SHIZUKA SHUNYA
Ce Roi était décidément une personne bien étrange. Il s’avoua vaincu, lui donnant de l’or, ce qui la fit rougir. Il y avait assez de pièces là-dedans pour qu’elle paie tout son loyer d’avance à Nexus pour plusieurs années... Après tout, Shizuka avait toujours un logement principal à Nexus, où elle avait entamé son pèlerinage. Pour rejoindre Meisa, elle avait embarqué dans un navire, pour une longue traversée. Elle ne s’attendait pas à tomber sur une épidémie de peste, mais on disait que ce pays était un grand pays magique, et la magie était une chose qui intriguait Shizuka. Durant sa formation, on lui avait répété que la magie n’était qu’une manifestation de phénomènes naturels amplifiés, et qu’il s’agissait d’une science à part entière, avec ses règles, ses principes, et sa logique. Cependant, à Nexus, elle avait compris que les magiciens ne se voyaient pas comme des scientifiques, et ceci l’intriguait. Elle était, après tout, une érudite, et c’était pour ça qu’elle était partie à Meisa.
Toujours un peu surprise, elle n’entendit pas une personne se rapprocher. C’était Monica.
« Alors, qu’est-ce que Sa Majesté te voulait ? »
Shunya sursauta, surprise, et laissa tomber plusieurs piécettes. Monica cligna des yeux, et en attrapa une.
« Woow, mais c’est de l’or ! Et bien, tu as du lui faire forte impression, pour qu’il te donne tout ça… Mais fais voir ! »
Shizuka rougit, bafouillant, tandis que les mains de Monica s’emparèrent de la bourse. Pourquoi lui avoir donné autant d’argent ? Il avait dit que c’était en compensation pour le dérangement, mais elle soupçonnait autre chose. De plus, même si elle n’osait se l’avouer, cette histoire de sorcière lui trottait encore derrière la tête. Cependant, elle ne savait vraiment pas quoi en penser. Shizuka savait que le bioterrorisme existait, et que c’était d’ailleurs une pratique courante lors des conflits, que de chercher à infester les ennemis. On répandait des agents infectieux dans les réserves d’eau potable ou d’alimentation des villes à assiéger. Les épidémies de peste démarraient d’ailleurs souvent ainsi. La première grande épidémie de peste, qui avait ravagé la moitié du continent, et qui avait par la suite conduit la Sainte Inquisition à agir en personne, avait commencé par le blocus d’une ville marchande. Les envahisseurs, depuis leurs navires, avaient balancé des cadavres au-dessus des murs, amenant avec eux la peste, qui faisaient rage dans les régions orientales. À partir de là, bénéficiant d’une crise du blé qui avait affamé les campagnes et la ville, la peste noire avait proliféré, décimant les villes, allant jusqu’à Nexus. Pour la stopper, l’Inquisition avait décidé de tout brûler. Ces catastrophes sanitaires justifiaient en partie le souhait des Tekhanes de s’investir davantage dans le reste de Terra, afin d’éviter que les épidémies ne deviennent à nouveau pandémique. L’une des conséquences concrètes de cette politique était d’amener les guérisseuses tekhanes ou protekhanes à effectuer des voyages dans d’autres régions du monde, comme Shizuka le faisait.
En somme, un seul agent isolé ne pouvait être derrière une épidémie. C’était beaucoup trop gros, et il fallait au moins une équipe de laborantins, afin de confectionner le virus, de l’isoler... Ceci nécessitait un équipement précis, si on ne voulait pas être contaminé également. Shizuka imaginait mal une vieille folle hirsute dans sa forêt faire ça, avec son chaudron... C’était pour ça qu’elle avait du mal à croire à la théorie du Roi. La seule hypothèse aurait pu venir des Ashnardiens, car elle avait cru comprendre que, jadis, Meisa avait intéressé l’Empire. Or, l’Empire n’hésitait pas à utiliser la maladie, parmi d’autres méthodes odieuses, constituant, au regard des conventions tekhanes, des crimes de guerre.
« Hum... Je vois que notre bon vieux Roi ne perd pas le nord... »
Shizuka cligna des yeux.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? Il... Il pense qu’il y a une sorcière derrière cette contamination...
- Hein ? Comment ça ?!
- Je… Je ne sais pas… Mais je ne comprends pas pourquoi il m’a donné tout cet argent…
- Je pense avoir une petite idée... »
Elle avait lancé ça sur un ton soupçonneux, mais, devant le regard interrogatif de Shizuka, Monica se mit à soupirer.
« Décidément, Shizuka, même une none rougirait à côté de toi ! »
Shizuka s’empourpra à nouveau, n’osant pas parler.
« Bon, il y a encore des gens à soigner, Shizuka... Allons-y ! Mais tu devrais ranger ta bourse, la tentation est facile... »
WALLIN
(http://nsa35.casimages.com/img/2013/09/08/mini_130908051041494941.jpg) (http://nsa35.casimages.com/img/2013/09/08/130908051041494941.jpg)
« Oh, toi ! Je vais te... »
La lame égorgea le malotru, son sang venant rougeoyer l’acier tranchant de l’épée, tout en décorant la tapisserie de la maison. Le bandit s’écroula sur le sol, se tenant la gorge en gargouillant, essayant vainement de retenir le sang qui fuyait de cette dernière. Le vieux guerrier encapuchonné, à la barbe grisonnante, ne s’intéressa même pas à ce minable, et s’avança, quittant le salon de la demeure de son vieil ami, Josselin. Ce dernier lui avait envoyé un corbeau pour lui dire de revenir immédiatement à Meisa. Wallin avait fait aussi vite que possible, mais il était visiblement trop tard. Quand il était arrivé dans le jardin de Josselin, c’était pour voir les grilles ouvertes, fracassées. Dans tout le quartier, des rôdeurs et des pillards dévalisaient les maisons. Comme toujours, alors que l’humanité devait se serrer les coudes dans les moments difficiles, il y avait toujours des rats, des mécréants, qui profitaient de la faiblesse des uns pour satisfaire leurs appétits personnels. Wallin n’avait eu aucun remords à les tuer. Ils avaient tué les majordomes de Josselin, et il craignait qu’ils n’aient volé sa fille.
Il grimpa rapidement l’escalier, appelant son vieil ami, en se dirigeant vers sa chambre.
« Josselin ! Josselin ! »
Wallin gravit un autre escalier, et entendit un toussotement venant d’une porte entrebâillée sur sa gauche. Le couloir était riche, avec des tableaux magnifiques, représentant des paysages de montagne ou du ciel, des endroits que Josselin, en tant qu’ancien alpiniste, affectionnait. Wallin ouvrit la porte.
« Josselin ?
- Wa… Wallin, aaaahhh… J’avais…”
Une toux le saisit. Il était allongé dans le lit d’un domestique, une bassine d’eau froide depuis longtemps à côté. Josselin était fiévreux, cadavérique, et la fenêtre était ouverte. On entendait des hurlements et des rires au-dehors.
« Josselin, je... Pardonne-moi... J’ai mis trop de temps à revenir... »
Josselin essaya de parler, mais une nouvelle quinte de toux le saisit, du sang jaillissant de sa bouche. Il se souvenait du fort Josselin, un homme bourru, qui tenait sa fortune de la gestion d’un important complexe forestier, un pilier de bar, qui avait bourlingué avec Wallin il y a longtemps, avant d’épouser Nallia. Quand elle avait été enceinte, il avait décidé de cesser la vie d’aventurier, reprenant la concession familiale à Meisa.
« Ne... Ne dis pas de sottises, Wallin, je t’en prie ! Main... Maintenant, écoute... Écoute, et tais-toi, surtout, je... Je n’en ai plus que pour quelques minutes à vivre, tout au plus... Je ne verrais pas le soleil se coucher, alors... »
Nouvelle quinte de toux.
« L’heure... L’heure est grave... Mais je manque de temps... Aaaaah, on en revient toujours là, après tout ? Écoute... Lysia n’est... Il faut que tu la retrouves... Elle a la clef de la crypte, et... Écoute, Wallin, Meisa... Meisa est condamné, si tu ne retrouves pas Lysa... Vous... Vous devez entrer dans la crypte, il le faut, je...
- Calme-toi, mon vieil ami, économise tes forces. Dis-moi où se trouve ta fille. »
Et Josselin s’exécuta.
[une bonne partie de cette réponse parle d’un sujet que je n’ai pas encore écrit, ni sur le forum ni dans mon plan [je n’ai même pas encore établi la création de Meisa, en fait], mais je crois que ce dernier piment donnera un bon coup de fouet à mon personnage]
Les paroles de Wallin n’étaient pas fausses; une maison était effectivement un lieu de souvenirs très chers. Mais le Roi ne ressentait pas un tel attachement pour quoi que ce soit en ce monde depuis bien longtemps. Mais il n’était pas non plus pressé de le ressentir; il savait que si Meisa tombait, il serait complètement anéanti. Il ne l’admettait pas facilement, mais Meisa n’était pas qu’une simple création qu’il avait montée pour protéger un peuple, il l’avait créée pour se donner un but, pour avoir quelque chose à quoi se raccrocher pendant ces longues années d’errance sans pouvoir gagner le repos promis. Si Meisa disparaissait, s’il n’avait plus un royaume sur lequel régner, s’il n’avait plus rien à protéger, que lui restait-il? Probablement rien. Et dans ce cas, voir Meisa disparaitre reviendrait à sentir que tous ses efforts, tous les moments passés auprès de ses gens… n’auraient plus aucune importance, et cela lui faisait mal, juste d’y penser. Il ne pouvait pas abandonner; Meisa était sa maison, il n’était chez lui nulle part ailleurs.
En entrant par la porte, le Roi se sentit étrange. Quelque chose, une fois la porte ouverte, semblait l’appeler à l’intérieur de la porte de fer. Ce n’était pas Josselin, ce n’était pas humain, ni mauvais. C’était comme… un souvenir. Une mémoire qui lui revenait, et qui le guidait. Il descendit les marches, ouvrant ainsi la marche, et pénétra dans le grand vestibule. La pièce était magnifique, et recelait nombres d’objets que le Roi n’aurait jamais soupçonné trouver un jour cachés sous la demeure d’un des habitants. Des défenses de mammouth, même une tête de dragon, quoi qu’il douta que Josselin exécuta seul cette créature, mais l’accomplissement restait là. Et parmi tous les objets, le Roi semblait intéressé par un seul; un petit pendentif doré. Dessus se trouvait un caractère de l’alphabet Ashansha, qui était l’équivalant du son « Sé ». Le monarque écarquilla les yeux, frappé d’une surprise impossible à masquer, et en lui se déchainaient plusieurs sentiments douloureux; de la nostalgie, de la colère et, étonnamment pour quelqu’un comme lui, même de la peine. Il s’approcha du pendentif, déposé sur un mannequin en forme de buste féminin sans tête, et le caressa avec une tendresse amoureuse. L’ouvrage n’était pas particulier, certainement fait par les mains d’un amateur, mais encore aujourd’hui, il se souvenait des sentiments qu’il avait inséré dans ce cadeau. Un cadeau qu’il avait voulu donner à une seule personne.
« Il y a près de cent vingt-ans… pendant mes premières années de règne, certaines personnes, des nobles venus de différentes contrées ayant rejoint l’Exode, avaient déclaré que je n’avais pas le sang suffisamment noble pour me prononcer Roi de Meisa, et rejetaient ma légitimité, me préférant un jeune prince inexpérimenté et surtout mal éduqué qui, selon moi, aurait fini par être un symbole sur le trône plus qu’un véritable monarque. Ces simples déclarations semblaient inoffensives, mais très vite, beaucoup de promesses de future richesse furent jetés à droite et à gauche pour rappeler des troupes et organiser une rébellion. Je ne voulais pas souiller Meisa du sang des insoumis, mais je refusais également de laisser mon trône. J’ai fabriqué ce pendentif pendant cette période, pour célébrer ma cinquième année de mariage et la venue de ma première héritière en tant que Roi. Pour le fabriquer, j’ai fait fondre la boucle d’or de la ceinture du Roi Jekhelv, et j’ai demandé à mon frère d’armes de m’aider. Malgré mon inexpérience, j’ai réussi un travail acceptable, qui serait la représentation de mes sentiments. »
Il prit doucement le pendentif entre ses doigts et il caressa doucement une petite bande d’or blanc, qui se mit à briller en révélant de petits symboles, une bénédiction dans la langue des Premiers Vivants, et lorsqu’il décrit un cercle complet autour de l’objet en suivant cette bande, un petit son de déclic se fit entendre, et le pendentif s’ouvrit, révélant son contenu; gravé à même l’or blanc figurait une représentation incroyablement précise du Roi, et dans ses bras se trouvait une personne que personne ne connaissait, une personne qui avait même été jusqu’à être effacée même de l’histoire de Meisa. Sur la photo se trouvait une très belle femme aux cheveux noirs, vêtue de blanc, et qui semblait sincèrement amoureuse. À ne pas en douter, ce n’était pas qu’une gravure; elle avait été produite par magie avec un souvenir comme origine.
(http://i56.servimg.com/u/f56/13/46/97/89/cadre10.jpg)
« J’ai voulu lui offrir ce présent, mais le jour même de mon anniversaire de mariage, les Rebelles ont lancé leur coup d’état, et pour me porter un premier coup, ils m’ont arraché ce que j’avais de plus cher. Ma seule famille. Ils ont fait assassiner ma Reine et ma fille en elle en se servant d’agents infiltrés, avant de prendre d’assaut ma capitale. »
Il referma doucement le pendentif et le replaça sur le mannequin, le regard ravagé par la douleur et la tristesse que lui provoquait ce souvenir.
« Après avoir anéanti les rebelles, j’ai placé ce collier avec le corps de ma femme avant de la confier à l’océan. C’était le rite funéraire, à Corven. Je n’ai plus jamais revu cet objet depuis. »
Il aurait bien interrogé Josselin sur la provenance de cet objet, mais les morts étaient réputés pour emporter leurs secrets dans la tombe, et user de la nécromancie pour une raison aussi futile ne serait jamais assez justifiable à ses yeux. Il abandonna l’idée de rechercher la raison de la réapparition du pendentif, mais la magie noire qu’il avait ressentie sur l’objet l’inquiétait énormément. Il n’avait pourtant jamais fabriqué ce présent avec un cœur troublé, alors, pourquoi captait-il autant de noirceur sur le métal? Pour ainsi souiller un objet fabriqué d’amour pur, seuls quelques occurrences semblaient plausible, mais la plus probable, c’était celle d’une haine puissante et profonde, peut-être même une envie démesurée de blesser, de punir. En même temps, autant qu’il avait un grand nombre d’amis, le nombre toujours grandissant d’ennemis du Roi ne lui laissait aucun suspect précis. Seulement un pressentiment dérangeant qui lui tenait les tripes.
Sans crier gare, le Roi se sépara du groupe et s’engouffra dans le tunnel sous-terrain menant à la Crypte. Les ténèbres l’avalèrent subitement, l’arrachant à la vue de ses deux compagnons, alors que lui continuait de voir parfaitement malgré la noirceur. Le médaillon. Josselin n’était peut-être pas celui qui l’avait trouvé; quelqu’un savait qu’il tomberait sur cet objet et qu’il le conserverait, et l’avait donc placé sur sa route, quelqu’un qui avait l’entièreté de l’attention du mage et qui ne le craignait pas le moindrement. Et cette personne voulait que le Roi se présente devant elle. Mais si cette théorie était la bonne, le Roi ne la souhaitait pas. Il ne voulait pas que cette hypothèse soit véridique. Mais en même temps, une partie de lui souhaitait qu’elle le soit. Cette partie malsaine qui guidait les nécromanciens dans leur art maudit, ou poussait certains sorciers à s’immiscer beaucoup trop dans le monde astral, cette petite voix tourmentante dont le murmure incessant menait même la personne la plus terre-à-terre dans un monde de folie. La voix de la Perte.
« Arrête! fit la voix d’Ehredna dans sa tête. Retourne avec les autres! Tu t’exposes trop!
-Ca m’est égal! Rugit le Roi à voix haute, sans tenir compte du fait qu’il pouvait être entendu. »
Rien ne pourrait l’arrêter avant qu’il ne soit fixé. Le couloir était plutôt long, mais le Roi trouva un nouvel escalier, suffisamment grand pour une seule personne. Sa tête heurta une surface en bois. Une trappe. Il la poussa légèrement, mais quelque chose de lourds se trouvait dessus. Il puisa alors dans sa puissance magique, et la concentra dans ses bras, comme il l’avait fait si souvent dans le passé... comme lorsqu’il a fait tomber la Tour Noire. Il posa sa main contre le bois et poussa une nouvelle fois, sans y mettre plus de force. Plutôt que de simplement user de la force brute, il se servit de ce contact pour altérer les lois de la gravité et l’objet encombrant se retrouva beaucoup plus léger. Il poussa la trappe et celle-ci s’ouvrit, alors qu’un bruit de pierre fracassée se faisait entendre. Ce qui se trouvait sur la porte venait de tomber et de se fracasser. Lorsqu’il sortit, il vit.
***
La Sorcière entendit la porte s’ouvrir derrière elle, ainsi que le bruit de la statue du Roi s’effondrer. Son cœur, noir comme le charbon, se mit à battre à toute vitesse, non pas de surprise, mais d’excitation. Il était enfin arrivé. Il était enfin près d’elle. Mais elle ne devait pas le laisser voir son visage. La vérité ne devait éclater qu’au bon moment pour réaliser un choc maximal. Elle rabaissa doucement la capuche de son manteau sur sa tête avant de se tourner et d’agripper son sceptre. L’objet la dépassait d’une bonne tête, mais cette relique qu’elle avait volée au Roi n’était pas un bâton de combat. À l’image d’Eglendal, à une plus petite échelle, il servait principalement de catalyseur et de source d’énergie pour celui qui la tenait. Elle savait qu’avec cette arme, elle n’avait rien à craindre de son ennemi; lui se trouvait à des kilomètres de sa source de pouvoir, alors qu’elle l’avait au creux de sa main.
Elle se tourna enfin vers lui, masquée par sa capuche, son bâton à la main et elle le regarda sous toutes ses coutures d’un bref coup d’œil. Malgré son air énervé, elle notait qu’il ne se laissait pas aller à l’imprudence et gardait tous ses sens à l’affut. C’était adorable, en un sens.
« Si j’avais un jour pensé que vous vous déplaceriez pour moi, sire…
-Ce ne fut pas facile de croire qu’une sorcière dans le monde actuel fut suffisamment maligne pour se glisser sur mon territoire sous mon nez. Mais j’ai eu plusieurs surprises ces deux derniers jours. Maintenant, dis-moi; qui es-tu et que veux-tu?
Il ne demandait pas vraiment de justification. Probablement parce qu’il se doutait qu’elle ne lui en offrirait aucune, et que de toute façon, ce n’était qu’une formalité; elle sentait en lui sa puissance se manifester très rapidement, se répandant dans tout son corps, il n’était pas vraiment là pour l’écouter, mais pour l’abattre. C’était donc un objectif qu’ils avaient en commun; mettre à mort leur opposant. Cependant, elle n’entendait pas le laisser se battre contre elle, du moins, pas à la loyale. Elle se contenta de claquer des doigts et aussitôt, le pouvoir du Roi lui glissa entre les mains, quittant son âme à la vitesse de la pensée. Cependant, cette soudaine dépossession de son pouvoir ne sembla pas l’affecter, puisqu’il fonça droit sur elle. Elle leva immédiatement une main et alors qu’elle lâchait une expiration sèche, le Roi sentit passer au travers de son corps une puissante onde de force, et plutôt que d’élancer vers son adversaire, la force contraire le fit décoller du sol et l’envoya heurter un des sarcophages. Il lâcha un cri de douleur en sentant son dos céder, puis subitement se remettre en place quand son don de régénération se réactiva. Le Roi se remit sur ses jambes et regarda la femme à la cagoule. Celle-ci le regardait toujours, placée au centre du Repos des Mages.
« Tu te demandes probablement comment j’ai réussi à te retirer ton pouvoir…
-Non. Je le sais. Parce que c’est moi qui t’a enseigné à le faire, pour te protéger de l’Ahedesha. »
Le Roi se releva et à son tour, il inspira, fermant les yeux, et au moment de les ouvrir, ceux-ci s’étaient déjà mis à briller d’une lumière dorée. Le Roi lâcha un rugissement et se libéra brutalement de l’emprise de son adversaire, agrippant immédiatement son Lien avec la magie, remontant jusqu’à elle à toute vitesse pour la heurter de sa puissance magique, ce qui la fit tituber comme une gifle au visage. Dès que ses pieds touchèrent le sol, il fondit sur elle comme sur une proie. Elle évita les griffes du Roi, mais celles-ci agrippèrent la capuche pour la faire tomber, dévoilant une jeune femme aux cheveux longs et noirs, qui lui tombaient sur le dos.
« Josselin le savait, soupira le Roi, en se redressant. C’était probablement pour cela qu’il savait que tu serais ici, que tu apporterais tes maléfices sur les terres où tes liens sont le plus fort. C’est pour cela qu’il ne m’a rien dit. »
Le monarque se retourna vers la jeune femme et prit un air attristé.
« La Dame Grise. La Première Reine de Meisa, Sol’Mariar Sérénité. »
Tandis que Wallin explorait la sortie du musée personnel souterrain de Josselin, Shizuka, elle, vit que le Roi se rapprochait d’un pendentif. Cet endroit regorgeait d’objets, et l’homme s’empara d’un curieux pendentif. La guérisseuse d’Edoras, elle, sentait son cœur en train de légèrement battre la chamade. Elle était nerveuse, inhabituellement inquiète, et regardait furtivement autour d’elle, comme si elle avait le sentiment diffus que des milliers de yeux silencieux et sinistres les observaient. Wallin ne tarda pas à revenir, tandis que le Roi, d’une voix amorphe, légèrement éteinte, se mettait à parler seul. En se rapprochant, Shizuka le vit ouvrir le pendentif, révélant ce qui avait tout d’un couple. Elle trouvait l’image assez touchante, ce qui, à vrai dire, ne faisait que renforcer le côté tragique de la scène. Kah’mui leur parla de la fondation de Meisa, d’un coup d’État organisé par des rebelles, qui avait coûté la vie de sa femme, et de sa fille. Shizuka baissa les yeux, se sentant triste par cette histoire, une histoire qui lui rappelait sa propre histoire... Le coup d’État du frère de la Princesse, Shin, avec ses conséquences terribles... Des conséquences qui revenaient encore parfois hanter les nuits de Shizuka. La pauvre guérisseuse n’arrivait pas à comprendre pourquoi l’être humain était tellement motivé par l’envie de tuer son prochain, pourquoi le meurtre était tellement répandu, alors que cette pratique était abjecte, barbare, cruelle, monstrueuse. Elle avait envie de se révolter contre cette injustice, contre cette souffrance perpétuelle qu’on faisait subir aux autres.
L’objet avait été jeté à l’océan... Comment avait-il fait pour se retrouver ici ? Simple hasard ? Ce Josselin avait l’air d’avoir été un sacré aventurier. Shizuka, se mordillant les lèvres, entreprit de se rapprocher du Roi. Lentement, elle tendait sa main vers lui, comme pour la mettre sur son épaule, mais le Roi se mit alors à partir. Il passa à côté de Wallin, qui s’écarta prudemment, s’enfonçant dans la crypte.
« Majesté ! Majesté ! Kah’mui !! »
Les cris de Shizuka résonnèrent dans le vide. L’homme était parti, les laissant tous les deux. Elle secoua la tête.
« Suivons-le, vite. »
Elle s’avança vers le couloir souterrain, mais, en constatant que Wallin ne la suivait pas, Shizuka s’arrêta, et se retourna, nerveuse. Que faisait-il ? Elle le vit inspecter une bibliothèque poussiéreuse. Lentement, la guérisseuse se rapprocha, indécise, tandis que l’homme ouvrit l’armoire, et en sortit une sorte de dossier relié poussiéreux, comprenant un ensemble de notes et de feuilles volantes. Il déposa le dossier sur un bureau à côté, qui comprenait quelques cartes de Terra. Shizuka se rapprocha, tandis que l’homme farfouillait parmi les pages.
« Qu... Qu’est-ce que vous faites, il faut aller aider le...
- Je ne pense pas qu’il ait vraiment besoin de notre aide, le coupa Wallin. Josselin savait quelque chose... Il n’aurait pas protégé aussi bien l’accès à sa crypte, autrement... Serait-il possible qu’il ait finalement entrepris de poursuivre cette quête ? »
Shizuka ne comprenait pas tout, et vit l’homme s’arrêter sur une affiche. Elle avait été manifestement arrachée à quelque chose, comme en témoignait la ligne du haut, rapiécée et découpée. Shizuka frémit devant l’image, qui était assez inquiétante, comme si elle avait été peinte dans du sang :
(http://files.myopera.com/rexbones/albums/9948532/All%20Hail%20the%20Crimson%20King.jpg)
« ‘‘Tous saluent le Roi Cramoisi’’ ? traduisit-elle. Qu’est-ce que ça veut dire ? »
Wallin ne lui répondit pas. Il s’écarta, et fouilla les tiroirs du bureau. Shizuka se rapprocha un peu, et vit d’autres notes, d’autres informations. Les feuilles volantes semblaient être des observations générales formulées par Josselin. Elle en consulta une par curiosité, trouvant le contenu des plus intimidants :
Suis-je à la fin de toute civilisation ? Il m’est arrivé de côtoyer des villes sinistres, d’être hébergé dans des endroits effrayants, mais rien n’est comparable à ce malaise que je ressens dans cette ville. Fedic est une ville effrayante, qui est perpétuellement plongée dans la nuit, car elle se situe dans une vallée profonde, ce qui fait que les montagnes nous entourant forment comme des murs bloquant perpétuellement la lumière du soleil... Comme si le passé de cette ville recélait un tel cauchemar que la lumière du Saint avait été occultée.
Le bayou est le seul moyen de poursuivre mon voyage, mais en aurais-je le courage ? Je ne cesse de penser à Lysia, depuis quelques temps, et ces rêves que je fais... Je suis malade, j’ai besoin de me soigner, mais puis-je me permettre d’abandonner maintenant ? D’échouer si près du but, alors que les réponses que je recherche sont à portée ? C’est tellement frustrant... Mais je sens que je n’y arriverais pas...
Shizuka reposa la note, troublée. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Cet homme avait visiblement eu son lot de souffrance dans la vie. Fedic... Ce nom ne lui disait rien. Wallin finit par sortir une boîte noire. À l’intérieur, il y avait une sorte de petite pierre précieuse noire que Wallin attrapa, la soulevant, l’observant silencieusement.
« C’est donc ça... »
La guérisseuse fronça les sourcils, commençant à sentir son trouble s’atténuer devant une certaine forme d’irritation devant tout ces mystères.
« Mais qu’est-ce que ça veut dire, nom d’un canari ?! »
De la bouche de Shizuka, c’était probablement l’une des pires insultes de son répertoire. Wallin reposa lentement la pierre précieuse, émit un soupir, et se retourna vers la femme.
« Savez-vous comment a été formé l’Empire d’Ashnard ? »
Inattendue, la question eut le mérite de prendre Shizuka au dépourvu, qui cligna des yeux, étonnée devant une telle question.
« Euh... Je... Euh... Une alliance entre les demons et les humains dans un désert, qui a donné naissance à un Empire militariste actuellement en guerre contre Nexus, et qui…
- Cette vision des choses est très abrégée, intervint Wallin. Il existe quantité de mythes entourant la création d’Ashnard, quantité d’histoires et de légendes. Cette création était entourée de mystères, de ténèbres, et il existe très peu de documents historiques relatant sa création. Pendant longtemps, Ashanrd était un État isolé, reclus, loin de tout, et les différents éléments historiques dont nous déposons sont empreints de subjectivité, et ne peuvent donc pas constituer des bases historiques fiables. »
Tout ça rappelait à Shizuka de lointains souvenirs, sur les cours géopolitiques qu’elle avait reçus à l’académie d’Edoras.
« Il y a néanmoins, à travers toutes ces versions, de vagues vérités qui me sont apparues. À cette époque, la civilisation humaine n’était pas encore totalement affirmée... Vous êtes-vous jamais demandé les raisons qui ont fait que Tekhos, votre civilisation, soit si évoluée par rapport aux autres nations du monde ?
- Et bien, je...Euh... »
Pour le coup, elle ne savait pas quoi répondre, et elle vit Wallin se rapprocher de la bibliothèque, et en sortir un gros volume. Shizuka consulta le titre du manuscrit : « Aux origines historiques préhumaines des grands États ». C’était le volume 1, une introduction générale. Le livre avait été écrit par William Kaffiel, que Shizuka connaissait. C’était un érudit, un académicien qui travaillait à l’École royale de Nexus. La « préhumanité » était une théorie historique humaine désignant l’état du monde avant l’émergence de la civilisations humaine Quel était le rapport avec Meisa ? Et Shizuka n’avait pas vraiment l’esprit à uncours historique, songeant au Roi, qui s’était enfoncé tout seul dans les catacombes.
« Nexus est dans des terres fertiles, proches de la mer, et de grandes forêts. Pour certains historiens, cette ville était une ville elfique avant que les humains n’en prennent le contrôle... Ce qui va dans le sens de récentes expéditions archéologiques menées dans la ville. D’un autre côté, Tekhos se trouve dans des régions riches, montagneuses... Pour beaucoup, cette civilisation appartenait autrefois aux nains et aux gobelins, dont le savoir-faire technologique a toujours été très avancé.
- Oui, mais... Excusez-moi, mais je ne vois pas très bien le rapport avec...
- Des familles humaines se sont unies entre Nexus et Tekhos, des individus lésés, énervés par le fait d’être minoritaires, et de faire l’objet de lois discriminatoires à leur encontre, parce qu’ils n’appartenaient pas à la même espèce que les gouvernants. Ces gens n’étaient toutefois pas d’honorables individus, mais des puissants, des bourgeois, des militaires, des esclavagistes... Menés par des mages, ils ont entrepris de réunir à Nexus et à Tekhos une importante foule pour un exode vers la Terre Promise. De doux mensonges destinés à leurrer les foules, et à organiser une cérémonie cruelle et sanguinolente, au cours de laquelle des centaines et des centaines d’âmes ont été sacrifiées pour permettre l’invocation d’un puissant Démon, qui aurait dominé le monde. »
Wallin parlait lentement, tout en triturant entre ses doigts la pierre précieuse.
« On dit que cette invocation a échoué, que le Démon primordial n’a jamais pu être libéré, et que ses séides sont venus à sa place, et ont décidé de fonder un Empire, dont l’objectif final serait de réveiller définitivement le Démon. Ces humains qui ont réalisé ce rituel... Ils portaient un nom à Nexus... On les connaissait sous le nom de la Conspiration des Toiles, et ils s’identifiaient avec ces pierres précieuses. C’est de l’ébonite pure, non travaillée, un élément qui permet de confectionner des armures magiques en ébonite, des armures extrêmement précieuses, et tout autant onéreuses. »
Shizuka clignait des yeux. Tout ça était très intéressant, mais elle ne voyait toujours pas le rapport avec la situation actuelle. Cependant, elle ne dit rien, sachant que Wallin allait poursuivre. Son regard se porta sur une grande carte de Terra, et il désigna du doigt la grande zone géographie correspondant à Ashnard.
« Le Roi Cramoisi est un ancien Empereur ashnardien, d’une cruauté telle que sa folie a donné lieu à une guerre civile fratricide au sein de l’Empire. Ram Aballah, du nom officiel qu’on lui donnait, vivait dans la partie orientale de l’Empire. Cette carte date de plusieurs siècles. Voyez... Josselin a indiqué d’une croix les terres de l’Aballah, ici. »
Du doigt, Josselin montra à Shizuka une croix rouge. Elle repensa aux notes de Josselin. Avait-il cherché à se rendre là-bas ? par rapport à Meisa, la distance était effectivement très longue, plusieurs milliers de kilomètres.
« Ce Démon... Ce Démon que... Que les premières familles ont cherché à créer, vous pensez que... ?
- Ne vous méprenez pas, Shizuka. Comme je vous l’ai dit, ces informations sont âgées. Je pense que les familles qui ont émigré de Nexus et de Tekhos, quelles que soient le nom que ces nations portaient à l’époque, ne cherchaient pas à invoquer un démon, mais à créer un nouveau monde, un nouvel État humanoïde. On leur a mentis. Je pense qu’une petite minorité de ces gens voulait tous les sacrifier pour réveiller ce Démon primordial, pour lui permettre d’envahir Terra, et de tout détruire. Josselin enquêtait là-dessus, visiblement... Et, d’une manière ou d’une autre, son périple est lié aux évènements qui surviennent actuellement à Meisa. »
Shizuka hocha la tête... Quand elle entendit des craquements venant d’en haut. Des bruits de pas. Ils étaient plusieurs. Le cœur de Shizuka se mit à trembler, tandis que Wallin porta sa main vers son épée.
« Allez voir le Roi, Shizuka.
- Mais... »
Elle voulait rester là, pour l’aider… Mais elle avait un mauvais pressentiment, un frisson qui remontait dans tout son corps. Comme si une force ancienne très puissante était en marche, une créature sournoise et d’une puissance qui la faisait frémir.
« Allez le voir, et dites-lui que l’Omniprêtre de Sylvandell a la réponse. »
L’Omniquoi ? Shizuka était tentée de lui en demander plus, mais il y eut une secousse qui fit trembler le toit.
« Allez, vite ! L’Omniprêtre, souvenez-vous ! »
Shizuka déglutit, et se retourna, puis se mit à courir. Dès qu’elle passa le couloir, il y eut comme un éboulement derrière elle. Elle se retourna subitement, et vit que le plafond était tombé, bloquant la voie.
« Wallin ! Wallin ! »
Elle déglutit. Personne ne lui répondit. Un frisson parcourut son corps. Se mordillant les lèvres, Shizuka se résigna. Elle se retourna, et avança au chemin, nerveuse.
*Cette présence...*
Que signifiait-elle ? Elle avait peur de ce qu’elle pouvait signifier, et, alors qu’elle continuait sa marche, elle finit par retrouver le Roi… Ainsi qu’une femme qui ressemblait curieusement à la femme qu’elle avait vue sur le pendentif de l’homme.
« Voici donc l’Innocente claironna la femme.
- Vous... Vous êtes ? »
La pièce comprenait des colonnes en pierre, et d’autres formes se déplaçaient dans l’obscurité. La femme esquissa un sourire, et leva les bras en l’air.
« J’étais connue comme étant la Reine de Meisa... Et, un jour, un nouveau destin s’est offert à moi... »
Le corps de la femme se mit alors à se transformer, comme si elle vieillissait un peu, tout en conservant une redoutable beauté. C’e »st ainsi que, sous les yeux de Shizuka, la Sorcière Grise apparut, avec une belle chevelure argentée qui ondulait sur son visage :
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Son pouvoir magique semblait sans limite, et elle était manifestement accompagnée de ses disciples, des individus encapuchonnés, généralement des femmes.
« Ce brave Josselin savait que je n’étais pas morte, expliqua alors la femme. Il n’avait que des soupçons, résultant de paradoxes et d’énigmes dans les enquêtes menées à l’époque de mon assassinat présumé contre les rebelles. Il était parti jusqu’au bout du monde pour me retrouver. »
Shizuka sembla tilter, et ne put s’empêcher, malgré la présence envoûtante et intimidante de cette femme, de parler :
« Fedic ? »
La Sorcière Grise hocha lentement la tête.
« Josselin a appris que la Conspiration des Toiles existait toujours, et que nous étions prêts à lancer notre plan. Ce fou pensait revenir à Meisa pour te prévenir, mon ancien amour... Il n’a pas réalisé qu’en faisant ça, il était lui-même devenu une partie de notre plan. »
Comme si l’idée lui semblait drôle, elle se mit à rire, avant de secouer la tête.
« Et tu as eu la générosité de m’apporter l’Innocente, mon ancien aimé... Tu as toujours aimé t’entourer de belles femmes, après tout. »