle comme un affront ce sursaut de vie, alors que Serenos prononçait son nom dans une langue ancienne. Dans une grimace de colère, elle mit fin à la torture qu’elle réservait à la prophétesse, se tournait vers ce mortel qui refusait de mourir. Ouvrant la bouche, elle s’apprêtait à proférer menaces et insultes, quand elle sentit s’embraser cette marque qu’il avait ancré en elle. Surprise, la déesse manqua de tomber à genoux ; ses yeux mouillés par des larmes de rage se plongèrent dans ceux de Serenos. Il était en train de puiser en elle la force de la contrer – une audace qui lui donnait envie de l’achever.
Néanmoins, c’est elle qui flancha, lui offrant un instant de faiblesse dont il sut se saisir. En un éclair, la déesse se retrouva plaquée au sol, aussi étourdie qu’enragée. Le fait qu’il ose la traiter de « sorcière », par-dessus le marché, alimentait cette colère profonde qui bouillonnait en elle.

- Sorcière ? Tu me prends pour une putain de sorcière, mortel ?

… Oui, bon, l’ego des déesses, hein – je vais pas vous faire la leçon dessus. Néanmoins, une fois l’insulte adressée – oui, car c’était bien une insulte pour elle – elle fut comme happée par la colère du roi. Le ton haineux avec lequel il avait prononcé ces mots lui procurait une certaine joie. Elle goûtait enfin à cette rage qu’elle avait senti en lui. Le contact rapproché de leurs corps lui permettait même de la boire à même la source, comme si la colère d’Eyia se rassasiait de celle du roi.
Peu surprenant alors qu’il l’entende finalement rire – un rire amusé, doux, satisfait. Souriante, Eyia n’essayait même pas de se déloger. Elle se contentait de respirer doucement sous lui, son regard cherchant le sien. Cette effusion de rage étaient véritablement en train de la chauffer, dans tous les sens possible du terme : elle lui donnait envie de lui sauter dessus, de l’étreindre, de le meurtrir. Néanmoins, pour le moment, elle reprenait tranquillement ses forces, le corps encore un peu engourdi du coup qu’il lui avait porté.

- Tu m’as rendu mon baiser, petit roi, murmura-t-elle à son oreille. Ta haine pour moi me rend donc désirable à tes yeux ?

Un nouveau rire ponctua sa phrase. Les yeux brûlants, la souveraine lui faisait face, un sourire confiant sur le visage.

- Veux-tu que je te fasse l’honneur de t’accorder une dernière étreinte avant de t’anéantir ? Tu l’aurais bien mérité, reprit-elle du ton assuré et légèrement méprisant que peuvent avoir les bourreaux les plus cruels avant une mise à mort.

Il put le sentir, ce qu’elle fit alors : entrer à nouveau dans l’esprit de Laurelian pour l’accabler d’une migraine atroce, de celles qui te broient le crâne et te clouent au sol sans même la force d'hurler de douleur, tout en le fixant, souriante.
Et ce, juste pour jeter de l’huile sur le brasier incendiaire qui animait Serenos.

*    *    *

Le combat fut particulièrement violent.

Les ombres avaient l’habitude d’adversaires moins valeureux. La plupart se faisaient exterminer en quelques minutes par la géante qui laissait, par charité, quelques survivants aux ombres qui pouvaient ainsi s’amuser à les pourchasser dans les galeries.

Là, en revanche, elles s’épuisaient. Les ombres n’étaient pas leur souveraine qui, bouillonnante de puissance, était capable de buter tout ce beau monde en un claquement de doigts. Elles restaient avant tout des sujets qui ressentaient le besoin crucial de retourner à leur source après un combat acharné. Elles donnèrent tout dans cet assaut, parvenant à blesser et à tuer quelques mortels de plus.

Pardon, votre Majesté.

Eyia entendit à peine cette douce lamentation de ses ombres, toute amusée qu’elle était à torturer cruellement Serenos et sa fille.
Ce qu’Aldericht et ses derniers compagnons d’armes purent voir, ce furent les ombres qui disparaissaient dans un souffle épuisé, se redirigeant vers leur source pour y puiser une énergie nouvelle. Une d’entre elles, néanmoins, dans un soupir, leur murmura :

- Vous ne pourrez jamais fuir – et nous reviendrons.

Puis le silence.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Serenos I Aeslingr le mardi 26 novembre 2024, 22:58:35
Elle prit son appellation comme une insulte.

Bien.

C’était exactement ce qu’il voulait qu’elle perçoive. Parce que c’était ce qu’elle était. Comme elle. Une autre chose qui existait dans un monde qui n’en avait plus besoin. Qui avait besoin d’un dieu, d’un haut esprit, quand ils pouvaient prendre leur propre destinée entre leurs mains? Qui avait besoin d’êtres cruels et sans scrupule, qui se justifiaient dans leurs abominations en invoquant pour cause leur nature capricieuse d’être divin? Ceux qui avaient besoin de ces mêmes créatures pour justifier leurs propres actes, voilà qui.

Elle se moquait bien de lui, et c’était bien là le problème de ses semblables; toujours si pressés de valoriser leur propre indignation, mais moquer celle de ceux qu’ils jugeaient comme des êtres inférieurs.

Sous lui, elle le regardait de ses maudits yeux, daignant de le dévisager avec un sourire, un sourire qui troubla Serenos; c’était exactement le même genre de sourire qu’elle lui avait autrefois adressé. Ce même sourire chargé de confiance que, quoiqu’il fasse, il n’arriverait à rien. Un sourire qui cherchait à le remplir d’amertume, de colère… non, de désespoir. Mais Serenos refusait de se laisser gagner ainsi. Il refusait, fermement, de la laisser faire, cependant.

– Tu m’as rendu mon baiser, petit roi, dit-elle, se redressant un peu pour atteindre son oreille.

Sa joue frolait presque la sienne.

Elle finit donc sa phrase, toujours sur le même ton presque mielleux; « Ta haine pour moi me rend donc désirable à tes yeux… »

Serenos grinça des dents à cette simple suggestion, comme si elle venait de lui dire l’une des plus affreuses choses au monde.

– Pour te haïr, dit-il malgré ses dents serrées, abandonnant son ton respectueux qui semblait lui faire beaucoup trop plaisir. Déjà, faudrait-il que je t’accorde une importance au-delà de ce moment.

Il aurait voulu y croire, mais de fait, sa pique, son fiel, sembla se perdre dans l’océan qu’il voyait dans le regard d’Eyia, et une cruelle pensée prit place dans son esprit; et si, par quelque hasard, elle avait raison? Et s’il y avait effectivement une part de lui qui était enivré par des rapports chargé d’animosité? Et si, au fond, c’était vraiment la seule chose qui le faisait encore réagir, après avoir vu tant de ses émotions être détruites par les expériences les plus sombres.

Un frisson d’horreur le prit.

Elle ne s’arrêta pas là, visiblement indifférente à sa réplique; elle lui proposa de lui accorder ses bras, avec un ton qui laissait clairement savoir qu’elle considérait un tel geste comme une insulte additionnelle. Peut-être cherchait-elle à le provoquer, tout simplement, en le reléguant au même rôle que ces hommes qui ne pouvaient contenir leur désir et leur agression.

Il sentit alors, à travers ce lien étrange qu’il avait lui-même instauré, que la Déesse reprenait son assaut sur sa fille, et sa douleur se répandit dans leurs trois esprits. Et Eyia n’en était pas attristée; tout au contraire, elle s’en amusait.

- Tu veux une étreinte? En voilà une!

Cette fois, ce fut Serenos qui vint chercher les lèvres d’Eyia, et déversa en elle toute l’incandescence de sa présence, dans un effort de brouiller sa connexion envers la Pythie. À l’image d’un soleil, son esprit irradiait l’astral et le spirituel, là où les âmes et esprits se rencontraient. C’était douloureux, c’était fort, et c’était surtout très difficile à ignorer ou passer outre.

Le simple contact des lèvres de cette femme n’avait apparemment rien perdu de son poison, et Serenos sentit de nouveau, par ce simple contact, l’énormité de la puissance divine de celle qu’il venait de traiter de sorcière. Il constatait, encore une fois, que malgré toute sa hargne, elle était loin d’être en échec. En retour, il était clair qu’il ne démordrait pas d’elle jusqu’à ce que l’un, ou l’autre, ne se déclare vaincu.

Une chose qui, pour eux deux, semblait fort improbable. Ils étaient plus à même de se détruire mutuellement, ou plus exactement de voir Serenos se détruire, plutôt que d’admettre la supériorité de l’autre.


* * *

Laurelian, pantelante et la voix enrouée d’avoir trop hurlé, crispée sur elle-même dans les bras de son protecteur après l’assaut cruel de la Déesse, revenait de nouveau à elle, chancelante, et elle regarda vers son frère qui, de son côté, observait les ombres qui semblaient commencer à prendre du recul. Malgré la puissance de leur maîtresse, il semblait que cet éclat que leur dévotion leur accordait n’était pas nécessairement inépuisable.

On pourrait croire que cela voulait dire qu’à force de persévérance, ils pourraient peut-être en venir à bout, mais les Meisaens étaient traditionnellement des gens qui ne se faisait pas de faux espoirs. Pour eux, un ennemi déterminé à les anéantir trouverait éventuellement les ressources pour le faire, et donc, malgré cette accalmie, Aldericht opta pour la sécurité.

– Votre Altesse?

– Elles vont revenir en force.

– C’est ce qu’elles nous laissent supposer. Que devons-nous faire?

Aldericht marqua un moment de réflexion, massant sa mâchoire en dévisageant le corps des vaincus, ainsi que les tunnels sombres et humides qui se trouvaient devant lui. Dehors, la géante, ici, les ombres. Mais quelque part, dans cette galerie, se trouvait l’origine, la source de ces deux forces, peut-être même l’endroit où son père lui-même se trouvait.

– Nous les pourchassons, décida-t-il en rengainant son épée et en focalisant ce qui lui restait de force magique dans ses bras, pour les guérir au mieux qu’il le put. Leur source est sur cette île, et en l’arrêtant, peut-être pourrons-nous ensuite regagner le navire et faire voile vers Meisa. Il me tarde de me retrouver à bonne distance de cette île maudite.

– Et sinon, d’une façon ou d’une autre, nous allons tous mourir, grommela la femme à son côté. C’est bien notre lot, ça.

–Eh, cela pourrait être bien pire, dit le Prince avec un haussement d’épaules et en commençant à marcher vers les entrailles de la terre. Cela aurait pu se passer en hiver. Mourir de froid, c’est long, en plus d’être pénible.

–Oh, ha, ha. Si les ombres vous ont entendu, elles sont bien capable de trouver une façon de vous faire regretter vos paroles, vous savez.


* * *

Alors que son princier fils faisait son chemin dans les galeries, Serenos brisa le contact de sa bouche sur celle d’Eyia, le visage déformé par la douleur et la colère qu’elle lui suscitait. Ses mains, toujours sur les poignets de la Déesse, semblaient la tenir en place, bien qu’il commençat à croire que, peut-être, elle ne faisait simplement pas l’effort de s’arracher à son emprise.

-Combien de vos blasphèmes devrais-je commettre avant que tu ne te rendes, femme ? siffla-t-il entre ses dents, son âme toujours accrochée à la sienne, comme un parasite à son hôte.

Ses doigts se resseraient encore sur les poignets de la déesse. Il serait bien incapable de les lui briser, bien que l’idée en elle-même lui vint en tête l’espace d’un instant. Il ne connaissait rien des limites des hauts esprits. Quel genre de punition pouvait-elle endurer avec ce corps supposément humanoïde? Y avait-il simplement des nerfs, des veines, un cœur ou un cerveau derrière cette peau pâle, ou ce n’était qu’une enveloppe, un contenant d’apparence humaine, une illusion créé pour interagir avec le monde matériel?

Voilà encore une question qui germait dans son esprit curieux. Ce qui était quand même surprenant, même pour lui, considérant sa position.
Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos]
Posté par: Eyia le mercredi 27 novembre 2024, 19:45:30
Il était bien résistant, pour un petit roi ; Eyia s’en étonnait. Par le passé, toutes ses attaques avaient atteint leur but : aucun mortel ne pouvait souffrir ses assauts sans finir par en mourir, et aucun homme ne pouvait être insensible à ses charmes. Et pourtant, lui ne lâchait rien, et continuait à se battre contre elle, animé par une rage aveugle qui le rendait indestructible.
« Indestructible – n’exagérons rien ». Si la déesse était surprise par la résistance de Serenos, elle n’avait aucun doute sur ses propres capacités à l’abattre ; elle s’était juste imaginée que ce serait bien plus simple de le mettre hors d’état de lui nuire. Encore enivrée de sa colère, elle se laissa embrasser – et manqua de le mordre en sentant le coup qu’il portait. C’était comme si un éclair la traversait de part en part, l’éblouissant et l’assommant. Certes, elle répliqua, prête à rendre coup pour coup, mais elle sentit un court instant son esprit se rompre.
Un court instant, ses yeux se fermèrent – comme si la déesse venait de s’évanouir.

Eyia crut sentir un souffle frais sur sa joue, comme une brise printanière. Une odeur familière l’enroba peu à peu ; celle du bois brûlé mêlée à la senteur de l’encens embrasé, et celle d’une peau tiède dans laquelle son visage se réfugiait avec ces gestes tendres qu’ont les corps en quête de réconfort. La moindre parcelle de son corps était courbaturée, et chaque geste lui coûtait. Elle aurait voulu s’arrêter, se reposer, s’endormir même. Et pourtant, une main dans sa chevelure écartait les mèches devant ses oreilles, et une voix lui soufflait :
- Relève-toi.
Cette scène, elle l’avait vécue encore et encore. Elle n’en gardait pas de souvenirs douloureux, car chacun de ces entraînements aux côtés de sa génitrice lui avait permis d’être la forcenée qu’elle était aujourd’hui.
Néanmoins, Eyia s’étonna de revivre ce souvenir, à la façon d’une dormeuse qui réalise que ce qu’elle vient de vivre n’est qu’un rêve, et qui s’étonne d’être endormie.
« Je rêve. Je me suis évanouie et je rêve. Je me suis évanouie, putain ! »

Dans un hoquet, elle réouvrit les yeux pour faire face à Serenos, qui lui enserrait férocement les poignets. La brutalité de son attaque l’avait littéralement assommée pendant un bref instant, à peine quelques secondes. L’avait-il seulement senti ? Elle n’en avait cure, au fond.

- Combien de vos blasphèmes devrais-je commettre avant que tu ne te rendes, femme ?

Eyia ne lui répondit pas tout de suite. Serenos put d’ailleurs sentir sous lui le corps d’Eyia littéralement s’éteindre. Ses yeux se fermèrent, sa poitrine cessa de se soulever au rythme de ses respirations et sa bouche resta désespérément ouverte, à la façon d’une – une morte, oui. Son adversaire aurait pu connaître un moment de surprise, mais Eyia le savait suffisamment intelligent pour se douter qu’il ne l’avait pas tuée (quelle idée) – sinon, il lui faudrait punir ce qu’elle considérait comme un péché d’orgueil.

Quelques secondes après cette extinction de l’enveloppe charnelle d’Eyia, Serenos put sentir que l’air se faisait plus lourd autour de lui, à la manière de celui, pesant, humide et chargé d’électricité, d’un orage tropical.

En se relevant, en cherchant autour de lui, il ne l’aurait pas vu. Il était comme seul dans cette vaste grotte - comme seul, insistons sur ce terme, car Serenos était un roi doué d’une certaine intelligence (qu’Eyia lui reconnaissait sans peine, dans son infinie bonté). Elle était encore là – il pouvait le sentir – sans pour autant accepter de se rendre visible.

- Tu m’as prise pour une sorcière, puis pour une faible femme que tu pourrais faire ployer entre tes mains – tu insultes ta propre intelligence, Serenos.

C’est ce qu’il put entendre avant de la voir apparaître – ou plutôt de la sentir. Car c’est bien une main dans sa nuque, une main menue mais puissante, lourde d’une énergie divine écrasante, qu’il sentit juste après avoir entendu cette phrase ; une main qui appuyait avec violence sur cette nuque pour l’obliger à s’agenouiller en écrasant son visage sur le sol.

- Reconnais tes dieux, ordonna-t-elle d’une voix impérieuse.

Et de cette main, cette main si petite, si blanche, une puissance jaillit avec une force telle qu’elle aurait brisé la nuque, voire coupé la tête, de n’importe quel mortel. Oh, Eyia ne se faisait pas d’illusion ; il ne mourrait pas. Mais au moins souffrirait-il le martyre, et au moins ferait-il acte de pénitence, même si c’était plus de force que de gré.

*   *   *

Les ombres d’Eyia, une à une, dans un lent ballet voluptueux, se pressèrent autour de la source qui grondait dans le cœur de l’île. Trouver cet endroit était un exploit, car cela impliquait d’emprunter les voies les plus sinueuses, les galeries les plus dangereuses – celles que dont les éboulis, ou encore les stalactites et les stalagmites taillées dans un verre tranchant menaçaient l’intégrité physique de n’importe quel mortel –, les voies que n’importe quel esprit sain aurait jugé risquées.

Cette source consistait en ce qui ressemblait à une épaisse mare d’encre bouillonnante sous un dôme rocheux aux courbes impeccables, dans lequel étaient gravés des inscriptions illisibles – du moins, aux yeux de personnes qui n’y connaissaient rien au culte d’Eyia. Là était inscrite une prière ; ici, les étapes d’un rituel supposé l’apaiser ; plus loin, celles d’un autre rituel supposé réveiller sa fureur (comme si elle avait besoin d’un quelconque rituel pour cela). Les ombres y trempaient, comme n’importe quel être vivant le ferait dans une source chaude.

Il aurait été saugrenu de croire qu’il s’agissait là de la seule source dans laquelle les ombres pouvaient puiser leur force ; néanmoins, c’était la plus proche d’elles, et surtout la plus proche de leur souveraine. C’était à son contact qu’elles gagnaient en puissance et qu’elle se régénérait. En ce sens, Eyia n’avait pas tort de les nommer « ses filles ».

Pourtant, quelque chose vint troubler les ombres, alors même qu’elles reprenaient peu à peu vie. Une intuition, qui devint une certitude : on s’approchait d’elles.

- Voilà des mortels bien téméraires, souffla l’une d’entre elles.
- Nous sommes bien gardées, répondit une autre avant de plonger.

Car, bien évidemment, sur leur chemin, Aldericht, Laurelian et leurs acolytes ne pouvaient pas seulement rencontrer des obstacles rocailleux : il en fallait bien un plus menaçant, bien plus vivant. Et pourquoi, d’ailleurs, se contenter d’un seul obstacle ?

Au détour d’une galerie, ils accédèrent à une grotte dont la forme était assez intrigante. Sur sa voûte, au-dessus de leur tête, des sortes de tunnels étaient comme creusés, comme si – oui, comme si quelque chose y nichait.
Un bruit de craquement résonna dans la grotte, suivi de son écho lugubre – puis un autre, et encore un autre. Nul doute que ces sons n’étaient pas le fruit du hasard, mais la preuve qu’ils n’étaient pas seuls. Ce furent ensuite des bruits de corps en mouvement, comme des frottements, qu’ils purent percevoir, avant qu’ils puissent apercevoir le nouvel ennemi qui les attendait. Surgissant avec lenteur et assurance de leurs nids, des araignées d’une taille impressionnante, taillées dans la plus pure des opaline noires, leur faisaient face, plantant leurs yeux d’aventurine d’un même noir puissant dans les leurs.
Puis elles fondirent sur eux.

Titre: Re : Sang des pierres, pierres de sang [Serenos] [FINI!]
Posté par: Serenos I Aeslingr le lundi 02 décembre 2024, 20:11:13
- Tu m’as prise pour une sorcière, puis pour une faible femme que tu pourrais faire ployer entre tes mains – tu insultes ta propre intelligence, Serenos.

– Aucune chance de m’y méprendre, cracha le souverain de Meisa, le souffle court alors qu’il peinait à ne pas s’écraser au sol. Ah ! d’accord, d’accord ! Aucune chance de m’y méprendre à nouveau !

La main d’Eyia se posa alors sur sa nuque, et l’entièreté des os de Serenos lui firent l’impression de s’embraser, comme si la déesse isolée avait de nouveau utilisé sa magie pour le ployer de souffrance, mais il savait que ce n’était pas nécessairement de son fait ; tout son corps, de la pointe de ses orteils au bout de ses doigts au sommet de son crâne, tout ressentait les effets de l’abus de la magie. Serenos avait déballé un tel effort pour pousser la Déesse dans ses propres retranchements que son endurance qu’il avait négligé de considérer les siennes. Ce n’était pas son genre de laisser une femme sur sa faim, et ses aïeux étaient témoins qu’il avait toujours fait ce qu’il devait pour ne jamais devoir s’excuser faute de volonté ou de pouvoir, mais cette fois, peut-être, avait-il vu plus gros que le ventre.

Il glapit de douleur alors que les doigts de la déesse se resserrèrent sur sa nuque, menaçant de la briser. Sa respiration accéléra, comme pris de panique, et malgré ses muscles en flamme, il chercha à opposer une résistance, quelconque, aussi futile soit-elle, mais non, plus rien. Sa nuque se ploya malgré lui, et il se retrouva face contre terre, la pierre glacée se pressant douloureusement contre sa pommette.

– Bien ! bien ! lâcha le Roi épuisé. Tu gagnes, je m’incline !

Peut-être pas de son propre gré, la déesse avait la main lourde et il était fort clair entre eux que le Roi ne ploierait pas ainsi l’échine s’il lui restait encore quelque force à opposer.

– Fais de moi ce que tu veux, mais laisse mes gens rentrer avec les corps des membres de guilde. Ne serait-ce que pour ne pas forcer, par le devoir de famille, la main de mes enfants survivants à chercher vengeance.

Aucune réponse.

– Tu ne connais pas les gens de mon peuple. Ils n’abandonnent pas. Tant qu’ils ont une raison de se battre, ils persisteront. Encore, et encore, et encore. Même si tu te déplaces, que tu changes de repaire, tu seras incessamment harcelée, ta paix troublée à chaque instant, peut-être même par des gens encore plus compétents dans cet art que moi-même. Ton île figure sur nos cartes navales, mon trajet a été consigné par écrit, et la signature magique de ton domaine est connue de mes gens.

D’accord, il bluffait un peu sur le dernier point, mais ce n’était pas une chose impossible. Après tout, il était loin d’être le seul magicien sur le continent d’Ayshanra, et assurément le moins adepte à interagir avec les esprits, surtout ceux qui sont catégorisés sous l’appellation de « haut esprit ». Il existait en Meisa des gens qui avaient vécu côte à côte avec des créatures spirituelles, et certains même avaient été élevés parmi ces mêmes créatures, considérés comme l’un des leurs par adoption. Les esprits n’avaient jamais affectionné Serenos, d’où le fait qu’il n’y avait pas un patron derrière lui qui aurait pu défier Eyia sur un pied d’égalité, mais il existait ce genre de personnes.


***


Aldericht était habitué à marcher dans les ténèbres, mais ce n’était pas le cas de ses compagnons. Le pied sûr du prince aveugle traça un chemin devant lui, quittant le sol uniquement lorsqu’absolument nécessaire, repoussant pierres et roches sur son passage avec l’aisance propre à ceux qui, depuis fort longtemps, ne voyaient plus rien.

La main de la princesse, fermement refermée sur la sienne, tremblait comme une feuille d’automne sur le point de tomber de son arbre. Il entendait sa respiration tremblante et apeurée, et les mêmes les gargouillements de son estomac noué par la peur et la fatigue. La présence d’Aldericht, qui focalisait également une part de sa concentration à protéger l’esprit de la princesse d’un nouvel assaut de leur ennemi invisible, suffisait normalement à la calmer, étant le seul de sa fratrie avec lequel elle avait formé un lien de fraternité, les autres ne pouvant voir en elle qu’une étrangère ramenée un beau soir par leur sinistre père et qui donc ne lui accordaient qu’une compassion dûe, et non voulue.

Soudainement, elle resserra ses doigts sur la main d’Aldericht, et il sentit ce qu’elle vit ; d’énormes araignées. Elles étaient là. Et ils n’étaient plus en mesure de combattre. Il avait espéré gagner leur source et l’interrompre, faire ce que son père aurait pu faire, et leur assurer une victoire

Aldericht plongea sa main à sa taille, avant de se rendre compte qu’il n’avait pas d’arme ; son épée avait dû se perdre dans le dédale alors qu’il ne portait pas attention. Voyant que les choses n’allaient pas en leur sens, il tira sur la main de Laurelian et la força à se dissimuler derrière lui, alors qu’il retroussait ses manches.

– Viens à moi, l’affreuse, dit-il d’un ton défiant. Mangera bien qui mangera l’autre !

Et alors que les araignées fondaient sur eux, les ténèbres les recouvrirent complètement. Aldericht aboya de surprise, et Laurelian de terreur en s’agrippant à ce bras salvateur.


***

Lorsqu’ils eurent fini de s’époumonner, Aldericht laissa l’air entrer de nouveau dans ses poumons, attendant le coup mortel.

Mais rien ne vint.

Rien que l’odeur salée de la mer qui remplaça celle, chargée d’humidité et de moisissure, des tréfonds de l’ile.

Il ouvra un œil aveugle, et tapa prudemment du pied ; et à lui vint le son distinct du bois sous sa botte. Le sol tanguait légèrement, et le clapotis des vagues contre la coque d’un navire lui vint aux oreilles ; ils n’étaient plus dans les galeries.

Laurelian fit la même réalisation peu après quand, réalisant qu’elle n’était pas morte, elle ouvrit enfin les yeux, et vit la lumière d’un soleil qui n’aurait pas dû être là. À son souvenir, la nuit était déjà tombée depuis qu’ils avaient mis le pied à terre, et pourtant, la chaleur d’un doux soleil d’été caressait la peau nue de ses épaules et son visage.

– Mais… fit-elle avec surprise, mais… mais…

– Qu’est-ce que c’est que cette diablerie ? s’exclama Alderich, terminant la pensée de sa benjamine.

– Une entente a été passée, fit une voix rauque.

Laurelian tourna la tête vers l’origine de la voix et trouva un Serenos assis sur un baril, les bras sur les genoux, le corps meurtri d’ecchymoses et couvert de blessures. À ses pieds, les cadavres des précédentes victimes de l’île reposaient, aux côtés des gardes qui avaient donné leur vie pour les enfants royaux, magiquement reconstitués et toute trace de leur supplice effacé. Le Roi leva un œil vers ses enfants, l’autre étant boursouflé, et étira un sourire malgré sa lèvre fendue.

– Rentrons. Le plus vite nous seront chez nous… le mieux nous nous porterons.

La pythie le fixa, un bon moment, avant de parler.

– Que vous a-t-elle fait ? Que… qu’est-ce qu’il vous en a coûté… ?

La question, lourde de sens pour la pythie, déforma le visage du Roi dans une moue de douleur, et il secoua la tête, refusant d’en parler.

Le navire Meisaen se détourna bientôt de l’île, ses voyageurs épuisés, brisés et surtout vaincus n’ayant aucun appétit plus fort que celui de mettre le plus de distance possible entre eux-mêmes et cette île maudite.

FIN