Encore quelques minutes passées à me démener pour rien. Tout ce que j’y avais gagné c’était de me prendre un bon nuage de vapeur sous pression entre les oreilles. Si je n’avais pas baissé la tête il m’aurait brûlé le museau, au lieu de quoi c’était ma fourrure un peu plus longue sur le haut du crâne qui avait subit l’avanie. Le froid se mêlant de la partie, j’avais l’air d’avoir amidonné mes cheveux en faisant exploser un truc en plein milieu au passage. Je hais ma vie.
Ma vie le sait d’ailleurs. C’est pour cela qu’elle s’arrange pour aligner les motifs d’agacement les uns derrière les autres. Si je croisais celui qui s’occupe de ma destinée je refuserais une partie de poker avec lui, il ne ferait que des suites. Pour le coup, la carte suivante s’est abattue en la matière d’un choc sourd contre la carlingue de mon vaisseau. Pour faire bonne mesure j’y répondis d’un choc non moins puissant de mon crâne contre la coque métallique au dessus de ma tête. Oui, j’ai sursauté, j’avoue. Faut dire que jusque là je n’ai pas croisé grand monde qui s’égaye sur les étendues désertiques de la toundra environnante.
En prenant plus de précautions, j’extrais mon crâne endoloris de là où je l’avais fourré. Une litanie de ronchonnements s’échappe de mon museau. Je vais encore avoir une bosse. Je déteste les bosses.
Surprise, enfin à moitié. Il y a une nouvelle venue, cela je m’en doutais. Je pensais avoir affaire à un terranide qui allait me demander de rendre des comptes pour être venue me promener avec un joujou tekhane sur le territoire de notre espèce. Mais non, même pas. L’autre n’est pas bien grande, comparée à moi. Je vois bien deux oreilles à l’arrondit lupin, et une queue qui affirme encore un peu qu’elle est moi ne sommes pas si différentes. Mais cela mis à part, rien qui m’incite à la confiance. Il y a toujours matière à embrouille lorsque quelqu’un d’inconnu surgit à l’instant même où vous êtes perdu au milieu de nulle part. Elle, je ne lui faisait clairement pas confiance. Ma main sur la crosse de l’arme tekhane que je portais à la taille le montrait bien. Elle n’a pas semblé s’en émouvoir plus que si je lui avais parlé du beau temps. Tout juste si elle a remarqué que c’était un peu mon vaisseau dans lequel elle allait fourrer ses mains pleines d’ignorance. Je ne voyais pas comment elle pourrait l’amocher plus qu’il ne l’était déjà avec ses petits bras. Je l’ai laissé faire. Temps mieux, elle devait m’observer depuis un moment car il ne lui a pas fallut dix secondes pour empoigner les deux tuyaux que je peinais à maintenir l’un contre l’autre. Un coup de fondeur et tout serait réglé ! Liberté !
Mes outils reposaient dans la fine couche de neige malmenée autour de moi. En fait, cela ressemblait plus à une grosse tâche bariolée faite de croûtes cristallisée. La neige avait fondu plusieurs fois, mais le froid l’empêchait de rester longtemps à l’état liquide. J’avais moi-même une pellicule glacée autour des pattes. Comme une andouille je n’avais pas pensé à enfiler mes grolles avant de sortir réparer mon veau. Depuis un moment déjà j’en pays le prix, je ne sentais même plus mes coussinets. Pour cette raison, tout comme le fait que mes doigts menaçaient de ne plus répondre non plus, je me dépêchais d’attraper un outil ressemblant de loin à un marteau à cheville. En l’appliquant contre la cassure des tuyaux il les fit rougir peu à peu. Un cercle parfait plus tard, le froid finissait de refroidir la soudure, assurant qu’elle ne romprait pas à cause de la ductilité du métal chaud. Parfait, il ne me restait plus qu’à sauter dans mon vaisseau et à mettre le chauffage à fond avant de me transformer moi-même en glaçon.
Un dernier souci m’empêchait toutefois de mener à bien ce rêve. Il fallait que je sache ce que me voulait l’autre, ou au moins que je la remercie. Nan, d’abord le chauffage, le multivers entier devrait attendre pour le reste. Je refermais donc rapidement la carlingue de mon vaisseau, me dépêchant de visser les différentes parties entre elles et de recoller parfaitement le métal là où j’avais dû le découper.
«Oh putain putain putain putain putain…» Furent mes dernières paroles ponctuées de buée avant que je n’ouvre le sas de mon vaisseau pour m’engouffrer dedans. Pensez-y si vous devez effectuer des réparations sur territoire terranide : le faire dans l’équivalent des sous vêtements, shorty et top de sport, c’est une très mauvaise idée. Après avoir rampé jusqu’au tableau de commande et relancé le bousin je retournais passer ma tête à l’extérieur. Je devais avoir l’air fine, le museau multicolore et crasseux à la fois, seule la marque du masque se découpant proprement. «Ramène tes fesses toi, j’ai des questions et je vais pas chauffer tout le pays !» Et pour le coup je ne comptais vraiment pas !
L’intérieur de mon vaisseau ressemble à une pelle vu de haut. Il y a un cylindre matelassé dans lequel je peux m’allonger et dormir. Mais je ne tiens guère qu’à quatre pattes et le dos bas dedans. Une foultitude de petits rangements se cachent dans la cloison, rien de bien énorme toutefois, le plus gros du vaisseau c’est de la machinerie. Tout au bout de ce qui s’apparente au manche de la pelle se trouve le cockpit. Il n’y a pas de vitre sur l’extérieur. Il faut être dramatiquement con pour en mettre une, c’est mon avis. Ce sont des caméras qui récoltent les images de l’extérieur, et des écrans qui me les montrent sur la paroi interne, comme si j’étais assise dans l’air sans coque autour de moi. Juste sous les écrans se trouve le tableau de bord, et encore en dessous quelques pédales et des outils de première nécessité. Pour ce qui est de la personnalisation… Il y a des paquets de sucreries éventrés un peu partout, une forte odeur de sucre et un vague relent de stupre. J’ai aussi quelques films et peut être un livre qui traînent. Une enceinte en forme de boule qui me sert de veilleuse, de la taille d’un pamplemousse, mais c’est tout. Bien carrée dans mon siège de pilote, le chauffage me cramant le visage, je me suis tournée en direction de la couchette pour vérifier que l’autre arrivait bien.
«Rabat derrière toi et fait pivoter la poignée sur la gauche. Après tu me diras qui tu es, d’où tu viens, et ce que tu faisais là. J’te déconseille de te foutre de ma gueule, j’ai beaucoup apprécié ton aide mais j’ai aussi toutes les raisons du monde d’être à cran. Sérieux, regarde ma fourrure ! Ma pauvre fourrure…» J’avais pausé mon fusil d’assaut en travers de mes cuisses tout en me lamentant sur l’état dans lequel je me présentais, canon braqué sur l’inconnue.