Putain que les hommes sont cons, quand même. Surtout quand ils ont bu. Je n’ai même pas eu à sortir le grand jeu. Même Lilyanne se contente de rouler des yeux, et de me faire discrètement signe vers l’arrière-boutique. Je le traine avec moi, avec mon plus grand sourire, malgré sa main sur mon torse, cherchant un sein qui n’existe pas, et je m’éloigne avec lui vers l’arrière-boutique.
L’arrière-boutique, c’était la raison pour laquelle Lily avait acheté cette daube. Rares étaient les magasins, au Japon, qui avait survécu aux changements d’ère, mais celui qui, avant elle, était le propriétaire des lieux avait été un Yakuza de bon rang, et sous le bâtiment, il y avait un énorme cube de ciment à titre de fondation, un sous-sol complètement insonorisé. Il y avait trois usages à ce sous-sol ; le premier, évidemment, c’était l’entreposage des sacs de transfusion que les vampires moins violents achetaient à Lilyanne en échange de faveurs ou de services pour éviter de prendre une vie. Le second, c’était l’extraction ; parfois, les suppôts de la propriétaire des lieux lui ramenaient des criminels à drainer, lorsque les pompes funèbres ne produisaient pas assez de nourriture pour tous. Et finalement, et c’était l’usage que je comptais en faire, c’était pour régler certains comptes, ou pour commettre des actes de grande violence.
Je traine Brian avec moi, je le laisse me toucher. Je m’en fous ; j’ai vécu pire. Je l’agrippe par la cravate et je le dirige dans le sous-sol. Je sens sa respiration contre ma nuque, ses mains sur mon cul, entre mes cuisses, palpant ma peau. Heureusement, à moins d’être remarquablement malin, mon tucking était absolument parfait. Une fois dans le sous-sol, j’ouvre une porte, et je le pousse dedans. Il y a un lit, certes, mais couvert d’une toile de plastique transparente.
Tocard.
Il ne se rend que trop tard qu’il est tombé dans le panneau.
Je le frappe. Fort. Dans les côtes. Le premier coup lui broye les côtes ; je le sens céder sous mon poing. Il grogne sourdement, l’alcool étouffant la douleur, et il tombe au sol. Putain ce que c’est bon. Je le regarde. Il essaie de se relever, et je le frappe encore, en pleine gueule, l’étalant au sol.
– Putain ce que c’est con, les alcoolos…
Il essaie de dire quelque chose, mais je le frappe du pied au visage, éclatant ses dents et lui brisant probablement la mâchoire par la même occasion. Je me penche dessus, et je lui arrache son porte-monnaie de sa poche arrière, je prend le fric, puis je le regarde.
Je peux m’arrêter là.
J’ai pas besoin d’en faire plus.
Jessica, je la connais pas tant que ça, après tout.
Mais… quelque chose me dit que ce mec mérite pire. Je l’agrippe par les cheveux et je le tire sur ses jambes, avant d’ouvrir la bouche et de mordre dans sa gorge. Son sang jute dans ma bouche comme le sang d’un steak bien saignant, et je sens mon esprit se mêler au sien. Et je vois.
Je vois tout ce qu’il a fait vivre à son exclave. Il n’a pas menti ; elle lui appartenait réellement. Je sais pas comment, mais je peux m’en douter ; même moi, je peux forcer un lien avec un être vivant au simple sacrifice de quelques gouttes de sang. Je vois chaque coup, chaque insulte, chaque viol répété, chaque geste de cruauté et de manipulation. Cet homme, je le savais, n’avait aucune valeur. Aucun intérêt. Tout ce qu’il était, il le devait à quelqu’un d’autre. À Jessicat. Je le repousse, et je le regarde dans les yeux.
– Putain ce que je vais adorer te faire crier, Brian.
Et crier, Brian le fit. Je lui brise les doigts. Les poignets. Chaque os. J’ai 206 os avec lesquels travailler, et je ne lui en épargne que l’essentiel. Il pleure, il supplie, il hurle qu’on lui vienne en aide, et je sens quelque chose en lui qui appelle quelque chose. Je sais que je dois me dépêcher ; je ne sais pas combien de temps j’ai. Je lui brise les jambes, les bras, et finalement, je lui éclate la colonne vertébrale en lui pliant le dos vers l’arrière.
Je le mords encore une fois.
Je le vide. Je l’entends sangloter. Je goûte sa peur. Je goûte ses prières d’être épargné. Je l’entends appeler Jessica. Je continue de le drainer, jusqu’à ce que son cœur, faute de sang pour l’alimenter, cesse de battre. Trois minutes plus tard, il était cliniquement mort. Son corps était vide de sang. Aucune transfusion ne pouvait le sauver, à défaut de l’injecter immédiatement avec le sang d’un Caïnite, mais je préférais plutôt goûter la Mort Finale que de faire de cet être mon Infant.
Et je n’ai aucun regret. Et pourtant, je sens quelque chose tirailler mon esprit, comme à chaque fois que j’enfreins les règles des mortels, comme si Dieu s’adressait à chaque pécheur ayant enfreint l’un de ses commandements. Tuer n’était pas forcément inhabituel pour un vampire, pour un Caïnite, mais on lutte tous contre la Bête intérieur, pour ne pas simplement y succomber. Comme si la moralité nous empêchait de devenir des monstres.
Encore un mort, Em.
Un chien. A peine un humain.
Un humain. Vivant. Probablement pas si vieux.
On n’a pas besoin d’être vieux pour perdre son droit de vivre.
Et toi ? Mérites-tu ton existence ?
Ta gueule.
Ah. Tu vois bien que tu ne le mérites pas plus.
Ta gueule.
Tu as tué et blessé bien plus qu’il ne l’a fait, Em. S’il mérite ce sort, que mérites-tu ?
Bâtard. Putain.
Je regarde le corps de Brian au sol. Je grommelle et je remet son porte-feuille dans sa poche, et je fouille ses poches. Et dans ses poches, je trouve… une plume. Noire, mais pas un truc moderne. C’est ce genre de vieilles plumes avec la pointe qui se sépare. Une plume… à encrier ? Qu’importe. Au moins, elle est jolie. Elle vaut peut-être son pesant d’or. Je la choppe et je l’enfourne dans ma poche, ainsi que tout ce qui pouvait avoir de la valeur. Mais mon esprit est troublé. Trop d’alcool dans le sang de ce con.
Je titube et je recule, jusqu’à trouver un fauteuil, également couvert d’une toile de plastique, et je grommelle. J’ai mal au cœur. Enfin… Pas vraiment au cœur. J’ai la gerbe. Et en plus, je sens que quelque chose arrive. Avec empressement.