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« le: samedi 22 mai 2021, 11:04:09 »
Il avait une hanche légèrement plus basse que l’autre. C’était ce qu’observait Prisma Fabius, alanguie dans son lit, les draps en bataille et l’odeur de leurs étreintes encore emprisonnée dans l’atmosphère de la pièce, aux grandes fenêtres pourtant ouvertes sur un élégant patio. Le jour était levé depuis longtemps, et le tout jeune homme qui se rhabillait lentement avait encore la peau luisante de sueur. La Rousse, allongée sur le côté sans prendre gêne de son corps nu, admirait son dos à la fine musculature, sa nuque aux cheveux blonds taillés très courts, typique des soldats, en se remémorant les frais souvenirs de ses baisers. C’était un bel adolescent, dont elle ne se souvenait plus le prénom. Elle le savait en permission avant de rejoindre l’un des fronts d'Ashnard, et se sentait même légèrement altruiste d’avoir offert une nuit d’amour à un garçon qui serait mort demain, peut-être.
Le savoir peut-être défunt bientôt ne l’attristait pas, et ne l’empêchait pas de suivre les mouvements encore raidis par l’activité physique intense qu’il venait de produire, ses muscles endoloris et les marques des morsures qu’elle avait apposés sur ses épaules, ses côtes, ses fesses fermes. Un petit sourire tira ses lèvres au rouge écrasé, délavé de leurs baisers… Il venait de nouer sa tunique, et se tourna vers la Conseillère Royale, lui lançant un regard qu’elle connaissait si bien… Il ne voulait pas partir, il la voulait encore, et pire…
« Va-t-en, maintenant. »
Souffla Prisma, d’une voix où l’amabilité, la compassion, la tendresse étaient absentes. A peine trop douce pour que l’ordre ne siffle trop aux oreilles du militaire, pourtant habitué à obéir. Le jeune homme hocha la tête, et elle chercha à imaginer ce qui se tramait dans sa petite cervelle limitée. Comme il ne semblait pourtant pas bouger, la Rousse soupira, grognant d’avoir à bouger ou pire, se répéter. Etait-il sourd ? D’un mouvement de bras las, elle fronça les sourcils, et sa langue claqua sur son palais.
« Ne m'oblige pas à répéter. »
Le soldat glabre sembla enfin comprendre, à la grande satisfaction de la Conseillère, qui soupira d’aise lorsqu’il la salua, se courbant en deux dans une révérence raide ; ce simple geste faisait toujours son bonheur. Voilà pourquoi elle aimait les militaires. Obéissants, respectueux, bien dressés. Les gradés étaient parfois même bien plus rebelles que les simples soldats, mais pour Prisma, ils se valaient tous… Ils servaient Nexus, la Royauté, et donc elle. Ils savaient suivre les consignes, et la plupart ne réfléchissait pas plus que cela. Ils étaient parfaits. Et que dire de ces corps taillés pour les batailles… Son petit faible.
Lorsque Rhéa, son esclave favorite, pénétra dans sa chambre pour lui apporter des fruits frais et une boisson fumante, la Conseillère s’étira, et se laissa retomber sur son lit… Pourtant, il fallait qu’elle se lève, le Conseil devait avoir commencé sans elle, mais… l’envie lui manquait. Il fallut que cette idiote de domestique lui glisse, sur le plateau qu’elle posait sur un petit guéridon ouvragé, un rouleau de parchemin cacheté. Son œil vert tourna nonchalamment vers la missive, et le sceau la fit se redresser immédiatement. Son cœur s’accéléra en arrachant la cire, grognant sous la résistance du ruban noir qui entourait le papier, et le déroulant fébrilement. Le Conseil se tiendrait sans elle, réalisa-t-elle sans regret, en lisant les lignes avec avidité, une excitation naissant sur son visage où la constellation des tâches de rousseur était dévoilée par le manque de fards.
« Fais préparer un bain, et sors ma cape. » Prisma se leva à la hâte, alors que Rhéa s’inclinait à son passage, sursautant lorsque la femme de pouvoir s’arrêta devant elle, tournant à peine son regard vers sa possession. « Oh, et brûle ça. » Le temps de lui fourrer dans les mains le parchemin, la Conseillère Royale avait quitté la pièce.
Dans l’Auberge, l’odeur des oignons frits et de la viande soûle était perçante, agaçant ses narines délicates. Pourtant, même si cela l’indisposait, la femme aux cheveux de feu, dans une élégante cape de laine gris anthracite au col d’une fourrure blanche épaisse, ne paraissait en rien regretter d’être ici. Elle était entrée seule, dans des atours qui dénotaient légèrement avec l’ambiance de cet établissement. Cependant, il n’y avait pas suffisamment de clients à cette heure de l’après-midi, pour véritablement remarquer sa présence ; des soudards peu nombreux, habitués sans doute, un couple de voyageurs souhaitant rester discrets vu leur mise, et un homme atypique en train de lire.
Elle retint un sourire. Il avait été facile de le trouver, finalement. Ses informateurs avaient été justes dans leur description. La Rousse prit un instant pour l’observer, sans gêne aucune, la stature droite, avant de percevoir du coin de l’œil qu’on s’approchait d’elle. D’un geste machinal de la main, elle arrêta un petit homme souriant, dont l’enthousiasme l’agaça immédiatement, pour qu’il ne l’importune pas, mais se contenta de siffler en se forçant à être aimable.
« Apporte-nous ta meilleure bouteille de vin. »
Accompagnées d’une bourse qui tinta dans la paume de l’aubergiste de petite taille, ses paroles prirent tout leur sens, et il tourna les talons avec une joie encore plus perceptible. Prisma marchait déjà en direction de cette personne aux cheveux d’albâtre, facilement reconnaissable, les yeux d’émeraude fixée sur le livre qu’il consultait. Juste avant qu’elle n’entre dans son champ de vision, Prisma se constitua un visage plus doux, un sourire presque gêné, et cilla avec une innocence retrouvée.
« Excusez-moi ? »
Même sa voix semblait différente, alors qu’elle était désolée, pauvrette, de le déranger dans sa lecture. Elle ignorait ce qu’il avait fait. Elle ignorait qui il était. Mais elle avait été payée cher pour le faire regretter de s’être fait un ennemi important. Un petit raclement de gorge suivit ses mots, alors qu’elle baissait les yeux humblement, debout près de lui.
« Vous avez acheté cet ouvrage ? » Une pointe de déception semblait faire vibrer son timbre clair. A l’intérieur pourtant, la Rousse jubilait d’une excitation qu’elle ressentait toujours dans ces moments-là. Parce que le jeu commençait maintenant.