Dès que les notes s’élevèrent dans l'espace, Jena se mit à remuer des épaules. Elle aimait ce genre de petits sons, ça lui rappelait les bars où elle sortait, à la recherche de quelqu'un de bien capable de lui faire du bien. La plupart de ses relations se limitaient à ça. Le seul souci, c'est qu'elle avait du mal à distinguer les gens
biens des gens
mauvais et qu'elle vendait sa confiance à à peu près tout le monde. ZI.UA, elle, était nettement moins réceptive. Ancrée dans un univers musical où les voix et les instruments n'avaient pas leur place – oui, bon, elle se limitait à la musique électronique et toute sa culture – elle fronça un instant les sourcils, avant de s'habituer au rythme. Ah, que les raves lui manquaient, et les enceintes qui ronronnent, et la techno qui se colle au squelette et lui indique instinctivement quels mouvements adopter, et …
Si je fais la liste, ça va durer des plombes. Elle remarqua que sa montre s'était mise à clignoter, et se leva vite de son siège, pour pousser une porte au hasard. Porte qui donnait sur une chambre.
Soit. Elle voulait juste être au calme pour prendre son appel. Savoir qu'il était d'Alma la rassurait moyennement. La jeune femme referma soigneusement la porte derrière elle.
«
Mademoiselle ? »
« Oui, Alma ? »
«
Est-il nécessaire que je vous envoie Deirdre et Ludwig ? »
ZI.UA ne répondit pas tout de suite. Amener ces deux-là, c'était garantir et son indépendance, et sa sécurité. Cependant, sa conscience lui ordonnait de ne pas abattre ses cartes tout de suite. D'autant que Deidre semblait de plus en plus copier les mimiques d'Alma, jouant la carte de l'IA alors qu'elle n'en était pas pourvue.
Quoique j'en sais rien, en fait. Elle n'avait jamais disséqué Deirdre, chose qu'elle faisait d'habitude avec chaque organisme robotique. Alors qu'elle allait répondre, la porte s'ouvrit brusquement sur une Jena aux yeux pétillants.
«
C'est ici qu'on dort ? »
Elle n'attendit aucune réponse pour jeter son sac sur le lit. Elle ressemblait à une môme émerveillée. Le ton de sa voix ne cachait absolument pas son enthousiasme quasi infantile.
«
Aaah, j'adore ! J'adore, j'adore ! »
Jena rejoignit le sac, sur le lit, s'étendant de tout son long.
Eh bah, elle a l'air heureuse, au moins.«
Mademoiselle ? Alors ? Que dois-je faire ? »
« Je te tiens au courant, Alma. Garde-les moi de côté, pour l'instant. Si le besoin s'en fait sentir, je te demanderais de me les envoyer. »
«
Pourquoi tant de précautions ? »
« Ce vaisseau n'est pas très grand. Une personne de plus, et … Ah, Jena, tu as laissé la porte ouverte ! »
«
C'est grave ? »
« Peu importe. Alma, attends mes ordres. »
«
Comme vous le souhaitez. »
Même seule, elle ne l'était jamais vraiment. Cette constatation la fit soupirer d'horreur. Elle retira sa montre, et la jeta dans le sac. De son côté, Jena sortit une petite affiche du sac, et la plaqua au mur en sifflotant un petit air que ZI.UA ne reconnut pas. L'affiche était une
publicité assez vieille du World Trade Center. Même dans l'espace, elle avait eu vent de cette histoire. Ses parents étaient terriens, après tout. Cette pub faisait preuve d'une ironie assez tranchante. ZI.UA était partagée entre engueuler son amie pour cet humour cruel, ou rire avec elle. Elle se contenta d'un air profondément lassé, et secoua la tête.
« Tu es sérieuse, là, Jena ? »
«
Bah quoi ? Je personnalise, ce sera plus confortable. Ce sera notre petit terrier ! Et j'en ai d'autres, hein ! »
Nan mais c'est pas possible. Elle laissa là Jena, qui dépliait une deuxième
affiche sans s'arrêter de chantonner – cette fois, c'était sûr, cette fille était
au moins cinglée – et rejoignit les deux hommes. Ce voyage allait être drôle, elle le sentait. Au fond d'elle, elle espérait aussi que Jena avait plein d'autres petits posters de ce genre. Ça la faisait rire, quand elle y repensait.
« Je pense que … Jena a décidé d'où elle voulait vivre, mh ? C'est très dur de la contredire. »
La petite voix de son amie se faisait encore entendre. ZI.UA ne parvenait ni à définir la langue dans laquelle elle chantait, ni à deviner d'où cette mélodie venait. Elle se fit la promesse d'analyser un peu plus les capacités de Jena, au cours de l'expédition. Peut-être possédait-elle des facultés intéressantes. Et puis, en y réfléchissant bien, elle ne s'était jamais penchée sur son cas, au point d'ignorer de quelle planète son amie venait.
« Vous savez, je ne pense pas que vous nous verrez nous balader en ... »
La porte de la chambre s'ouvrit, laissant apparaître une Jena en gros pull blanc – au moins quatre fois sa taille – et … rien d'autre. Elle se baladait en pull et shorty, sans cesser de chantonner. Pas du tout gênée, elle s'approcha de la table, attrapa un classeur qui y traînait.
«
Je ne fais que passer ♫ ! »
« Jena, tu … Tes fringues ! »
«
Rooooh, c'est bon. »
… Et elle retourna dans la chambre qu'elle s'était désignée. ZI.UA commençait sincèrement à douter de sa candeur, se demandant si c'était un leurre qu'elle utilisait pour avoir tout ce qu'elle voulait – qui oserait refuser quoi que ce soit à une jolie nana à demi-nue et adorable – ou si elle était vraiment aussi naïve. Elle ralluma sa clope, qui s'était éteinte pendant son petit entretien avec Alma, et fixa à nouveau les deux mecs.
« … Je pense qu'on va bien rigoler. »
Elle avait lâché ces mots avec une certaine ironie. Oui, comme d'hab'. Les écrans affichaient la destination, X-Prim, et ZI.UA réalisa, à ce moment-là, que oui, ce voyage allait durer un moment et que oui, effectivement, avec un phénomène comme Jena, ça allait être une vraie partie de plaisir.