La diplomatie du lit.
À la faveur d’un allez-sans-retour au sein de la merveilleuse et très hospitalière Dictature d’Ashnard où tout un chacun était, nul n’en doutait sérieusement, un esclave de S. M. l’Empereur qui coiffait accessoirement le rôle de Conjurateur, invoquant créatures maudites et décharnés avides de se nourrir de cœurs battants. Mes nouvelles capacités en tant que Marchemonde me permettaient de voguer librement d’une réalité alternative à une autre, avec pour seul aiguillon : mon intérêt essentiellement égoïste. Je n’allais pas déguiser ma venue au sein de cette contrée chaotique sous des oripeaux de bienfaisance ; parlons crûment, je me rendais ici pour me remplir les poches, très médiocrement.
Fut un temps, j’avais travaillé au compte de grands magiciens versés dans quelques arts obscurs qui attachent peu d’intérêt à la moralité ; ce fut notamment le cas d’Arthas qui m’embaucha en tant qu’Ordonnateur général de la Non-Vie – un genre de grand intendant muni de pouvoirs exceptionnels afin de maintenir l’obéissance des macchabées devenus outils de guerre – au cours de sa campagne contre les Elfes de Quel’Thalas. Cette expérience déterminante – et opportune – fut l’occasion pour moi de consolider des connaissances acquises et d’en faire main-basse sur de nouvelles à multiples reprises, si bien qu’à défaut d’atteindre l’excellence tant convoitée, je me rapprochais pas à pas, à grandes enjambées dirais-je !, de mes ambitions personnelles.
Les guerres – et généralement, celles qui occasionnent de fortes pertes en vies – retiennent immédiatement mon intérêt. Aussi, la nouvelle selon laquelle un ancien Duché d’Ashnard, devenu la propriété d’une princesse froide comme un tombeau et commandant à des essaims de créatures folkloriques, fit plus ou moins sécession de ladite Autocratie tombait à point nommé dans mon sinistre agenda. Me voici chômeur à longue durée et éloigné de ma réalité ordinaire, je me devais donc d’assigner un nouveau but à mon existence de vampire mégalomane qui, tel un sangsue, se nourrissait du chaos.
J’arpentais alors les contrées d’Elfenard et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ressemblaient davantage à des champs de cahutes délabrés… Les rares habitants de la région me paraissaient terrorisés et peu enclins à considérer leur avenir sous un œil favorable ; certains même ne juraient que par un nom…
Un nom qui en bien des bouches avait le goût d’une injure…
Griselda !
On me fit une succincte description de la dame en question ; celle d’une ancienne putain à la solde d’un Seigneur sans foi ni loi ayant fait valoir son droit de cuissage, devenue paria de son propre village, et qui, après avoir été chassée en raison de son catinisme décomplexé, jugea bon de méditer une vengeance exemplaire en infligeant des souffrances inouïes à tous ces culs-terreux dont les têtes vides fournissaient d’amples terreaux aux racontars et aux ragots. Ironiquement, son coup d’éclat accréditait la véracité des rumeurs malveillantes qui salissent son nom – et la majorité des hères que j’eusse rencontrés ne la décrivaient qu’au moyen d’injures – dans le même registre avilissant décrit ci-dessus – et de malédictions, tout en déplorant la mollesse des forces d’intervention ashnardiennes de la région. Vaines étaient, pour ainsi dire, leurs exhortations à combattre cette terrible nuisance que faisait peser « la Grande Catin » et « son serpent de mauvais goût ».
Je ne jugerai pas cette femme sur sa façon de disposer de son corps, ni sur ses mœurs. Je m’en contre-foutais. Je m’intéressais seulement aux bienfaits d’une possible collaboration entre elle et moi. Sa situation m’intéressait énormément. Je caressais l’espoir de me rendre chez elle, dans son repère, dans sa tanière de louve tyrannique ; les villageois eurent beau jeu de me dissuader, d’évoquer la dangerosité du personnage, de tenter de me convaincre d’attendre les troupes, je n’en fis rien et poursuivis mon bonhomme de chemin après avoir pris congé de mes hôtes, un couple d’aubergistes armés jusqu’aux dents.
Mes pas me conduisirent donc à Alfenard, le lieu du crime. Minuscule territoire comparativement à la taille du Désert du Crépuscule, il demeure un maillon essentiel dans le commerce avec les peuples du sable brûlant, qui occupe une position névralgique dans l’accès aux landes. Par le biais d’une requête apparemment fondée, je parvenais à atteindre sans encombre le palais de cette reine des péripatéticiennes décriée par les soldats ashnardiens, les voyageurs de passage et les paysans des campagnes aux alentours, en réclamant audience.
Et je n’y fis aucun mystère de mes intentions : je voulais constituer un vivier de mages noirs ici dans cette principauté et pour cela, j’avais besoin et d’un titre de propriété immobilière (pour construire ma future académie) et de fonds pour recruter de jeunes talents. Au détour d’une conférence, S. M. Griselda Nadjela fut instruite de mon appréciable curriculum vitae, mon précieux pedigree, et, pour ainsi dire, convaincue de mes aptitudes, elle m’avait garanti le pactole requis en vue d’ériger une somptueuse académie au cœur de sa capitale. La bougresse se révélait bonne cliente et un délice pour les yeux ; je lui concédais une croupe généreuse, une bouche pulpeuse propice aux fantasmes les plus dingues et des seins à faire pâlir d’envie le plus frêle des eunuques – et il ne fallut que quelques jours pour que je parvienne à glisser mon corps d’Apollon dans la chambre réginale, mettant à l’épreuve la véhémence de la Reine au cours de l’acte. Je lui reconnaissais un rien de hargne pour les choses de l’amour, si bien que mon dos fut couvert de nouveaux stigmates, témoignages de nos heures passées à goûter aux plaisirs de la chair.
Ce soir, j’en émergeais tout juste, par ailleurs. Relevant la tête en dehors des draps, je régalais la Reine d’un de mes sourires espiègles. « Eh bien, ma foi. Je dois, Votre Majesté, finalement admettre que vos sujets ont raison », annonçai-je tout de go, d’une voix ceci dit évasive, en gratifiant ma partenaire d’une ample caresse sur ses fesses superbement moulées. Sans doute l’ardeur du climat, qui exaspérait ses désirs sensuels, émoussant chez cette monarque du stupre au tempérament glacial la délicatesse, la pudeur, la propreté qui préservent la femme ordinaire des habitudes et des contacts aussi torrides et licencieux. « Oui, oui, ils semblent se rapprocher de la vérité lorsqu’ils affirment que vous condamnerez à vous seule tous les bordels de votre Duché à la ruine », conclus-je en me mordant les lèvres de provocation, ponctuant ultimement mes propos d’une ample fessée sur la croupe réginale. Je me relevais alors de mon séant pour me rediriger vers une table où étaient disposés deux verres et une large coupe de vin. « Enfin, passons. Quelles sont les affaires du jour ? En quoi consistent vos projets géniaux afin d’assurer l’avenir de votre principauté ? » demandai-je en versant le précieux liquide vermeille dans les deux verres.