“A demain !”
C’étaient les dernières paroles qu’Alice lâcha à ses collègues avant de quitter Le Paradis, leur faisant un signe d’au revoir alors qu’ils s’occupaient de la fermeture de l’établissement. A ce moment-là, elle ne savait pas encore qu’elle ne les reverrait sans doute pas de si tôt.
Elle sortait d’une soirée de travail pour le moins assez calme la concernant. Pour une fois elle n’avait eu qu’un client, un habitué avec ses envies très calculées, presque rituelles. Pas une fois lors de ses venues au club n’avait-il changé ses requêtes, aussi savait-elle toujours exactement quelle tenue, quelles mimiques ou quelles positions prendre pour le satisfaire. Autant dire que ce n’était pas le plus compliqué à gérer. Parfois, elle se sentait triste pour lui. Ce n’était pas un mauvais bougre, et elle se disait qu’il serait peut-être mieux pour lui de se trouver une compagnie officielle plutôt que de dépenser son argent avec une inconnue pour ce genre de plaisir. Enfin elle ne devrait pas forcément se soucier de ça, après tout, elle pouvait considérer sa solitude comme son gagne-pain.
Enfin, tout ça pour dire que malgré l’heure plus qu’avancée dans la nuit, elle était loin d’être fatiguée, surtout que la douche imposée par l’établissement après chaque client lui avait redonné un peu plus d’énergie encore. Autant dire qu’elle était sur le qui-vive sur le chemin du retour. En réalité, c’était presque un impératif pour elle. Malgré le standing certain du Paradis, les quartiers proches faisaient partie des plus malfamées de la ville. Des dealers et autres brigands à chaque coin de rue, pas le genre de personnes dans les griffes de qui vous aimeriez tomber, et Alice ne faisait pas exception. Heureusement, à force de faire le trajet, elle avait appris les passages sûrs pour éviter les mauvaises rencontres.
Elle devait être à la moitié du chemin quand elle passa devant une énième ruelle qu’elle savait sûre en cette nuit, car les habituels badauds qui y zonaient se réunissaient un peu plus loin dans le quartier de temps en temps. Aucun risque donc. Ou le pensait-elle…
Car avant qu’elle n’ait le temps de réagir, une main lui attrapa le bras et la tira sans la moindre douceur dans la ruelle sombre, lui arrachant un cri de surprise, enfin pas que quelqu'un s’en souciait outre mesure dans ce genre de quartier. Puis dans un mouvement trop fluide et puissant pour qu’elle ne puisse réagir, elle se retrouvait plaquée face à un mur, glacial. Elle allait ouvrir la bouche, tenter de se débattre, se plaindre, mais la voix de son agresseur la figea sur place.
Sans surprise au vu du poids qu’il faisait peser sur son dos pour l’immobiliser, c’était un homme sans doute d’âge moyen et en pleine possession de ses moyens. Un frisson lui parcourut l’échine quand son ricanement se glissa dans son oreille, et cet état ne s’arrangea pas lorsqu’il rouvrit la bouche, lui avouant à demi-mot qu’il la surveillait, qu’il avait prémédité cet assaut, qu’elle devinait par ses paroles être motivé par ses atouts physiques.
Merde, qu’est-ce qu’il allait lui faire ? Alice avait une vague idée de ce qu’il avait en tête, mais elle n'avait pas spécialement envie d’avoir la moindre confirmation à ce sujet. Appuyant de son bras libre sur le mur pour tenter de se dégager, elle lui lança, essayant de cacher la crainte dans sa voix.
“Qu’est ce que vous me voulez ? Si vous cherchez à tirer votre coup, vous n’avez que l’embarras du choix dans le coin ! Alors fichez-moi la paix !”
Elle espérait intérieurement que son invective suffirait à le faire fuir, mais une petite voix lui disait que ce serait loin d’être suffisant.