« Sylvandell est une région dangereuse, en effet. Ce n’est pas pour rien que nous en interdisons l’accès aux non-initiés.
- Sage initiative, cracha le Roi en se redressant, avant créer une zone sans oxygène pour étouffer le feu.
Le Roi allait leur lancer une réplique cinglante comme lui seul savait les faire, mais quelque chose le retint. Comme si d’un coup, le monde entier lui donnait une impression d’hostilité, il se sentait épier de tous les côtés. Sa sensibilité très poussée face à la magie l’informait que quelque chose de puissant et de profondément malveillant avait posé son regard sur eux. Kynarth et Cirillia n’en ressentaient probablement pas les effets, mais même si son sens magique n’était pas près de celui du Roi, Nyoron devait avoir également ressenti cette oppressante atmosphère. Le Roi se redressa et sonda les environs d’un regard inquisiteur, mais aucune vie intelligente ou même animale ne s’était approché d’eux après l’assaut des Wargs. Quelque chose les étudiait, et le Roi reconnut l’aura malveillante d’une créature qui cultivait dans les ombres une haine infinie pour tout ce qui vivait depuis des millénaires. Le Roi fit signe à ses compagnons de se baisser le plus près possible du sol puis il relâcha son contrôle sur son corps astral, s’éveillant à l’entremonde.
Une fois éveillé, il vit qu’il n’avait pas tort; dans le plan astral, plusieurs milliers d’yeux le fixaient; les arbres, les pierres, les insectes, tous le regardaient avec leur sombre énergie sous l’influence de l’aura malveillante. Visiblement, son opposant cherchait à l’intimider, mais le Roi de Meisa n’était pas le genre d’homme à se faire avoir par de simples démonstrations d’illusions. Le Roi leva alors les mains et le vent, dans le monde réel, se mit à tourbillonner autour de son corps. Plus sa concentration augmentait et plus le vent devenait puissant, jusqu’à ce que, soudainement, le monarque de Meisa ouvre les yeux et tend une main devant lui dans un geste d’agrippement et resserre les doigts.
« Je te vois. »
Dès qu’il prononça ces mots, le vent s’écarta brusquement et un puissant son de tonnerre se fit entendre alors que le Roi déchainait son pouvoir dans le plan astral pour assaillir son opposant avec toutes ses forces. Il s’attendait à le voir désintégré sous cet assaut, mais l’entité se contenta de se volatiliser, échappant quoi que gravement touché à cet assaut magique. Lorsqu’il revint au monde de la matière, il lança un regard à ses compagnons. Ils devaient le prendre pour un fou, mais que lui importait. Son air grave, voire furieux, laissait présager que le moindre commentaire désobligeant ne resterait pas impuni, peu importe les conditions politiques qui restreignaient les actes des étrangers. Fatigué par l’usage de la magie, il rabattit sur son visage sa capuche pour masquer les cernes qui naissaient sous ses yeux ainsi que ses traits de plus en plus creusés par le manque de sommeil et de longues périodes d’effort qu’il s’imposait. Sans un mot, il se mit à marcher devant la troupe. Ses yeux, normalement d’un bleu pur et magnifique, étaient maintenant rouges comme des braises de flammes. Il ne savait pas ce que voulait son ennemi, mais devant tant de malveillance, il ne contenait presque plus sa propre noirceur, et il ne voulait pas alarmer ses compagnons; les gens avaient tendance à se montrer plutôt hostile devant les créatures dangereuses, et déjà que marcher près d’un sorcier de son calibre n’était pas particulièrement rassurant, s’ils pouvaient voir le mal qu’il contenait en lui, ils auraient tôt fait de se retourner contre lui.
Après quelques lieues de marche en silence, le Roi cessa d’avancer. Le refuge ne devait pas être bien loin, cependant, il n’était pas plus motivé que cela à aller le rejoindre. Il se tourna vers ses compagnons et leur fit signe de poursuivre devant lui.
« Prenez un peu de repos, à l’abri. J’ai besoin d’un peu de solitude. »
Les « accompagnateurs » du Roi n’avaient pas de doute à se faire; il n’était pas du genre à attirer des problèmes à autrui si cela ne servait pas ses intérêts. Le Roi avait une excellente réputation à ce niveau. Il regarda une dernière fois ses compagnons, sans les laisser voir ses yeux, avant de rebaisser la tête et se marcher en direction opposée du refuge. Comme gage de son honnêteté, il pressa contre la poitrine de Kynarth la garde de l’Épée Royale, avant de se pencher sur son épaule et lui murmurer à l’oreille.
« Ne la dégaine sous aucun prétexte, Commandeur. Cette Épée a en elle une haine cultivée soigneusement pendant des millénaires pour pouvoir terrasser n’importe quel ennemi. Sans le Sang, tu es sans défense contre son pouvoir; elle te dévorerait et ferait de toi son esclave jusqu’à ta mort. »
Ce n’était pas une menace, mais une mise en garde; étant porteur d’Ehredna depuis plusieurs siècles, il connaissait mieux que quiconque le pouvoir qui se cachait derrière cette lame noire. Dans les veines du Roi de Meisa se trouvait un sang beaucoup plus ancien que celui des Premiers Nés; non seulement descendant d’Uther le Gardien et d’Ehredna, il était le seul être sur cette planète à avoir eu la chance de recevoir le sang d’une authentique Ashansha; la Sorcière Mélisende. Sans la protection de ce sang magique et très puissant, un être humain normal ne pouvait manier l’Épée du Roi sans être presque instantanément subjugué par son pouvoir et perdre sa volonté au profit de celle de l’Épée. Une fois qu’il fut sûr que le Commandeur avait compris ses ordres, il relâcha l’Épée, posa une main sur son épaule avant de se diriger vers le sentier en silence.
La magie en lui était agitée par cette confrontation inattendue, et le désordre intérieur était l’ennemi de tout bon magicien, et c’était d’autant plus vrai pour les sorciers comme le Roi, qui avaient une plus grande affinité avec les ténèbres que leurs compères magiciens. Pour regagner son calme, il avait besoin de quiétude, et la proximité avec des Sylvandins ne cessait de ramener à son esprit l’arrogance de leur monarque. Aux yeux de ses compagnons, il disparut dans la forêt. Une fois à bonne distance de tout être susceptible de le déranger, sachant que les bêtes ignoraient pour la plupart jusqu’à son existence, il s’immobilisa et ferma les yeux, s’efforçant de réguler sa respiration et de penser à quelque chose de positif. Au début, rien ne lui vint. Puis, en cherchant plus loin dans sa mémoire, un souvenir, aussi précieux qu’un diamant à ses yeux, lui revint en mémoire.
A -16 et quelques mois
Nexus
Les doigts de Nöly serrèrent les siens contre son ventre arrondi, dans une zone précise de son ventre. Ne sentant rien sur le moment, il crut un moment qu’il n’aurait pas la chance de constater par lui-même le changement qui s’opérait en elle, quand tout à coup, un petit coup frappa contre sa paume; quelque chose avait remué sous la peau de la noble femme. Un sourire ravi se dessina sur le visage du Roi de Meisa alors qu’il se penchait sur sa si chère amie pour la serrer dans ses bras avec chaleur, lui faisant part de ses félicitations et de sa propre joie de voir enfin un des nombreux rêves de la grande dame se réaliser, après autant d’années d’effort. Le Roi savait que la conception d’un enfant ne se faisait pas toujours aisément, mais il avait trouvé curieux qu’un couple aussi sain et solide que celui du Lion de Nexus n’avait pas encore réussi à produire un héritier, et lorsque Nöly s’était enfin annoncée comme étant enceinte, il fut l’un des premiers soulagés; il commençait à craindre que quelqu’un ou quelque chose neutralisait volontairement la fécondation de la Reine, ce qui l’aurait amené à faire enquête pour chercher un responsable. Visiblement, cela n’avait pas été nécessaire.
« C’est merveilleux, Nöly. Je suis très heureux pour toi.
- Merci, Sombre… Liam insistait pour que je vienne en Meisa avec lui, mais avec le bébé, je craignais devoir prendre le bateau.
Le Roi comprenait cette anxiété. Les enfants à venir étaient rarement très résistants, et la vie en bateau n’était guère appropriée à leur bon développement. Ils auraient pu lui épargner un voyage en bateau, mais en tant qu’expert, il savait que la magie et les bébés faisaient rarement bon ménage, surtout que téléporter une personne qui n’était pas soi-même était déjà très difficile, il devait avouer qu’il n’oserait pas tenter l’expérience avec une femme enceinte; une erreur de calcul ou même de prononciation et l’enfant risquait de ne pas atterrir au même endroit que sa mère. Il prit doucement la main de son amie, mettant un genou en terre et posa son front sur ses doigts. Dans sa tradition, ce geste démontrait à la jeune femme son estime et surtout sa profonde affection. Avec Liam… une bonne bagarre suffisait à démontrer son respect; il n’avait pas besoin de chercher dans le protocole Meisaen pour trouver une méthode plus civilisée. Et de toute façon, s’il cherchait à faire du protocole devant lui, il risquait fortement de le vexer.
Présent
Sylvandell, près du Territoire des Dragons
Le souvenir s’effaça tranquillement de sa mémoire, laissant place à l’habituel calme qui habitait son âme. Une culpabilité sans fond lui saisissait pourtant le cœur. Liam avait toujours été au courant de l’amour profond qu’il avait voué à son épouse, et plutôt que de lui en tenir rigueur, il avait considéré la chose comme la garantie de la loyauté de son ami envers sa femme, et il savait que quoi qu’il puisse lui arriver, Nöly aurait été en sécurité si le Roi de Meisa devait la prendre sous son aile. Il n’en eut jamais l’occasion, car très peu après la naissance d’Elena, Nöly et Liam lui avaient été ravis, et malgré son désir de se mettre lui aussi à la recherche d’un coupable, il fut lui-même considéré comme l’un des suspects, ce qui l’empêcha de se lancer sur la trace du possible régicide. Il se heurta même au refus de l’ensemble de la noblesse Nexusienne lorsqu’il demanda le droit de recueillir Elena en Meisa, où elle aurait pu être en sécurité jusqu’à sa maturité. C’est environ à ce moment-là que Meisa brisa ses ententes envers Nexus, et lorsque le Conseil de Régence lui demanda de leur ouvrir ses voies commerciales sous peine d’être considéré comme un ennemi de l’État, il n’eut droit qu’à une seule et unique réponse : « Venez, je vous attends ». Et Nexus ne s’en prit, finalement, jamais à Meisa.
Une fois de « meilleure » humeur, il quitta la forêt et reprit la route en direction du refuge. Il était presque arrivé, à une dizaine de mètre tout au plus quand, inexplicablement, une douleur intense lui prit la tête et il posa un genou en terre en se la prenant à deux mains. Une voix fantomatique s’éleva dans sa tête, hurlant une phrase, qui lui donna un énorme frisson.
« ALL HAIL THE CRIMSON KING! »
La douleur décupla soudainement et une vision horrifiante s’imposa à l’esprit du monarque de Meisa. Il vit d’abord Shunya, l’appelant à l’aide alors qu’un homme la violait et la tailladait d’un couteau alors qu’une dizaine d’hommes en capuchonnés s’abreuvaient de son sang. Il ne reconnut pas la silhouette en rouge qui l’agressait ainsi, mais lorsqu’il tourna la tête, il vit deux yeux d’un rouge de braise qui le fixaient. Selon l’angle des paupières, il pouvait aisément deviner le rictus qui s’y cachait, et cela en rajouta davantage à l’horreur qu’il en tira et sa colère. Puis, il vit la Sorcière Noire, le visage ensanglanté, accompagnée de Nyoron, Kynarth et Cirillia, et tous assaillaient une forme en rouge. La vision fut ensuite suivi par une autre, mais pas d’un futur possible; d’un passé bien réel; le visage sereinement résigné de Nöly alors que l’énorme raz-de-marée s’approchait du Royal Wing.
Lorsque la douleur s’estompa enfin, après les visions, le Roi toucha instinctivement ses yeux et sentit quelque chose de chaud sur ses doigts; il avait du sang sous les yeux. Saisissant une gourde d’eau, il se rinça les mains puis se nettoya le visage en vitesse avant d’entrer dans le refuge. Il n’était pas quelqu’un de particulièrement sujet aux visions et aux prophéties; de toute sa vie, il en avait eu trois. La première fut lors du décès de son père, la seconde une semaine avant la mort de Nöly et Liam et finalement ce jour-même. Ce qui l’angoissait, c’est que ces trois visions s’étaient réalisées, et ils avaient tous un rapport très puissant avec la magie noire. Une fois entré, il s’attabla et fit apparaître sur la table un réel buffet comme aucun voyageur n’aurait eu l’imbécilité de trimbaler avec lui. Et la nourriture était encore chaude. Le Roi agrippa immédiatement une miche de pain, le trempa dans une espèce de sauce rouge clair et l’enfourna violemment dans sa bouche avant de faire voler une cruche de vin vers lui et s’envoyer une bonne gorgée du liquide.
« Venez manger aussi, si vous avez faim, grogna-t-il sans vraiment s’adresser à personne. Il y en a assez pour tout le monde. »
Et ils n’y virent que la mort.
Le pressentiment de Serenos se démontra être véridique; quelque chose d’inhabituel devait se produire ou s’être produit dans ce village avant leur arrivée pour qu’un Sorceleur juge qu’il y avait du pognon à se faire. Le Roi devança ses camarades et s’approcha d’un cadavre, qu’il retourna prestement pour voir son visage. Lorsqu’il vit les traits du mort, tirés vers l’arrière comme sous une bourrasque de vent, et la façon dont son visage était écrasé sur lui-même, il sût que cette mort n’était pas de cause naturelle, mais bien magique; quelqu’un lui avait magiquement écrasé le visage pour l’empêcher de respirer. Et qui que ce soit, il se fichait bien de ceux qui pourraient découvrir ses ravages; il n’y avait aucune tentative de masquer les traces. Il se redressa puis observa les vêtements de l’homme avant de hausser un sourcil, puis d’agripper l’homme par le bras et de le tirer vers le centre du village. Il s’empressa de rejoindre un autre cadavre à grandes enjambées, de s’emparer de lui et de le ramener au centre à son tour, juste à côté de son concitoyen. Il répéta le processus avec plusieurs cadavres puis il leva les mains avant de magiquement faire disparaître les vêtements de ces pauvres bougres, révélant alors leurs corps ensanglantés. En suivant les blessures, ses camarades constatèrent par eux-mêmes la raison de son étrange comportement. Sur le cadavre de ces gens se trouvaient un message inscrit dans le sang des victimes.
« All Hail the Crimson King… » Prononça le Roi, les bras croisés sur sa poitrine. « C’est d’un mauvais goût… »
Le Roi regarda ses camarades et leur demanda de rassembler les morts au centre du village et si possible de préparer des rites militaires pour les défunts; ces rites étaient normalement les plus rapides et moins propices à la perte de temps, mais cela ne les privaient en rien de l’hommage adressé. Pour Serenos, ces funérailles étaient l’équivalent d’une poignée de main au moment d’un départ; c’était poli, mais sans plus, et adapté à ceux qu’il ne connaissait pas ou qui ne le connaissaient pas. Le Roi était néanmoins très strict sur les massacres; il ne fallait oublier personne; trouver chaque victime pour que tous aient droit à ces adieux. C’était une tâche laborieuse, qui nécessitait de considérer aussi les trajets de fuite de ceux qui auraient tenté de partir avant d’être sauvagement tué. Le Roi s’affaira, avec entêtement, à cet ouvrage, ignorant superbement ceux qui voudraient qu’ils pressent le pas. Une fois que tous furent rassemblés, incluant quelques chiens et chats également massacrés, le Roi éleva magiquement un bûcher funéraire, fournissant des vêtements aux morts ainsi qu’un sommaire nettoyage magique pour les rendre présentable, et il les plaça sur le bûcher. Grâce à différentes énergies, il put même reconnaître certains couples, bien que parfois, à son grand embarras, un homme ou une femme se retrouvait étrangement avec deux partenaires. Il grommela d’agacement et embrasa sommairement les cadavres.
Après plusieurs minutes de réflexion, le Roi établit qu’aucune de ces gens n’était le Sorceleur, ce qui voulait dire que celui-là devait encore être en train de rôder dans les environs. Il pourrait décider de le pourchasser pour lui arracher ses informations, mais il ne voulait pas perdre plus de temps que ce qu’il en avait déjà perdu pour chercher un tueur de monstres qui n’aurait rien à gagner dans un tel massacre, sauf de l’argent, mais très peu vont jusqu’à blesser des humains pour s’approprier leurs biens légitimes, quoiqu’ils n’avaient que très peu voir aucun scrupule à s’emparer des biens volés, soit pour en récupérer la récompense. Le Roi se tint debout devant les cadavres restants puis alors qu’il allait en faire glisser un autre dans les flammes, un objet tomba au sol. Surpris, l’homme se pencha pour récupérer ledit objet et l’examina. Il s’agissait d’un petit médaillon. Mais il n’était pas attaché au coup de celui qu’il allait balancer aux flammes; il l’avait dans la main au moment de mourir. Il fit tourner l’objet entre ses doigts pencha la tête pour poser l’objet contre son front. Il y détecta immédiatement de la magie, mais pas seulement; cette magie était très puissante, mais pas en elle-même; quelque chose lui donnait une intensité considérable. Il ouvrit alors son esprit à cette force étrange et capta une âme d’une incroyable pureté, sans être celle d’une Innocente. Le Roi blémit puis serra le collier contre lui, comme pour rassurer la malheureuse enfermée.
Il regarda alors les ravages environnants et comprit que ce n’était pas l’œuvre d’un seul mage noir; un véritable Confrérie s’était rassemblée sur ce territoire et s’était servi de ce village comme le fermier de sa ferme; ils avaient récupéré toutes les âmes qui y vivaient. Il comprit alors que quelque chose de sinistre se tramait, et pas simplement à cause de son ex-femme et de sa troupe de malfaiteurs; quelque chose de noir se tapissait en Sylvandell, quelque chose que les Sylvandins ne pouvaient ignorer mais qu’ils ne considéraient pas à sa juste valeur la menace que ce « quelque chose » représentait.
Le Roi avait une véritable haine pour la magie noire, spécialement celle utilisée dans l’optique de faire le mal; lui-même avait déjà utilisé l’occulte pour saper les efforts de ses ennemis ou changer l’issue d’une bataille, mais jamais pour simplement faire le mal. Lorsqu’il voyait de tels massacres sous ses yeux, il n’arrivait pas à croire que tous les pays n’étaient pas fournis en magiciens compétents capables de tenir les mages noirs en respect lorsqu’ils tentaient une catastrophe. Même à Nexus, malgré la gestion horrible du Conseil de Régence, Serenos n’avait pas à faire trois descentes par semaine pour éliminer un mage noir, alors qu’en Ashnard, c’était presque une prérogative de magicien d’être capable d’infliger d’horribles supplices à ses ennemis. Mordred passait encore, mais il avait espéré qu’Altarmaroth était le seul endroit où les mages noirs proliféraient librement. « D’un côté, ceux qui asservissent les corps des hommes et des femmes, et de l’autre, ceux qui asservissent les âmes de ces mêmes personnes. Ce monde est une vraie manufacture, gérée par des monstres assoiffés de pouvoir. Et parfois, lorsqu’il se regardait lui-même, il se demandait s’il était réellement différent des personnes qu’il pourchassait.
Il se tourna alors vers ses compagnons et les regarda, froidement, aussi impérieux que possible, les poings serrés. Ils pouvaient remarquer ses efforts pour contrôler sa colère, mais il ne pouvait pas trouver de paroles moins glaciales pour s’adresser à eux. Il commençait sincèrement à suspecter les Sylvandins de ne pas être que des fanatiques de Dragons.
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Les chariots, en réalité, ne traînaient pas des rondins de bois. Ils étaient à l’arrêt, et c’est ce que Cirillia nota en se rapprochant. Il y avait des cadavres sur le sol, probablement les bûcherons du clan.
« Seigneur, non ! » s’exclama Nyoron.
Ciri’ se rapprocha, la main sur la garde de son épée. Kynarth se sentait également nerveux. Devant la porte d’entrée du village, deux hommes avaient été crucifiés contre le mur en bois, et un sinistre drapeau flottait à l’entrée. Un drapeau blanc avec un signe et des lettres tracées avec du sang figurant dessus. Un signe qui fit frissonner Kynarth, car il lui évoquait bien des légendes ashnardiennes, des contes dont on n’osait pas parler trop, de peur d’effrayer ceux qui les entendaient :
(http://files.myopera.com/rexbones/albums/9948132/All%20Hail%20the%20Crimson%20King.jpg)
Hommes, femmes, enfants, vieillards... Le clan était un mausolée, la ville un cimetière. Ils avaient tous été tués, massacrés par une quelconque force obscure. Vu les traces de sang coagulé, le massacre remontait à plusieurs jours, probablement juste après le trajet de Nyoron. Affecté, ce dernier avançait dans les maisons, observant les corps. Ciri’ et Kynarth s’approchèrent d’un cadavre dans une ruelle. Ils l’inspectèrent, et constatèrent rapidement qu’il n’avait pas été tué par des couteaux, ou par des poignards.
« C’est la magie qui les a tués... La magie noire est à l’œuvre ici, une magie puissante et sinistre. »
Cirillia sentit un frisson la traverser. La magie était un élément avec lequel elle était peu familière. Elle savait qu’elle avait des affinités magiques, comme en témoignait le fait qu’elle avait pu ingérer l’âme d’un dragon, afin de renforcer ses capacités, mais, pour autant, elle était loin d’être une magicienne. Kynarth, en tant que Commandeur, avait des affinités magiques renforcées, et maîtrisait même certains sorts. Lentement, il entreprit de rassembler les cadavres. Ciri’ décrocha ceux à l’entrée. Si certains avaient été égorgés, la plupart avaient tout simplement été tués par la magie noire, qui avait du faire rage ici. Le clan comprenait une cinquantaine d’âmes, et était désormais une ville fantôme, une ville qu’il allait falloir repeupler.
Nyoron était lourdement affecté, mais il savait qu’il fallait organiser un charnier. Les cadavres des morts ne pouvaient pas rester hors d’une tombe, car ils attireraient les créatures nécrophages. Il était, de fait, tout à fait possible qu’il y en ait déjà qui soient là, vu que les cadavres pourrissaient depuis plusieurs jours. Les cadavres regroupés, Kynarth et Cirillia essayaient également de savoir si les ennemis n’avaient pas laissé d’indices. Ils trouvèrent, dans la salle municipale, des coffres percés, ceux abritant les cartes de la région. Les agresseurs avaient du les ravir. Cependant, pourquoi avoir massacré tous ces gens ? Était-ce simplement par plaisir ? Kynarth semblait y réfléchir.
Le soleil vint à se décliner lorsque les cadavres furent empilés au cœur du village, sur un bûcher. Malgré le froid ambiant de la région, Kynarth était tout de même en sueur. Cirillia déposa le dernier cadavre, le visage fermé. Cette scène lui rappelait une autre scène de son enfance, où les maisons brûlaient, et où il en restait plus que des cadavres et des cendres. Une image traumatisante, qu’elle retrouvait ici. Ces gens qu’ils traquaient étaient bien réels, et constituaient une menace sérieuse.
« Il va nous falloir des renforts, glissa-t-elle à Kynarth.
- Nous allons envoyer un corbeau pour avertir le Château de ce qui se trame ici. Ce ne sont pas que de simples brigands, des mages noirs sont impliqués dans un quelconque rituel sinistre. »
Kynarth allait poursuivre lorsque le Roi marcha vers eux. Nyoron était en train de réciter une prière pour les gens morts, et tourna la tête quand le Roi s’adressa à eux. Il semblait manifestement furieux, mais son ire n’était pas pour plaire à Kynarth. Devant le sous-entendu chargé d’accusation résidant dans ses mots, il se leva promptement, et posa une main sur son torse :
« Qu’osez-vous insinuer ? Que nous tuons nos propres hommes ? Les clans ont toujours été loyaux envers Sylvandell ! Il ne s’agit pas de ça.
- Ils n’ont pas été massacrés ainsi sans raison... Que cherchaient donc ceux qui ont commis ces atrocités ? »
Kynarth soupira, et secoua la tête.
« Kor-Tarath, lâcha-t-il. Je ne vois pas quel autre motif aurait pu les pousser à commettre telle abomination… »
Cirillia se mit à froncer les sourcils.
« Kor-Tarath ?
- Commençons par brûler les morts, et par nous assurer que le village soit vide. Ils sont là depuis plusieurs jours, il serait étonnant qu’il n’y ait pas des goules dans les environs. »
Cirillia n’avait jamais entendu parler de ce nom. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Kynarth semblait savoir des choses, mais, pour le coup, se refusait à en parler, et préféra plutôt se diriger vers Nyoron. Ce dernier fit appel à sa magie, et une orbe de feu se matérialisa, avant de heurter les branches de bois, se mettant à répandre des flammes, qui se mirent à se répandre. Avec la magie, Nyoron s’assurait que les flammes ne débordent pas du bûcher. Et, tout en les brûlant, il se mit à prier à nouveau, priant pour que les aides des dragons guident les âmes des défunts vers les paradis éternels.
Il ne pouvait guère faire plus, de toute manière.
Les rayons de l’aube sortirent Cirillia de son bref sommeil. Elle ne dormait pas vraiment, en réalité, mais était plutôt assoupie, quand le soleil l’éclaira. L’aube venait de se lever, et elle leva la tête. Depuis une faille dans le toit de cette grotte, elle voyait un ciel bleu. Quelques gouttes d’eau tombaient lentement, formant un *PLOUIC ! PLOUIC !* de plus en plus insupportable. Assise contre le mur, Ciri’ soupira légèrement, avant de considérer les restes de son feu, puis reprit sa route, en se relevant, écrasant du pied les dernières flammèches. Elle s’était assez reposée, et il était temps de poursuivre sa traque. Sans guide, sans aucune aide, Ciri’ ne désespérait pas. Elle était plus maligne que ce qu’on pouvait croire, et elle savait se repérer. Elle cherchait le volcan, et, en traversant la plaine, elle avait pénétré dans un épais système de galeries souterraines. Les traces de ces bagnards s’étaient perdus, et elle avait poursuivi sa route, suivant les traces de chaleur. Le volcan se rapprochait de plus en plus, mais marcher toute la nuit l’avait fatigué, et elle avait estimé nécessaire de se reposer en approchant, afin d’être en pleine mesure de ses capacités. L’esprit de camaraderie était assez bien développé chez Ciri’ dans ce genre de circonstances, ce qui était curieux, car, de manière générale, elle n’était pas très solidaire, et avait plutôt tendance à être franchement égoïste.
Elle avait utilisé un élixir pour se reposer, et suivit un long chemin, faiblement éclairé par quelques trous. La température globale montait, et, au bout d’une vingtaine de minutes, Ciri’ finit par descendre, sautant de pierre en pierre, sentant la chaleur continuer à croître, jusqu’à descendre un conduit très glissant. Lentement, elle descendait, s’appuyant sur les cailloux... Quand l’un d’eux se brisa sous son poids.
« Meeeeerde !! »
Elle se mit à glisser, sans pouvoir se retenir, ne trouvant aucun appui… Un peu comme si elle était dans un toboggan. Le bout du conduit se rapprochait à vive allure, et elle bascula par-dessus bord, voyant, en contrebas, de la lave. Usant de ses réflexes, Ciri’ se retourna, et planta le bout de son épée dans une faille filant le long de la paroi. Son épée réussit à se planter, et elle s’écrasa contre la paroi, maintenue par le bout de son épée, la lave brûlant en contrebas. Ciri’ soupira lentement, tandis que son épée tremblait lentement, et regarda autour de lui, étudiant la paroi. Elle aperçut d’autres endroits où s’appuyer, des petites failles avec des interstices, et s’y rapprocha, se plaquant contre la paroi. Elle récupéra son épée, et se déplaça sur sa gauche, longeant le précipice. Elle avait affreusement chaud, et se félicitait d’avoir bu son élixir tantôt, qui avait en outre pour effet de rafraîchir son corps face à ce genre de situations. L’un des meilleurs mécanismes du corps, face à la chaleur, était de suer. C’était ce qui arrivait à Cirillia, et qui lui permettait de ne pas tomber dans les pommes. Elle finit par trouver une sorte de plateforme rocheuse en contrebas, et s’y laissa tomber, puis, de là, bondit sur un chemin de pierre central.
En hauteur, on pouvait voir la sortie du volcan, le cratère, et, au fond... Ciri’ déglutit en voyant le fameux fort dont elle avait tant entendu parler.
« Alors, c’est donc toi, Kor-Tarath... »
Un château des plus sinistres se dressait devant elle, planté dans le mur.
(http://nsa31.casimages.com/img/2014/02/19/mini_14021903004423037.jpg) (http://nsa31.casimages.com/img/2014/02/19/14021903004423037.jpg)
Cirillia s’avança lentement, le long du pont. Des flammes jaillissaient continuellement de certains points du fort, mais il n’y avait a priori aucun garde. Difficile de dire s’il était vivant ou pas. Le fort se perdait en contrebas, et elle ne pouvait pas trop baisser la tête, la lave étant aveuglante. Ciri’ marchait vers les portes du château... Quand elle entendit des bruits de pas derrière elle. Elle se retourna subitement, et vit la femme qui l’avait attaqué la veille.
« Tu en as mis du temps...
- Tu n’avais qu’à venir me voir.
- J’ai un compte à régler avec toi, ma chérie.
- Va te faire sucer, salope, j’ai d’autres chats à fouetter que foutre une branlée à une incapable. »
Sonia bouillonna sur place.
« Qu’est-ce que vous fabriquez ici ?
- J’en ai jamais rien eu à foutre. Un transfert d’énergie noire, ou je sais pas quoi... Ça pas d’importance. J’ai accepté de rejoindre l’École Discordia pour pouvoir me mesurer à des gens comme toi.
- Discordia ?! J’en ai jamais entendu parler.
- Et tu n’en auras plus jamais l’occasion. »
Ciri’ comprit que Sonia n’allait pas lui donner les informations qu’elle recherchait. Elle tira sur sa corde, et son arbalète à répétition, logée dans son dos, fila devant elle. Elle balança un carreau en visant Sonia, qui se téléporta sur la droite. D’autres carreaux suivirent, mais la sorcière, dans un gloussement, se téléporta encore, et arriva pile devant Ciri’.Dans son dernier geste, elle avait amorcé un mouvement circulaire avec son épée. Cirillia sentit le coup venir, et lorsque la femme se matérialisa, Ciri’ bondit de justesse en arrière, surprise par cette téléportation. Le bout de la lame trancha la corde retenant son arbalète, et Cirillia roula sur le sol. Il y eut un déclic, et, tout en roulant, elle attrapa la manche de sa lame en acier. Lorsqu’elle releva la tête, Sonia l’attaquait, et elle para avec son épée, tout en restant agenouillée sur le sol. Les deux lames s’entrechoquèrent, et Ciri’ réagit en bondissant en avant, puis donna des coups de lame, essayant d’atteindre son adversaire. Attaque à gauche, puis à droite. Elle tourna sur elle-même pour augmenter la force de l’impact, mais Sonia para également. La sorcière leva alors une jambe pour l’envoyer dans le corps de Ciri’, qui sentit le coup venir, et para avec son genou, déstabilisant la femme. Elle la gifla alors avec sa main libre, sonnant Sonia, et tenta un coup avec son épée.
La sorcière choisit de se téléporter, mais Ciri’ savait où elle allait venir, et, quand la femme se matérialisa à nouveau, dans le dos de Cirillia, ce fut pour être accueillie par son coude, qui se logea dans sa joue.
« Tu es rapide, mais tu manques de confiance en toi.
- ’Va chier ! »
Sonia attaqua à nouveau, rageusement, et tenta une onde magique. Ciri’ se mit sur le côté, évitant l’impact, et sa lame frappa Sonia, à hauteur de son plastron, entaillant son armure, en faisant couler un peu de sang. Sonia bondit en arrière, un rictus de rage déformant son visage sombre, et envoya alors des arcs électriques. Ciri’ brandit son épée en avant, et les arcs dansèrent sur la lame, la faisant rougeoyer, la lame les renvoyant. Le manche était fait dans un matériau qui ne conduisait pas l’électricité, et Cirillia, si elle n’était pas magicienne, avait une lame dans un acier aux propriétés particulières. Les éclairs rebondirent dessus. Sonia grogna, en accentuant leur intensité. Ciri’ dut ployer le genou, en sentant les éclairs lui lécher les joues. Son adversaire, cependant, était en train de se dépenser énormément en effectuant ce sort. La guerrière tenait le coup, jusqu’à ce que le sort cesse.
Les doigts de Sonia fumaient, et Ciri’ tremblait. Elle en lâcha son épée, qui vibrait sur place, crachotant des éclairs, et dégaina sa seconde lame, une épée en argent, qu’elle utilisait préférentiellement contre les monstres.
« Tu... Tu es forte... »
Cirillia ne dit rien, tout en se rapprochant. Ses mains lui faisaient mal, mais Sonia était épuisée.
« J’ai tué un dragon. Tes petits tours de magie ne fonctionnent pas contre moi. »
Un léger sourire éclaira les lèvres de Sonia.
« Cela fait plusieurs heures que le rituel a commencé. Ce château est rempli de trolls et de sorciers. Seule, tu n’as aucune chance, si tu fonces dans le tas. »
Ciri’ s’arrêta, fronçant les sourcils.
« Que suggères-tu, exactement ?
- Je t’ai vu grimper... Ceux que tu recherches sont en bas du fort. Tu peux y accéder en longeant le château, par ici... Il faudra faire attention aux jets de feu et aux clapets, mais je pense que tu devrais t’en sortir.
- Ah... Et pourquoi m’aiderais-tu ? »
Elle haussa les épaules, essuyant une traînée de sang couler de ses lèvres.
« Je te l’ai dit, non ? Je me fous de toutes ces conneries. Nous nous reverrons, Cirillia... Si tu as la folie d’entrer dans le château, bien sûr. »
Sonia se retourna alors, et plongea dans le vide. Ciri’ rejoignit rapidement sa position, mais ce fut comme si la femme avait disparu.
Et, devant elle, Kor-Tarath se dressait.
CIRILLIA
Observant le prochain interstice, Ciri’ prit lentement son souffle. Accrochée contre la paroi, uniquement retenue par ses mains, dont les doigts étaient posés sur le petit muret, elle compta jusqu’à cinq, puis bondit dans les airs, tendant sa main droite. Elle réussit à s’agripper à la prochaine rambarde, et ses seins heurtèrent le mur, avant qu’elle n’utilise aussi sa main gauche pour soutenir son corps, ramenant ses jambes pour poser ses chevilles sur cette paroi. Cirillia soupira lentement, puis regarda autour d’elle, cherchant ses prochains appuis. Elle avait fait tout le tour de Kor-Tarath, et continuait lentement son approche furtive, évitant les langues de feu qui jaillissaient parfois de certaines ouvertures du château. Tout ça puait méchamment la magie, mais c’était sans doute préférable que de tomber sur une armée entière, et de mourir bravement au combat, dans un baroud d’honneur aussi ridicule qu’inefficace.
*Allez, on continue...*
Ciri’ avança sur sa gauche, lentement. Elle finit par atteindre une rangée circulaire de colonnes, qui filaient le long de la paroi. Elle atterrit sur une sorte de balcon, et constata que l’espace derrière les colonnes n’était pas un couloir, mais une série de trappes recrachant des jets de feu. Vu la lave qui brûlait en contrebas, ce système devait sans doute permettre au château de ne pas être détruit sous l’effet de la forte chaleur qui régnait... Ou alors, c’était simplement parce que cet endroit était infernal. Les trappes s’ouvraient alternativement, les unes après les autres, pour libérer des jets de feu. Cirillia hésita un peu, le temps de trouver le bon timing, puis se mit à courir. Les flammes jaillissaient dans son dos, et elle courut rapidement, essayant de traverser cette distance le plus rapidement possible. Le feu se rapprochait, au fur et à mesure que les grandes trappes libéraient des rideaux de flammes.
Atteignant le bout de ce chemin, Cirillia bondit dans les airs, s’envolant en sentant des braises tournoyer dans ses cheveux. Elle s’écrasa contre une paroi rocheuse se trouvant face à elle, et essaya de s’appuyer sur un interstice, mais, après son plongeon, un peu trop rapide, elle lâcha prise, et tomba dans le vide. Si la corde de son arbalète n’avait pas été tranchée, elle aurait pu s’en servir comme appui. Au lieu de ça, Cirillia se servit à nouveau de ses bras. Quand elle glissa de son appui, l’un de ses pieds frotta brièvement le long de la paroi, et elle s’en servit comme appui, pour bondir en avant, ce qui lui permit de s’écraser sur une poutre flottant le long du château. Il y en avait toute une série devant elle, servant probablement à accrocher des drapeaux. Ciri’ s’avança lentement, en sueur, les doigts égratignés de sang. Utilisant ses muscles, elle passa d’une poutre à l’autre, jusqu’à atteindre la dernière, et se mit à se balancer, d’avant en arrière, remuant son corps. Son cœur commençait à tambouriner dans sa poitrine, et, si elle n’avait pas une constitution améliorée par le dragon qu’elle avait jadis tué, la chasseuse pensait bien qu’elle aurait déjà lâché prise. Elle continua à remuer, accélérant le rythme, et s’en servit pour bondir par-dessus la poutre. Elle fit un bref salto dans les airs, et se reçut sur la poutre, sur ses pieds.
La jeune femme n’eut ensuite plus qu’à remonter lentement la poutre, en équilibriste. Telle une funambule, elle tendait les mains de gauche à droite, afin de conserver son équilibre. Si elle baissait la tête, tout ce qu’elle voyait était un enfer de flammes. La poutre l’amena à une sorte de balcon avec une balustrade et un petit escalier en pierre qui menait vers une porte. Elle descendit sur ce balcon, descendant rapidement les marches. Elle se rapprocha de la porte, mais, juste avant de l’ouvrir, préféra plutôt regarder ce secteur... C’est ainsi qu’elle aperçut une ouverture dans la balustrade, menant à une échelle noire.
*Bingo ! Un raccourci !*
Il devait probablement s’agir d’une sorte d’échelle de maintenance. Ciri’ se rapprocha, et agrippa le barreau, brièvement, juste afin de constater qu’il n’était pas brûlant. Elle entreprit ensuite de descendre, évitant ainsi d’affronter toute la garde de Kor-Tarath, l’échelle conduisant vers les profondeurs du château.
DAME GRISE
La résistance de celui qui, dans une autre vie, fut son époux, amusait la Dame Grise plus qu’autre chose. À vrai dire, la participation de Serenos n’était que du confort. Tous les ingrédients du transfert étaient réunis : les âmes damnées étaient en haut, le glyphe était prêt, et c’était bien dans le bon endroit. Kor-Tarath était comme une flèche plantée dans le cœur du monde. La Dame Grisse laissa Xeos s’amuser avec Serenos. Elle-même avait bien trop à faire, et ne pouvait pas lui répondre. Elle était dans un mode de concentration intense, plongée dans la magie, ses mains posées sur le corps de Shizuka, dont les glyphes vibraient et scintillaient. L’Innocente était nécessaire, car sa pureté était comme un guide, qui permettrait de conduire toute cette force malfaisante dans le glyphe, et d’être transférée là où elle devrait l’être. Shizuka et la Dame Grise fonctionnaient dans un autre monde, un autre mode de conscience, un abîme noir qui, peu à peu, se matérialisait, sous la forme d’une multitude de plateformes circulaires au-dessus du vide.
« J’ai peur... lâchait la voix de Shizuka. Tout est si froid ici... »
Au-dessus d’elle, elle voyait les âmes des damnés, et elle leur faisait peur. Ils n’étaient que haine, colère, frustration... Et souffrance. Leur souffrance était déchirante. Peu à peu, la Dame Grise acquit suffisamment d’emprise pour apparaître dans le dos de Shizuka. Elle posa ses mains sur ses hanches, et, quand la jeune guérisseuse se retourna, la Dame Grise la prit dans ses bras.
« Il faut les guider, Shizuka... Accorde-leur le repos, qu’ils ne deviennent pas des ectoplasmes.
- Mais... Les guider où ? En faire quoi ? Je ne comprends pas... »
La Dame Grise tendit sa main, et un chemin de plateformes se matérialisa, menant jusqu’à une sorte de gigantesque portail circulaire, avec, au centre, un vortex orangé, qui formait comme une sorte de soleil.
« Les âmes te suivront... Tu dois aller jusqu’ici... J’aimerais t’accompagner, mais je ne le puis pas...
- Non ! Je ne veux pas... Je ne veux pas être seule... »
Shizuka se resserra contre la femme, qui posa tendrement une main sur ses cheveux, les caressant.
« Malheureusement, mon âme n’est pas aussi pure que la tienne... Laisse-moi te montrer... »
La sorcière se concentra, et prononça une mélopée, puis une vive lueur blanche se mit à irradier tout autour de Shizuka, formant comme une grosse torchère blanche, qui éclaira tout son corps.
« Un phare dans la nuit... Voilà comment ils te voient. Moi, je ne serais qu’une tâche sur ta magnificence. Tu es forte, Shizuka... Suffisamment pour avoir rejoint Meisa, si éloignée des vertes prairies d’Edoras. Sens leur douleur, sens leur souffrance. Tu dois les libérer. Conduis ces âmes damnées auprès du portail, et sache que je veille sur toi. Il ne t’arrivera rien. »
Shizuka sembla hésiter un peu, puis commença à s’avancer. Elle se rapprocha vers l’autre plateforme, et, comme par enchantement, un couloir magique se forma au-dessus de ses pieds. La Dame Grise, légèrement nerveuse, l’observa s’éloigner, puis décida de revenir dans le monde réel, là où elle aurait plus d’influence pour protéger Shizuka, et empêcher son âme d’être détruite. Cependant, quand elle revint à elle, elle perçut les échos d’une intrusion ennemie.
*Les Sylvandins, déjà ?! Impossible !*
Mais non, ce n’était pas eux. Elle reconnut des Meisaens, et esquissa un léger sourire.
« Il semblerait que tes hommes soient rapides à venir défendre leur Roi. Je doute toutefois qu’ils te soient d’un grand secours. »
La sorcière ferma les yeux, et chargea une femme de venir accueillir les Meisaens à l’entrée : Elkantar.
ELKANTAR
(http://img108.xooimage.com/files/0/f/a/elkantar_head-4411188.jpg) (http://th06.deviantart.net/fs71/PRE/i/2013/130/d/a/dark_elf__color_version__by_chekydotstudio-d64qno1.jpg)
Depuis le pont, on entrait dans une grande pièce, qui était la première salle accessible de Kor-Tarath, un vaste hall en deux parties : une partie haute, qui faisait face à la partie basse, par laquelle on entrait. En empruntant la grande porte, les Meisaens tomberaient directement ici. Elkantar était sur la balustrade de la partie haute, une main en appui sur la hanche, et attendait la venue des dh’oines, afin de les massacrer. Il n’y avait pas qu’elle. À gauche comme à droite, il y avait des rangées de colonnes, et, entre ces dernières, des golems étaient là, sans compter les autres sorciers qui accompagnaient Elkantar. Comme Sonia, Elkantar faisait partie de l’Ordre des Sorciers de Discordia, et était plutôt douée dans son genre. C’était une sorcière-guerrière, l’une des élèves de la Dame Grise, et cette dernière venait de lui donner pour ordre d’appréhender les agresseurs. Des trolls avaient été envoyés pour les contenir, et, sans surprise, ces imbéciles avaient été massacrés. D’autres trolls se tenaient dans cette pièce, mais ils n’étaient plus tout seul. Elkantar avait bien plus confiance envers les golems, qui étaient massifs, et aussi résistants que la pierre, n’étant eux-mêmes qu’un tas de pierre.
La main en appui sur sa hanche se mit à luire d’une intense énergie violette. Le combat allait bientôt commencer.
Naturellement, elle en était follement excitée.
SHIZUKA SHUNYA
*...Souffrance… Damnation… Mirages…
...Guide-nous…
...Trompé... Jeté... Oublié...
...Larmes... Désespoir...Souffrance...
...Guide-nous...*
Les voix et les images dansaient dans son esprit, formes indistinctes, souvenirs, rêveries, rémanences. La présence du Roi échappa totalement à Shizuka. Elle était comme une torchère blanche dans l’abîme noirâtre, dans un environnement en-dehors de l’espace et du temps. Les plateformes qui s’étalaient progressivement formaient le glyphe dans lequel leurs corps étaient emprisonnés, et elle, elle sentait la douleur de toutes ces âmes en peine. Son esprit était traversé d’images sinistres, où elle les voyait pleurer, hurler en vain. Le passé revenait la hantait, et elle titubait à moitié, ailleurs. Tant de souffrance, tant de douleur... Les paroles des morts étaient terribles, cruelles, et, plus Shizuka errait dans cet abîme, et plus elle commençait à les comprendre.
*...Ma femme était une garce qui m’a trompé... Est-ce un crime de tuer quelqu’un qui a brisé votre âme ?...
...Je n’ai jamais voulu ça, pourquoi, pourquoi, pourquoi, pourquoi...*
Tout n’était que souffrance, larmes, lamentations. La vie leur avait été arrachée, et ils étaient tristes... Leur colère n’était que la conséquence d’une souffrance terrible, celle de la mort. Des âmes en peine, des âmes qu’il fallait guider, qu’il fallait soigner. Ils s’orientaient autour de Shizuka, n’osant pas s’approcher d’elle. Shizuka tendait ses mains vers eux, et c’est à peu près à ce moment qu’elle prit conscience qu’il y avait quelqu’un d’autre avec elle.
Lentement, ses yeux se portèrent sur la silhouette devant elle. Elle lui était reconnaissable, mais elle n’aurait pas su dire d’où il venait... Oui, ce visage lui était familier. Shizuka était intégralement nue, ne cachant nullement son corps, magnifié par les lignes de magie violette qui le traversaient, et par cette aura lumineuse qui la traversait, englobant tout son être. Elle observait le ciel, discernant les voiles noirs.
*...Pas ici... Notre place n’est...
...Pas ici... Ici... Ici...
...Des âmes en peine... Des âmes errant dans la souffrance pour l’éternité...*
Le Roi de Meisa, car elle se rappelait maintenant de son titre, la tirait, mais sa prise se relâcha... Comme si la main de Shizuka était devenue transparente, éthérée. Elle se mit alors à flotter.
« Leur peine... Leur peine est indescriptible... »
Les âmes tourbillonnaient dans le ciel, formant comme des arabesques qui enveloppaient la flamme blanche que représentait Shizuka. À ses pieds, on pouvait parfois, à travers l’éclairage des flammes, des formes humaines apparaître, des hommes recroquevillés, au dos courbé, qui contemplaient silencieusement cette beauté. Des êtres laids, aux ongles sales, aux dents mal formés, sales et puantes, qui disparaissaient ensuite en s’écartant prudemment de la femme, comme s’ils avaient peur de la salir par leur présence.
*Chaud...Si chaud...
...Le froid...*
Les âmes fondirent alors sur Serenos, l’interprétant comme un rempart, une menace. Elles le traversèrent de part en part. Ici, toute sa magie semblait inutile pour repousser une telle force, et il fallut l’intervention de Shizuka pour les retenir... Avant qu’elle ne comprenne que c’était elle-même qui avait attaqué l’homme. Elle regardait autour d’elle, commençant, peu à peu, à comprendre.
« Les guider... Il faut les guider... »
Les âmes noires continuaient à tourbillonner autour de la flamme blanche, attirées par la pureté de l’âme qui se tenait là. Ils y voyaient l’incarnation de ce qu’on leur avait arraché : la vie, dans sa forme la plus pure, la plus éclatante, débarrassée de la haine, de la jalousie, de la convoitise, des vices. Un être qui n’aspirait simplement qu’à vivre, qu’à construire, qu’à s’insérer, qu’à évoluer. Au milieu de l’enfer noir, elle était leur phare.
*...Nous serons jugés...
...Faibles...*
La guérisseuse d’Edoras se sentait emportée, alors que son âme se consumait, comme si les esprits étaient en train de la dévorer. La pression qui s’exerçait sur le Roi diminuait, et, peu à peu, les âmes filaient vers le portail, emportant avec eux la flamme blanche, qui était en train de s’absorber dans un tourbillon noirâtre. En cherchant à se rapprocher du glyphe, du cœur du sortilège, Serenos avait déclenché la colère des âmes. Elles ne pouvaient pas rester ici, et il s’était surtout heurté à l’inconscient de Shizuka, qui se refusait à héberger une telle noirceur. Malheureusement, les âmes emportaient avec elles celles de Shizuka. Cette dernière se retrouva devant le portail, se rapprochant inexorablement de ce dernier.
DAME GRISE
Tout serait bientôt terminé, ça ne faisait maintenant plus l’ombre d’un doute. La Dame Grise était penchée au-dessus de Shizuka, et voyait cette dernière remuer lentement, nerveusement, des gouttes de sueur glissant le long de son front. Elle lui caressait tendrement la joue.
« Calme-toi, Shizuka, calme-toi... »
Lui parler était idiot, la Dame Grise le savait, car Shizuka ne pouvait pas l’entendre. Elle reporta son attention sur Serenos, guère idiote. Elle savait qu’il avait utilisé le glyphe pour remonter le long de ce dernier, afin de chercher à l’annuler. La Dame Grise avait tout calculé. Elle aurait pu bloquer davantage l’esprit de Serenos, et empêcher ce dernier de rejoindre Shizuka. Cependant, si elle l’avait fait, Shizuka aurait été condamnée. Son âme aurait été consumée, et la Dame Grise ne le voulait pas. Elle ne pouvait pas protéger en personne la guérisseuse, car elle devait veiller à l’écoulement normal du sort. Elle devait s’assurer que les importantes forces magiques contenues dans le glyphe ne se dérèglent pas, et elle ne pouvait tout simplement pas être en deux endroits à la fois. Elle se refusait à sacrifier Shizuka, contredisant ainsi les ordres de son Maître. Lui se moquait bien de sacrifier une petite sotte, mais, pour elle, c’était différent. Elle avait lu dans l’âme de Shizuka, et elle y avait une sorte de pureté incroyable. Ce n’était pas que cette simple innocence qu’on confondait avec la naïveté et la stupidité, il y avait aussi chez Shizuka un air bon, une atmosphère de sainteté. Dès que cette dernière avait choisi de rejoindre Meisa, la Dame Grise savait, par le biais du Maître, que ce serait elle qui serait utilisée comme vecteur, comme point de concentration. Dans le monde des esprits, sa bonté était telle que tout le monde la suivrait, et elle-même se laisserait portée par les âmes.
« Tu as enfin l’occasion de te rendre utile, Serenos... Rien d’autre n’importe. »
Le château était en train de trembler. Sous Kor-Tarath, un rayon noirâtre venait de se former, et s’enfonçait dans la lave. Le sortilège avait commencé, et tout le volcan en tremblait. De la brume s’envola, mais c’était une brume spéciale, magique, multicolore.
« La fission a commencé ! Les âmes se scindent. »
Elles traversaient les murs, traversaient la matière, sans être atteintes par rien, formes indistinctes qui s’envolaient vers le ciel. Pendant ce temps, le rayon noir provoquait d’intenses vibrations, faisant remuer la lave, menaçant de déclencher une éruption volcanique.
ELKANTAR
La Drow esquissa un léger sourire amusé en voyant la femme, Alessa, venir à bout d’un troll. Ses Meisaens se débrouillaient plutôt bien, et avaient réussi à repousser le comité d’accueil, transformant le hall en une succession de cadavres, de projections de sang, et de tas de pierre disloqués. Les deux femmes se faisaient face, alors qu’Alessa lui avait intimé de se rendre.
« Ma réponse ? Elle est simple... Va te faire foutre, dh’oine. »
Alessa lui fonça ensuite dessus. Elle était particulièrement rapide, sans doute un usage des sorts magiques utilisés par les Meisaens, mais, aussi rapide soit-il, se ruer vers un ennemi doté de magie n’était vraiment pas malin. Son coup de poing se heurta à une sorte de barrière magique qui heurta son attaque, creusant un sillon autour de son bras, le retenant, avant de la repousser. Le choc repoussa Alessa, et, alors qu’elle voltigeait dans les airs, Elkantar en profita pour tendre sa main, envoyant de violents éclairs qui frappèrent la femme de plein fouet, l’envoyant accompagner sa course contre un mur, contre lequel elle s’écrasa.
L’adversaire retomba ensuite sur le sol.
« Les dh’oines gesticulent beaucoup trop. Tes singeries sont ridicules. »
Le sol se mit alors à trembler, et Elkantar releva la tête, comprenant que le transfert commençait. Elle ne pouvait plus se permettre d’attendre. Autour des autres adversaires, des sorciers et des sorcières apparurent, les encerclant, sans compter les autres golems et monstres qui se rapprochaient. Ils étaient dans une infériorité numérique certaine, mais Elkantar avait reçu des ordres précis. Il ne fallait pas les tuer... Dans l’absolu, du moins. Sa Maîtresse les voulait en vie pour aviser de leurs sorts. Et Elkantar ne comptait pas discuter. Contrairement aux dh’oines, elle s’estimait disciplinée. Ce n’était pas son genre de contrevenir à des ordres directs.