Eleanor ne démordit pas, et à son allure, Serenos comprit qu'elle était déterminée à faire de lui un allié. Elle s'approcha de lui, sa petite carrure semblant plus petite encore devant les flammes de la cheminée, lui donnant un air réduit. Pourtant, il voyait bien dans ses yeux qu'elle avait la force d'une géante, et le courage qui y était associé. Cela lui plaisait. Une femme était trop souvent réduite, en ces contrées, à une pièce d'échange politique, bonne qu'à être mariée au plus fortuné. Il le savait, cependant, celui ou celle qui s'arrogera la valeur requise pour demander sa main devra la démontrer, pas seulement la clamer, et il aimait cette image.
Elle lui présenta une clé. L'objet était simple, mais brillait à la lumière des flammes comme pour signaler son importance. La clé en elle-même arborait un panneton simple, mais sa tête, elle, était ornementé de symboles. Il comprit, à ce simple coup d'œil, que la clé était autant une chose physique que magique.
"La tour d'argent."
Son regard se leva vers Eleanor, et il eut un sourire.
"Je vois que vous prenez la situation avec le sérieux qui lui est dû. Fort bien."
Il plongea la main dans la boite et en tira la clé, qu'il enfourna sans cérémonie dans sa poche. Elle lui expliqua devoir reprendre sa place sur le trône, et il sut que leur rencontre tirait ainsi à sa fin.
"Je ne prendrai que quelques hommes pour cette tâche. Les autres vous tiendront "compagnie", le temps de mon absence."
Par compagnie, il entendait bien sûr qu'il les plaçait là parce que la garde ne suffirait pas en cas d'invasion. Si le voile se déchirait, même en mesure réduite, il lui fallait des gens habitués à combattre ces créatures, qui étaient assurément les choses les plus éloignés de la forme humaine, pas des gardes qui n'avaient jamais qu'intervenu dans des disputes entre nobles. Pas qu'il souhaitait insulter la garde royale nexusienne, mais Nexus n'avait pas eu à vivre ce genre de phénomène depuis des siècles, et ceux qui en avaient l'habitude étaient soit non-affiliés à l'armée, soit déjà sur le front à lutter contre les engeances dépêchées par Mordred.
Il la salua simplement, puis il se dirigea vers la porte, faisant un bref arrêt en posant la main sur la poignée. "Eleanor," dit-il en tournant la poignée, "quoi qu'il arrive, ne perdez pas espoir. Ce n'est pas votre dernier combat, certes, et la victoire est loin, mais elle existe."
Et il ouvrit la porte, passant de l'autre côté et la refermant derrière lui, avant de suivre les couloirs qu'il avait, à une époque qu'il peinait à remémorer, parcouru de si nombreuses fois. Le regret l'assaillit, comme à l'époque, et il dût lutter contre la mélancolie qui cherchait à s'emparer de son cœur. Il chassa cette émotion et s'avança dans les couloirs, sentant malgré lui les regards des anciens Ivory, comme s'ils l'accusaient d'être responsable de la disparition de leur unique héritière légitime, mais il se refusa à les écouter.
Une fois près de l'entrée du Palais d'Ivoire, il rencontra Alessa.
"Alors ?" demanda-t-elle. "Rentrons-nous ?"
"Non," répondit le Roi. "Nous allons aider."
Le regard renfrogné d'Alessa trahit son agaçement, mais il l'ignora. La Matriarche n'avait que faire de tout ce qui ne touchait pas à Meisa et les Meisaens, et cela donnait parfois l'illusion qu'elle était fermée d'esprit, mais au contraire, c'était justement parce qu'elle était capable de voir les dangers qui pesaient sur sa nation qu'elle était si désespérée de rentrer, pour se préparer à la tempête qui, inévitablement, menace de se propager jusqu'à leur foyer.
"Prend dix de nos guerriers les plus vaillants," dit-il, "et dix autres. Déploie-les dans le palais, avec consigne de protéger la Grande Duchesse. Toi, moi et les dix autres iront prendre d'assaut la Tour d'Argent."
"C'est à une demi-lieue, sire ! À pied, c'est…"
"Je sais. Ce n'est pas idéal, et il y a de grande chance que le voile soit perforé dans notre déplacement. Je veux que nos hommes restants se déploient dans la ville, en groupe de cinq ou de dix, et cherchent ces fissures. Qu'ils protègent le peuple."
"Et les Nexusiens ?" Cracha-t-elle. "On doit faire le travail pour eux?"
Le Roi posa sur la jeune femme un regard sévère. Parfois, la langue d'Alessa lui semblait être un lourd fardeau, d'autant que par son statut de Matriarche de Meisa, elle était probablement l'une des entités les plus respectés de Meisa, et donc avait le pouvoir et l'autorité requise pour se dispenser du protocole.
"Le plus vite cette situation sera réglée," dit Serenos en posant une main sur l'épaule de la guerrière. "Le plus vite nous rentreront chez nous. Fais ce que je te demande, Matriarche. Ceci n'est pas un ordre de ton Roi, mais une requête."
Elle soutint son regard un moment, visiblement prête à lui opposer sa volonté, mais plus elle le défiait du regard, plus elle se décourageait en voyant qu'il ne changerait pas d'avis. Elle lâcha un soupir et repoussa sa main avant d'aller s'exécuter et distribuer les ordres.