Goûter aux aventures, ressentir l’adrénaline pulser dans ses veines et jongler avec ses émotions mises à mal, étaient devenus une véritable drogue pour notre jeune détective. Elle ne se lassait plus de toutes ces sensations éprouvées et du pouvoir qu’elle avait. D’ailleurs, les rumeurs de portails venus de nulle part qui apparaissaient dans les alentours, avaient eu le don de la titiller suffisamment pour qu’elle se permette de mener sa petite enquête privée… Qu’elle dû bientôt mettre de côté. A l’image d’une addiction, le manque se ressentait pendant les périodes creuses de son activité. Le bouche à oreille connaissait visiblement ses limites et son portefeuille en pâtissait franchement. Il fallait partir sur une autre stratégie pour se faire connaître. Pendant une nuit durant, le ciel voilé fut le témoin de l’acharnement de son travail et de sa motivation sans failles. Penchée sur son bureau à la lueur d’une vieille lampe ambrée qui essayait de briller comme elle le pouvait, évitant d’utiliser l’électricité à mauvais escient, Aeliana effectuait un travail minutieux. Elle remplissait des feuilles cartonnées à la main, inscrivant à l’encre indélébile ses cordonnées, avant de les découper proprement, sans jamais se plaindre, bougeant de temps à autre ses doigts engourdis et changeant régulièrement de position sur son siège.
Le lendemain matin, ce sont les premiers rayons qui transpercèrent ses rideaux presque translucides qui la réveillèrent. La demoiselle s’était tout bonnement endormie sur sa besogne ingrate, étirant ses membres comme un chat qui revenait de sa sieste, pas peu fière de ce qu’elle avait entrepris. Elle entassait ses petites cartes dans son sac en se préparant et se précipitant pour sortir, prête à accueillir le monde et se trouver plein de clients potentiels. A peine eut-elle humer l’air humide d’une brise matinale que son ventre se mit à grogner et résonner bruyamment. L’avantage du Japon, comme d’autres pays d’ailleurs, c’est que des épiceries étaient ouvertes 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. C’est dans l’une de ces fameuses enseignes que pénétra la jeune femme fauchée, comptant le reste de sa monnaie et les quelques billets qu’il lui restait. Elle jeta son dévolu sur un de ces savoureux petit pain sucré japonais et une canette de thé au jasmin qu’elle engloutit sans attendre.
Une fois repue, sa quête principale reprit et c’est avec un large sourire vendeur qu’elle se mit à démarcher dans la rue. Elle interpellait toute personne qu’elle croisait en se présentant et tendant sa carte de visite, une pointe de fierté dans la voix. La plupart des gens la prenaient, plus par politesse avant de s’en débarrasser une fois arrivés chez eux, d’autres l’ignoraient ou refusaient catégoriquement. Le tout, avec un certain respect. Ce n’était décidément pas une mince affaire mais plus il y avait de personnes contactées, plus il y avait une chance qu’elles deviennent prospects puis clientes. Dans tous les cas, sa matinée se solda à la quasi-totale distribution de son dur labeur. Pour la dernière partie de la mission qu’elle s’était mise en tête, elle s’amusa à coincer ses papiers détenteurs de ses informations entre la vitre et les essuis glaces des voitures. Elle montait à même les pare-chocs des véhicules devant des passants plus ou moins curieux, ahuris, choqués ou indifférents, omettant parfois qu’elle portait une petite robe noire qui pouvait devenir révélatrice au moindre courant d’air ou à la moindre posture trop plongeante. Il fallait vendre après tout, n’est-ce pas ? Peut-être avait-elle souillé des yeux chastes, peut-être pas, mais ses préoccupations étaient ailleurs, rien ne pouvait la distraire de son objectif.
Du moins, quasi rien. Arrivée sur la berline suivante, elle sentit comme si une force la retenait. Ce n’était pas grand-chose, assimilable à la sensation de plusieurs cheveux coincés, électrisant sa colonne vertébrale et un temps soit peu dérangeant. En se retournant, un paysage des plus étranges s’offrait à ses yeux : des liens qui semblaient emmêlés… aux siens ? C’était la première fois que le phénomène opérait. Elle n’était pas habituée à voir ses propres extensions diaphanes sur lesquelles elle ne peut rien faire. Pas les toucher, ni les manipuler, juste savoir qu’ils existent. Encore moins les voir se mêler à d’autres êtres vivants. Son regard prune suivait le chemin qu’empruntaient ces fils écarlates jusqu’à tomber sur un responsable : un blondinet. Saisie par la curiosité de la chose, elle s’apprêtait à venir à sa rencontre lorsque dans l’entrefaite, ce moment d’égarement fit s’envoler de ses fines mains une vingtaine de ses précieuses cartes en sa direction, son visage se décomposant.
« Eh vous ! Rattrapez mes cartes ! »
Spontanément, Liana s’était mise à crier en sa direction, espérant qu’en mettant ses mimines, usées par sa nuit bien occupée, de chaque côté de ses lèvres, le son porterait plus loin. A peine eut-elle finit sa phrase, qu’elle s’empressa de sauter de l’automobile, croyant en son for intérieur que la personne face à elle l’aiderait. Les gens peuvent être bons parfois, il suffit de tomber sur leurs bons jours, non ? Ou de les y aider… Enfin, elle n’avait clairement pas le temps de modifier quelque émotion existante à son avantage et se devait de lui faire plus ou moins confiance. Dans le pire des cas, elle aurait plus de pertes que prévu. Tout en sautillant et courant, elle attrapait toutes les cartes qui étaient à sa portée, certaines continuant de valser, d’autres ayant déjà atterris sur le pavé, essayant d’omettre la sensation de tiraillement lorsqu’elle s’éloignait un peu trop du jeune homme. Pestant viscéralement à voix haute, agacée par l’évènement et la fatigue latente.
« Quelle plaie… »