Back to Earth [Kalriiel]

Une semaine. Une semaine plus tôt, Lenz foulait le sol de Terra pour la première fois depuis près d’un siècle. Il s’est renseigné du mieux qu’il le pouvait et a appris qu’une centaine d’années se sont écoulées depuis qu’il est « mort ». Et maintenant, il est là, sur Terra. Sur le sol. Sous l’atmosphère, cette barrière qu’il ne pouvait pas franchir pendant si longtemps… Il réapprend doucement à respirer, ce qui ne lui est plus nécessaire, mais aussi à maîtriser son corps de nouveau soumis à la pesanteur terrestre. Une semaine plus tard, Lenz a réappris les bases et se déplace avec une assez bonne aisance.

Aujourd’hui. Exactement le huitième jour après sa libération par ce mage extraterrestre qui a brisé le sceau qui le retenait dans l’espace. Il est dans les contrées du Chaos, non loin de l’empire  ashnardien duquel il ne sait presque plus rien. Il est là, debout, la tête tournée vers le ciel, les yeux fermés pour mieux profiter du vent sur son visage.

-Libre… Je suis libre, je peux enfin aller où je veux. Je peux faire tout ce que je veux…

Cette pensée, un peu naïve mais compréhensible au vu de sa situation, lui arrache un fou rire incontrôlable. Oui, il se sent libre. Sentir le sol sous ses pieds, le vent sur son corps, ça lui fait tellement de bien !

Que les contrées du Chaos étaient grandes, j’avais beau marcher depuis plusieurs jours sans dormir, il semblait n’y avoir pas de fin. Et je ne pouvais même pas m’arrêter dans une des villes Ashnardienne des environs, depuis mon départ de la capitale, mon visage était placardé partout, donc impossible de trouver un gite et le couvert sans qu’on me dénonce à la première garnison. Puis le Conseil Impérial avait dû envoyer des hommes à ma poursuite à l’heure qu’il est. De toute manière à y penser, je serais sans cesse en danger, car je n’avais pour le moment pas l’intention de quitter l’Empire, je souhaitais juste prendre le large vis-à-vis des horreurs de la guerre. Et rester isolé en plein milieu des contrées du Chaos n’était pas la solution. Puis, sans provision et sans repos je finirais par mourir, je n’avais donc pas le choix, ma prochaine destination devait être une des villes Ashnardienne les plus proches. Et puis avec un peu de chance, vu que j’étais emmitouflé dans cette longue cape, mon visage caché sous une grosse capuche, on ne me reconnaîtra pas.

Pour le moment je suivais sans problème le sentier qui menait semblait-il à  un petit village à l’Est de la Capitale d’Ashnard. Là-bas je pourrais m’acheter des provisions avec l’argent que j’avais emporté dans ma fuite. Mais au détour de deux ou trois arbres et arbustes je pouvais entendre un son s’élevait dans les airs et plus je m’approchais, plus ce son prenait forme. Un rire ? Voir même un fou rire apparemment. Intrigué, je quittais le sentier pour tomber sur un jeune homme en plein milieu de la plaine, pris dans un fou rire incontrôlé. Je m’approchais prudemment, mon long katana toujours dans ma main gauche, histoire de ne pas être sans défense. Mes yeux vairons scrutaient les alentours avec attentions depuis l’ombre de ma capuche. Oui, ça pouvait être un piège et je préférais rester sur mes gardes. Arrivant à sa hauteur, j’élevais la voix.

-   Bonjour jeune homme. Désolé de t’aborder comme ça, mais votre rire s’entendait jusqu’au sentier et j’étais intrigué.

Resserrant ma prise sur mon katana, j’attendais une quelconque réaction de sa part, toujours prudent. Puis  j’étendais mon pouvoir autour de moi, me permettant de sentir les moindres mouvements d’air dans un rayon de cent mètres.

[Je repasse au passé, j’arrive plus à écrire au présent en fait. ^^’]


La liberté était une chose absolument magique pour celui qui s’en était senti privé tant de temps.  Poser ses pieds sur le sol, se sentir attiré par la planète, pouvoir être en contact avec de l’air, tout ça était enivrant. Oui, c’était le mot. Lenz était ivre de joie.

Quand le voyageur arriva à son niveau, il s’était adossé à un arbre et reprenait son souffle, son sourire fendant encore son visage. Sourire qui disparut immédiatement en entendant une voix. Lenz se redressa brusquement et se tourna vers l’inconnu, un bras devant lui en geste de protection.

-Qui êtes-vous ?

Par habitude, ayant passé une centaine d’années à repousser des envahisseurs venus de l’espace, il se méfiait naturellement de toute personne qui s’adressait à lui.

-Si vous êtes un voleur, je vous conseille de passer votre chemin, je n’ai rien sur moi. Et je sais me défendre.

Comment le croire alors qu’il n’avait aucune arme ? De plus sa carrure frêle, grandement diminuée par un siècle d’inaction relative, donnait plutôt l’impression qu’il allait se briser en deux au moindre coup de vent. Par ailleurs, difficile d’imaginer que ce garçon était menaçant en voyant la peur qu’il dissimulait mal dans son regard.

Silencieux en attendant une quelconque réponse de sa part, je l’observais tranquillement, le détaillant des pieds à la tête. A en juger par son apparence, ce n’était qu’un gamin. Sauf qu’en bon Terranide, je savais pertinemment que l’apparence physique ne voulait rien dire. J’avais vu tellement de chose bizarre sur cette terre que plus rien ne m’étonnais maintenant. Quoi qu’il en soit j’observais ce jeune homme avec attention. Et au vu de ses fringues, je savais qu’il ne venait pas d’ici. C’était la première fois que je voyais un tissu de ce genre-là. Ou alors dans des zones encore inexplorées.  Je relevais les yeux vers son regard, les miens encore et toujours bi-couleur. Je souriais à sa question. M’inclinant je disais. « Je ne suis qu’un simple voyageur, vous pouvez m’appeler Kalriiel ». C’était le nom que je m’étais donné histoire de ne pas être appelé par mon nom officiel. Je ne voulais pas être reconnu.

Calmement, j’écoutais le jeune homme parler, ne me détachant pas de ce léger sourire rassurant. Avec ce long sabre dans ma main gauche on pouvait ne pas être rassuré, mais pourtant je n’étais pas pour l’agresser. Et cette menace me laissa un moment pantois avant de rigoler doucement. Je décidais finalement de m’approcher un peu plus de lui. « N’ayez crainte, jeune homme. Je ne suis pas là pour vous faire du mal. Comme je l’ai dit, je ne suis qu’un simple voyageur. » Je marquais une pause avant de l’observer toujours, un petit sourire aux lèvres. « Puis, très peu de chose m’échappe et je vois très bien qu’avec votre petit corps tout frêle, vous aurez du mal à vous défendre. Je tiens malgré tout à souligner votre audace, même si ça ne passera pas avec un vétéran comme moi. » Comme preuve de bonne foi, je décidais de tirais sur ma capuche, révélant mon visage et mes yeux vairons.

Kalriiel… Un nom d’ici. Un nom de Terra, donc il n’avait pas affaire à un terrien égaré, et la théorie du voleur restait plausible malgré ses paroles. Mais Lenz restait sceptique. Combien de fois avait-il entendu un ennemi essayer d’endormir sa méfiance avant de l’attaquer en traître ? Combien de fois avait-il frôlé la mort par excès de confiance ? Il ne faisait plus cette erreur depuis longtemps maintenant.

Les yeux du voyageur étaient vairons, quelque chose que Lenz avait vu si peu souvent qu’il se trouva captivé par ce regard, y plongeant le sien avec un mélange de curiosité et d’émerveillement. Cela ne dura qu’une seule seconde et il reporta bien vite son regard ailleurs pour échapper à ces yeux magnifiques.

L’autre rit. Il ne le croyait pas, évidemment. Qui aurait cru les paroles d’une telle crevette ? Il s’approcha, même, et si le jeune homme n’avait pas été contre un arbre il aurait reculé encore. Il se colla donc au tronc pour garder une distance de sécurité. Des remarques, maintenant. Lenz baissa la tête. Il savait bien qu’il n’avait rien de menaçant et que son corps était trop fragile pour un combat. Mais il ne voulait pas s’expliquer, pas avant d’être certain de pouvoir lui faire confiance. Pour s’assurer cette confiance sûrement l’inconnu retira sa capuche.

-Je le sais bien, je suis physiquement incapable de faire quoi que ce soit qui demande des efforts… Oh, j’espère vraiment que vous ne vous moquez pas de moi, je ne suis pas en état de me battre.

Cet aveu de faiblesse témoignait très clairement d’un manque de connaissances basiques sur la survie en ces contrées. C’était à se demander comment il avait pu tenir dans les environs plus de quelques heures.

Un léger sourire fleurit sur mes lèvres en voyant sa réaction. Ce n’était pas étonnant pour moi, ce genre d’expression j’en avais vu des centaines dans ma vie. Mes yeux vairons et mon visage androgyne ne collait pas du tout à ma voix grave d’homme. Et même, des yeux vairons, de cette couleur, on n’en voyait pas tous les jours et ça surprenait souvent les gens. Ça plaisait beaucoup aussi, car dans mes souvenirs, les filles les aimaient beaucoup. Du moins celle d’Ashnard. Et à voir l’expression qu’il avait lui aussi il tanguait plus vers l’admiration qu’autre chose. Mais ça ne dura pas car mes prochaines remarques le déstabilisaient. Mon sourire restait bien cloué à mes lèvres, alors que je l’observais. Il ne garda pas longtemps le secret en avouant sa faiblesse. J’aurais pu bluffais et il se serait retrouvait dans un bon merdier. Je devrais surement lui dire ça, mais je ne le fis pas pour le moment, me contentant de l’observer encore. Puis au bout d’un moment qui aurait pu paraître une éternité, je m’asseyais en tailleur devant lui, mon katana posé à même l’herbe sur ma gauche. Ensuite je posé mes deux avants bras sur mes cuisses en levant mes yeux vers lui. « Assis-toi. J’ai une proposition à te faire. »

Je sortais une longue pipe de sous ma cape. Je plaçais le bout entre mes lèvres. Ensuite je renvoyais ma main dans ma veste pour récupérer une petite boite rempli de tabac. J’en prenais un peu que je tassais dans le tube. Une fois bien tout rentré, je retournais récupérer un petit briquet encore une fois d’origine inconnue, et je l’allumais, ce qui produisit une petite étincelle, allumant le tabac dans ma pipe. Je tirais dessus en aspirant et en recrachant la fumée. Un sourire satisfait ce forma sur mes lèvres avant de reporter mon attention vers le jeune homme. « Avant de t’expliquer ma proposition, je tiens à te prévenir d’une chose. Ne crois pas tout ce qu’on te dit, il est tellement facile de mentir, encore plus sur Terra. J’aurais pu être un mercenaire ou même un marchand esclave. » Je pouffais de rire. « Bien que je ne sois pas ça, je ne suis qu’un simple vétéran qui a déserté un peuple qu’il ne comprenait plus. » Je marquais une autre pause pour tirer sur ma pipe, avant de reprendre. « Voilà ce que je te propose… Tu sembles être un peu perdu ici et moi j’erre un peu sans but, donc … Si tu le souhaite, donc je ne t’oblige en rien… Je peux t’enseigner tout ce que tu as à savoir sur Terra, du moins tout ce que je sais moi. Je peux aussi t’apprendre à te défendre. Tu en pense quoi ? »

Lenz se rendit compte trop tard qu’il aurait mieux fait de se taire. Certes, il n’avait pas tout dit, mais il se mettait tout de même dans une position quelque peu délicate par ses paroles maladroites, n’étant pas tout à fait certain de pouvoir tenir un affrontement contre un épéiste aguerri, ce que cet homme était sûrement. Il s’assit alors et lui demanda de faire de même. Le jeune homme hésita puis s’exécuta lentement, méfiant mais curieux, se laissant glisser contre le tronc de l’arbre jusqu’à toucher le sol. Là, il ramena ses jambes sous lui et se mit à genoux, les mains posées sur ses cuisses.

-Je vous écoute. Mais s’il s’agit d’essayer de me rouler, inutile de perdre votre temps.

À propos de temps… Combien lui en restait-il avant la prochaine « attaque » ? Pendant que Kalriiel allumait sa pipe, Lenz essaya de mesurer le temps qui s’était écoulé depuis la dernière fois qu’il était tombé inconscient. Ça ne se comptait malheureusement pas en jours mais en heures, et il lui semblait approcher du moment où ça recommencerait. C’était toujours comme ça depuis qu’il était revenu sur Terra…

Il tiqua en entendant le voyageur le prendre en défaut. Ne pas croire tout ce qu’on lui dit ? Mais dans ce cas, devait-il se méfier de chaque mot prononcé et ne croire personne ? Trop difficile à faire, et trop dangereux surtout. Même si croire tout le monde l’était tout autant. En réfléchissant à cette question il sentit une légère douleur dans son crâne, annonciatrice d’une nouvelle attaque. Il les nommait ainsi faute de connaître le mot exact. Après cent ans sans parler d’autre chose que de vaisseaux spatiaux, son vocabulaire était grandement diminué. Il était donc un peu anxieux en écoutant la suite des explications de Kalriiel, et une partie de son attention était ailleurs.

Vint alors la fameuse proposition. Lui enseigner Terra et lui apprendre à se défendre ? Voilà qui était fort généreux, un peu trop peut-être. Lenz fronça les sourcils, sceptique.

-J’en pense que c’est une proposition intéressante, mais que voulez-vous en échange ? J’avoue avoir du mal à avaler ça sans broncher, c’est trop gros pour être honnête.

Et ça y est, les vertiges commençaient… Il s’appuya un peu plus contre l’arbre et porta une main à sa tempe dans l’espoir vain d’apaiser la douleur grandissante.

-De toute ma vie je n’ai jamais vu une personne donner autant sans rien demander en retour. Et j’ai vécu plus que vous ne pourriez le croire en me voyant.