«
Stop ! STOP ! »
L’ordre de la Princesse n’était pas à destination d’Éclipse, car son puissant cheval était suffisamment intelligent pour savoir quand sa cavalière voulait s’arrêter. Il était dirigé vers l’homme chargé, officiellement, de la protéger. Devant elle, le cavalier arrêta sa monture. Le duo se trouvait sur une belle plaine en hauteur, à quelques lieues de Sylvandell. Un paysage magnifique s’offrait à eux. Le vent frais faisait virevolter les cheveux d’Alice, qui huma cet air en se rapprochant du rebord, voyant les pics montagneux s’élancer au loin, à des kilomètres. C’était toujours une vision paradisiaque, très belle. Alice l’observa en souriant, son cheval venant brouter un peu, en comprenant qu’il allait arrêter de courir comme un fou.
Dans les airs, un dragon volait paresseusement, recherchant une proie. Le duo était à la lisière de leur territoire de chasse, un endroit où il était formellement interdit d’entrer, car les dragons chassaient volontiers les humains qui s’y trouvaient. S’il était probable qu’ils ne chasseraient pas la descendante d’Erwan Korvander, Alice, en revanche, avait un peu plus de doute pour l’homme qui l’accompagnait. Un bel elfe ne serait pas refusé par les dragons. Le garde était engoncé dans une élégante armure légère, recouvrant toutefois tout son corps. Elle était impressionnante, mais pas très lourde, se composant d’une côté de mailles noire avec des morceaux d’armures dragoniques, qui avaient l’avantage d’être souples et résistants. C’était l’armure utilisée par une partie de la garde du château de Sylvandell, ceux chargés de protéger le Château, et, surtout, la dauphine du trône, la Princesse héritière Alice Korvander.
«
Il vole haut..., nota l’homme de sa voix mélodieuse, en observant le dragon.
-
Ils ont une vision très élaborée... En volant haut, ils s’assurant qu’aucune proie ne peut leur échapper. -
Elle serait meilleure que la mienne ? demanda l’homme, dubitatif.
-
Tu as de beaux yeux, mais tu as surtout de grandes oreilles. »
Un léger sourire espiègle traversa les lèvres d’Alice. Elle descendit au sol, se recevant sur ses bottes noires. La jeune femme ne portait évidemment pas de robe, ce genre de vêtements n’étant pas recommandé pour l’équitation. À défaut de robe, elle avait des habits qui, en réalité, sonnaient étrangement terriens. La tenue de cavalière classique à Sylvandell était affreuse et complexe. Elle portait ainsi une simple
chemise blanche rabattue sous un
pantalon en cuir rouge qui moulait légèrement ses formes. Elle portait des
bottes noires, sans talon, qui recouvraient une partie de son pantalon, et des
gants en cuir. L’ensemble, en définitive, formait une tenue assez confortable. Ses gants en cuir l’aidaient à mieux maintenir la laisse de son cheval, et à ne pas avoir froid aux doigts.
Alice marcha sur l’herbe, se rapprochant du rebord, tandis que son compagnon mettait également pied à terre.
«
L’endroit m’a l’air sûr pour une halte… -
Tu avais peur que des Nexusiens soient tapis dans les fourrés ? -
On n’est jamais assez prudents, Princesse. »
Alice esquissa un léger sourire, tout en défaisant ses gants. Le garde se rapprochait d’elle.
«
En tout cas, je vous félicite... Je ne pensais pas que vous étiez aussi douée avec votre cheval. -
Quand j’étais petite, mon père essayait désespérément de trouver une activité qui soit susceptible de me plaire, tout en étant liée à la charge royale. L’escrime fut une catastrophe, de même que la magie, ou l’apprentissage des arcs... Et, même si je dois encore continuer à apprendre à manier une épée, il n’y a que l’équitation que j’ai accroché...Filer au triple galop, sentir le vent sur mes cheveux, les secousses sur mes fesses... C’était...Très vivifiant. »
Ils avaient fait la course pour arriver ici. Éclipse était un destrier de guerre, qui avait été utilisé dans certaines campagnes ashnardiennes. Comme il était assez âgé, les écuries ashnardiennes avaient décidé de le renvoyer à l’arrière, et il avait fini par se retrouver à Sylvandell. Tywill l’avait offert à Alice. Éclipse était bien éduqué, et, s’il se fatiguait sur les longues distances, son galop était toujours assez impressionnant. Alice avait décollé devant les yeux de son partenaire, et avait rejoint la première, un grand sourire sur les lèvres, la fin du parcours. Son elfe s’était fendu d’une petite moue désapprobatrice, reprochant à Alice son «
manque de précaution ».
«
Les... Les secousses ? » demanda l’homme, prudemment.
Alice esquissa un léger sourire, et s’assit sur les fesses, écartant les jambes devant elle, en relevant la tête vers l’elfe. Ce dernier porta la tête à son casque, et se battit avec pendant quelques secondes, avant de pouvoir le défaire. Le casque ne permettait que de voir ses beaux yeux bleus, mais ils étaient dissimulés par l’ombre. Quand il l’ôta, Alice put voir devant elle le visage magnifique de
Melendil. Le bel elfe était l’un des gardes du corps d’Alice, et elle préférait largement sa compagnie à celle d’Obeyrn, un Commandeur. Oberyn avait un sens de l’humour certain, mais il avait connu Alice quand cette dernière tétait les seins de ses nourrices, et la voyait donc toujours comme une petite fille à materner... Et puis, il n’était pas aussi beau que Melendil. Quant à Hodor, le demi-géant qui la protégeait... Et bien, il ne pouvait pas vraiment monter à cheval. Melendil regarda encore le dragon, qui dessinait des cercles dans l’air, descendant progressivement.
«
C’est leur technique d’approche. Il a dû repérer une proie, et se débrouille pour descendre en cercles larges, afin que la proie ne sache pas qu’elle a été remarquée. -
Du moment qu’il ne nous attaque pas, nous... -
Tu as raison...Tu es tellement lent qu’il te boufferait tout cru, et je ne pourrais rien faire pour toi... »
Elle lui fit un sourire espiègle, qui amena Melendil à se rapprocher. Il côtoyait suffisamment Alice pour savoir que la belle blonde était d’un naturel assez joueur. Il se plaça face à elle, rapprochant son visage du sien.
«
J’ignorais que ma lenteur vous dérangeait, Princesse... Peut-être devrais-je aller plus vite quand je m’occupe de votre cas ? -
Tu n’y arriverais pas... -
Vraiment ? -
Bien sûr… Une Princesse ne ment jamais… »
L’homme sourit, et l’embrassa alors, s’allongeant progressivement sur elle. Alice poussa un soupir sous les lèvres de l’homme, et remua faiblement son corps. L’une des mains de l’elfe alla progressivement caresser ses hanches, et la Princesse répondit à son baiser sans difficulté. Melendil avait de très belles lèvres, et il ne se passait pas une journée sans qu’Alice ne reçoive de lui un baiser. Le baiser allait en se prolongeant, et aucun des deux n’entendit le hurlement poussé par Yû. Tout ce qu’Alice sentait était l’érection naissante de Melendil, et elle soupirait de plaisir... Quand un rugissement tonitruant déchira l’air.
*
RRRRRRRROOOOOOOOOOOOOOAAAAAAAARRRRRRRRRRRRRRRRRRR*
Melendil se redressa subitement, et Alice cligna des yeux. L’homme avait instinctivement porté la main à la garde s on épée, et Alice gloussa.
«
Un petit couinement suffit-il donc à effrayer mon garde du corps ? Ce n’est rien, il a du trouver une biche, et est fier de sa proie... Il doit être en train de lui déchiqueter les jambes après ‘lavoir fait cramer, et de... »
Elle ne put achever, car une main se posa sur ses lèvres. Melendil avait effectivement de grandes oreilles, et c’est ainsi qu’il put entendre, grâce à l’écho, les hurlements d’un homme.
«
Il poursuit un être humain ! »
Alice cligna des yeux, en comprenant que ce n’était pas une vulgaire biche que le dragon chassait.
«
Je vais aller le secourir, restez-là ! -
Mais... -
Restez-là ! »
Le ton de l’elfe n’était plus joueur. Il récupéra son casque, le remit en place, et remonta sur son cheval, et l’étrenna. Alice cligna des yeux, en voyant Melendil détaler à toute allure. Elle se releva lentement, et entendit à nouveau le dragon rugir.
*
Il n’a pas eu sa proie... Et ça l’énerve...*
Elle alla récupérer ses gants. Certes, ce n’était pas prudent d’aller voir un dragon énervé, même quand on avait le sang d’Erwan Korvander, mais Alice ne pouvait tout de même pas laisser Melendil face à un tel monstre.
Le dragon fondait sur sa proie, battant majestueusement des ailes. Il la rattrapait rapidement, et tenta de lui arracher une jambe... Mais la proie esquiva, et les dents du dragon claquèrent dans les airs. Ses lourdes pattes heurtèrent le sol pour le réceptionner, et il s’envola à nouveau, décrivant une boucle, avant de fondre à nouveau sur sa cible. Les Deux-Pattes étaient comme de juteuses petites souris, pour lui. Il savait qu’elles étaient joueuses, et cherchaient à s’échapper, à se soustraire à son autorité. Ici, les dragons étaient des maîtres, et n’avaient pas à se soumettre à l’autorité absurde des Deux-Pattes qui vivaient de l’autre côté des montagnes, sous peine d’énerver le Patriarche. Le dragon fondit à nouveau sur sa proie, et cracha du feu. Le feu fila droit vers la cible...
Et, alors qu’elle allait l’atteindre, un cavalier surgit de nulle part, et attrapa l’homme par la taille, le soulevant comme une plume, les flammes léchant le cul du cheval. Le dragon rugit de rage, frustré de voir que, dans sa précipitation, il n’avait même pas pensé à regarder si une autre proie ne se rapprochait pas. Le cheval galopait rapidement, tandis que le cavalier, d’une main experte, remit la proie devant lui.
«
ACCROCHEZ-VOUS !! » hurla le cavalier à l’homme.
Le dragon comprenait la langue des Deux-Pattes, mais il ne la parlait pas. Mais cette voix... Cet accent mélodieux, malgré le timbre grave dans sa voix, lui rappelait une autre espèce que les traditionnels Deux-Pattes.
Battant à nouveau des ailes, le dragon se rapprocha, et souffla à nouveau, les flammes poursuivant le cheval, formant un mur de feu derrière les deux proies.