Nexus était une ville immense, très grande, mais aussi cosmopolite, et ce même si, malgré l’influence de l’Ordre Immaculé, le polythéisme avait commencé à décliner. Pour autant, il était difficile de changer la mentalité des gens, et ainsi, au milieu des temples et des églises de l’Ordre qui florissaient le long de l’interminable cité-État, d’autres temples exerçaient toujours leur activité, au nom de divinités dont le culte était encore trop puissant pour permettre à l’Ordre de les châtier.
Flottant dans les airs, Cupidon était chagrinée ça. Les religions devaient promouvoir la tolérance, la paix et la fraternité, mais, au lieu de ça, leur message originel de paix et d’amour avait été perverti, corrompu par le fanatisme et par le dogmatisme, deux fléaux de la religion selon Cupidon, des cancers qui se développaient en le sein d’un culte dont le but, à la base, était la foi et la sauvegarde de l’âme. Au lieu de ça, chaque fois qu’elle errait dans les rues de Nexus, notamment dans les bas-fonds, elle voyait les prédicateurs, les prêtres qui profitaient de la détresse et de la misère. En ce moment, sa silhouette dissimulée derrière un manteau de pèlerin et une capuche grisâtre poussiéreuse, elle voyait, sur une place publique, juchée sur une estrade, un prêtre de la Flamme-Éternelle vanter les mérites du renoncement et de la sainte croisade contre les impies et les ennemis de Dieu.
Cupidon avait envie de pleurer, elle avait envie de leur dire que la voie du Juste n’était pas celle des armes, et que les Cieux n’ouvraient pas leurs portes aux tueurs et aux meurtriers, mais elle savait que ce serait vain. Alors, au lieu de ça, elle les regardait, atterrée de voir tant de haine dans le cœur des gens... Et en même temps tant d’amour. Là, cet homme qui hurlait à la mort des Longues-Oreilles était un ouvrier qui venait d’être limogé par la compagnie maritime pour laquelle il officiait en tant que docker, et qui ne savait pas comment nourrir ses trois enfants.
C’était terrible, car ces gens n’étaient pas des monstres, mais agissaient comme tels, en pensant faire le bien. L’ignorance, source commune de tous les maux... Brisée par une telle vision, Cupidon se recula, et, ravalant ses larmes, s’écarta rapidement.
Ses pas la rapprochèrent ainsi d’un temple, et elle le regarde lentement.
Il était blanc, plutôt beau, avec un grand perron, et un grand jardin tout autour. Les colonnades en marbre à l’entrée et le mot inscrit sur le frontispice ne laissaient aucun doute sur la divinité qui était honorée dans ce temple :
Ἀφροδίτη
Aphrodite...
Cupidon regarda silencieusement ce temple. Il y avait plusieurs gardes devant, et le temple était l’un des plus anciens de Nexus. Parmi ses dépendances, il y avait un orphelinat, qui recueillait tous les enfants abandonnés des bas-fonds. La présence des gardes était claire. Les fanatiques de la Flamme-Éternelle voyaient ce temple comme une secte de Lust. Or, les religieux avaient réussi à interdire les temples dédiés à Lust au sein de Nexus, ce qui amenait ce culte à exister en secret. Ils voyaient Aphrodite comme un culte proche de Lust, et contraire à la morale publique.
L’Ange du Désir hésita un peu, puis se décida à approcher. Les gardes la regardèrent silencieusement. Aucune personne encapuchonnée n’était admise au sein du temple, et ils auraient donc dû la repousser, mais, dès que leurs regards croisèrent celui de la femme, très étrangement, ils la laissèrent passer, comme s’ils avaient acquis l’intime conviction que cette femme ne pourrait jamais vouloir le moindre mal à qui que ce soit.
Cupidon gravit les marches du perron, puis entra dans le temple central.
Une délicieuse odeur d’encens vint accueillir les narines de la femme, qui s’avança un peu, au milieu de jeunes enfants en train de nettoyer le sol, ou de vaquer à différentes occupations. Elle s’avança un peu, jusqu’à voir le dos de la femme qu’elle cherchait.
Isabella.
La Grande-Prêtresse.
Cupidon soupira un peu, et posa ses mains sur le rebord de sa capuche.
«
Dame Isabella... Je m’excuse de vous déranger... »
Elle attendit qu’Isabella se retourna, puis défit alors ses vêtements, et, quand le manteau tomba, les ailes roses de Cupidon jaillirent, tandis que la forme d’humaine qu’elle prenait comme masque se dissipa, la révélant sous toute sa nature. Elle fléchit alors respectueusement le genou.
«
Je m’appelle Cupidon, et l’Olympe a entendu votre prière. »
Le temple avait prié pour qu’on vienne les aider à soigner les blessés et les malades qui étaient à l’intérieur de l’édifice.
Une aide à laquelle Cupidon avait répondu.