“Quand on emprunte aux sciences occultes leurs surprenants mystères, on peut passer pour un sorcier, et subir le sort d’un canard prêt à rôtir.”
Alexandre Pothey
Le brouhaha était intenable. Myrella avait beau connaître Baldi - et sa faculté à paniquer plutôt rapidement - et ce depuis sa jeune enfance, elle retenait avec difficultés les soupirs lorsqu’il arriva en furie dans sa chambre. A croire qu’une guerre imminente arrivait sur Saffran. Baldi mit un temps à se calmer et il commença à lui faire un rapport sur des évènements étranges survenus durant la nuit. Des catastrophes s’étaient enchaînées durant le sommeil de tous et parmi les dégâts répertoriés on comptait une perte conséquente de vivres, de champ, d’eau et de terre aussi.
Il était si tôt pour la Duchesse. Il était si tôt quand on savait que la jeune femme avait débuté sa nuit alors que les premiers rayons du soleil éclairaient son antre. Et on l’avait sortit de son doux sommeil pour une sorcière. Sur ses terres.
Et voilà pourquoi j’espérais qu’aucun d’entre eux ne se fasse prendre…
Le manoir était en effervescence et déjà, Myrella entendait les actions de feu sa Mère. Elle entendait les décapitations, les tortures, les chasses à l’homme qu’elle avait commandité, voir commander si on écoutait les plus mauvaises langues. Et tous les êtres se tournaient vers la Fille. Elle. Qu’allait-elle faire?
- J’ai compris Baldi.
Le majordome se tut et observa sa maîtresse qui se retenait de masser son crâne de la pulpe de ses doigts.
- Fais venir Aberos.
La voix de la Duchesse était lourde, presque trop grave. Peu l’avait déjà vu mal réveillé… Alors déjà les “c’est bien la fille de sa mère”, “une nouvelle Chasse va débuter!” commencèrent à s'élever faiblement. Et Myrella soupira assez fort pour que les domestiques se taisent et, avec eux, les quelques nobles qui dormaient près du manoir et qui venaient quérir compensation. L’Emeraude ordonna le silence tant que son bras droit ne serait pas près d’elle. Bras droit qui mit un certain temps à venir. Elle aurait pu redormir… Si seulement tous ces nobles n’étaient pas là…
- Votre Grace m’a fait demander?
Il s’était agenouillé. Myrella sourit faiblement avant de prendre la parole. Elle lui ordonna de se relever et de lui faire un rapport, concis, des dégâts. Elle lui précisa de faire fit des propriétaires à dédommager et l’incita à ne lui faire un rapport que de ce qui devait être remplacé ou remplit de nouveau. Comment allait-on s’occuper du blé? Et comment reconstruire si vite? Comment la sorcière allait payer? Tant de questions qui n’intéressait que très peu Myrella. Dans un esprit méthodique, elle voulait d’abord connaître l’étendue du désastre pour mieux rebondir derrière et pour mieux rebondir elle avait besoin d'Aberos. Aberos Carkian était un bel homme mais d’une rigidité qui avait tendance à énerver la Duchesse. Il l’avait connu princesse et elle revoyait son statut altier lorsqu’il la regardait. En elle il voyait sa Mère. C’était agaçant. Mais de tous, il n’y avait ni plus loyal ni plus puissant quant à se vouer à la suivre et la protéger. Cela valait bien un peu d’agacement ci et là.
Aberos synthétisa au mieux la nuit mouvementée que Saffran avait subi et, alors que les portes d’entrée de la salle s’ouvrirent, Baldi s’interposa en comprenant que Myrella n’avait pas l’intention de tuer la vile créature magique.
- Ma Dame ! Je vous prie de bien vouloir reconsidérer tout ce que cet “être” a fait subir à votre pauvre Duché… Le peuple, les nobles et moi même exigeons réparation ! Que comptez-vous faire pour les granges incendiées, dont l’une contenant une partie des récoltes…
Deux gardes jetèrent un être face à elle et tentèrent de la contrôler. Mais, pour une raison qu’elle n’expliquait pas, il sembla que le seau eut plus d’importance que les deux gardes. C’était étrange. Si cette femme était une si terrible sorcière… Pourquoi ne se défendait-elle pas? Baldi reprit, parla du moulin du vieux Hugh et de la panique des bêtes. Et Ashnard. Ah oui. Ashnard… Comme si les guerres de Meisa ne suffisaient pas ! Baldi voulait sa mort, assurément. Les nobles commençaient à le rejoindre et Myrella voulait dormir. Quelle importance? Pourquoi parler de maléfices alors qu’aux yeux de la Duchesse, si elle était face à une sorcière, alors c’était une jeune sorcière. Elle voyait des jeux d’enfants, incontrôlés mais probablement drôles dans son regard à elle.
- Quel maléfice as-tu tramé chez la duchesse Myrella Cyrelle Talle Aeslingr ?
Enfin, la Duchesse allait entendre la défense de la demoiselle. Peut-être n’était-ce là qu’une vilaine méprise? Elle aurait aimé y croire… Et la voilà qui répondit, qui tenta d’articuler quelques mots avant de vider son estomac par les lèvres. Myrella eut une mine dégoûtée. Par principe, l’altière tête ne détourna pas le regard. Elle resta aussi digne que possible alors que les restes d’un repas ressortaient devant son regard. L’ivre engeance du démon répondit à la question comme elle le put sembla-t-il. Et non seulement elle manquait d’éducation et d’étiquette - heureusement pour la prisonnière Myrella n’était pas de celles qui s’en formalisait vraiment - mais elle manquait aussi de tenue. Lorsque le rot retentit, alors que Myrella tenta de se retenir de rire, son majordome sembla outré au plus au point.
- Comment OSES-TU?!
Baldi hurla. Myrella craqua. Son bras se leva et sa main couvrit ses lèvres avant que son rire ne semble arrêter la colère du domestique. Son rire était fin, léger. Onéreux. Un rire de princesse qui embauma dans la pièce un instant avant qu’elle ne se force à arrêter. Le regard pétillant, les yeux brillants de rire, elle leva sa main pour prendre la parole.
- Est-il vrai que tu es à l’origine des champs dévastés dont on m’a parlé? Es-tu l’être qui incendie les granges, gèle les ruisseaux et change les gardes en mouton?
Elle décala son regard vers les gardes et sourit, d’un calme qui contrastait avec l’agitation de la salle.
- Serait-il possible Messieurs, que vous soyez plus doux avec cette personne? Je n’aimerais pas que son estomac repeigne le sol et visiblement, elle n’est pas suffisamment en forme pour tenter quoi que ce soit. Le regard de l’ex-princesse revint sur cette femme, à moitié ivrogne à moitié mendiante. Je suis la Duchesse Myrella Cyrelle Talle Aeslingr mais, entre nous, Myrella suffit amplement. Quel est ton nom voyageuse? Comment es-tu arrivé jusqu’à Saffran?