Acte 1
Perdu sur Terre
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C’était arrivé soudainement.
Jack regagnait le point de rendez-vous prévu après une mission en solo remplie et avec la récompense dans la soute quand les instruments s’étaient emballés. Toutes les alarmes possibles avaient sonné en même temps et l’avaient désorienté au moment crucial, quand une lueur subite avait inondé le petit cockpit et quand l’espace s’était troublé droit devant lui.
C’était vraiment un manque de bol absolu. Au mauvais endroit, au moment moment : voilà ce qu’on écrirait sur son épitaphe. Lui qui avait préféré ignoré ces foutues failles et le genre de secrets qu’elles pouvaient cachées, le voilà face à l’une d’elles, et, pire encore, face à une faille sauvage. Destination spatiale et temporelle inconnue. Et il fonçait dessus à toute vitesse. Sans les mains sur les commandes, aucune chance de l’éviter.
Il avait passé la faille sans pouvoir réagir.
Une lumière aveuglante remplaça brutalement la nuit noire perpétuelle de l’espace et il avait réussi à rouvrir les yeux pour voir le sommet d’un immeuble. Ses mains trouvèrent les commandes et il vira brutalement, évitant la bâtisse de peu, son appareil hurlant en survolant la quartier de la Toussaint en rase-mottes dans une violente décélération. Réagissant à l’instinct, Jack avait trouvé un espace à peine suffisant au fond de ce qui ressemblait à une friche urbaine, et il s’y posa sans attendre, coupant moteur et voyants en soufflant et cherchant tout de suite à déterminer sa position ou à capter un signal. Il ne trouva aucune coordonnée connue et ne détecta que divers signaux à bande radio moyenne diffusant divers types de contenus, de discussions sans intérêt à de la musique. Il arrêta tout et souffla encore avant de taper le tableau de bord.
« Merde ! Merde ! Putain ! Merde ! »
Un coup de malchance et le voilà perdu, sans savoir ni où, ni quand. Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir faire ? Dans son esprit, c’était la panique, mais il devait trouver un objectif, réagir de manière appropriée. Il finit par sortir pour trouver de quoi couvrir et cacher son vaisseau. Il le fit glisser dans un des vastes bâtiments industriels désaffectés à côté desquels il s’était posé et trouva de vieilles bâches et des pièces de maçonnerie pour faire poids.
Puis, il essaya de dormir.
Il avait de longs jours devant lui.
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Le lendemain, après avoir mal dormi, il était sorti avec une idée fixe : comprendre où il était et trouver un chemin vers son coin de l’espace, pour peu que ce soit possible. Il avait essayé d’observer des gens dans les rues alentours et avait abandonné tout son attirail tactique pour garder son pantalon de treillis noir, un débardeur blanc et un bomber anthracite hérité de son service militaire. L’insigne dans son dos pourrait passer pour celui d’une unité militaire de la planète sans éveiller les soupçons, avec de la chance.
Il s’était aventuré dehors sans éveiller trop de curiosité, même si son apparence tranchait avec la tendance locale. Il remarqua une relative homogénéité physique, avec des traits récurrents, des yeux fins, une peau légèrement bronzée, des cheveux noirs et fins. Bizarrement, il comprenait les locaux, ce qui lui rendrait service. Il ne dit rien et fit profil bas, et il passa la journée sans se faire déranger.
Plongé dans un monde étranger et mystérieux, il détermina vite que, malgré son apparence évoluée, il était en net retard technique et technologique sur la société interstellaire. C’était un problème. Il aurait probablement pu trouver de l’aide sur un monde plus développé. A la place, il allait devoir rester discret et chercher seul. Il avait sûrement bien fait de cacher son vaisseau, les autorités locales voudraient mettre la main dessus. Déjà, il avait pu voir les titres de certains médias d’informations parlant d’un avion militaire ayant eu des difficultés et ayant dérangé la petite localité de Seikusu dans la soirée, mais il avait aussi vu deux camions remplis de militaires passer et il n’était pas dupe : on le cherchait.
Profil bas, donc.
Heureusement, il avait vite découvert l’existence d’un planétarium, un établissement dédié à l’étude des étoiles et à la transmission du savoir existant sur celles-ci. S’il avait une chance de trouver une trace de son coin d’espace, c’était là-bas. Il s’était procuré un peu de devises locales trouvées abandonnées sur la table d’un café et avait pris un transport communal à roues jusqu’à l’établissement avant d’y payer une visite guidée. Le contenu avait été décevant, lui révélant la pauvreté des connaissances de ce monde sur l’espace en général et lui confirmant qu’il allait avoir du travail à faire pour retrouver la trace de sa maison dans ce ciel complètement étranger et bidimensionnel qui lui était présenté.
Après la visite, il était resté pour consulter la vaste base de données accessible au public, et il se mit au travail. Il commença par retracer ce qu’il connaissait de sa région de l’espace sur quelques feuilles avec un crayon. Etait-il seulement dans la bonne galaxie ? Ou se trouvait-il seulement à la bonne époque ? L’espace interstellaire changeait beaucoup au fil des âges.
Il valait mieux ne pas trop y penser et se mettre au travail, étudier la voûte céleste en espérant tomber sur ce qu’il espérait y trouver.
Il ne vit pas le temps passer, pas plus qu’il n’avait conscience des horaires de cet endroit. Fourbu, il s’étirait devant son poste informatique préhistorique en bâillant nonchalamment, abattu mais pas désespéré, et s’apprêtait à sortir une énième fiche d’étude sur une région de l’espace connu de cette planète, sans savoir qu’il était observé.
En quittant les lieux déjà désertés, les portes automatiques s’ouvrant sur leur chemin malgré l’heure très tardive, Jack et Rubis se retrouvèrent plongés dans le début de soirée doux et caressés par la brise. De manière instinctive, les pensées du voyageur interstellaire s’élevèrent vers l’espace, vers chez lui, vers cet ailleurs qu’il rejoindrait certainement bientôt, et ses yeux s’y levèrent dans le même songe. Il put voir la voûte céleste, visible dans ce quartier plongé dans la pénombre de cette petite ville économe par un temps bien dégagé. Tout était familier et étranger à la fois, la Voie Lactée était là, mais différente. De la même manière, rien ne semblait à sa place. Jack en avait vu, des ciels étoilés, et tous étaient différents, mais il y avait un panorama général, depuis son coin d’espace, qu’il ne retrouvait pas ici. C’était comme s’il avait observé le même horizon de divers points de vue toute sa vie et qu’il s’était soudain retrouvé face à un lieu totalement différent de l’autre côté de la planète.
Il espérait seulement pouvoir rentrer, ne pas être allé trop loin pour y retourner par des moyens conventionnels. Ce n’était pas sur ce monde arriéré qu’il trouverait une alternative viable dans ce cas.
Comme il s’inquiétait, il redescendit son regard vers la Terre, et chercha un réconfort dans la vue de sa compagne ingénue. Il croisa son regard carmin et, surpris, fut autant étonné que charmé, comme elle l’était elle aussi. Il pouffa comme elle, discrètement, et se laissa aller à une autre pensée : il ne voulait pas lâcher sa main et rejoindre son vaisseau. Il ne voulait pas partir comme ça. C’était surtout pour lui, lui qui avait besoin de réconfort et de compagnie dans sa situation, mais il se prit à croire qu’elle aussi craignait sa solitude, comme elle l’avait laissé entendre plus tôt. Ses mots faisaient même écho à cette possibilité, et il pinça les lèvres pour cacher le trouble et la douleur que ses yeux ne pouvaient vraiment cacher cependant.
« Merci à toi. Pour tout. Je n’aurais sûrement pas réussi sans toi. »
Il aurait voulu lui dire qu’il ne l’oublierait jamais, mais c’était une déclaration fort étrange à faire. Il se ravisa et serra sa main dans la sienne une dernière fois avant de la relâcher et, à son corps défendant, de s’éloigner d’un pas alors qu’il souhaitait plutôt avancer vers elle et l’enlacer, juste une fois, juste un instant. Mais son temps était compté et il ne ferait que rendre les choses plus difficiles ainsi.
« Au revoir, Rubis Starling. A la prochaine ! »
Peut-être. Ou jamais. Il valait mieux ne pas trop y penser.
Il laissa son regard posé sur elle un moment, s’éloignant à reculons en forçant un sourire ému, puis il finit par se retourner pour disparaître dans la nuit et retourner à son appareil.
Acte 2
Réfugié au fond de ton lit
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Les choses s’étaient compliquées.
Depuis qu’il avait croisé ces camions militaires, plus tôt, dans la journée et peu après son arrivée, la situation dans les rues avaient évolué. Les soldats en uniformes et armés avaient été retirés, sans doute pour ne pas éveiller les soupçons de la population et avec une fausse histoire pour justifier leur passage. A leur place avaient cependant été installés des guetteurs. En bon vétéran, Jack les avait repérées, ces forces spéciales en civil, planquant leurs armes de poing comme elles pouvaient, radios dans le dos, en position de repos militaire, les regards scrutateurs et hostiles. Levant les yeux vers les cimes, il avait finalement repéré un tireur d’élite caché au sommet d’un immeuble.
D’un côté, Jack était rassuré : ça voulait dire qu’ils n’avaient pas trouvé son vaisseau ; pas encore, en tout cas. D’un autre côté, il ne pouvait pas le rejoindre dans ces conditions et devait pourtant bien le rejoindre tôt ou tard. Il devait réfléchir, quitte à charger et décoller en catastrophe une fois qu’il serait fixé sur sa destination. Mais il devait réfléchir. Et il ne pouvait pas rester là. Alors, il continua son chemin l’air de rien, saluant les types d’un air benêt, et disparut dans la nuit une fois encore.
Son passage sur Terre était décidément semé d’embûches. Sans refuge ni perspective convaincante, il devait réfléchir vite. Avant tout, il devait se reposer pour pouvoir être en état d’éplucher ce livre, demain. Ce livre ! La perspective l’ennuyait au plus haut point, bien qu’il n’ait pas le choix et qu’il soit déterminé à le faire. Las, il s’arrêta un instant sous un petit abri abritant un énième appareil archaïque, alors qu’une pluie fine commençait à tomber. Il posa le livre d’astronomie sur une petite tablette et s’étira comme il le put, renfrogné, plongé dans ses pensées. Il pensait à Rubis, la curieuse Terrienne aux cheveux blancs et aux yeux rouges. Il aurait sûrement dû chercher ce câlin quand il le pouvait !
Faute de mieux, il se décida à tenter d’éplucher le livre ici et maintenant, et il mit la main sur un livre et l’ouvrit pour commencer à le lire, pour seulement réaliser qu’il n’avait pas mis la main sur le bon. Intrigué, il se retrouvait face à des colonnes de lignes de noms, d’adresses et de numéros en petits caractères. Un annuaire public. C’était pratique, mais il n’en avait pas besoin ! Il allait le reposer quand il eut une idée, cependant, et il reprit l’annuaire pour l’éplucher, finalement, cherchant les noms commençant pas S, puis par ST, puis STA…
Un peu moins d’une heure plus tard, la pluie battant son plein, il avait fini par trouver la rue et le numéro de Rubis. Trottant sous l’eau dévalant le ciel pour marteler le monde, il se réfugia sous le porche du petit immeuble et, après avoir tenté d’ouvrir la porte verrouillée, il remarqua la plaque métallique, avec son petit cadran, ses boutons et ses noms. C’était comme un vieil intercom, une interface d’appel pour prévenir les habitants de sa présence et de ses raisons de vouloir entrer sans doute. Les noms étaient écrits dans cet alphabet local avec lequel il avait beaucoup de mal, mais Jack prenait ses repères et il finit par avoir assez confiance en sa lecture pour presser un des boutons.
Après une attente qui lui sembla interminable, il fut rassuré d’entendre la voix douce et familière de Rubis derrière le filtre grésillant du matériel de piètre qualité. Par contre, il n’avait pas réfléchi à ce qu’il allait lui dire. Que dire, au juste ? Il devait improviser, et vite !
« Euh… Rubis, c’est… C’est Jack. Désolé de te déranger mais… Il y a un problème et mon appartement est inaccessible. J’ai trouvé ton adresse et je me suis dit que… Est-ce que ça te dérangerait que je dorme ici, cette nuit ? »