Andreas constata rapidement que le sommeil se refusait à venir voir l’esprit de Silke. Couchée sur le dos, et malgré l’indéniable (et agréable) confort du lit, le sommeil continuait à lui fuir. L’esprit de l’Amazone était traversé par différentes pensées. Elle était toujours en rage contre cet Incube, ce Vaelh, sans trop pouvoir se l’expliquer. La tentation était grande de le retrouver pour finir ce qu’ils avaient entamé dans l’auberge. Si la confiance de l’Amazone envers l’homme était déjà faible, elle n’avait fait que décroître. Leur joute physique à l’auberge n’avait pas été qu’un simple jeu... Pas pour Silke, en tout cas, et, maintenant qu’elle avait couché à plusieurs reprises avec Andreas, en mordant et en griffant sa belle peau, elle avait les pensées un peu plus claires... Pourquoi une telle agressivité ? Pourquoi une telle rage ? Pourquoi est-ce que, d’un seul coup, les éternelles provocations de Vaelh lui avaient fait perdre son sang-froid ? Pourquoi ce manque de contrôle ? Et pourquoi est-ce que, par-dessus tout, elle avait un affreux mauvais pressentiment ?
*Il y a une pièce du puzzle qui m’échappe, mais je n’arrive pas à deviner laquelle...*
Silke connaissait Raven. Elle avait toujours aimé la stratégie militaire, un domaine que les Amazones étaient loin de négliger. La guerre ne se résumait pas juste à taper dans le tas sans se poser de questions, il y avait aussi toute une stratégie à avoir, toute une réflexion sur l’utilisation de ses troupes. Si, dans ce domaine, Silke avait toujours été relativement médiocre, Raven, elle, avait toujours été talentueuse. Elle attaquait le château depuis des semaines, en prenant son temps, en abattant progressivement ses cartes... Mais l’Amazone la connaissait bien. Elle était sûre que Raven avait encore des surprises...
Une main vint caresser son ventre, et Andreas se pencha vers elle, venant tendrement l’embrasser. Silke cligna des yeux, et tourna la tête vers elle. La fille de Beaulierre, sous-estimée à cause de son sexe... Une belle jeune femme qui avait probablement dû compenser. Sa beauté angélique faisait que les gardes ne la prenaient sûrement pas au sérieux, et, en conséquence, l’Amazone visualisait très bien son parcours, où elle avait dû s’entraîner plus que de raison, afin de montrer à tous les sceptiques et à tous les sexistes qu’elle était une guerrière à part entière.
« Est-ce cette Raven qui t’effraie, Silke ? Je vois que le sommeil se refuse à ton corps...
- Mes pensées sont trop agitées pour connaître le repos... »
Nouveau baiser de la part d’Andreas, qui posa ensuite sa tête sur son sein.
« Moi, je dirais surtout que tu es trop excitée par moi pour dormir... Depuis combien de temps ton corps n’a-t-il pas joué avec celui d’une femme ? »
La question amena un silence de quelques secondes, avant que la réponse de l’Amazone ne vienne :
« Trop longtemps... »
Une réponse qui sembla convaincre Andreas, dont le visage fendit d’un sourire, alors qu’elle glissait sa main le long du ventre de l’Amazone, allant sous la couverture, saisissant la chair tendre et chaude, provoquant un frisson dans le corps de l’Amazone.
« C’est là le problème... Je pars du principe qu’une femme doit régulièrement faire l’amour pour soulager les humeurs de son corps. C’est cela, le beau sexe.
- Et toi, alors ? À quand remonte ta dernière fois ? »
Pendant quelques secondes, la figure d’Andreas sembla se rembrunir... Puis la réponse vint, énigmatique et sibylline :
« Longtemps aussi... »
Silke avait-elle réveillé une vieille blessure ? Il était tentant de se renseigner sur le passé de la capitaine, comme un moyen d’évacuer les sombres pensées qui étaient en train de la traverser. Elle accepta donc le mouvement d’Andreas sur son sexe, sur ce membre qu’elle avait sorti de son corps, comme les Amazones guerrières pouvaient le faire après avoir goûté aux rites magiques et chamaniques de la Horde. La capitaine sourit alors, et retourna embrasser le cou de la femme, puis retourna s’allonger sur elle.
« Mais ton corps, Silke... Il est vraiment magnifique... Tu es d’une beauté terrifiante, ma belle...
- La beauté d’une femme est sa principale arme... C’est la première leçon qu’on nous enseigne, Andreas.
- Je vois qu’elle se justifie. »
Andreas se redressa alors, à califourchon, puis écarta son bassin, et l’abaissa, provoquant des frissons.
« Tu as peur que Raven ébranle nos défenses ? Qu’elle trouve une faille dans... Haaa... Nos murs...
- C’est... C’est une possibilité, hum... »
Reprenant son souffle, Silke posa ses mains sur les hanches de la femme, la sentant remuer en elle, de haut en bas, faisant doucement ployer le lit sous ses mouvements du bassin. Cette femme avait décidemment un sacré appétit, et Silke sentit rapidement sa vigueur revenir, comme pour relever son corps, comme pour le faire pointer vers les hauteurs.
« A-Alors... Haaaa... Tu n’as qu’à... Hmmmm... Les inspecter avec moi, pour... Pour te rendre compte de... De notre situation, haaa... »
Une proposition intéressante... Que Silke prit dans les cris et la joie.
Les murs de Beaulierre étaient impressionnants. Silke avait remis son armure, ainsi qu’une cape, et marchait à côté d’Andreas, observant la sombre forêt en fronçant les sourcils. Andreas connaissait ces murs par cœur, et les gardes qui étaient là se redressaient en la voyant. Elle hochait la tête.
« Nous nous dirigeons vers le corps de garde...
- Effectivement.
- Tu vois bien que nos murs sont solides... Ils ont résisté à des barbares, à des Orcs, sans parler des guerres seigneuriales... »
Du point de vue de Silke, Raven était une menace toute autre que des Orcs stupides ou de simples brigands. Elle conserva cependant pour elle-même ses réflexions. Sur sa gauche, elle voyait la forêt, s’étalant au loin, et, sur la droite, la ville. Les auberges tournaient encore, et des torches brûlaient dans tous les coins. Andreas continuait à marcher, traversant une tour longeant le mur d’enceinte. On pouvait désormais voir le chemin menant à l’entrée du fort, un solide corps de garde.
« Avant toi... Ma dernière fois remontait à Lizéanne... Et même ma première fois aussi. »
Le ton d’Andreas avait changé, devenant mélancolique. Pourquoi se confier maintenant ? Silke resta silencieuse.
« Lizéanne était une simple fermière. Je jouais avec elle en étant enfant. Comme moi, elle rêvait d’être chevalier, car elle ne se voyait guère se marier à l’un des fermiers de la région, et faire des fils avec lui, au milieu de bottes de foin. Elle adorait lire, et je lui transmettais des livres d’aventure, des récits romanesques de chevaliers... Elle et moi, nous fantasmions sur les Amazones, sur ces peuples de guerrières et insoumises. Nous rêvions d’être nées à Tekhos, où les femmes ne sont pas aussi brimées qu’elles le sont dans les contrées féodales. »
Les deux femmes se rapprochaient de la porte du corps de garde, et il n’y avait plus beaucoup de gardes par ici... Rien d’autre que le sifflement du vent rebondissant le long des murs en pierre et les souvenirs d’Andreas, remontant à la surface.
« Son grand-frère, un imbécile, était devenu écuyer à sa place... Et moi ? Malgré toutes mes prouesses en temps que guerrière, la coutume est claire. Mon rôle est de me marier à un autre baron, et de lui apporter une bonne descendance. Nous avions prévu de nous échapper, nous avions prévu de partir, car je l’aimais... Et j’en fus encore plus convaincu quand mon père avait commencé à me présenter de futurs époux... Il me fallait vite avoir un mari pour assurer les liens politiques entre ma famille et les autres. »
Elles descendirent quelques petites marches menant à une porte en bois légèrement entrouverte, et Silke n’aimait guère ce monologue... Ni l’absence de gardes. Fronçant les sourcils, elle s’avança néanmoins, la main sur la garde de son épée.
« Celui qui devait être mon époux m’a violé, Silke... Il m’a pris de force dans ma chambre, et, quand j’en ai parlé à mon père, ce dernier m’a sèchement giflé quand je lui ai dit que j’étais restée sèche comme une brindille. Mon père... Un brave guerrier, mais un père détestable. Et moi, je devais marier cet homme, cet homme qui n’aimait pas les femmes, cet homme qui m’avait violé, battu, et qui, de ce qu’il m’avait dit, aimait uriner sur ses partenaires. »
Andreas la laissa se rapprocher, et Silke entra, sentant la porte se refermer sèchement derrière elle, les plongeant dans la pénombre.
« Je m’en suis confiée à Lizéanne. Elle connaissait une guérisseuse, et nous sommes allées la voir. Une vieille sorcière vivant recluse dans la forêt. Elle a conçu un poison. J’avais réussi à faire entrer Lizéanne dans la cour, en tant que page... Elle a empoisonné le verre de vin de mon futur mari avec mon aval. Nous devions partir ensuite... Partir loin. Les choses... Les choses ne se sont pas passées comme prévu. »
Silke sentait qu’il y avait d’autres personnes dans cette pièce. Andreas s’était rendue vers une table, et avait saisi une torche. Plus elle parlait, et plus sa voix, larmoyante, était devenue froide, sèche, et cruelle.
« Lizéanne s’est fait arrêter pour le meurtre de ce fils de pute, et elle a été dépecée vivante. Je voyais les gens lui jeter des pommes pourries, pissant sur son corps, alors que son supplice durait des heures. »
Silke put alors entendre des hurlements, ainsi que le son des cloches des beffrois.
« Alors, je me suis rappelée des contes de mon enfance, des Amazones, et je suis partie à la recherche de la Horde, en prétextant traquer des Trolls... Je savais que les Amazones attaquaient des forts et des villages, et qu’elles pouvaient exiger, comme tribut, une femme. »
Une odeur de brûlé était en train de remonter, tandis que les hurlements se poursuivaient, et que des cors se mirent à résonner depuis les meurtrières de cette pièce sombre... Des cors amazones.
« Je suis tombée sur une Amazone... Une Amazone qui voulait changer les choses, et qui avait besoin d’un fort. »
La torche s’alluma alors, et éclaira les cadavres de plusieurs soldats, morts empoisonnés... Ainsi que d’autres Amazones.
« Je devais vous tuer pendant votre sommeil, Silke... Mais, puisque vous vous refusiez à dormir, il m’a fallu improviser. Beaulierre est condamné... Mais je sauverais le fort. Je sauverais le château, et je pleurerais sur la mort de mon père, sur ces femmes terribles... Mais je serais une héroïne de guerre. Je deviendrais la nouvelle baronne, et plus aucun de ces porcs de mâles ne me dictera sa loi ! »
Silke la regarda silencieusement, en comprenant que cette femme était le chaînon manquant, l’ultime pièce du puzzle. Raven n’avait pas attaqué Beaulierre au hasard, et elle ne comptait pas le défendre. Raven avait su dès le début qu’elle ne pourrait pas tenir contre le royaume... Mais le Roi local ne viendrait jamais s’en prendre à Beaulierre si la personne en place était la fille du baron, une fille endeuillée par la mort de son père, mais résolue à le venger, à honorer sa mémoire. Un plan cynique et monstrueux dans lequel Silke n’avait été rien d’autre qu’une idiote courant après son ombre, sautant sur les évidences alors que la réponse avait toujours été là, sous son nez. Depuis le début, Raven avait bénéficié d’une complicité intérieure.
Les Amazones l’entouraient dangereusement, tandis que, dessous, la Horde de Raven déferlait sur un château affaibli.
« Les Amazones ont raison, Silke... La beauté est la première arme d’une femme. »