Les vestiaires ; voilà qu’elle cherchait à le congédier. C’était pourtant ici, dans le modeste temple périscolaire, que le Sésame se trouva à sa portée. Prudente, en tout cas avertie par le caractère irascible et inconséquent de son invité indésirable, l’attrayante secrétaire prit un soin tout particulier à éteindre son ordinateur ; à priver le bougre des clés du paradis lycéen qu’il convoitait si âprement.
Pour l’heure, elle était son Cerbère ; sa Cerbérine, même s’il s’obstina à la tenir pour sa matriarche. Bien qu’elle ne fut pourvue que d’une tête – charmante au demeurant – la secrétaire de direction pensait apparemment à tout, à commencer par le pire dont Eugene était si coutumier.
Nulle autre que la prêtresse du secrétariat n’eut été en mesure de lui délivrer son accréditation estudiantine. Sans son assentiment, le garçon aux lunettes noires ne serait alors plus l’élève de Seikusu. Ce qu’il n’avait jamais été, par ailleurs.
Ayant usé et abusé des maigres ressources intellectuelles trouvées à sa disposition, les recours firent à présent défaut à cet imposteur malgré lui. Sa propre mère, croyait-il, l’éconduisait froidement vers des vestiaires dont il ne connaissait pourtant pas le chemin. Avait-elle donc si honte de son fils, qu’elle œuvra tant à ce qu’il ne put rejoindre l’établissement ?
- Attendez mère, attendez ! Objecta Eugene alors qu’il s’imaginait qu’un aller simple pour le vestiaire constitua une manière de le mettre à la porte. Y’a sûrement un malentendu.
De malentendu, il n’y en avait qu’un seul, et il se confondait avec sa personne. Faute de recours, il fallut, en pis-aller, qu’Eugene alla fouiller dans son répertoire à malices afin qu’il décanta la panade dans laquelle il fut présentement enrobé. Fouillant peut-être dans toutes ses poches avant qu’il ne retrouva là où il avait rangé son Graal, le lycéen imaginaire s’en remit à l’artillerie lourde tandis qu’il brandît… le carnet bleu.
*Musique qui fait « Tatatati~n ♪ (https://youtu.be/69AyYUJUBTg?feature=shared&t=9) »
- Doit sûrement y avoir quelque chose là-dedans. Je fais vite, je fais vite !
Il n’avait pourtant déjà que trop abusé de la patience de cette secrétaire inflexible – quoi qu’aimable – mais ne put s’empêcher de jouer les prolongations.
On trouvait en effet de tout, dans ce calepin bleu où Eugene y entreposait chaque mémoire qui passa par là. C’était sa feuille de route, sa boussole de vie ; le répertoire de son existence à présent qu’il fut maudit. L’eut-il consulté méticuleusement, ce carnet, qu’il aurait alors deviné que, jamais au grand jamais, il n’avait été cet étudiant qu’il se suspectait d’être. Pour l’heure cependant, il fut affairé à trouver dans ces pages une formules magique afin qu’il solda tous ses présents tourments. Il avait ainsi cherché l’article intitulé « Persuasion » afin de s’imprégner des arcanes dialectiques à même de lui ouvrir les portes du paradis.
- On y est presque, on y est presque, temporisait-il tandis qu’il fit défiler les pages à toute vitesse sous ses binocles sombres, alors, Pernicieux, Perpétrer, Persane, Perverse oups, trop loin, il rembobina d’une page et s’écria, le doigt posé sur sa trouvaille, ah voilà, « Persuader » !
Gaffeur, ou tout simplement stupide, il avait énoncé à voix haute les tenants de sa stratégie. Démuni du moindre argument pour qu’il plaida justement sa cause perdue, ne lui restait alors qu’à s’en remettre à quelques manœuvres rhétoriques spécieuses s’il voulut obtenir gain de cause. Consultant attentivement le volet « Persuasion » de derrière ses lunettes noires, Eugene s’accaparait ce qu’il fallut de connaissances en un temps record avant qu’il ne rengaina son calepin.
- Vous ai-je dit, entama-t-il soudain, que vous étiez toute en beauté en ce jour ? Que, même par temps de pluie, un astre rayonnera toujours dans cette pièce aussi longtemps que vous vous y trouverez ?
À la rubrique « Persuasion », Eugene y avait appris, ou plutôt, s’était remémoré, que les tactiques incombant à la tromperie de la gente féminine passaient par la séduction et la flatterie. Le petit livre bleu lui avait ainsi assuré que la démarche était la même pour toute femme qui soit.
Aussi, stupidement, en usa-t-il sur cette implacable gardienne périscolaire qu’il tenait pourtant pour sa génitrice.
Un sourire ravageur et ringard affiché sur sa trogne, les lunettes très légèrement penchées sur le nez, il s’était levé de son siège afin d’y coller son cul contre le bureau où il y posa une fesse, appuyant son approche. La lourdeur du procédé parut patent sinon gênant, mais cela n’indisposa l’amnésique en rien.
- Comme vous devez vous sentir bien seule dans ce minuscule bureau – charmant cela dit, charmant, vous l’avez très bien décoré – à esquinter ces doigts merveilleux et frêles contre un clavier rugueux et froid, indigne de votre toucher.
Il avait été jusqu’à se pencher plus que de rigueur, ajoutant du ridicule au grotesque, pour essayer de se saisir d’une des mimines de l’hôtesse de ces lieux. Sans doute, à le voir agir ainsi, la malheureuse s’imagina que la malédiction en présence affectait jusqu’à l’intelligence même de celui qui en fut victime. Mais les dieux, pour coupables qu’ils furent de tant de méfaits, n’avaient rien à voir avec l’imbécilité du curieux personnage.
- Ah, mère, pauvre de vous, persistait-il à déclamer alors qu’il fut le plus à plaindre, voilà que vous passez une vie au service des autres. Et ces autres, ces ingrats, que font-ils pour vous en échange ?
Le travail de la calme et paisible Cérbèrine n’était en rien une peine pour elle, puisqu’elle s’y épanouissait avec méthode et diligence. Du reste, son travail, qu’il fut gratifiant ou non, était de toute manière rémunéré et aucunement voué à l’ingratitude.
- Laissez-moi vous rendre service pour tout ce que vous avez fait pour moi. Ajouta-t-il d’un ton badin tandis qu’il se pencha un peu plus vers elle.
Par cette entreprise turlupine, Eugene espéra vainement pulvériser la vigilance de cette remarquable gardienne des dossiers étudiants, dont le professionnalisme ostensible, vraisemblablement, se trouvait à l’épreuve de la flatterie. En lui étant serviable, le séducteur intrépide escompta qu’elle eut à lui être redevable par la suite, espérant ainsi que son dossier étudiant fut acté après qu’il se plia à l’une de ses directives.
La main droite posée sur ce bureau où il s’y trouva à demi-assis, Eugene glissa sur un stylo sur lequel il y avait malencontreusement appuyé sa paume. Pitre séducteur, il acheva sa fabuleuse entreprise de persuasion en s’effondrant sur le bureau de celle-là même qu’il chercha à convaincre, atterrissant le museau droit sur les cuisses de son allocutrice. Resté là quelques secondes, savourant finalement sa déconfiture plus qu’il ne la déplora, il marmonna étouffé tout contre elle, avant de se redresser.
- Ah… euh… et aussi… vous avez très bon goût pour le choix de votre parfum. Fleur de Lys ?
La stratégie ne s’était déjà pas avérée des plus brillantes mais son exécution, quant à elle, laissa très franchement à désirer. De cet échec vraisemblable, il n’en retira toutefois pas tant de prétexte à la honte qu’un curieux sentiment à la place qui, instillé par ce parfum qu’il respira de si près, lui procurait une vigueur nouvelle.