Le SHIELD n’avait que deux poissons dans la mare, et les deux avaient un profil bien différent.
Yana, d’un côté, était une tueuse rompue aux arts martiaux, suffisamment talentueuse pour pouvoir tenir tête à Cassandra Cain, ce qui, en soi, relevait de l’exploit, quand on connaissait le passé de Cassandra. Elle avait été formée dès son enfance, par des parents psychotiques, Lady Shiva et David Cain, à devenir une tueuse de sang froid. Si elle avait pu échapper, par la suite, à leur emprise, Cassandra avait toujours de grosses lacunes comportementales à combler. Elle avait du mal à parler, car ses parents ne s’étaient pas souciés de lui inculquer ce genre de choses, toute leur éducation ayant uniquement consisté à en faire une machine à tuer. Ce n’était pas une vulgaire étudiante diplômée de Stanford qui était en mesure de la combattre. Lloyd avait sa petite idée sur l’endroit d’où cette femme venait, mais il savait qu’il était formellement proscrit de mentionner l’existence de Terra devant des civils, soit parce qu’ils le prendraient pour un fou en ne le croyant pas, soit parce que, s’ils le croyaient, ils se mettraient à craindre un remake nippon d’Independence Day et de Pacific Rim... Et ça, ça fichait la frousse, quand même.
Jiro, d’un autre côté, n’était pas un fantôme. Tous ses diplômes avaient été confirmés, et l’enquête des agents spéciaux allait consister à faire ce que n’importe quel policier cherchait : les mobiles. Répondre à la question du « pourquoi ». Pourquoi Jiro avait-il choisi de pactiser avec le Diable ? De trahir Noventa Corp. ? Son salaire était aisé, mais, pour certains agents du SHIELD, qui étaient d’anciens policiers, ils savaient que, même quand on était cadre dans une grosse compagnie, et qu’on avait un salaire élevé, ce n’était toujours pas assez. La nature humaine était faite ainsi, pour être dans l’insatisfaction perpétuelle. Il se pouvait aussi que Jiro ait délibérément choisi de trahir son employeur, et c’était ce que le SHIELD essayait de déterminer en essayant de cerner son profil.
Dans le ton de Drake, et dans ses explications, on pouvait sentir qu’il s’était attaché à Jiro. Rachel n’était pas une psy’, loin de là, mais elle supposait que Jiro, pour Drake, avait représenté cette figure paternelle absente, que son père biologique n’avait su représenter.
*Il ne doit pas se faire à l’idée que Jiro l’ait trahi...*
Tandis que l’homme parlait, certains agents continuaient à prendre des notes. Lloyd se dit qu’il allait devoir rechercher parmi tous les tarés des sports extrêmes, afin de savoir qui avait entraîné Jiro, où il avait acheté son matériel, et s’il avait des amis d’enfance. De même, quand Drake mentionna les dettes de Jiro, l’enquête s’orienterait également de ce côté-là : retrouver ses comptes en banque, et étudier leur évolution. L’argent ne laissait certes pas d’odeur, mais les mouvements de capitaux, dans la masse, pouvaient toujours se retrouver.
« Je... je ne sais pas si ça a un quelconque intérêt, termina Drake, mais je sais que Yana et lui partaient parfois en Europe pour passer quelques jours de vacances. Ca m'avait étonné parce que c'était souvent le même bled, la Lainérgie....Léthargie...
- La Latvérie » précisa alors le general.
Il y eut un léger silence. La langue de l’homme roulait nerveusement entre ses dents, avant qu’il ne poursuive :
« C’est un petit pays situé aux Balkans, près de la Hongrie, un pays montagnard qui subit depuis des années l’influence d’un tyran cruel, le Docteur Victor Von Fatalis. À plusieurs reprises, la CIA et le SHIELD ont essayé de renverser cette dictature. Pour le reste, je ne vais pas vous faire un cours d’Histoire sur l’évolution de ce pays. Sachez juste que l’armée de ce pays comprend beaucoup de robots, et que la politique de la Maison Blanche est de privilégier la diplomatie à la violence, compte tenu des échecs successifs que nos tentatives de coups d’État ont engendré. »
Fatalis était une sorte de dictateur bienveillant, car, bien que la liberté d’expression soit très faible, il n’opprimait guère sa population. Récemment, Fatalis avait été renversé, mais le SHIELD savait qu’il devait encore, d’une manière ou d’une autre, diriger en sous-main la Latvérie. La Latvérie était donc officiellement une démocratie.
« Jayden, vous ferez appel au service comptable pour vérifier les transferts de fonds de capitaux concernant Jiro. Recherchez si sa soudaine relaxation à l’égard de ses dettes est liée à un transfert de capitaux, et, si oui, déterminez-en l’origine. Si la Latvérie est impliquée...
- Évidemment qu’elle l’est, intervint alors Lloyd. Des armures, des complexes souterrains, des robots ? Ça pue Fatalis et cette saloperie de pays jusqu’à la moelle... Monsieur, rajouta-t-il précipitamment.
- C’est une hypothèse plausible, reconnut le général, mais la Maison Blanche ne se contentera pas de simples observations. Il nous faut des preuves. »
Un léger silence accueillit cette remarque. Personne n’osait le dire, mais la plupart des individus présents savaient que la Maison Blanche ne se risquerait pas à intervenir. Les Américains étaient déjà embourbés au Moyen-Orient, et la Latvérie avait toujours été un endroit sensible. Proche de la Serbie, elle recevait l’assistance de la Russie et de la Chine, ces deux puissances estimant que, sous couvert de vouloir apporter la bonne parole et la démocratie dans le monde, les Etats-Unis ne cherchent qu’à obtenir une sorte d’État-satellite en Europe de l’Est, près d’un État dont ils s’étaient toujours méfiés.
« Quoiqu’il en soit, reprit le général, après en avoir discuté avec Monsieur Tanichiri, qui représente Star Industries, ainsi qu’avec le Docteur Cunningham, je pense savoir ce que Jiro voulait en essayant de prendre notre armure de combat. »
Ce fut le signal pour Cunningham. Étant le seul à porter une blouse, il était reconnaissable très facilement.
« En inspectant les dégâts qu’a subis l’armure, j’ai réalisé que les expériences de Jiro avaient pour but de faire deux choses : détruire la puce GPS qui nous permet de suivre l’armure, mais aussi séparer l’armure du générateur. En d’autres termes, je pense qu’il ne cherchait pas tant à s’obtenir l’intégralité de l’armure, qu’à simplement s’emparer du générateur de l’armure. À ce sujet, je vous rappelle que ce générateur, en forme de disque monolithique, est alimenté en antimatière, ce qui en fait le générateur portatif le plus puissant au monde.
- Pour quelle raison voudrait-il se procurer ce disque ?
- Je pense que Jiro, ou ceux qui l’emploient, sont informés sur le SHIELD, et savent que nous sommes en train de développer une arme expérimentale pour l’armure de Mlle Hawkes. »
Rachel en avait entendu parler, mais on ne lui avait pas dit grand-chose. Le moment était donc venu de satisfaire enfin sa curiosité sur ce prototype. Cunningham appuya sur un bouton de sa télécommande, et une nouvelle image se forma sur la diapositive, montrant le schéma d’un atome :
(http://a404.idata.over-blog.com/4/33/74/34/Atome1.jpg)
Cunningham donna quelques explications :
« Sans rentrer dans le détail, et devoir faire référence aux équations de Maxwell, pour en revenir aux fondamentaux, la structure d’un atome se découpe en deux parties : le noyau, chargé en protons et en neutrons, les nucléons, et les électrons, qui gravitent à l’extérieur du noyau. Il y autant d’électrons que de protons dans un atome.
- Ils... Ils se repoussent mutuellement, c’est ça ?
- Je vois que vos cours de lycée n’ont pas totalement été oubliés par la bière que vous vous enfiliez le Samedi soir en regardant le baseball. Oui, ils se repoussent. Les protons sont des particules de charge électrique positive, alors que les protons sont des particules de charge électrique négative. Quant aux neutrons, leur charge est neutre. »
Cunningham se racla la gorge, et reprit :
« De base, la plupart des armes que Mlle Hawkes en se combattant ne demandent que peu d’énergie. Nous avons donc commencé à mettre au point une arme qui permettrait, par l’effet de rayonnements, à bouleverser cet équilibre physique. Très schématiquement, sans oser rentrer dans les détails, les rayonnements de l’armure auraient pour fonction de donner une charge électrique positive, ou négative, aux neutrons. La charge des neutrons étant nulle, nous avons réfléchi, en simulation, à un moyen de modifier cette valeur. L’inconvénient de ce système est qu’il faut une énorme quantité d’énergie, et que... »
Lloyd intervint alors à nouveau :
« Navré de vous interrompre dans votre exposé, Docteur, mais... Est-ce que tout ça ne serait pas dangereux ? Je veux dire... Tout ce qui touche aux atomes, ça n’engendre pas des catastrophes nucléaires, des machins comme ça ? »
Cunningham hocha brièvement la tête :
« Précisément. C’est pour ça que seule l’armure de Mlle Hawkes est en mesure d’utiliser cette arme... Toujours expérimentale, faut-il bien le préciser. Nous pensons que son générateur pourra, au moins dans une courte durée, utiliser les rayonnements sans risque pour les autres. Pour résumer, cette arme a pour fonction de détruire les atomes, en conduisant les électrons, soit à s’écarter du noyau, soit à s’aplatir dessus. »
L’homme termina ses explications en indiquant que l’arme était toujours en fabrication dans les laboratoires. Les employeurs de Jiro avaient probablement du en entendre parler, et, soit ils cherchaient un moyen d’obtenir ces recherches, soit ils menaient les leurs. Dans tous les cas, ils avaient besoin du disque de Rachel, ce qui laissait sous-entendre que cette histoire n’était pas terminée. L’équipe scientifique de Cunningham allait certainement faire l’objet d’un suivi.
La réunion semblait toucher à sa fin, mais il y avait encore un point avec lequel le général voulait s’entretenir. Il reporta alors son attention sur Drake :
« J’aimerais revenir à vous, Monsieur Noventa... Messieurs Noventa, en réalité. Ma fille a rendu sur vous un bon rapport, en estimant que vous pourriez être utile. Les liens entre Stark Industries et l’armée sont connus, au regard des nombreuses frictions que nous avons eu avec Stark, mais aussi au regard de nos contrats passés ensemble. En revanche, Noventa Corp. n’est pas une organisation vers laquelle nous nous sommes tourner, puisque son objectif a toujours été de faire des prothèses à des fins civiles. Pour faire simple, Monsieur Noventa, nous pensons que votre expertise dans cette affaire pourrait nous être d’une certaine aide. »
Ménageant une courte pause, le général reprit :
« Je ne demande pas une réponse immédiatement, cela va de soi, mais je souhaiterais au moins que vous y réfléchissiez. »
La réunion se termina ensuite sur le mystérieux type qui avait envoyé Supergirl à l’hôpital. Sur lui, il n’y avait toutefois aucune information, et le général se contenta de dire qu’il était urgent d’en savoir plus, et de mettre au point l’arme expérimentale pour Iron Girl. Si jamais cet individu revenait, une telle arme représenterait sans doute le meilleur moyen de le neutraliser. Cunningham leur assura donc que son arme serait bientôt au point.
Sauf questions éventuelles, la réunion allait donc très certainement se terminer.
Bras croisés, Rachel, silencieusement, écoutait, sans se mêler. Elle n’était pas vraiment bien placée pour émettre un avis, elle, puisqu’elle avait encore ses deux jambes, et ces dernières, fort heureusement, fonctionnaient très bien. Pour le coup, elle pouvait sans doute remercier Dieu, ou n’importe quelle puissance supérieure faisant office, pour ne pas être née dans des villes comme Gotham City. La corruption y était tellement élevée que la ville baignait dans un état d’insécurité perpétuel, chose que les différents nettoyages des administrations publiques depuis ces dernières années n’avaient pas vraiment réussi à endiguer. Au moins, Barbara s’était endurcie, et son courage était tout à admirable. À sa place, beaucoup d’hommes et de femmes auraient dépéri, comme Drake. Barbara avait su trouver en elle la force de continuer à se battre, une sorte d’entêtement téméraire qui pouvait être interprété de bien des manières. Après avoir perdu l’usage de ses jambes, était-ce le signe qu’il était temps pour elle d’arrêter les frais ? Rachel ne savait pas comment les choses avaient du se passer, mais elle était convaincue que le père et la fille avaient du s’entretenir entre eux pour savoir s’il fallait abandonner ou non.
Ce genre de questions, tôt ou tard, risquaient de se poser pour Rachel. Elle n’était pas simplement qu’une agente du SHIELD, elle portait une armure militaire futuriste, qui incarnait des valeurs. C’était un symbole, et, pour une jeune femme qui avait baigné dans le patriotisme américain, ce n’était pas anodin. Pouvait-elle tout simplement démissionner, et voir le projet Iron Girl finir au placard ? On ne l’avait pas choisi que pour ses connaissances en droit, son expérience du terrain, ou pour ses compétences sportives. Avec un père à la tête du Pentagone, il était peu probable que des terroristes cherchent à l’attaquer, ou que Rachel finisse dans la même situation que Barbara, attaquée chez soi, violée dans son intimité personnelle.
« Et je compte bien arriver à te séduire, officier. Tiens-le-toi pour dit ! » glissa alors Drake à son intention.
Esquissant un léger sourire, Rachel lui répondit, en coin :
« Tu as le droit d’espérer. »
Elle n’insista pas plus, car l’endroit ne s’y prêtait guère. Drake avait également connu une situation différente. Il avait perdu ses jambes lors d’un accident de sport. Il n’y avait aucun maniaque à blâmer pour ça., rien d’autre que soi-même à se sermonner. En un sens, ce n’était pas forcément mieux. Barbara s’était reconstruite par rapport au Joker, en essayant d’en savoir plus sur ces gens-là, afin de pouvoir essayer de comprendre leur fonctionnement. Connaître son ennemi pour mieux savoir le vaincre, comme le diraient les Chinois. Drake, lui, n’avait eu personne à sermonner, rien d’autre que deux poteaux à la place des jambes, et un père qui voulait surtout éviter que l’affaire ne s’ébruite, pour que sa réputation d’honorabilité n’en pâtisse pas. Rachel en savait suffisamment sur le Japon pour savoir que, sans doute encore plus qu’aux Etats-Unis, il y avait une stricte séparation entre la sphère privée et la sphère publique. Les Japonais baignaient dans une sorte de respect mutuel, qu’on observait fréquemment, mais qui se traduisaient aussi par le fait qu’il fallait éviter les scandales, surtout dans le monde intransigeant et rude des affaires.
*Là où j’ai eu un père militaire qui a brillé par sa volonté de faire de moi une bonne petite Américaine WASP, tu as eu droit à un père démissionnaire... On ne peut pas dire que nous sommes bien lotis, hein, Drake ?* songeait-elle.
Une nouvelle question de Drake l’arracha à ses pensées. Barbara se contenta d’un léger sourire, visiblement amusée.
« Vous n’avez donc toujours pas compris ? Je crois que le mieux est de vous montrer une photo... »
Barbara retourna vers son ordinateur, et ouvrit un dossier, puis cliqua sur une image, avant de l’afficher en plein écran. Elle s’écarta ensuite, permettant à Drake de la voir prendre la pose :
(http://nsa20.casimages.com/img/2014/01/15/mini_140115092256790856.jpg) (http://nsa20.casimages.com/img/2014/01/15/140115092256790856.jpg)
Laissant planer quelques secondes, le temps pour elle de s’humecter les lèvres, et de rehausser ses lunettes, elle répondit, bras croisés :
« J’ai toujours voulu aider mon prochain, mais mon père, James, refusait catégoriquement de me laisser rejoindre la police, ou le FBI. Je suis devenue Batgirl, un peu par accident. Après le refus de mon père, je me suis rendue à un bel masqué organisé par la Fondation Wayne, pour mon lycée. Durant ce bal, un criminel notoire, se faisant appeler Killer Moth, a débarqué, désireux de capturer le riche milliardaire. Sans moi, Monsieur Wayne aurait été capturé. Suite à cet exploit, Batman est venu me voir pour me féliciter. J’ai du suffisamment l’impressionner pour qu’il considère que j’avais autre chose à faire de mon temps que défendre les gosses de riches. »
C’était, en raccourci, ainsi que ça s’était passé. La réalité était un peu différente, mais le secret de Bruce était suffisamment gardé pour que Barbara ne le révèle pas à n’importe qui. Elle pensait que le SHIELD savait depuis longtemps que le Chevalier Noir de Gotham City se dissimulait sous les traits d’un play boy notoire, mais ces derniers estimaient que Batman devait faire plus de bien que de mal, et n’avaient donc jamais été le voir.
« Je me suis rendue à Seikusu pour poursuivre des trafiquants d’armes, ce qui m’a amené de Gotham à ici. Mais, comme vous le voyez, je passe aussi mon temps à faire d’autres choses. Le SHIELD traque également ces criminels, et je pense qu’il est plus productif pour tout le monde que nous travaillions de concert, ensemble, plutôt que dans une opposition mutuelle. »