Les landes dévastées / Re : Qui a parlé d'invocation ? (PV)
« le: lundi 19 septembre 2016, 17:39:45 »Eyma répondait à ses questions par de petits sourires, qui glissaient sur ses lèvres, prenant son temps pour formuler, dans sa tête, le moindre morceau des phrases destinées à passer la barrière de ses simples pensées. Il était décidément bien curieux ; elle avait longtemps considéré ça comme une qualité, avant de réaliser que si, certes, elle s'enorgueillissait d'être curieuse, elle supportait rarement que d'autres le soient - ou, en tout cas, pas trop. La curiosité était mignonne, l'intrusion, beaucoup moins. Pour le moment, il restait sage, et si certaines de ses questions écorchaient l'ego de la jeune femme - la questionner à propos d'un hypothétique mari, vraiment ? - elle aimait qu'on lui donne matière à discuter. Taciturne et relativement calme, elle ne se définissait pas comme bavarde, loin de là - excepté après six bières. Elle le regarda s'amuser dans le bassin, elle qui n'avait confié à l'eau que ses pieds, avant de scruter le ciel un court instant. Derrière eux, dans la ville, de la musique gonflait encore, et résonnait en se frottant aux pierres. Vint la question sur le pourquoi du comment de la fondation d'Ameyn ; le sourire qui passa sur ses lèvres tordit sa bouche. L'histoire aurait été bien longue, et elle ne pouvait pas se permettre de balancer toutes ses cartes ; cela faisait un moment qu'elle s'était rendue compte que les secrets étaient d'une préciosité inimaginable, et qu'une profonde sincérité n'avait rien d'une qualité - tout du moins, dans la sphère du pouvoir. Tout en continuant à remuer ses pieds dans l'eau, elle le fixa, ses yeux s'accrochant aux siens.
"Ameyn n'a pas une très longue histoire, mais ... Je la trouve surtout complexe, cette histoire."
Eyma s'extirpa un court instant de l'eau, ses yeux fouillant les horizons, à la recherche de quelque chose à boire. Une gourde traînait là - elle la huma, reconnut dans un frisson l'odeur du rhum.
"J'ai jamais vraiment rêvé de bâtir une ville. Je voulais surtout ... Mmh, une sorte de liberté, de totale impunité. Et c'est ce que m'a apporté cette ville."
Elle leva la gourde vers les lumières de la ville, trinquant avec les échos des feux qui l'animaient. L'eau tiède l'appelait ; elle revint s'asseoir, pour tremper à nouveau ses pieds dans le bassin. L'air devenait doucement frais ; des vapeurs s'extirpaient de l'eau en tordant leurs corps enfumés, avant de s'évaporer.
"Les gens me sont reconnaissants d'avoir fondé Ameyn, je pense que c'est pour ça qu'ils me respectent. Je gouverne plus ou moins le chaos, ou, en tout cas, l'endroit où les gens ont parfaitement le droit d'être violents - mais dans une arène. On vient ici pour se purger, se vider de sa violence, ou pour se cacher, ou se reposer ... En somme, rien de négatif, rien d'obligatoire. On ne fait que passer, on ne reste pas, sauf pour ceux qui ont ça dans le sang."
Elle avait joliment sifflé son "ça".
"Quant au reste, les rares qui ont tenté de me tenir tête ne l'ont fait que parce qu'ils ont oublié que les meilleurs combattants sont de mon côté."
Eyma ponctua cette phrase d'un petit sourire odieux, avant de boire une gorgée de rhum. Plus le temps passait, plus elle était imperméable à l'alcool - l'ivresse la fuyait pudiquement. Elle était passée, alors, de la production de bière à celle de rhum, en espérant qu'augmenter les degrés lui arracherait plus facilement le cerveau ; c'était le cas, mais elle savait que ce serait temporaire. On s'acclimate de tout, et elle ne pourrait pas lutter contre la métamorphose physiologique perpétuelle de l'être humain. Elle donna un petit coup à la gourde, pour la jeter vers lui.
"Et si vous voulez mon avis, un homme vaut une femme, et inversement ; le conditionnement physique n'est pas une fin en soi, nous sommes des êtres humains, nous nous transformons nous-mêmes, nous évoluons, voilà ce que j'en dis. Buvez, allez."
Il fallait dire que lui renvoyer ses ovaires et sa condition féminine dans la gueule, ça lui donnait des envies de refaire le monde. Elle se souvenait très bien de ce mariage qu'elle aurait dû accepter, pour sa famille, pour sa lignée, pour ces horreurs avec lesquelles elle était née sans le vouloir, et dont elle voulait d'ailleurs se séparer un peu plus chaque jour. Un mari ? Ce n'était pas envisageable. La perspective de posséder un harem lui plaisait à la limite davantage. Elle siffla entre ses dents, bien amusée par cette contradiction profonde qui semblait aux fondations même de son existence ; son besoin d'indépendance et de pouvoir, on le retrouvait partout, chez elle, sauf sexuellement. Elle en avait parfois honte, mais, la plupart du temps, ça l'amusait plus qu'autre chose.
"Et vous, alors, dites-moi donc ce que vous êtes, et de quelle situation mon cher ami vous a tiré ; bref, ce que vous faisiez avant d'atterrir dans ma charmante ville. J'en saurais un peu plus sur vous, de cette façon."