C'est Nikos. Lenia reconnait sa voix désagréable, identifiable entre mille. Le mercenaire n'a jamais été son ami mais ils ont combattu ensemble maintes fois. Sûr de la victoire du Corbeau de la compagnie, il avait misé une petite fortune sur Lenia. Il lui avait dit avant le combat. Cet homme était mauvais dans la défaite et venait chercher dans la vengeance la perte de son argent. Il n'était pas seul. Les anciens compagnons d'armes de Lenia comptaient parmi les hommes qui leur barraient le chemin. Le bruit ambiant de la ville ne permettait pas à Lenia de compenser son handicap visuel par l'utilisation de ses autres sens. Ils étaient là, c'était tout, elle le savait, rien d'autre. Un mouvement d'air, un bruissement de tissu et Céleste passait devant elle. Le Corneau tendit la main pour garder le contact et se rassurer de la présence de la Valkyrie. Sans elle, elle mourrait, c'était certain.
Un échange verbal bref suivi et Lenia perdit la contact de Céleste. Elle la chercha, les bras tendus, et pivota sur elle-même en s'efforçant de la retrouver et en essayant de se guider aux sons. Rien. Les coups pleuvaient et tout s'emmêlait dans la tête de Lenia. Elle n'avait plus de point de repère, entendait des grognements, des cris de souffrance, la rage de Céleste exploser, sa douleur aussi.
"Céleste! CÉLESTE!!?"
Elle retrouvait sa voix, la panique prenant le dessus. La fière mercenaire découvrait sa faiblesse ... Et elle n'arrivait même plus à se guider en suivant les cris de Verox. Le corbeau était furieux et faisait payer leurs outrages aux assaillants. Les hommes sentent fort, la vinasse, la transpiration. Ils sont nombreux mais ne représentent qu'une infime partie de la compagnie de Lenia. Lothard, le chef, n'a pas l'air d'être là ... Céleste prend des coups et la mercenaire déchue l'entend crier.
" CÉLESTE!!!"
Elles sont proches de la fin. Leur bonheur teinté de sang aura été de courte durée...
Et puis le vent tourne et c'est une odeur brute et féline qui s'insinue dans l'air. Elle est accompagnée des hurlements effrayés des hommes qui se heurtent à un obstacle inattendu. Des chocs sourds ponctuent l'arrivée de ... bêtes? et puis les doigts perdus de Lenia s'enfoncent dans une fourrure douce. Elle a un réflexe de survie et les retire aussitôt. Un bruissement d'ailes devant elle l'incite à recommencer et elle perçoit la respiration posée d'un gros animal couché à ses pieds. Il ronronne sereinement. Un tigre des montagnes apprivoisé? Puis la voix grave d'un ... ami, en tout cas d'une connaissance de Céleste. Son timbre inspire la puissance. Les lions dit-il? Peu communs. Lenia n'en a jamais vu. Peut être qu'elle ne pourra jamais.
"Cette fois... C'est la bonne..."
Que peut répondre Lenia à part faire un sourire qu'elle essaie de rendre joyeux, à perte. Et c'est à dos de lion qu'elles continuent leur chemin. D'habitude ce sont les morts qui sont portés à dos d'animaux... L'ami s'occupe du reste. Lenia lui doit la vie et elle n'oubliera pas de le remercier quand elle le pourra. Elle le grave dans son esprit. Et puis le royaume de Céleste se referme sur elles. Il fait froid, elles montent. Les bruits de la cité disparaissent. Est-ce grand? Luxueux? A l''image de la Princesse de l'arène, raffiné et élégant? Le lit en tout cas est confortable. Son lion y a déposé Lenia, enfin ... la lionne car il s'agit bien d'une femelle prévenante.
"J'ai ... j'ai froid ..."
C'est vrai. Dans sa cape rapiécée, Lenia est transie de froid. Elle est pieds nus et son corps la fait souffrir plus que jamais. Mais elle n'est plus seule. Oh, verox a trouvé une lucarne par où entrer et le volatile s'amuse à pincer et tirer une oreille de la lionne, rare marque d'affection venant de sa part. Il y aussi les deux félins bien sûr qui elle le devine, deviendront ses amis. Et il y Céleste, sa Céleste ... Céleste qui l'aide à se dévêtir et la guide dans une autre pièce. Lenia est nue et se cache la poitrine et son intimité, par simple réflexe, sa cécité la complexant bien qu'il n'y ai aucune raison ici d'être gênée. La farouche tueuse est loin ... très loin ...
Bien que ce soit mauvais pour les blessures, un bain est nécessaire et Lenia manque défaillir de bonheur quand elle s'immerge dans l'eau chaude. Oh que Céleste s'occupe bien d'elle, comme d'un nouveau né. Plus d'une fois, elle s'endort, puis se réveille sous les caresses des mains douces de la Valkyrie.
"Merci ... de tout mon cœur, merci."
Elle se détend et la douleur se dissipe, s'endort encore et quand elle s'éveille à nouveau, elle est aux côtés de son amie, toutes deux enlacées sous une épaisse fourrure. La nuit qui suit est néanmoins chaotique, entrecoupée de gros accès de fièvre et de crises de douleur. Ce ne fut qu'à l'aube que Lenia trouva un sommeil profond, prostrée en position foetale, épuisée à l'extrême.
C'est la faim qui la réveilla, peut être quelques heures après, peut être des jours. Elle respirait sereinement mais n'osa pas retirer son bandeau. Elle savait qu'elle ne verrait pas ...
"Céleste? Verox?"
"Krââââ" lui répondit son compagnon avant de sautiller près de sa tête et de lui pincer l'oreille.