Le Grand Jeu
L'entre-deux Mondes => Base Spatiale => Discussion démarrée par: Anéa le samedi 20 juillet 2024, 01:30:33
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Anéa, ancienne archange, aujourd'hui déchue depuis bien longtemps, incarnait le paradoxe de la dualité entre lumière et ténèbres. Jadis pure et dévouée au Bien, elle fut précipitée dans les abîmes de la corruption démoniaque le jour où elle s'est beaucoup trop approchée de l'obscurité. Devenue à moitié démone suite à un incantation maléfique, qui la transforma jusque dans son âme, la jeune femme était condamnée à une existence marquée par la lutte incessante entre ses deux natures antagonistes.
Autrefois, la demoiselle était une guerrière céleste hors pair, d'une beauté à couper le souffle, presque divine, et aussi dotée d'une force incommensurable, servant fidèlement les cieux dans leur lutte contre les forces du Mal. Bien que sa mission principale reposait sur l'annihilation des êtres démoniaques semant le chaos sur Terre, ainsi que Terra, Anéa était également en charge de la protection des innocents. Mais il ne fallut qu'un seul d'entre eux pour faire chuter l'ange des cieux, suivant presque le même chemin que Satan lui-même.
Son âme, comme son corps, changea profondément. Sa chevelure d'ange s'était assombrie jusqu'à prendre une teinte de jais. Son teint blanchâtre, presque aussi pur que du talc, n'avait lui pas changé. Ses yeux s'étaient éclaircis jusqu'à ressembler à de la glace, certains ne la connaissant pas pouvaient se méprendre et la croire aveugle. Ce qui tranchait vraiment et révéler sa nouvelle constitution, c'était ses ailes. Grandes ailes majestueuses, pouvant lui donner bien des avantages dans un combat ou autre, celles qui étaient d'un blanc immaculé, ne l'étaient plus depuis la transformation. Elles étaient désormais parsemées de plumes plus sombres, vils témoignages de sa déchéance. Tout son être, jadis serein et calme, était maintenant hanté par des éclats de folie et de rage, rappel constant de cette noirceur qui la rongeait de l'intérieur.
Malgré sa nouvelle nature, Anéa n'avait jamais renoncé à sa mission initiale. Sa haine a toujours été tellement forte, et ce n'était en aucun cas pour expier ses fautes. Justement, elle avait péché et ne pouvait plus faire marche arrière. Aujourd'hui encore, elle poursuivait sans relâche les démons à travers le monde, et cela lui arrivait, au-delà des dimensions. Chaque traque était pour elle un moyen de se lâcher, d'exprimer tout son mal-être, sa haine d'elle-même, et c'était également un moyen de garder de son essence profonde angélique tout en purifiant les terres de la présence de créatures infernales.
Toutefois, cette mission qu'elle s'était donnée, et que lui donnait parfois son nouveau...maître, était également une épreuve constante. Sa moitié démoniaque la poussait parfois à des accès de violence incontrôlée. Le sang, en particulier celui des démons, loin de la calmer, réveillait en elle une soif de destruction qui menaçait de la consumer entièrement à chaque instant. Cette démence, lorsqu'elle s'emparait d'elle, transformait la guerrière disciplinée en une furie dévastatrice, capable de tout anéantir sur son passage, y compris elle-même.
Son maître, celui responsable de sa transformation à moitié réussie, avait envoyé l'ancienne archange à la poursuite d'un démon particulièrement retors, et ce, jusqu'aux confins des mondes. Sa traque l'avait amenée sur une terre où la nature régnait en maître, les créatures étant toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Aucune âme ne pouvait y vivre due à la présence de ces gigantesques prédateurs. Malgré tous ses efforts, Anéa perdit la trace de sa proie dans les méandres de ce monde qui lui était inconnu. Frustrée et enragée par cet échec, elle se tourna alors contre les monstres de cette terre étrange, trouvant dans la bataille une forme de catharsis.
À mesure qu'elle décimait ces créatures, la demi démone ressentait un étrange apaisement. Loin des miasmes démoniaques habituels, son esprit se clarifiait, et bien que le sang des immondices se répandait sur ses armes, son corps, son visage, c'est avec un sourire qu'elle se sentait presque reconnectée à son essence céleste. Chaque monstre terrassé semblait alléger le poids de sa corruption, lui permettant de goûter brièvement à la pureté qu'elle avait perdue, même si cela n'en restait qu'une sensation, qu'une image. Dans ce monde éloigné des influences démoniaques, l'archange déchue trouvait une trêve inattendue dans sa lutte intérieure, une pause dans la danse macabre entre son âme angélique et sa malédiction infernale.
Après avoir décimé une grande partie des créatures de ce monde inconnu, Anéa erra dans l'espace, jusqu'à atteindre une sorte de repaire, comme une taverne galactique et interdimensionnel, recueillant des mercenaires, aventuriers et commerçants de toutes sortes. Ce lieu, hors du temps et de l'espace, était un sanctuaire où la jeune femme put trouver un pied-à-terre provisoire afin de reprendre sa traque, du moins, en partie. Afin de rester à cet endroit, pour y recueillir des informations et s'y requinquer lorsqu'elle avait besoin, elle offrit ses services pour éradiquer des créatures en tout genre.
La dernière mission l'avait amenée à se rendre sur un monde minier, où des monstres tunneliers causaient de gros dégâts, aussi bien au niveau des constructions qu'au niveau humain, sans compter les perturbations au niveau commercial. Ces monstres souterrains, dévastant les mines et menaçant les ouvriers, représentaient un défi digne de ses compétences. Acceptant le contrat, munie de son katana et son khopesh (https://i.pinimg.com/564x/bf/6c/90/bf6c9049e25f5d21b74f762c27116fbd.jpg), et n'ayant besoin de rien d'autre, dans sa simple tenue amochée (https://www.zupimages.net/up/24/29/9qz0.png), elle se sentit prête à affronter les horreurs des profondeurs. Le monde minier, sombre et oppressant, n'était pas sans rappeler les abîmes de sa propre âme...Les créatures des tunnels, gigantesques et voraces, semblaient presque être le reflet de ses propres démons intérieurs. Les éliminer une à une, en plus de lui donner de la satisfaction, avait toujours ce côté libérateur.
Après une longue lutte acharnée dans les entrailles de cette terre, à chercher le dernier monstre à travers les grottes, Anéa sortit triomphante de ces combats. Épuisée mais victorieuse, elle retourna auprès des mineurs, afin d'avoir une preuve des faits de l'archange déchue, pour qu'une fois arrivée au repaire, on lui paie son dû. C'est couverte de terre et de sang qu'elle se rendit auprès de son « patron », qui lui donna l'argent qu'il lui devait. Ce paiement n'était pas seulement une compensation matérielle, mais aussi une certaine reconnaissance de sa valeur et surtout de ses compétences, même dans un monde où elle était une parfaite inconnue, mais toujours aussi isolée et incomprise que dans son monde d'origine.
Avec cet argent durement gagné, Anéa se dirigea vers la taverne du repaire. L'endroit, animé et bruyant, contrastait avec sa solitude intérieure et son calme flagrant. Sale au possible, mais trop épuisée pour ne serait-ce que prendre une douche, elle s'installa néanmoins au bar, commandant une boisson assez corsée pour lui faire oublier cette fatigue apparente. Ce brouhaha de voix graves et étranges, de rires, était pour elle un havre de tranquillité. Elle sirotait lentement son verre, grimaçant parfois lorsque l'alcool venait lui brûler la gorge. Chaque gorgée était une petite évasion. La demi démone fixait parfois le fond de verre, le remuant comme pour faire disparaître le reflet qu'elle y voyait et la faisant grogner.
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Acte 1
La tueuse
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« Des bestioles dans les tunnels, hein ? Quel heureux hasard ! J’ai une petite expérience dans le domaine ! Et ils payent bien ? »
Le Masterclass s’était posé sur une énième planète à moitié sauvage de la frontière ultime, cette zone de l’espace où colons, mégacorporations et hors-la-loi se croisaient avec une courte longueur d’avance sur les États, déterminés à se remplir les poches à loisir avant d’être rattrapés et de devoir peut-être pousser plus loin encore. Pour des chasseurs de primes, c’était un vivier de contrats et il était logique que l’équipage décide de pousser régulièrement jusqu’à la frontière avant de revenir sur ses pas pour ravitailler et repartir à neuf.
Jack avait sauté du vaisseau dès qu’ils étaient arrivés pour commencer à discuter. C’était souvent la meilleure façon d’avoir vent des soucis les plus problématiques, et les mieux rémunérés, et il avait immédiatement entendu parler des tunneliers par ce vieux bonhomme occupé à leur faire le plein.
« Oh j’en sais foutre rien, je sais même pas s’ils cherchent ! Les boîtes là, vous savez, avec leur mentalité… kapitaliste… »
Le vieux cracha par terre et Jack reprit son chemin pour trouver qui pourrait bien chercher quelqu’un pour se débarrasser de cette infestation, et ce que cette personne pourrait bien payer. Et quel était le meilleur endroit pour enquêter sur une piste vague ? Oui, c’était l’endroit où toute la communauté se rassemblait et, sur ce genre de planète, c’était LE BAR !
En approchant, le vétéran sut qu’il se rendait au bon endroit. Le bruit, l’odeur et l’ambiance pointaient du doigt le point de rencontre des ouvriers bruts et entiers de ce monde reculé et de leurs chauffeuses préférées. Si quelqu’un avait des informations pour lui, il les trouverait ici. Alors, il se plongea dans la masse, passant entre les tables humides de bière et de spiritueux bon marché et les groupes de copains aux rires excessifs qui déchargeaient leur tension en mettant leur surdité croissante à l’épreuve de l’humour. Il gagna bientôt le comptoir et dut alors attendre un moment avant que le barman vienne le voir et, lorsqu’il lui glissa un billet et lui posa la question fatidique, il fut surpris de voir le débiteur de boissons curieusement honnête le lui rendre en lui glissant que les monstres avaient déjà été exterminés.
« Quoi, déjà ?! Mais ça avait l’air d’une affaire toute fraîche ! »
Jack était véritablement choqué par la révélation, et le barman affecta son propre étonnement en haussant les épaules d’un air entendu.
« C’était une belle prime, j’ai entendu dire, en plus ! Mais si vous avez des questions, je sais à qui vous pouvez les poser. Elle est encore couverte de leurs tripes. »
« Elle ? Qui ? »
En lui passant son verre, le tenancier fit un signe de tête derrière son épaule, et Jack fronça les sourcils en dévisageant les piliers aux coudes plantés sur le comptoir jusqu’à tomber sur une beauté saisissante, aux cheveux de jais et à la peau d’albâtre, avec un regard de tueuse, vide et placide, et une couche de saleté à peine sèche répandue sur elle. Le chasseur de primes éleva un sourcil curieux. La prime avait été empochée il y a bien peu, dirait-on, et elle avait visiblement gagné le bar sur-le-champ pour fêter ça, même si fêter n’était peut-être pas la bonne expression.
« Vous m’en mettriez un de ce qu’elle prend ? »
Un instant plus tard, il avait réussi à gagner le niveau de la charmante mais dégueulasse inconnue en haillons qui lui avait soufflé une prime sous le nez, et il joua des coudes avec un soûlard appuyé là pour se glisser à côté d’elle, puis lui glisser un verre plein sous le nez, remplaçant celui qu’elle venait de terminer. Ca suffit à lui permettre de croiser son regard et de capter son attention une seconde, qu’il essaya de prolonger par un sourire amical.
« Santé ! Je voulais féliciter celle qui avait été plus rapide que moi et qui vient de sauver un paquet des types ici. »
Il lui adressa un clin d’œil avant de pousser son avantage, se faisant une place et parvenant à poser le bout de son postérieur sur le tabouret voisin.
« Alors ? Raconte ! Comment tu t’es débrouillée pour nettoyer les mines toute seule ? Un laser industriel modifié ? Des explosifs ? Un agent neurotoxique ? Pas que j’approuve le dernier, mais si c’est le cas… je ne juge pas. »
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Anéa fit tourner le reste d'alcool qui lui restait dans son verre, avant de l'approcher de ses lèvres charnues et l'y jeter dans son gosier, le liquide lui brûlant agréablement la gorge. Le regard dans ce récipient désormais vide, elle ne faisait pas attention à ce qu'il se passait autour d'elle, un peu comme si l'archange possédait des œillères et faisait la sourde oreille, total contraste avec l'ambiance qui régnait en ces lieux pourtant animés. Qu'il semblait infini ce fond de verre d'alcool. Quel agréable gouffre dans lequel se laisser sombrer le temps d'une soirée. Une murge, était-ce là une digne façon de fêter la réussite de sa mission ? Qui sait.
Alors que la demi démone était plongée dans ses pensées vides, un nouveau verre fit son apparition, en plus d'un homme qui s'installa de force à côté d'elle. Loin d'être ravie, Anéa laissa échapper un grognement d'entre ses dents, en plus d'un soupir de fatigue. Ses yeux de glace, tranchants fortement avec le sang et la terre séchés sur sa peau de nacre, fixèrent l'énergumène, ou plutôt le parasite, qui s'était installée près d'elle. Sans une once de honte, la jeune femme le dévisagea de haut en bas. Non, inconnu au bataillon, mais au moins, il lui avait ramené un nouveau verre. D'un hochement de tête, elle le remercia, tout en levant le verre pour faire goûter à son gosier le feu d'un alcool fort.
Il n'était pas dégueu à regarder. Il avait l'air bien bâti, bien qu'ayant un air un peu idiot sur le visage, accentué sûrement par ce côté guilleret et charmeur qu'il affichait actuellement face à l'archange déchue. En plus de cela, c'est que le monsieur se montrait curieux, un peu trop à son goût. Avait-il la haine subjacente de s'être fait piquer le contrat et le gros magot qui allait avec ? Sans un mot jusqu'ici, Anéa prit enfin la peine de répondre à ce bougre.
- Aucun des trois. J'ai fait ça à l'ancienne. A la mano, comme on dit.
D'un geste désinvolte, elle pointa le katana et le khopesh qu'elle portait à son dos, encore souillés du sang des créatures qu'elle avait soigneusement éliminées. Était-elle en train de se vanter face à cet homme ? Pas vraiment, Anéa ne faisait que dire la vérité, en soi, mais pour un simple humain, ou quoiqu'il pouvait être, cela semblait des plus incroyables apparemment.
- Je ne cherche pas les louanges, alors t'as intérêt à fermer ton clapet après. Si tu veux plus de détails sur la mission, en vérité, il n'y a pas grand-chose à dire. Les monstres étaient nombreux mais prévisibles. Une fois que tu connais leurs habitudes, c'est une simple question de patience et de précision. Voilà. Simple, clair et rapide.
L'ancienne ange guerrière avait répondu un poil trop sèchement peut-être. Son regard de glace revint à ce nouveau verre d'alcool, gentiment offert néanmoins. Elle grimaça de voir sa tranquillité ainsi perturbée par ce bel homme, alors que jusqu'ici, personne ne venait lui voler dans les plumes. Entre ses dents, elle maugréa quelques remontrances acerbes.
- Je ne savais pas qu'on pouvait trouver des moustiques aux confins de l'univers...
Piquante, cette comparaison, n'est-il pas ? Délicieuse manière de lui dire de la lâcher désormais. Elle n'espérait pas à avoir utilisé la force pour qu'il lui lâche les baskets, au risque de provoquer une bagarre au sein de l'établissement et que le patron la fiche dehors. Cela voudrait dire au revoir à cette période de sérénité, brutalement interrompue par un parasite.
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Jack l’écouta répondre laconiquement à sa question et ses yeux s’arrondirent en constatant que les armes blanches avaient effectivement servi selon toute évidence, et qu’elle ne portait rien qui laisse penser qu’elle le fasse marcher. Il fallait le dire : l’état de sa tenue parlait pour elle. Ils avaient clairement vu leur lot de contact direct et il était franchement étonnant de ne pas voir de plaies et de larges cicatrices en-dessous. Pour tout dire, on ne pouvait voir qu’une peau d’un blanc d’albâtre et, ça et là, peut-être, le signe d’un implant curieux, mais rien de spécialement suspect à première vue.
« T’es sérieuse, hein ? »
C’était une question rhétorique, qu’elle envoya paître rapidement en refusant toute félicitation. En même temps, elle donnait pourtant matière à la congratuler, parlant vaguement sa méthode, apprenant à connaître les monstres avant de les éliminer méthodiquement en tirant parti de leurs habitudes pour les abattre avec un minimum de risques. C’était d’une froideur analytique et d’une audace dingue. Son aura de tueuse au sang-froid montait de seconde en seconde et, bien qu’elle ne désire aucune louange, le vétéran ne put s’empêcher de laisser échapper un léger sifflet.
« Quand même… »
Cette fois, elle l’avait définitivement lâché du regard pour se concentrer sur l’alcool, cherchant à lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas de compagnie pour mieux se replonger dans sa dérive alcoolisée. Jack avait bien compris, mais il fit la moue en entendant son insulte lâchée entre ses dents. Il la fixa quelques secondes en silence avant de soupirer, mais il retrouva un sourire malicieux avant de lui rétorquer :
« Tu as vu beaucoup de moustiques qui injectent des verres gratuits ? »
Il pouvait bien sentir que la guerrière fantastique était sur les nerfs et proche de lui sauter à la gorge, mais il en avait vu d’autres à la guerre et dans les bars d’anciens combattants. Il en avait vu, des gens plongés dans leurs verres et dans leurs souvenirs. Lui-même lui ressemblerait beaucoup s’il n’était pas accompagné au quotidien, occupé à autre chose qu’à s’enfermer dans ses cauchemars sortis de son passé. Il espérait avoir une occasion de la sortir un peu de sa morne contemplation. Il ne connaissait rien de son passé, mais il reconnaissait les traumas quand il les voyait dans le regard d’un autre et son empathie le forçait à ne pas la lâcher si rapidement.
« Voilà ce qu’on pourrait faire : donnant-donnant. Je raconte une histoire, tu racontes une histoire. Si tu mens et que je le devine, tu payes la tournée suivante. Sinon, c’est moi qui paye. Qu’est-ce que t’as à perdre ? »
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Avait-elle la tête ou ne serait-ce que la dégaine d'une personne qui a envie de parler, ou de quelqu'un qui plaisante ? En répondant à sa question et en insinuant qu'il était un nuisible assez répandu, la guerrière encrassée des viscères des monstres qu'elle avait éliminé espérait qu'il la laisse tranquille. Mais...Pas du tout ! Ce n'était pas un moustique en réalité, mais une sangsue ! Cela n'a eu que l'effet inverse.
L'archange se mit néanmoins à sourire, un brin amusée, se cachant de cet inconnu, lorsque celui-ci se mit à siffler sa surprise face au récit de l'angélique. L'homme tourna l'insulte à son avantage, faisant d'abord une moue tristounette avant de retrouver un sourire à faire tomber les femmes au fort caractère. Il avait titillé l'intérêt de la demi-démone, le visage de l'homme étant un des plus expressifs que la jeune femme avait pu voir durant toute sa longue vie.
- Un gentil moustique alors. Presque galant...Ah, et merci, d'ailleurs.
Elle avait beau ne pas souhaiter de la compagnie après la rude journée qu'elle avait eu, il ne lui paraissait pas désagréable. Pour le coup, il semblait si guilleret par rapport à la si détachée angélique. Anéa leva un sourcil sceptique, ses yeux d'un bleu glacé fixant l'inconnu. Elle hésita un moment, pesant le pour et le contre de cette proposition inattendue. Il était rare qu'on vienne vers la demi-démone pour célébrer quelque chose. On pouvait presque dire qu'elle était une « pourrisseuse de groove ». Le silence entre eux devint lourd, seulement ponctué par le bruit de fond du bar et l'ambiance stagnante du lieu. Finalement, la jeune femme haussa les épaules et soupira, comme si elle se résignait à ce petit jeu.
- Ça m'fait un peu chier mais j'ai rien d'autre à faire alors...D'accord, mais je te préviens : mes histoires ne sont pas pour les âmes sensibles.
L'archange déchue se disait qu'elle n'avait rien à perdre. Au pire, s'il lui tapait sur les nerfs, elle pourrait très bien l'envoyer paître, avec plus ou moins de tact, selon son insistance. Enfin, si, la guerrière des enfers avait quelque chose à perdre, notamment son argent durement gagné, mais, mis à part au bar, à payer une chambre pour se reposer, elle ne l'utilisait pas plus que cela. Les seules fois où on pourrait dire qu'elle s'est amusée, c'est sur un champs de bataille. Anéa ne connaissait que ça : le sang et les armes. Bon, du sexe aussi, c'est ce qu'il lui avait valu sa déchéance des cieux et sa transformation misérable par un démon trop puissant pour elle.
Une petite moue grimaçante tira les traits de la demoiselle, finissant ce nouveau verre gentiment offert, tout en le reposant en claquant le récipient sur le comptoir. Toujours assise sur son tabouret, elle se tourna vers son interlocuteur, qui ne s'était toujours présenté d'ailleurs, et elle non plus. Installée plus confortablement sur son assise, croisant les bras sous sa poitrine voluptueuse mais crade, Anéa esquissa un sourire en coin, espiègle.
- J'attends ton histoire alors, vu que je viens d'en dire une. Oh...Et moi, c'est Anéa.
La demi-démone tendit une de ses mains, sale...pour se présenter comme il se doit...Si on veut.
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Jack espérait beaucoup de ses qualités de bon vivant, mais c’est presque à sa propre surprise qu’il vit la jolie brune se détendre légèrement, lui adressant même un regard plus long et moins dédaigneux que le premier, plantant ses yeux d’un bleu glacier dans les siens en lui tirant un frisson. Il ignorait d’où elle sortait, mais elle était clairement fascinante, et il n’aurait su dire pourquoi. Il aurait sûrement dû se méfier de cet intérêt soudain pour lui et de cette étrange attraction vers elle, mais il n’était pas connu pour être le plus méfiant ni le plus raisonnable de la troupe.
A son remerciement, il répondit d’un sourire et d’un verre levé, et, à sa considération dépréciée pour son idée, il choisit de voir le verre à moitié plein, de se juger chanceux qu’elle ait décidé de se plier au jeu, même en prétextant ne s’y risquer que par ennui. Même si elle lui faisait miroiter des histoires horribles, comme pour le pousser à faire marche arrière. Il y répondit en revanche d’un sourire goguenard, ayant lui aussi son bagage d’anecdotes sinistres au besoin. En userait-il, en revanche ? Sans doute pas, ou du moins pas tout de suite.
Il la suivit en vidant son verre également, le récipient venant claquer à son tour sur le comptoir pendant qu’elle se tournait vers lui. Cette fois, la discussion était fermement engagée et elle avait décidé de s’y dédier. C’était une petite victoire en soi, et il eut même droit à son nom, ou tout du moins à celui qu’elle se donnait aujourd’hui et pour lui peut-être. La main tendue avait beau être sale, il sourit et la prit sans hésiter pour une poignée franche.
« Jack. »
Il sentit la poigne ferme de l’inconnue dans la sienne. Il ne s’attendait pas à une faible jeune femme au jugé de ses aventures, mais il fut surpris de l’énergie qu’il sentait en elle. Etait-elle seulement humaine ? Bonne question ! Il y répondrait peut-être, mais pas maintenant. Relâchant sa main, il la posa sur sa cuisse en réfléchissant, et releva un regard malicieux vers elle en se lançant.
« A l’école, j’étais très populaire. Mais mon premier vrai amour, Annie, était plutôt exclue. On se voyait en secret pendant le week-end. Elle a été ma première. On s’est retrouvé chez elle un jour où ses parents étaient partis et qu’elle avait prétexté une fièvre pour rester à la maison. C’était… super… et j’étais vraiment amoureux d’elle ! Mais… »
Son regard s’assombrit et ses yeux descendirent entre ses pieds.
« Après ça, j’y ai pris goût. Les autres filles l’ont senti et Stephie… Stephie, c’était une fille populaire, sportive, bonne chanteuse, très jolie et assez précoce. Elle m’est rentrée dedans et… bon, comme j’étais officiellement célibataire et que personne aurait compris, j’ai accepté. Et j’en ai bien profité. Annie… Elle ne l’a pas supporté. Elle s’est renfermée et on ne s’est plus jamais parlé. Ça me fait encore honte aujourd’hui. »
Il releva son regard dans celui d’Anéa, sombre. Il avait menti, mais il puisait dans des faits réels pour rendre la chose assez réelle pour être crédible. Mordrait-elle à l’hameçon ou était-elle au-dessus de ce genre de supercheries ?
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Anéa avait-elle fait le bon choix ? Jouer avec quelqu'un, autre que sexuellement, elle n'avait jamais fait ça. En général, les gens fuyaient l'archange déchue, à moins que ce soit elle qui se mettait naturellement à l'écart des autres. Un peu des deux, en réalité. Et puis, la demi-démone, depuis cette odieuse trahison qui l'avait conduite là où elle était aujourd'hui, ne faisait plus vraiment confiance à personne. À quand remonte la dernière fois où elle avait souri sincèrement, ou même ne serait-ce que rire joyeusement ? Elle ne saurait dire. C'est d'une tristesse. Il était rare de s'amuser au sein des armées angéliques, êtres célestes si sérieux dans le maintien de l'équilibre et du nettoyage du chaos perpétré par les démons. Chez ces derniers, elle ne pouvait s'afficher aux yeux de tous, aux vues de sa condition approximative, restant dans l'ombre sous les ordres de son « maître ». Jusqu'ici, sa vie n'avait été rythmée que par les combats et le sang. Un peu de sexe aussi...
Elle observait ce jeune homme, plutôt séduisant, il ne faut pas se mentir. De son nom Jack, s'il était réellement le sien, avala son alcool puis vint serrer la main de la déchue, ressentant toute sa poigne. Il semblait bien bâti pour un mortel...
Et ce fut à son tour de raconter une histoire...Ou un mensonge. Anéa écouta attentivement, restant silencieuse. Elle le fixa de son regard de glace, somme si elle cherchait à sonder l'âme de son compagnon de soirée, tout en pesant la sincérité de son récit. L'ambiance du bar semblait s'être figée, comme si les sons environnants s'étaient volontairement atténués pour laisser place à ce moment d'intimité inattendu. La brune souillée ne sourcillait pas, gardant cette expression impassible qui la caractérisait tant, mais quelque chose dans ses yeux, une lueur indéfinissable, trahissait son intérêt grandissant.
Un sourire naquit aux coins des lèvres charnues de l'être céleste, illuminant son visage taché. Il n'était pas moqueur, ni malveillant, mais il était clair qu'elle s'attendait à mieux.
- Vraiment, Jack ? Une histoire de cœur et de cul brisés au lycée ? Ou au collège, que sais-je ? Tu as parlé d'être précoce. C'est tout ce que tu as pour moi ?
Elle secoua la tête, toujours souriante, avant de reprendre d'un ton plus doux, presque compatissant.
- Je vois ce que tu essaies de faire. Tenter de m'émouvoir avec une confession, pour rendre le tout plus réel, c'est pas bête, même si c'est un peu...prévisible.
Anéa se redressa simplement sur son assise, faisant un peu plus face à son interlocuteur, croisant de nouveau ses bras sous sa poitrine. Ses yeux de glace se firent plus intenses, plus sérieux.
- Je pourrais te dire que ça me touche, que je comprends mais...Cela ne collerait pas avec l'image que je renvoie.
Elle se mit à ricaner très légèrement. Quelle image au juste ? D'une femme impassible, froide ? Inaccessible aussi ? Mh. Un petit silence s'installa entre les deux joueurs, Anéa fort pensive. Il y avait sûrement du vrai dans ce qu'il avait raconté...
- Je pense que tu dis vrai dans le fait que tu avais déjà du succès à l'époque, on ne peut pas nier que tu es séduisant. Mais je te vois mal courir après des culs à un jeune âge...J'me comprends. Mmh...Je dirais donc que...Tu me mens. Alors, dois-je boire ?
Avait-elle du nez ? Avant même qu'il ne lui réponde, elle se plongea dans ses pensées, l'archange déchue fouilla dans ses souvenirs, afin de raconter sa prochaine histoire. Devait-elle y aller molo ou franco ?
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Pendant un instant, Anéa sembla véritablement considérer son histoire et la jauger. Un sourire naquit même sur ses traits tantôt si boudeurs, ce qui laissa briller un éclat malicieux dans le regard du vétéran ; sans doute à son péril puisqu’elle fit s’évanouir sa honte factice.
Mais la tueuse de scolopendres géants de l’espace n’était de toute manière pas dupe. Son sourire en disait d’ailleurs aussi long que son regard toujours acéré. Elle souligna même la facilité de ce genre de récits, même si elle préféra sans doute éviter un piège en le commentant de manière réfléchie. Elle n’avait pas vraiment tort, d’ailleurs, en disant qu’il essayait de l’atteindre par les sentiments, mais il garda sa poker face pour le moment, même si le léger remonté de poitrine dû à ces bras croisés le déconcentra légèrement pendant une seconde, et même si ses paroles évoquaient, d’une manière sous-entendue, des aveux chaleureux. Ne se disait-elle pas touchée malgré cette image qu’elle avait voulu lui renvoyer pour l’éloigner ? Ne le disait-elle pas séduisant ?
Un doux sourire avait fini par gagner le visage de Jack à ses compliments masqués, un sourire qui ne fut pas perturbé par son propre démasquage. Comme il s’en doutait maintenant, elle avait deviné la supercherie. Elle fit d’ailleurs un commentaire qui faillit le faire ciller franchement, et provoqua d’ailleurs un léger sourcillement. Ne le voyait-elle pas coureur à un jeune âge ? Lui qui avait épousé la vie de papillon butineur depuis sa défection, suite à la mort de sa Lina, comment pouvait-elle voir chez lui la marque du gentil garçon exclu et intimidé pour sa taille par de plus faibles que lui ?
Il faillit presque ne pas répondre à sa question. Il sortit de sa réflexion une seconde trop tard et s’agita pour compenser vainement l’engourdissement temporaire de son être.
« Oh, on boit tous les deux ! Mais c’est moi qui paye la suite. »
D’un geste, le chasseur de primes attrapa son verre et le finit d’une traite, le reposant en faisant une légère grimace et en grinçant une expectoration instinctive.
« Ah ! Vos alambics en ont fait, des mines, hein ? »
Il parla assez fort pour que le barman l’entende, et celui-ci lui adressa un sourire entendu. Il était classique pour ce genre de patron de bar de quitter les colonies se développant pour suivre la Frontière. Cette vie était la leur. Impossible de dire combien de générations, combien de fronts coloniaux et combien de mines l’alambic de celui-ci avait vu, mais on en sentait le caractère en fond de bouche.
Puis, il revint à Anéa avec un sourire goguenard légèrement embrumé par l’alcool.
« Enfin… T’es pas obligée de suivre, si t’es pas sure de tenir. Tu peux boire tranquillement en me racontant ton histoire. »
Il s’étira légèrement sur son tabouret et l’interrompit cela dit avant qu’elle ait une réponse à donner.
« Qu’est-ce qui t’a fait dire que j’étais pas un coureur de jolies filles, dans ma jeunesse ? »
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C'était tentant de l'observer au fur et à mesure des paroles que déblatérait Anéa. Bien sûr, son compagnon de jeu pouvait toujours faire semblant, feindre de réagir à quelque chose pour tromper l'ennemi et la jeune femme ne pouvait garantir de la véracité de son récit. Mais selon la belle, il y avait quelque chose qui clochait. Son histoire avait peut-être une part de vérité mais, l'intuition de la demi-démone lui criait que l'autre part n'était que mensonge ou déguisement. Alors elle avait opté pour le mensonge comme réponse à son histoire, et visiblement, elle avait vu juste. Il n'avait pas réellement répondu à l'affirmative mais le fait qu'il ne souhaitait pas boire seul voulait tout dire. Difficile d'accepter la défaire, monsieur Jack ?
La sang mêlé ne dit rien, l'observant sans pourtant le suivre dans la dégustation de sa boisson, alors que Jack se dispersa, papotant un tant soit peu avec le tavernier pour ravoir un peu d'alcool. Lorsqu'il revint à la jeune femme, il lui posa une question qui la fit lever un sourcil. Croyait-il que la demoiselle avait une botte secrète ? Anéa lui répondit, tout en haussant les épaules.
- Je n'sais pas vraiment. Peut-être que tu t'imaginais l'être à l'époque, parce que tu voulais possiblement la popularité, ou la reconnaissance tout du moins...Mais...
L'archange déchue s'arrêta un instant, soupirant, sans lâcher des yeux son compagnon de beuverie. Un fin sourire amusé illumina son visage, alors qu'elle rapprocha son tabouret de celui du beau gosse, venant lui « booper » le nez.
- T'as l'air doux. Trop doux même...Et en général, ce genre d'humains le sont à la naissance, c'est seulement après, en s'en prenant plein la gueule qu'ils changent. Tu sais, c'est un peu comme le petit gros timide à l'école, qui va se faire harceler, qui va en avoir plus que marre, et qui plus tard, après un déclic, va se mettre au sport pour fondre, se muscler, être populaire et se la jouer avec les nanas, et/ou les mecs, selon tes préférences quoi. Ce gars-là, il va finir par se rendre compte que ce n'est pas le vrai « lui » dans le fond...
La belle brune salie s'éparpillait un peu trop, on dirait, alors elle revint vite sur la réponse à la question jackienne.
- Enfin, je n'ai fait que suivre mon intuition, même si celle-ci ne fonctionne pas tout le temps.
Ce n'est pas faux. Après tout, son intuition avait bien foiré lorsqu'elle pensait être amoureuse d'un humain qui était finalement un diable haut-placé...Anéa avait-elle mis le doigt sur quelque chose ? Peut-être bien. Est-ce que cela l'intéressait vraiment ? Mmh, il faut avouer qu'il avait réussi à piquer sa curiosité, donc oui. L'archange déchue avala son verre d'alcool d'une traite, imitant son compagnon de jeu, sans sourciller, même si la belle brune n'avait pas perdu cette manche.
Au tour de la demi-démone de raconter une histoire...Allait-elle miser sur une anecdote simple et joyeuse pour commencer, ou bien sur quelque chose de beaucoup plus glauque, d'entrée de jeu ? La femme salie était tentée de taper direct dans quelque chose de stupéfiant, mais...Voyons voir...Anéa n'a jamais été très douée pour le mensonge mais des fois, il fallait bien ça pour berner certaines cibles. Aujourd'hui, c'était Jack, alors elle tenta sa chance.
Prenant place bien face à lui, elle le fixa de ses yeux glaciers, un fin sourire aux lèvres, avant que celui-ci ne disparaisse aussi vite qu'il est apparu.
- Bien...C'est à moi de me lancer maintenant...Je vais te raconter une histoire vraie. À toi de me croire ou pas.
Essayait-elle de le manipuler en lui plantant cette vilaine graine du doute. Possible. L'archange déchue aimait beaucoup taquiner pour troubler, notamment d'un point de vue sexuel, mais cela n'était pas le cas ici...Ou du moins, pas encore. Jouer avec l'autre, le faire enrager, douter et tout autre encore, elle adore ça.
- Il était une fois un soldat, chose certaine, il s'agissait d'une femme. Elle ne le cachait pas du tout, d'être une femme au sein d'une armée. Elle ne se la jouait pas Mulan.
Comment pouvait-elle connaître cette histoire ? Déjà, il s'agissait là d'une légende connue sur terre. Et puis d'un superbe film d'animation Disney ! Et on ne critique pas Mulan!
- Cette femme n'était ni trop gradée, ni trop basse en terme de hiérarchie militaire. Lors d'une guerre presque sans fin, elle fut envoyer sur un front des plus chaotique, mais elle ne faisait que suivre les ordres de l'homme qui menait les troupes au combat...et à la mort. Cet homme était aveuglé par son orgueil, et alors que ne répondant qu'à ses directives, ils se jetèrent tous dans la bataille, cette armée fut assaillie de toute part par l'ennemi, qui la surpassa de par son nombre hallucinant de recrues.
Il y avait de quoi avoir froid dans le dos. La guerre, qu'importe si elle était humaine ou non, n'était que synonyme d'innombrables décès pour rien...Souvent pour rien. Anéa fit une moue, un fort goût amer lui brûlant la gorge. L'alcool, peut-être, ou les souvenirs.
- De toute l'armée ne resta que cette femme. Le chef de l'armée ennemie jubilait de voir ce drôle de papillon encore debout, mais ne pouvait qu'admirer la vaillance de cette dernière soldate, celle-ci continuant à donner des coups. Alors l'homme ordonna qu'on lui laisse le loisir de jouer un peu avec sa dernière victime.
Un peu comme un chat jouant avec la proie qu'il vient d'attraper avant de la rapporter à son maître, comme cadeau.
- S'en suit l'ultime combat, une joute des plus admirables et étouffantes que les recrues ennemies avaient pu voir jusqu'ici. Personne n'avait vraiment le dessus, jusqu'à ce que la jeune femme se rende compte qu'elle ne pouvait rien faire de plus que de se lancer à corps perdu, éliminer le maximum d'ennemis avant de rendre l'âme à son tour.
Suicidaire, n'est-ce pas ? Quand on ne voit pas de porte de sortie, soit on reste immobile et on attend la fin, soit on tente le tout pour le tout. Même si ces deux choix menaient à l'oubli.
- Dans un ultime assaut, elle se jeta à corps perdu dans la masse ennemie, prêtre à être embrochée. Un clignement d'yeux, un faisceau lumineux aussi brûlant que le soleil, et la soldate s'était évaporée, comme si elle était devenue un nuage de poussière. La légende raconte qu'elle aurait été happée par une intervention divine, quand d'autres disent qu'elle a été punie par un giga laser...
Anéa se redressa un peu et fit signe au serveur de remplir leurs verres de nouveau.
- Alors qu'en dis-tu ?
Un peu longue comme histoire, c'est vrai. Et pour l'instant, c'était soft.
- Prêt à boire, petite nature ?
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Après avoir voulu la paix et son départ, Anéa s’était bien prise de curiosité et d’intérêt pour le jeune Jack. Elle considéra sérieusement sa question, et le regard qu’elle posa sur lui lui donna un frisson. Il ignorait pourquoi, mais ses yeux semblaient renfermer l’expérience et la perspicacité de mille vies, comme si elle pouvait le voir tel qu’il était par croisement avec les milliers d’autres qu’elle avait pu voir durant sa longue, interminable existence. Peut-être était-ce pour ça qu’elle voulait rester seule ? Parce qu’elle voyait la vérité derrière les apparences ?
Il l’écouta avec attention, alors, baissant légèrement le regard lorsqu’elle évoqua les motivations d’un adolescent comme un autre, motivations dont il avait été coupable, lui aussi. Il n’y avait rien d’exceptionnel à cela, mais s’en voir attribuer par une étrangère le rendait curieusement coupable. Et c’est bien parce qu’il avait baissé les yeux qu’il ne vit pas son geste et se retrouva bête et interdit lorsqu’elle se rapprocha subitement jusqu’à tenir son visage si près du sien que leurs nez s’en percutèrent avec légèreté.
Il se retrouva immobile et alerte comme elle déballait son monologue à son adresse, faisant une évaluation primaire mais pertinente de ce qui modelait les hommes, forces et faiblesses devenant autant d’angles morts et d’abcès que l’âme se devait de soigner pour ne pas dériver dans le cycle infini de misères que les Humains semblaient déterminer à s’infliger partout où ils allaient. Il ne cligna même pas des yeux, jusqu’à ce qu’elle conclue qu’elle ne parlait qu’à l’instinct. L’accès d’humilité permit au chasseur de primes de se débloquer et de reculer très légèrement la tête, redressant son dos, se rendant un peu de contact avec l’extérieur après avoir été prisonnier de ces diamants bruts et scintillants qu’elle fixait sur lui avec ce qu’il aurait presque vu comme de l’avidité.
Pour autant, il ne reculait ni son corps ni son tabouret. Avec le rapprochement de la guerrière en haillons, il pouvait sentir le relent du jus des viscères ayant séché sur elle, mêlé à la poussière encroûtée volant au fond de toute mine. C’était âcre et familier, comme un renvoi aux tranchées. Pendant une fraction de seconde, il vit un visage à la place du sien et il prit conscience de la proximité de la femme et de la disponibilité qu’elle lui semblait afficher presque malgré elle dans son rapprochement joueur. Il revint un peu plus à la réalité et il tapota le comptoir comme si les verres arriveraient plus vite. Heureusement pour lui, ils arrivaient, et il put faire passer la tension dans une gorgée piquante.
Et puis, elle raconta son histoire. Il vit son sourire s’éteindre et une goutte de sueur lui dévala le dos, comme s’il anticipait la gravité du récit à venir, qu’il reçut en silence et avec intérêt, ne lâchant pas son regard et tentant de déterminer à ses expressions la véracité ou non de ses propos. Il ne saisit pas sa référence initiale, mais il lui semblait l’avoir entendue. Où ? Il n’avait pas le temps de chercher. Elle lui comptait une histoire de guerre. Une histoire de femme-soldat. Une histoire étrangement similaire et assimilable à celle de sa défunte Lina, tant, en vérité, qu’il eut un instant l’impression que l’inconnue lui déballait cette histoire plutôt que la sienne en faisant étalage d’un savoir suspect censé précéder une révélation sinistre et théâtrale.
Mais non, il ne s’agissait pas de Lina. Et son histoire prit un tour sordide et, en vérité, proprement absurde. Il fronçait les sourcils d’un air dubitatif en écoutant ce récit d’une bataille inutile, et de la survie de cette unique femme plongée dans une arène de cadavres interminable par la volonté d’un général terriblement absurde dans son raisonnement. Et la chute était simplement improbable. Malgré tout, elle signa d’un air résolu et malicieux et le laissa seul dans ses réflexions. Jack prit quelques instants pour réfléchir, frottant le bord de son verre pensivement avant de prendre la parole.
« J’ai été soldat et j’ai vu des officiers incompétents et imbus de leur propre réputation, mais, là, on nage en plein délire. Je veux dire que, si c’est vrai, tu es vraiment tombée sur les pires tocards de l’univers. Une charge-suicide générale… passe encore… mais cette histoire de duels consécutifs alors que ça ne revenait qu’à perdre du temps pour un spectacle miteux et peu savoureux pour les soldats sacrifiés un à un… C’est là que tu m’as perdu, Anéa. »
Il se baissa légèrement et, cette fois, c’est lui qui pressa le bout de son nez contre le sien avec un sourire résolu.
« Ca aurait pu passer auprès d’un civil complètement perché, soit. Mais ton histoire de divinité et de giga-laser… Tu t’es enterrée avec cette chute. Je n’y crois pas une seconde, et il va me falloir un contexte et des explications si tu m’affirmes le contraire ! »
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- Peut-être parce que toute vie est précieuse...
Ceci fut souffler dans un très léger murmure, presque par automatisme. Voilà ce qu'avait entendu (https://lgj.forum-rpg.net/index.php?topic=22968#top_subject) la belle Anéa lors de son sauvetage par les cieux. Si c'était vrai, alors pourquoi tous ses frères et sœurs d'armes avaient péri, eux, et pourquoi était-elle la seule survivante ? Pourquoi n'avait-elle été la seule rescapée ? Et depuis quand Dieu intervenait réellement de lui-même, en interférant dans les missions angéliques ? L'archange, pas déchue à ce moment-là, avait combattu jusqu'à la fin, prête au sacrifice ultime avec la volonté d'éliminer le chef de l'armée démoniaque. Son sauvetage lui avait laissé un goût très amer en travers de la gorge, surtout qu'elle n'eut jamais de réponse à ses questions. Dieu, le Grand Tout, ne répondait que très rarement à qui l'appeler, et encore moins en personne. Les plus vieux anges avaient raconté que le Seigneur avait des desseins et qu'il ne pouvait sauver tout le monde, la preuve en était la rébellion de Lucifer. Les destinées étaient déjà tracées et il ne devait pas intervenir, au risque de créer un immense effet papillon, une avalanche de catastrophes incontrôlables. Ça voulait dire que la demi-démone était devenue ce qu'elle était, par sa faute ? Dieu avait donc laissé Anéa pourrir dans les tréfonds du monde, alors pourquoi l'avoir sauvée, si c'est pour qu'elle souffre ainsi aujourd'hui ? C'était là la torture d'un pauvre pion des cieux...
Deuxième goût amer dans le fond de sa gorge. Tout ceci n'avait pas tellement changé aujourd'hui. Même si elle avait plus de liberté qu'auparavant, elle était le nouveau pion d'un maître infernal. À quoi servait tout ceci ? Cette existence aurait dû s'arrêter il y a bien longtemps, et même sans avoir envie de l'abréger ici et maintenant, il lui arrivait de complètement perdre la raison, ne plus ressentir la douleur et se lancer vers le danger, prête à accueillir la mort comme s'il s'agissait d'une amie de longue date.
Lorsque Jack évoqua son passé de soldat. Cela ne surprit même pas l'être céleste. En jetant quelques coups d’œil furtifs durant leur conversation, Anéa avait bien remarqué les larges épaules de son interlocuteur, ainsi que son torse bien dessiné. Ses mains aussi semblaient en avoir vu des vertes et des pas mûres. Un homme bien bâti, en somme. Le regarder était d'ailleurs plaisant, même si la demi-démone se faisait des plus discrètes pour ça.
L'histoire d'Anéa, du moins, l'absurdité de certaines actions, semblait avoir piqué le mercenaire. Il faut dire qu'il n'y avait eu aucune stratégie logique dans son récit, et qu'un soldat, enfin, ex-soldat comme lui trouvait l'ensemble capillotracté, était tout bonnement normal. La jeune femme pouvait le comprendre. Quand on n'a pas toutes les informations, des cases manquantes, on ne peut que dire que l'histoire n'est qu'un tout de n'importe quoi.
Elle remua son nez lorsque Jack frotta le sien contre, comme une chatouille. C'est avec un sourire presque satisfait que l'archange déchue pointa le verre du mercenaire.
- T'as perdu, jeune homme. Tu dois boire, car vois-tu, mon histoire est vraie. Je te l'avais dit.
Il y avait de quoi être en plein doute, avec cette histoire de femme soldat qui se volatilise sur le champ de bataille, laissant l'armée ennemie pantoise, et le cadavre de ses alliés derrière elle. Pourtant, tout était vrai, et presque frais dans l'esprit d'Anéa, comme si c'était hier. Le visage de ses frères d'arme, mais aussi celui du chef de l'armée démoniaque...Pour convaincre son compagnon de soirée, elle allait devoir lui prouver la véracité de son récit...
- Je ne suis pas humaine. J'imagine que ça peut t'aider à mieux comprendre l'histoire.
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Anéa ne se détourna pas à son approche. En fait, victorieuse, c’était elle qui le tenait par le bout du nez plutôt que le contraire, au final. Lorsqu’elle lui lança qu’il avait perdu, Jack se recula, les yeux ronds, et la fixa avec étonnement un instant avant d’afficher une expression de bon perdant. Il capta le regard du barman et tapota le comptoir deux fois. Le type, qui avait compris leur petit jeu, hocha la tête à bon entendeur et continua de servir avant de revenir vers eux.
Puis, le vétéran revint à son interlocutrice et il la scruta en silence en attrapant son verre. Il essaya de détecter un mensonge dans ses beaux diamants mais, n’en trouvant pas, il baissa ses yeux sur elle, passant au-delà du décolleté, bien séduisant malgré sa condition, pour essayer de repérer les signes habituels du combat sous la crasse et les vêtements presque en guenilles. Si elle en cachait là-dessous, il n’en voyait pas. Il n’y avait que les signes de ces étranges reliefs rouges, comme des augmentations greffées pour quelque utilité mystérieuse, mais il ne savait qu’en penser. Du reste, son physique ne devait cependant pas le duper, il se le rappela : elle avait bien nettoyé un nid de fouisseurs géants seule et à l’arme blanche.
Il remonta à ses yeux et elle lui donna un début d’explication : elle n’était pas humaine. Il pouffa en portant le verre à ses lèvres pour en descendre une bonne gorgée.
« Dis-moi quelque chose que je n’ai pas déjà deviné ! »
Il n’avait pas vraiment deviné, mais il s’en doutait maintenant. Elle le lui confirmait.
« Et je te rappelle que nous sommes deux à boire. C’est moi qui paye et ton verre va arriver aussi, tu ferais bien de suivre si tu ne veux pas avoir un mètre à rattraper à la fermeture. »
Il lui fit un clin d’œil avant de hausser les épaules.
« Mais ça ne te fait peut-être pas peur. Ou bien, ton espèce est plus sensible à l’alcool que la mienne. »
En une autre gorgée, il vida son verre et toussota en le reposant. Les nouveaux verres arrivèrent et il la fixa brièvement avec intensité et curiosité avant de finalement l’interroger.
« Alors, c’était quoi ? Vous avez des genres de télétransporteurs, de téléporteurs ? Un genre de flashbang géant pour venir te tirer de là dans la confusion? Allez ! Est-ce que je sais seulement où tu as combattu ? »
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Quelle surprise, n'est-ce pas ? Une histoire aussi capillotractée, qui n'était que vérité ? Difficile d'y croire, et pourtant, c'était le cas...Ne voulant en dévoiler davantage, Anéa ne lui avait dit qu'elle n'était guère humaine. Ce à quoi il se mit à pouffer légèrement, avant d'effacer son début de rire dans un peu d'alcool. Il s'en était douté ? Grand bien lui fasse alors. L'archange déchue haussa les épaules, presque indifférente au fait qu'il ait directement capté sa nature, enfin, qu'il avait compris qu'elle n'était pas humaine comme lui. La jeune femme arqua un sourcil lorsqu'elle vit le verre s'approcher d'elle, le barman l'ayant rempli.
- Je croyais que seul le perdant devait boire. J'me suis trompée ? Après, tu risques de t'effondrer avant moi, tu sais ?
La demi-démone ricana en voyant le petit clin d’œil de l'éphèbe.
- C'est toi, l'sensible.
Réplique légèrement gamine, non ? Un peu comme « C'est celui qui dit qui est ! »...Lorsqu'Anéa le vit descendre son verre d'un seul trait, elle se décida à le suivre dans sa lancée. Une toute petite grimace tira les traits du visage de l'ange. Quelle agréable brûlure dans le fond de la gorge, presque aussi douces que les flammes de l'Enfer.
Écoutant les suppositions de Jack, l'archange déchue haussa un sourcil. Un fin sourire en soin se dessina sur ses lèvres charnues, tandis qu'elle réfléchissait à la meilleure façon de répondre à sa curiosité. Elle se demandait s'il était prêt à entendre toute la vérité et rien que la vérité, celle qui dépassait de loin la logique humaine.
- Désolée de te décevoir, mais ce n'est rien de tout ça. Pas de téléporteurs, ni de technologie avancée. Ce qui m'a sauvée ce jour-là n'était ni plus ni moins qu'une intervention divine. Vraiment.
Elle ne mentait pas, mais allait-il la croire ? La brune démoniaque croisa sensuellement ses jambes, toujours les bras sous la poitrine, le port altier.
- T'as l'air d'avoir roulé ta bosse, pour un humain. T'as dû en voir des vertes et des pas mûres, nan ? Alors, est-ce si difficile à croire que j'ai pu être sauvée par Dieu lui-même ?
Anéa observa longuement Jack, attendant sa réaction. C'est vrai que ce genre de révélation pouvait provoquer scepticisme ou incrédulité. Mais à ce stade, elle n'avait rien à perdre, ni aucune utilité à mentir. Son compagnon de soirée pouvait la croire ou non, cela n'avait plus d'importance pour elle. L'archange déchue était là pour donner des explications, qu'importe la résultante de ses récits. La belle demoiselle couverte de viscères désormais séchées, prit son verre rempli de nouveau, à croire que c'était un puits sans fond, sans se presser, et en but une petite gorgée par pure envie cette fois-ci.
- Le combat...Enfin, ce carnage plutôt, a eu lieu il y a bien longtemps sur Terra. C'est un monde rempli de mille et unes créatures différentes, aux paysages multiples et diversifiés, le tout pouvant mêler magie et technologie. Un peu comme la Terre, en soi, sans magie ni grande fantaisie. Tu connais ?
L'ancienne envoyée des cieux laissa planer un silence, scrutant de ses yeux de glace le visage de Jack pour voir s'il la prenait au sérieux, ou si, tout au contraire, il la regardait avec des gros yeux pleins de méfiance...La combattante restait immobile, toujours attentive à ce partenaire de jeu, pas insensible à son charme presque redoutable, mais ne le laissant que peu paraître dans ses gestes ou même ses paroles.
- Vas-y. Pose-moi toutes les questions farfelues qui te viennent en tête, tout ce que tu souhaites. Vraiment toutes, et j'te réponds sans chichi. Enfin, j'le fais déjà, tu vois, mais j'ai comme l'impression que y'a encore plein de questions qui te brûlent la langue...Et c'est pas que l'alcool qui te la brûle, ça aussi, c'est sûr...
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« Tes divines oreilles doivent pas trop fonctionner, » répliqua-t-il un peu effrontément à son incompréhension persistante des règles.
En effet, ce jeu était moins là pour saouler l’un ou l’autre que pour cumuler les tournées aux frais du perdant en subissant tous les deux. C’était moins malveillant et cruel ainsi.
A la voir se tenir encore, et à constater la légère désinhibition s’opérant chez Jack, elle avait sûrement raison, en tout cas, en disant qu’il finirait par tomber avant elle. Mais il lui sourit candidement. Il avait de la ressource. Avec son gabarit, on se faisait toujours défier et chambrer et, sans forcer un mauvais jeu de mots, il avait de la bouteille.
Au moins, son état l’ouvrait plus aux explications à venir d’Anéa, qui rejeta toute explication rationnelle et technologique à son histoire. Non, elle affirma clairement l’implication divine de sa disparition. A ces mots, Jack la fixa de manière plus sourcilleuse, cherchant le mensonge dans son visage sans rien trouver. Ou bien elle était une excellente menteuse, ou bien elle disait la vérité et, sans trop savoir pourquoi, il sentait qu’elle lui disait la vérité. Après tout, avait-elle manifestement menti une seule fois depuis le début ? Pourquoi commencer maintenant, sinon pour lui jouer un tour un peu puéril ? Ce n’était certainement pas son genre et le vétéran l’écouta donc. Et quand elle évoqua son passif militaire comme s’il l’aurait rendu plus proche d’un dieu quelconque, il tut son scepticisme et se contenta de soupirer longuement par le nez et de boire son verre.
Après un instant de silence et le passage d’un ange, et c’est décidément le post des expressions fortuites, elle entama finalement elle aussi son nouveau verre avant de s’étendre un peu plus. Cette fois, elle évoqua Terra, en des temps immémoriaux, et l’évocation éveilla sa curiosité. Oui, il en avait entendu parler, même s’il n’y était jamais allé. Beaucoup en parlaient, surtout sur la Base spatiale, bien souvent à mots couverts, et il en sortait autant d’histoires vraies que de racontars. Il en venait aussi tout un tas d’êtres et de choses curieux étayant la réputation de melting pot de races et de sociétés de ce monde mystérieux. Elle évoqua aussi la Terre et, celle-là, il y était allé ; par erreur. Lui qui n’aimait pas les failles, cet incident qui avait failli causer un crash dramatique et l’avait isolé pour des semaines avait confirmé sa frilosité. Au moins, il y avait rencontré une bien belle personne qui lui avait laissé des souvenirs pour son long trajet de retour.
« Je suis allé sur Terre. Pas sur Terra, » dit-il finalement. « C’était une erreur. Une faille sauvage ouverte sur mon chemin. Manque de bol. J’ai bien failli y rester. Les militaires locaux cherchaient mon coucou. Il m’a fallu des semaines pour revenir ! Heureusement, j’ai eu droit à un coup de main, ou j’y serai sûrement encore. »
Il partageait cette histoire sans ambages et hors-jeu, et la guerrière sembla le suivre sur son sentier de sincérité. Elle donna carte blanche à ses questions en promettant d’y répondre honnêtement et sans détours, lui valant un regard surpris et amusé du chasseur de primes. Il échappa un pouffement léger cette fois, avant de finir son verre et de taper le comptoir à l’adresse du serveur et de montrer deux doigts. Une autre tournée, à ses frais.
« D’accord ! Mais je sens qu’il va me falloir un autre verre. D’ailleurs, je pars du principe que c’est donnant-donnant, alors sens-toi libre de m’interroger quand tu m’auras répondu. »
Il réfléchit quelques secondes en plongeant son regard dans le sien. Une connexion s’était créée entre eux et il pouvait sentir l’ouverture que leur discussion avait favorisée. Ils n’en étaient plus à déterminer s’ils allaient s’entendre, du moins pas pour elle qui l’invitait clairement à discuter davantage et à lui tenir compagnie. Il devait bien avouer que, derrière son allure crasseuse et sauvage, sa beauté transparaissait et que cette invitation le touchait et ouvrait en lui d’autres perspectives auxquelles il espérait, mine de rien, trouver un écho. Il ignorait encore que l’écho était bien là, contenu par cette créature d’apparence humaine qui le sondait encore.
« Alors, » engagea-t-il d’un coup, « ça fait quoi de toi ? Je veux dire, t’es humaine ? T’es vraiment une femme ? T’as quel âge au juste ? C’est qui, ce dieu qui t’a secourue ? Pourquoi ? Et… Qu’est-ce que tu fais là, maintenant ? Si je ne m’abuse, à moins que je cerne mal la volonté divine, éliminer des nids de bestioles n’est pas exactement l’affaire des divinités, non ? C’est pour ça que des gars comme moi se pointent en général. »
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Anéa écouta en silence, son regard de glace s'attardant sur l'humain avec une intensité mystique. L'ancienne archange avait commis un impair en prétendant que, parce qu'il en avait l'aspect et parce qu'il était un homme, Jack était né sur Terre. Mais pas du tout, il venait d'autre part encore. Lorsque le mercenaire dicta le fait qu'il avait pris un portail vers cette terre inconnue et qu'il avait failli finir dans de beaux draps, cela fit sourire la belle brune. Aux vues de sa petite escapade, cela devait être assez...excitant, non ? Dans tous les sens du terme, tout du moins, aux yeux de l'ange déchue. Quoi de mieux qu'un nouvel endroit, un nouveau monde, plein de dangers, pour satisfaire sa curiosité, ainsi que ses envies ? Tout ce trop plein grisait Anéa en général, mais qui sait, peut-être pas l'homme. La jeune femme se permit de rire doucement à sa remarque, clairement moqueuse.
- Ce petit voyage sur Terre ne t'a pas plus ?
Peut-être était-il tombé sur une très bonne âme, et vu sa belle gueule, ce corps d'Apollon, il le lui avait peut-être bien rendue également. Ahem, bon, ceci ne la regarde pas. Même si Anéa éprouvait un brin de jalousie. Oui, oui. Vilaine envie.
Il souhaitait du donnant-donnant, mais la demoiselle crasseuse, bien que curieuse, trouvait que Jack s'ouvrait naturellement avec douceur et simplicité à elle, là où l'archange peinait à dévoiler un peu d'elle-même spontanément. Ce petit jeu et ces questions étaient là pour cela, après tout. Et si au début, la démone solitaire semblait mécontente, presque irritée qu'on vienne perturber sa sérénité par ce genre d'initiative, finalement, la compagnie de ce mercenaire d'un autre univers lui était agréable. Plus que charmante, même. Elle qui était toujours seule, qui finissait par rejeter toute invitation, y compris les mains tendues, par peur de se rattacher à quelqu'un et d'être trahie à nouveau...Anéa ne pouvait qu'admettre que pour une fois, cela lui faisait clairement du bien. Jack apparaissait comme le soleil reflétant par delà la surface de l'eau, alors que l'archange sombrait petit à petit dans les profondeurs du néant. Il était un feu chaleureux, comme un feu de camp...non, de cheminée, dont on se tient à proximité pour profiter de la chaleur qu'il dégage, tandis que la demi-démone n'était que glace blessante, tranchante, devenue presque diamant tellement elle ne fondait jamais et était devenue comme cette pierre...Encore qu'un diamant, c'est précieux...
Heureusement, personne n'entendait ce genre de pensées, et Anéa espérait que Jack ne sache pas lire dans les esprits. D'un geste, elle demanda au serveur s'il pouvait davantage corser leurs verres avec, cette fois-ci, un alcool plus fort ou même un mélange. « Un vrai tord-boyaux », qu'il leur a promis. Soit, elle testera ça après. Elle posa ses deux coudes sur le bar, de côté par rapport au mercenaire spatial, et entama ses réponses.
- Je suis ce qu'on appelle, un ange. Un vrai de vrai, pas juste pour me faire mousser et dire que j'suis hyper gentille. Plus précisément, je suis une archange. Un ange guerrier quoi. De ceux qu'on envoie au front. Enfin...Je l'étais. Au moment de mon histoire, que jt'ai raconté, où j'ai failli mourir, c'est « mon » Dieu qui m'a sauvée mais je n'en connais pas la raison...Comment expliquer mieux la chose...Mmh...Désolée, je suis mauvaise conteuse, mais j'fais d'mon mieux.
Cela partait un peu dans tous les sens, mais la belle brune espérait que l'éphèbe arrive à suivre son raisonnement.
- Sur Terre, plusieurs religions parlent d'un dieu unique, créateur de l'univers. Seul et tout puissant, qu'on appelle tout simplement Dieu. Son domaine, par delà les cieux, s'appelle le Paradis. C'est là où j'ai été créée. A contrario, dans les profondeurs du monde résident les démons, monstres engendrés par les catastrophes et les vices. Depuis que le monde est monde, les anges et les démons se vouent une haine viscérale mutuelle, et les archanges comme moi étaient envoyés pour réduire les forces infernales afin de rétablir l'équilibre. Sauf que j'ai commis une erreur de parcours.
Anéa prit une petite pause, prenant un shot de son verre, frisant le nez sous la puissance de l'alcool.
- Les fautes, qu'elles soient minimes ou non, sont impardonnables au Paradis, d'où le fait que je sois devenue une déchue. Je n'ai connu que ça, alors malgré tout ceci, je parcours les mondes pour éliminer les démons. C'est ce que je fais habituellement, j'en poursuivais un et j'en ai perdu sa trace. Agacée, j'ai eu envie d'autre chose. Un gros besoin de me défouler...Du coup, désolée, jt'ai piqué ton travail.
Tiens, elle ne racontait pas toute son histoire. Voulu ou non, était-ce si grave ? Son histoire semblait rocambolesque, elle le savait, mais l'ancienne angélique était prête à faire preuve de bonne foi pour apporter la vérité.
- Je peux te montrer, si tu as besoin de preuves...Mais pas ici.
Simple sécurité. Elle avait poursuivi le démon jusque dans un autre univers, et son côté angélique était un atout qu'elle gardait sous son aile, et surtout, qui n'était pas connu des forces démoniaques. Seul son « maître » était au courant, vu qu'il avait parfait sa transformation. La demi-démone observa patiemment Jack du coin de l’œil, attrapant son nouveau verre. La demoiselle laissa le précieux liquide disparaître entre ses lèvres charnues, puis elle grimaça. Toussant un peu, elle s'amusa de sentir l'alcool brûler son gosier.
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Anéa s’était montrée curieuse quant à son voyage, et Jack avait souri de manière énigmatique et légèrement malicieuse. A entendre sa question, il avait presque l’impression qu’elle savait quelque chose, mais elle devait au moins se douter que son passage n’avait pas été seulement fait de galère et de cavale maintenant qu’elle avait vu ses oreilles rougir en repensant à Rubis et à la nuit qu’il avait passé chez elle.
« Tout n’était pas à jeter, » avait-il répondu fourbement.
Il ne lui donnait pas beaucoup, sur ce coup, mais il en donnait pas mal tandis qu’elle avait un peu de mal à entrer dans les détails. Il s’accordait ce petit joker, qu’elle lui laissa volontiers avant de, presque surprenamment, répondre avec franchise à ses questions comme elle le lui avait promis. Et il écouta attentivement, ouvrant ses yeux avec surprise plus d’une fois en l’entendant parler de son identité.
Alors, Anéa était un ange ? Il ne les imaginait pas comme ça. Il faut dire que l’idée change beaucoup d’une culture à l’autre, mais tout de même ! Est-ce que ça pouvait vraiment changer autant selon le dieu et l’endroit ? Est-ce que c’était encore… une espèce ? Il gardait ses désirs d’interruption pour lui, pour le moment, et suivit son récit. Cette histoire d’ange guerrier expliquait au moins son récit de guerre d’avant, qu’elle n’étoffa pas, mais elle-même semblait ne pas vraiment comprendre les tenants et aboutissants.
Son dieu était une sorte de divinité unique et surpuissante sévissant sur Terre, et il l’avait conçue pour combattre les démons. Le vétéran l’écoutait en combattant son incrédulité par la sincérité manifeste de la conteuse. Depuis son domaine, le Paradis, elle était donc envoyée génocider les créatures du vice et du Mal. C’était… manichéen au possible, mais si ça marchait comme ça, il y avait des choses à dire sur la façon dont l’univers fonctionnait.
Elle finit par évoquer une erreur. Apparemment, son « Dieu » n’était pas du genre compréhensif et miséricordieux, et il l’avait déchue, ce qui devait vouloir dire qu’elle avait perdu ses droits ? En tout cas, elle n’était plus au Paradis. De son aveu, son quotidien constituait à chasser les démons en solitaire ça et là, et son aventure ici était seulement arrivée parce qu’elle avait perdu la piste d’un d’eux. Au final, elle s’excusait même d’avoir pris son travail parce qu’elle avait échoué au sien, et il leva son verre avec un sourire goguenard.
« Tu es pardonnée, » lui accorda-t-il avant de plonger enfin les lèvres dans celui-ci.
Il toussa en gouttant l’affreux liquide de dégivrage décanté que le barman leur avait sorti et il s’étranglait en continuant.
« Au moins, je peux le faire, moi. Teuheu ! Et puis, entre soldats, on se serre les coudes. »
Il retrouva un semblant de contenance en maudissant l’alcool qui lui rongeait l’œsophage. Il servait ça à quoi ? Aux Reptiliens ?!
Et puis, Anéa lui fit une proposition qui le coupa et il la scruta quelques secondes avec sérieux, jusqu’à la voir vider son verre d’une traite en toussotant à peine, avec le sourire. Il éclata alors de rire et se claqua la cuisse en la voyant faire.
« J’avais vraiment aucune chance ! »
Depuis le début, elle ne plaisantait pas. Elle était franche. Et elle ne jouait pas avec lui. Alors, en lui proposant de l’accompagner ailleurs, il ne savait pas ce qu’elle lui voulait, mais il sentait qu’elle ne comptait pas le blesser, ou du moins pas lui faire du mal. Et si elle n’avait pas pour idée de le crucifier, il devait avouer que la jolie brune, avec ses mystères, son joli minois et sa franchise, l’ouvraient à n’importe quelle autre alternative. Il mentirait en disant qu’elle ne l’attirait pas, et son regard laissa échapper brièvement cette appréciation sensuelle à son égard, quoique, dans l’ignorance de ses intentions, il se montrait plus curieux qu’autre chose.
Alors, déjà décidé, il remonta le verre à ses lèvres mais, quand l’odeur frôla ses narines, il fit une grimace dégoûtée et le repoussa instinctivement. Son organisme n’en voulait plus ! Se raclant la gorge, il finit par tendre son verre en offrande à l’archange déchue avec humilité, avec une légère courbette, comme un sacrifice.
« Ça a l’air de t’avoir plu, à toi. »
Il la laissa en disposer et, en rebombant le torse, il entreprit de se remettre debout, descendant du tabouret en ressentant soudainement le flottement que produisait l’éthanol sur ses sens. Il souffla avec un gloussement amusé et rouvrit les yeux quand elle descendit à son tour, nettement plus en forme évidemment.
« Qu’est-ce que tu as en tête ? T’as une piaule ? On va dans mon coucou ? Ou c’est autre chose ? »
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Alors, elle avait vu juste. La nouvelle teinte de ses oreilles disait tout. Si tout n'était pas à jeter de sa petite excursion sur Terre, c'est qu'il était tombé sur une bonne âme et peut-être aussi qu'il avait goûté aux spécialités locales. Cela n'étonnerait même pas Anéa s'il s'était retrouvé autour de Seikusu, cette ville nipponne étant le plus gros aimant à étrangetés sur la planète bleue. L'archange haussa très légèrement les épaules, un fin sourire malicieux illuminant ses traits, ne serait-ce qu'un infime instant. Il s'éteignit aussitôt, laissant place à son récit, avec toute sa sincérité, sa franchise, ainsi que la maladresse de ses mots.
L'ancienne ange ne savait pas si Jack allait la croire totalement ou non. Elle admettait volontiers qu'il était difficile d'admettre que son histoire, fortement capillotractée, était vraie, et cela, même si la nouvelle demi-démone avait toujours été mauvaise menteuse. S'il doutait d'elle, Anéa était prête à lui dévoiler ses appendices divins pour le lui prouver...Lui prouver quoi au fait ? Qui était-il pour qu'elle fasse ce genre de révélation. Elle les cachait le plus possible depuis que son essence profonde avait été corrompue par le Mal. Ses ailes restaient toujours un dernier atout lors de combat, préservant un énorme effet de surprise, pouvant fortement faire basculer en sa faveur, l'issue souvent fatale d'un combat. C'était une dernière carte pour gagner la partie. Ceux qui avaient pu voir ses deux grandes plumées blanches étaient si peu nombreux qu'ils ne se comptaient pas même sur les doigts d'une seule main. Est-ce qu'un en plus était si grave ? Pas vraiment. Et puis le mercenaire galactique semblait inoffensif, et plutôt de confiance. Certainement qu'elle ne le verrait qu'une fois, comme toutes les autres personnes qu'elle avait rencontrées durant sa longue vie. Donc, finalement, rien de dramatique à ce qu'elle lui montre sa véritable nature.
Un nouveau petit rire s'échappe d'entre ses lèvres rosées lorsqu'elle le vit presque s'étouffer avec le tord-boyaux que lui avait servi le barman. Le voyant se défiler, non pas comme un lâche, mais en s'avouant vaincu, la belle brune attrapa le verre gentiment offert et le vida d'un trait, toussant un peu à son tour, accompagnant son visage d'une magnifique grimace. Suite à ça, Anéa expira un petit rot, ressemblant presque à un ronronnement. Le rire de Jack avait ce petit quelque chose de rafraîchissant et de léger, chose que la guerrière ne connaissait que très peu et qui finalement, lui faisait un bien fou. Rares étaient ces moments de joie et d'amusement autour de la déchue. Alors il y avait ce quelque chose de...Comment l'expliquer ? Cette sensation, comme un flottement, un picotement dans la poitrine, qui tire le cœur dans une gêne pourtant pas désagréable.
La crottée se permit de suivre Jack en descendant de son tabouret, voyant clairement qu'elle l'avait sali avec la boue et le sang séchés dont elle était maculée. Elle fouilla la bourse à sa ceinture et en sortit quelques pièces de plus sur le comptoir, s'excusant auprès du barman pour le désagrément.
- Désolée. La prochaine fois, j'me laverai l'cul avant de venir. Promis.
Son attention revint sur son compagnon légèrement éméché, au vue de cette légère démarche à la Jack Sparrow en descendant du tabouret...à moins que ce ne soit spécifique qu'aux Jack...D'un geste calme, elle saisit la main droite du mercenaire galactique, l'emprisonnant dans la sienne.
- J'ai bien une chambre, mais je sens que le chemin pour y aller sera long pour toi...Houleux aussi. Alors, j't'aide un peu.
Sans réellement attendre son avis sur leur destination, la déchue l'entraîna lentement à sa suite. Le but était d'avancer sans le faire tomber. S'il basculait un tant soit peu, la jolie demoiselle salie s'arrêterait pour qu'il retrouve l'équilibre. L'emmenant à travers les méandres de la Base, ils arrivèrent tous deux dans la Capsule, cette petite ville aux airs presque terrestres. S'arrêtant devant un immeuble de trois étages, ils passèrent la porte d'entrée à l'aide de la reconnaissance faciale. Celle-ci eut un léger bug, Anéa se frottant un peu le visage pour se décrasser un minimum pour que la machine fonctionne enfin. Ensuite, ils s'enfoncèrent dans les couloirs, puis les escaliers, passant un bras de son compagnon de beuverie sur ses épaules, histoire qu'il ne se fracasse pas sur les marches. Premier étage...Deuxième étage...Et voici le dernier. Anéa posa son pouce sur le dispositif de serrure et la porte du trois-cent-trois s'ouvrit enfin.
Rien de mirobolant dans cet appartement, mais il était propre, tout le contraire de sa locataire. On pouvait y cuisiner, se laver, faire ses besoins, dormir, même si certains voisins étaient du genre bruyants. Relâchant enfin la main de Jack, l'archange déchue lui fit signe de s'installer aussi confortablement que possible.
- Mets-toi à l'aise. J'vais aller me décrasser d'abord.
La salle de bains était voisine à la chambre, mais on y accédait depuis le salon. Faisant coulisser la porte tout en laissant un léger jour à celle-ci, Anéa ne prit pas le soin de plier ses affaires sales, se déshabillant en laissant tous ses habits souillés au sol. C'était un réflexe pur de sa vie de solitaire et surtout, d'agent double. Qui sait qui pouvait rentrer pour l'assassiner ? Il est vrai qu'habituellement, elle était seule mais...Et si Jack voulait se rincer l’œil ? Qu'importe. Anéa n'était pas vraiment du genre pudique.
Elle fila rapidement sous la douche, l'eau devenant rapidement d'une couleur rouille, boue et sang s'y mêlant. Ce que cela faisait du bien ! Prenant le savon, elle le passa délicatement sur toutes ses courbes, moussant sa peau qui se fit plus lisse, épargnée de toute cette crasse qui avait séché. Ses tatouages et autres capsules disparurent eux aussi, ne laissant apparaître l'ancienne Anéa, ce reflet angélique qu'elle avait toujours eu. Le coup de sang qu'elle avait eu en exterminant les monstres s'était effacé depuis, la présence de Jack y étant peut-être pour quelque chose...
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Cette femme, cette Ange, avait massacré à l’arme blanche des créatures d’une dangerosité majeure. Elle possédait une longue expérience du combat et n’avait pas perdu de son tranchant. Elle parlait de batailles épiques dignes de mythes et de fictions fantastiques, de divinités et de conflit. Et Jack acceptait son invitation à la suivre, chez elle, sur un monde isolé sur lequel il était venu, encore une fois, seul. Il aurait probablement dû avoir peur ou, au moins, au bas mot, s’inquiéter pour son intégrité physique. Etait-ce le fait qu’il croie en sa nature angélique, ou peut-être un ressenti vis-à-vis d’elle, la perception inconsciente et inexplicable d’un fond de pure bonté en elle, sous cette couche de violence et de solitude née des épreuves et des trahisons ? C’était impossible à déterminer. Il planait trop. Sa raison restait intacte en surface seulement. Ses sens étaient affectés. Il n’était pas en pleine possession de ses moyens, et il aurait dû être inquiet.
Au lieu de ça, il était curieux. Il était même assez impatient d’arriver à destination quand elle lui évoqua un appartement. Un appartement, ici, pour les voyageurs de passage ?! Ça pouvait se tenir, en vérité : l’activité minière était dangereuse et les effectifs fluctuaient, les logements pouvaient être pleins à craquer ou partiellement vacants. Il ne servait à rien, pour les propriétaires, de laisser un appartement vide quand il pouvait le louer pour quelques jours au moins. Il était prêt à y aller mais, moins assuré sur ses pieds qu’il le pensait, il fut l’objet d’une remarque d’Anéa qui lui fit bomber le torse fièrement.
« Madame, » dit-il de façon exagérément sérieuse, « ne pensez-vous pas sous-estimer l’équilibre d’un OOF! »
Elle avait attrapé sa main pour l’entraîner à sa suite, et il suivit sous sa poigne d’acier. Il reprenait conscience de sa puissance martiale et pouvait bien en sentir les effets. Elle était rapide, et forte par rapport à une Humaine de son gabarit. Un peu pris de court, il dut bien se laisser conduire. Elle ne cherchait pas à le faire tomber, mais elle l’entraînait avec elle, trouvait-il, d’un pas prudent mais assuré. Non, elle ne doutait pas de sa capacité à suivre. Elle semblait tenir à ce qu’il suive, et sans trop attendre, ce qui lui tira un sourire malicieux et un véritable plaisir. Il se sentait désiré.
Ils se retrouvèrent dans la capsule locale, destinée aux habitants bien installés de la colonie, et Jack ne prit pas vraiment de repères. Il suivait. Une porte, huit, seize, vingt… quelque chose… marches… et ils s’engouffrèrent dans un grand séjour, où Anéa le libéra finalement, et lui proposa de s’installer avant de d’aller disparaître dans la salle de bains.
C’était fou comme les logements étaient consistants d’un monde humain à l’autre. Même sur Terre, les plans étaient souvent consistants avec ceux-là. Seule la technologie changeait plus ou moins, parfois. A quel niveau étaient-ils, ceux-là ? Les colonies nouvelles étaient souvent rustiques, par soucis d’argent et de temps. Elles récupéraient souvent des matériaux et appareils de génération antérieure dont se débarrassaient des colonies en développement, avant de devenir la colonie vendant le maximum de ce dont elle se débarrassait à une petite nouvelle.
En observant l’endroit, il capta le bruit entêtant de l’eau clapotant et claquant sur le carrelage après avoir frappé le corps de l’Ange. Tournant son regard dans cette direction, il put voir la porte négligemment entrouverte, et, d’abord par jeux d’ombres puis, ses yeux se focalisant, partiellement par la fente illuminée, les mouvements d’un corps se mouvant sous une pluie fine et chaude. Il comprit vite de quoi il s’agissait et ses sens, curieusement, retrouvèrent un peu de tempérance… pour se focaliser sur cet acte de voyeurisme involontaire, mais qu’il poursuivait maintenant en pleine conscience.
Curieux, l’Humain se redressa du canapé dans lequel il avait trouvé un point de chute, et il s’approcha lentement, silencieusement de la porte coulissante. Plus il s’approchait, plus il était poussé à s’approcher, et son visage devançait ses pas de plus en plus, penché en avant qu’il était pour en voir plus de cette scène d’une sensualité primaire. Il découvrait la silhouette vierge d’une jeune femme à la peau d’un rose plein de vitalité, le galbe ferme de ses fesses rondes et toniques, dignes d’une guerrière de corps-à-corps dont elle portait, aussi, les obligatoires cicatrices plus ou moins anciennes et plus ou moins voyantes. Il l’avait vue sale, la peau terne, et avait manqué, malgré le charme évident de sa personne, la véritable pétulance érotique de sa plastique. En se tournant légèrement, elle dévoila aussi une poitrine surnaturelle, d’un beau volume, lourde de toute évidence, mais parfaitement tenue sans sembler ressentir la gravité. Il se demanda si elle était aussi lourde qu’il le pensait tout en se penchant, encore un peu, et…
La glissade le prit par inadvertance et l’envoya tête la première sur la porte. Par réflexe, il y opposa ses mains, qui se calèrent sur le cadre lourd et, emporté par son élan, il ripa, et la porte coulissa, s’ouvrant en grand tandis qu’il tombait piteusement au milieu des haillons sales et dispersés négligemment au sol de l’aventurière.
« Bordel de… »
D’un geste, tendu, il se redressa vivement, droit comme un piquet, face à une Anéa nue occupée à poursuivre sa douche. Jack rougit, ses doigts s’agitèrent nerveusement, et il pinça les lèvres avant de se forcer à une attitude plus sûre et de partir d’un rire trop confiant pour être honnête.
« Aaaah, désolé ! Cette colonie est si poussiéreuse ! Je cherchais un endroit où me nettoyer un peu, déjà, et j’ai glissé et… »
Il avait détourné le regard au plafond en commençant à parler mais, face au silence de l’Ange, il s’interrompit, se sentant percé à jour, et il rabaissa sa tête, et plongea ses yeux dans les diamants brillants de la brune, enfin silencieux, lui aussi.
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Cet appartement au sein de la Capsule n'était qu'un énième point de chute provisoire pour l'archange déchue. Anéa ne restait que très peu de temps au même endroit, à moins d'y être retenue contre son gré, comme cela lui était arrivée par le passé. Son « travail » était somme toute la principale raison de ce vagabondage. Toujours là à traquer et éliminer, sans jamais réellement prendre une pause et s'arrêter. Même aujourd'hui n'en était pas vraiment une. S'il est vrai que l'ancienne ange avait perdu la trace de ce démon depuis quelques jours, elle savait qu'il traînait dans le coin, bien camouflé. Alors, cette fois-ci, sa pseudo sédentarité lui servait plus à continuer sa mission qu'à réellement prendre du bon temps. Tout du moins, c'est aussi ce qu'elle cherchait à se persuader.
La chasse et l'extermination des scolopendres géants n'avaient été qu'un plus pour se « soulager »...Extérioriser cette frustration était de première nécessité et les pauvres bestioles étaient sur son passage. Et cette soirée à picoler alors ? En joyeuse compagnie ? Non pas que la jeune femme était mal à l'aise à l'idée d'être accompagnée, mais rares étaient celles et ceux qui appréciaient sa présence, autre que pour le combat et pour le sexe, bien évidemment. Du coup, ce soir, cela avait un petit côté rafraîchissant et nouveau. Jack n'était pas que bel homme, son charme étant indéniable même, toujours présent même après quelques verres chargés. Ce mercenaire de l'espace était aussi...Enfin, donnait l'impression d'être une personne douce, attentionnée tout du moins, et taquin à la fois, qui n'était pas pour déplaire à la grande solitaire.
Pour la mi-démone, ce sourire que Jack lui servait était des plus charmants et profondément sincères, même si sous couverts d'un peu d'alcool, c'est vrai. Elle s'était laissée aller à l'ambiance du moment, légère et séductrice. Mais Anéa ne pouvait clairement pas aller plus loin avec le mercenaire, pas dans cet état miteux. Ses habits faisaient presque plus haillons qu'autre chose, et que dire de son aspect physique général ? Couverte de boue de la tête aux pieds, n'épargnant ni sa tenue, ni sa peau, le sang des bestioles avait même séché, devenue craquante et poussière, jusqu'à tacher son visage et à salir sa chevelure de jais. Il n'y avait rien d'autre à dire que l'archange déchue était DÉ-GUEU-LASSE !
Cette douche arrivait à point nommé. Toute la tension accumulée s'envolait posément au rythme des gouttes s'écrasant sur les formes de la guerrière. La vapeur s'élevait lentement dans la petite salle de bain, formant un léger voile sur le miroir situé au dessus du lavabo. L'eau chaude ruisselait en un fin filet continu, martelant doucement la peau nue d'Anéa. La mousse du savon cheminait le long de son corps, dessinant à merveille chaque centimètre de ses courbes féminines. L'archange déchue ferma les yeux, laissant l'eau glisser sur son visage, ses cheveux trempés collant à sa nuque.
Ses mains glissèrent avec légèreté sur son corps, savourant la chaleur qui détendit ses pauvres muscles. Le parfum du savon flottait dans l'air, un délicieux mélange de lavande et de vanille. Sous ses doigts, la mousse blanche s'étalait en une caresse soyeuse avant d'être emportée par l'eau en fins ruisseaux. Idem pour celle qui s'accumulait sur sa chevelure, vite balayée jusqu'à disparaître dans le sillon de son sublime fessier.
La demoiselle inclina sa tête en arrière, offrant son cou au jet brûlant de la douche, sentant chaque goutte rebondir sur ses épaules. Le temps semblait suspendu, chaque sensation amplifiée par la quiétude du moment. Un soupir d'apaisement s'échappa d'entre ses lèvres, vite rompu par un hoquet de surprise lorsqu'elle entendit et vit la silhouette de Jack faire irruption dans la salle de bains. Heureusement, ou malheureusement, les habits salis de la jeune femme lui servirent de matelas, le réceptionnant sans grande douleur. Anéa ne se retourna pas de suite, dos à lui, l'observant du coin de l’œil. Un fin sourire étira ses lèvres en coin, amusée de la situation. Cela lui rappelait presque des souvenirs. Moui, bien sûr, une glissade sans faire « exprès »...
- Ça tombe bien. Il y a encore un peu de place ici...
L'archange déchue se retourna, faisant finalement face à Jack, entièrement nue. Les décorations et autres tatouages qui l'avaient marqués lors de leur rencontre avaient comme disparus, et donnait une silhouette bien plus humaine à la mi-démone. Ses yeux de glace fixèrent son compagnon de soirée, de haut en bas, tandis qu'elle se mordilla sans discrétion la lèvre inférieure.
- Et puis, j'aurais besoin d'aide pour me frotter correctement le dos...
D'un petit signe de l'index, la guerrière invita le mercenaire galactique à rentrer dans la douche, et à partager cette eau chaude. Et à partager un délicieux moment, sûrement...Et comment le lui prouver autrement, qu'en lui laissant le loisir d'observer ses courbes luisantes de ce mélange mousseux. Et quoi de mieux que de lui montrer sa croupe, se retournant face au jet d'eau, pour qu'il découvre un peu plus ce fessier plein et musclé, chatouillé par la longue chevelure alourdie de la demoiselle...