Oui, c'était bien là, comment oublier ? Shinjo poussa la porte du bar, entrant dans l'indifférence générale. Il appréciait cet anonymat qu'il s'était construit malgré sa fortune. A l'époque de ses premières découvertes, il aurait pu afficher son visage partout, attirer les regards et devenir ce qu'on appelerait une star. Mais il avait anticipé, ne voulant pas se montrer plus que de raison, et ainsi toutes les avancées passaient au travers de sa société. Son nom était connu, mais peu avaient vu des photos de lui et pouvaient faire le lien.
Alors ce n'était pas étonnant que personne ne se retourne à son entrée ici, dans ce bar anodin de Seikusu. Mais pour lui, ce bar n'avait rien d'anodin, il y venait sciemment. La première fois néanmoins, ça avait été le hasard qui l'avait poussé ici. C'était il y a quoi ... Deux, trois mois ? Il était en déplacement, et il était entré sans savoir à quoi s'attendre, voulant juste oublier une dure journée, et loin de savoir ce qu'il allait découvrir. La soirée en elle même n'avait pas été mémorable, quelques verres, deux ou trois bribes de discussion, rien de transcendant. Mais il y avait aussi eu Lilly.
Shinjo n'était pas le genre charmeur à tout va, à tenter sa chance avec chaque fille qui lui plaisait. Il était plutôt du genre à prendre son temps, à choisir méticuleusement. Dans un autre contexte, dans un autre lieu, il aurait sans doute tenté de faire la connaissance de cette serveur enjouée et survoltée. Elle lui avait plu au premier coup d'oeil avec son look et son attitude. Mais il ne cherchait pas un coup d'un soir, et quand bien même, la jeune femme méritait sans doute mieux que cela.
Il avait donc observé une partie de la soirée la demoiselle, il avait un peu parlé avec elle, sans trop se livrer. Et il était reparti, comme il était venu. Mais sans l'oublier. Parfois, il lui arrivait encore de penser à elle, se demandant ce qu'elle devenait. Ils venaient de deux univers si différents qu'il avait du mal à se l'imaginer. Mais quelque chose l'avait poussé à revenir. Il serait peut-être revenu de lui même, par curiosité, par envie, quand il aurait eu plus de temps, mais c'était une toute autre raison qui l'avait entraîné jusqu'ici.
Habillé comme à son habitude d'un costume impeccable, il portait à la main une mallette, contenant la raison de sa venue. Ses équipes travaillaient d'arrache pied à améliorer son invention, mais également à en étendre les capacités, à proposer de nouvelles possibilités. La dernière en date se voulait être un bond en avant si cela marchait : un nouvel appareil, semblable à des lunettes, et qui permettrait d'afficher des choses dans le périmètre de vision, dans une réalité augmentée bluffante car elle se baserait sur l'imagination de la personne, comme cela se faisait dans les rêves. Les premiers essais étaient concluants et les testeurs se trouvaient bluffés par les possibilités, mais également désorientés par ce qu'ils pouvaient faire ou non, et aussi par la difficulté parfois à faire la distinction entre la réalité et ce que leur esprit rajoutait par le biais du mécanisme.
Décision avait été prise que pour éviter des dérapages et de futurs problèmes, il fallait tout de même un peu cadrer l'expérience des utilisateurs, et en cela, une aide virtuelle était sans doute une solution acceptable. Et sans trop savoir pourquoi, Shinjo avait pensé à Lilly. Pourquoi elle ? Il n'aurait su le dire, mais il pensait que le dynamisme de la jeune femme aurait pu coller comme modèle à cet assistant virtuel. Il aurait sans doute pu le faire à son insu, mais ce n'était pas son style, et il voulait donc demander son accord à la jeune femme. Voilà la raison.
Dans l'ambiance feutrée du bar, il avança d'un pas calme vers le comptoir, avant que son regard ne coule sur la serveuse, toujours aussi détonante à son regard. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres avant qu'il ne se hissa sur un tabouret, déposant sa mallette sur celui d'à côté. Il attendit patiemment, laissant les autres clients se faire servir et attendant son tour, qu'elle se retourne vers lui pour l'aborder.
Bonjour. J'aurai voulu un martini s'il vous plait. Et discuter un peu, si vous avez le temps.
Une drôle de demande, vraiment, mais il espérait piquer sa curiosité et qu'elle accepte. Il fallait au moins qu'il ait l'opportunité d'énoncer son idée, même si pour la suite il ne pouvait être sûr qu'elle accepte, il pourrait tenter de la convaincre avec tous les arguments qu'il avait pu trouver.