Crime scene. Do not cross. (Senji)

Je sentis un petit frôlement dans le dos. Ma partenaire avait fini. Je fis semblant de regarder une montre que je n'avais même pas, et me frappai fortement le front en m'exclamant.

- Bon, vous direz à Dorian que je suis désolé de pas pouvoir rester plus longtemps, mais j'ai d'autres choses à faire ! Bonne journée.

Et je m'élançai à l'extérieur, le regard perplexe du vieillard encore rivé sur moi. Techniquement, la médecin avait dû nettoyer la scène du crime. Si la glace était encore brisée, tant mieux. Les futurs inspecteurs se demanderaient qui a fait ça, et pourquoi. Sans les mener sur une fausse piste, ça les forcerait à se focaliser sur un détail qu'ils ne comprendraient sans doute jamais. Sans plaie ouverte, pas possible d'utiliser mon pouvoir démoniaque...
Je jetai un bref regard aux alentours, sans apercevoir la légiste. Je décidai de faire le tour de la maison, pour finalement apercevoir une silhouette dissimulée un peu plus loin. Elle était d'ailleurs non loin d'une statue étrange, qui me rappelait vaguement quelqu'un...

*Hum, on dirait ce pauvre type, prostré au sol...*

Mon impression fut très vite confirmée. Il était pétrifié. Étouffant une exclamation de surprise, je me tournai vers la médecin. Elle me tournait le dos. Ses cheveux étaient... reptiliens était le mot.

- Eh ben... Si c'est ça que tu voulais dire par "Trop de serpents", j'peux comprendre que ça déstabilise un peu. ricanai-je.

Un humain pouvait être flippé par ça, ça faisait aucun doute. Un démon, un peu moins. N'en restait pas moins que le coup de la pétrification me plaisait moyennement. Esquissant un sourire timide, mais sincère, je finis par demander :

- Tu comptes en faire quoi, de la statue ?

Puis, après un petit silence :

- Et est-ce que tu vas m'accorder un verre ou non ?

Tournant le dos à l'allée par laquelle Senji allait venir, Ursula tentait de calmer Méduse. Mais en fait, elle avait réveillé la bête, et l'Autre ne se laisserait pas si facilement remettre en cage. Alors elle garda les yeux fermé. Elle sursauta légèrement lorsqu'elle entendit son partenaire parler. Sans le regarder, elle gloussa légèrement à son trait d'humour. Mais bien vite, la gravité reprit ses droits.

- Le jeter.. Par dessssssus un pont. Pour qu'il éclate en milliers de petits bouts... Pour qu'il ne puisssssse jamais être ramené à la vie par des sssssorts.

Elle se tourna légèrement vers la direction de la voix mâle du jeune homme, les yeux toujours fermés, et répondit à sa dernière question.

- Dès que... Dès que j'aurais retrouvé mon calme... Je veux bien.

Elle tâtonna un instant dans une de ses poches, mais ne trouva pas ses lunettes de soleil au verre vraiment teinté. Elle ne pouvait donc pas regarder Senji pour le moment sans risquer de le changer en statue.

- Je... Tu peux m'aider à apporter la ssssstatue au Mildred Gate, un peu plus loin dans le bois ? Je peux aisssément la porter, mais pas me diriger ssssans ouvrir les yeux, au rissssque de te pétrifier également.

Elle souleva la pierre comme si c'était un poid léger, et attendit la réponse de son compagnon. Il devait bien se marrer. Ses crochets de serpents et sa langue fourchue l'empêchait de bien prononcer tout les mots. Mais tant que l'Autre aurait le contrôle, elle ne pourrait pas redevenir Ursula Ranger. Elle avait suffisamment de volonté pour la brider, mais pas pour la calmer.

Le jeter du haut d'un pont... Pas mal, comme idée. Ça changeait des meurtres de sang-froid auxquels je m'adonnais assez souvent. En entendant sa façon de parler et en voyant sa langue de serpent frétiller, j'eus du mal à m'empêcher d'imager la sensation qu'elle provoquerait si elle me... Mieux valait éviter de le savoir, de toute façon... Elle gardait les yeux fermés. *Ça me rappelle le mythe de la gorgone. Méduse, et tout le tralala.* songeai-je en m'avançant vers elle.
Je me rendis compte que j'étais torse nu. Ça devait expliquer l'air un peu étonné du vieux de Dorian. Ma chemise déchirée en deux, les lambeaux jetés à la va-vite je ne sais plus trop où...
La légiste farfouilla dans sa poche, mais n'en sortit rien. Elle avait l'air d'avoir perdu quelque chose. Des lunettes, probablement. Au moins, elle avait accepté mon invitation.

- Okay, ça marche. Si tu peux t'accrocher à moi, te gêne pas. Fais juste attention au pansement. acquiesçai-je en me mettant devant elle pour qu'elle se tienne à moi.

Puis, en la guidant et en l'avertissant dès que quelqu'un croisait notre chemin, je l'amenai vers le Mildred Gate. Une fois à destination, je me raclai la gorge et annonçai notre arrivée. J'avais envie de voir ce tas de caillasse s'écraser en confettis au bas de l'édifice. Je me penchai donc par dessus la balustrade.

- C'est bon, tu peux y aller. Je regarde pas.

Soupirant de soulagement, constatant qu'il ne s'était pas non plus enfui en courant, la jeune légiste possédée par la Gorgone sourit. Elle porta la statue d'une main, même si celle-ci devait peser son poids, et s'accrocha de l'autre à un bras de Senji qu'elle trouva en tâtonnant. Elle avançait au même rythme que lui, trébuchant parfois sur un ou deux petits cailloux. Marcher avec des talons, c'est beaucoup plus facile les yeux ouverts. Mais bon.

Après un temps qui lui paru une éternité, même si ça ne devait pas être plus de quelques minutes, ils s'arrêtèrent enfin. Posant sa main sur la balustrade du pont, elle hissa doucement la statue sur le rebord. Puis, après avoir respiré profondément, elle ouvrit les yeux en regardant au loin. Avec un sourire malsain, elle poussa de toutes ses forces l'homme pétrifié qui alla s'écraser plus bas après une longue chute. Il explosa littéralement en petits morceaux qui allèrent rejoindre les cailloux sur la berge et au fond de la rivière.

Respirant profondément à nouveau, elle sourit. Et Méduse, enfin apaisée, se retira dans l'attente de sa prochaine intervention. La Gorgone laissa Ursula si brutalement que la légiste tomba à genou sur le sol, ses jambes défaillant sous son poids. L'Autre avait peut-être une force surnaturelle, mais ça puisait dans les réserves de la jeune femme. Haletante, elle s'appuya sur le pont pour se redresser. Et enfin, elle put porter le regard sur Senji à nouveau.

- Désolée de... De ça. L'Autre est... Incontrôlable dès lors qu'on parle de viol... Ou que je suis en colère.

Son regard descendit jusqu'au pansement.

- Je.. Pourrais jeter un oeil ? J'ai une formation médicale, même si je n'utilise mes compétences que pour les morts.. Je pourrais peut-être arranger ça...

Pour le verre, Ursula n'avait pas oublié. Mais elle parlait en priorité de ce qui lui paraissait le plus urgent.

L'explosion de la statue de Dorian ne m'inspirait qu'une chose : une félicité sans borne. D'ailleurs, ce sentiment m'avais moi-même étonné, j'étais pas forcément du genre à me réjouir de la mort d'assassins, ça me laissait plutôt indifférent, d'ordinaire. Mais cette fois-là... Un vrai plaisir. Voir l'eau se recouvrir d'ondes circulaires alors que les gravats s'enfonçaient et venaient rendre le fond du cours d'eau plus clair, ça me procurait vraiment de l'extase brute.

J'appris juste après que l'Autre, comme la légiste l'appelait, était plutôt sensible au sujet du viol. Sans préciser ma pensée, je me dis qu'elle avait dû connaître ça. Une fois encore, le tact que j'éprouvais vis-à-vis d'elle me surprenait. La compassion, c'était pas mon fort. Peut-être que c'était ce côté inhumain qui me faisait me sentir plus proche d'elle ? Bah, allez savoir...
Après quoi, elle me demanda si elle pouvait inspecter ma blessure. Mon visage se renfrogna à l'évocation de la plaie, mauvais souvenir d'une précipitation qui m'avait été pénible. Un démon qui n'avait pas été foutu de se réincarner correctement ? La bonne blague.

- Y a pas grand chose à voir, de toute façon. J'ai aussi un p'tit quelque chose de spécial, et c'est une trace de cette particularité assez amère que j'ai là. Mais bon, si vous me dites comment vous vous appelez, je vous laisserai jeter un coup d'œil. Par contre, la seule condition que j'impose : pas ici. Dans un endroit plus tranquille.

Apparemment, il n'aimât pas qu'elle parle de sa blessure. Néanmoins, il accepta tout de même de lui laisser jeter un oeil. A condition qu'elle lui dise son nom. C'est vrai, qu'en y repensant, elle savait le sien, mais lui non. Confuse, elle hocha la tête. Concernant l'endroit tranquille, elle pensa aussitôt au labo. Elle avait tout ce qu'il lui fallait pour opérer si besoin était. Mais finalement, ça n'était pas une bonne idée avec tout ces flics. Elle pensa alors à chez elle. Elle demeurait en bordure de la ville, dans une petite villa léguée par sa mère. Elle y avait autant d'outil, ele avait une pièce stérilisée, et c'était tranquille.

- D'accord. Je.. Mon nom est Ursula Ranger, mais je préfère qu'on m'appelle Ranger. Je ne supporte pas mon prénom.

Elle tourna les talons, en lui faisant signe de la suivre. Direction le parking.

- On va aller chez moi. C'est tranquille, et j'ai ce qu'il faut pour m'occuper des blessures. J'ai aussi du vin, des bières, de la vodka, du saké, etc...

Elle marqua un instant d'arrêt, se retournant vers Senji.

- Enfin, si ça ne te dérange pas. Ah, et il faut que je passe déposer le dossier au labo aussi.

- Ranger ? Je me vois m'appeler t'appeler comme ça... Je préfère t'appeler mam'zelle. répliquai-je une fois qu'elle eut fini de parler. Et va pour ta maison.

L'intérieur de sa voiture me laissa rêveur. J'avais beau ne rien y connaître, me retrouver dans ce genre de situation me plut énormément.

Le moteur vrombit et le bolide démarra. En hésitant légèrement malgré tout, je finis par expliquer ce à quoi ressemblait ma blessure. Il valait mieux pour elle qu'elle soit habituée. De plus, son côté gorgone faisant penser à ma vraie nature, j'estimai que lui révéler mon statut de démon ne serait pas exagéré.
J'entrepris de lui raconter l'histoire. Le corps humain dans lequel je me trouvais avait été agressé par une bande d'humains armés de torches, comme celles suspendues aux murs des châteaux médiévaux. Pourquoi de torches, aucune idée. Mais toujours est-il que l'un d'entre eux avait enfoncé l'extrémité où dansait une flamme dans son torse. Le choc l'avait tué sous le coup. Bien sûr, j'avais sauté sur l'occasion et m'était précipité dans cette enveloppe charnelle. Mais j'étais allé trop vite. En me redressant dans mon nouveau corps, j'avais effrayé l'assaillant qui, guidé par une déraison tout à fait normale, avait enfoncé son poing dans la plaie encore ouverte, que je n'avais pas eu le temps de faire cicatriser.
La blessure s'était par la suite mal refermée, mais mes dons de démon m'avaient permis de limiter la casse. Il s'agissait donc d'une épaisse cicatrice, qui avait la taille d'un bon poing. Ornant la partie la plus visible ou presque de ce corps humain, j'avais décidé d'appliquer un pansement.

Une telle blessure, qui résultat de la hâte et de l'inattention d'un démon, ne pouvait sans doute pas être soignée par des outils de chirurgie aussi perfectionnés soient-ils. J'ignorais encore si, malgré la description peu ragoûtante que je venais d'en faire, Ursula - ou Ranger - voulait toujours m'ausculter.

J'avais déjà hâte de m'asseoir en sa compagnie. Le poste de police se dressait à l'horizon. Elle s'empara du dossier et descendit de la voiture. J'attendis qu'elle revienne, fermant les yeux et profitant de cet instant de silence pour recentrer mes pensées. Je me demandais ce qui allait bien pouvoir se passer une fois que nous aurions atteint sa villa ?
Avant qu'elle ne s'éloigne trop, je l'arrêtai d'un cri.

- Euh... Si tu peux me trouver une chemise, ça serait sympa. Je sais pas trop si ma tenue t'indispose, alors dans le doute, je demande.

12.03 AM

Mam'zelle, c'était aussi bien. Elle n'aurait pas supporté qu'il l'appelle Ursula. L'accompagnant à sa voiture, elle déverrouilla avant de jeter ses gants usagés dans son coffre. Puis elle prit le volant. Il n'y avait pas long jusqu'au labo, mais ça permettait déjà de faire découvrir la puissance et la beauté de la Maserati à son compagnon. En chemin, il lui décrivit un peu la blessure. Concentrée, écoutant jusqu'au bout, elle s'arrêta sur sa place de parking réservée. Coupant le moteur, elle tourna la tête vers Senji.

- Je t'expliquerais en revenant l'idée qui me vient. Mais oui, je peux te ramener une chemise. Enfin, une blouse plutôt.

Elle sortit de la voiture, le dossier en main, et pénétra dans le bâtiment. Déposant le dossier, elle fit comme si de rien n'était. Justement, le lieutenant arrivait.

- J'ai vos résultats lieutenant. Voici.

Elle ressortit le dossier et le lui donna. Puis elle chopa une blouse de rechange, et déclara qu'elle prenait sa pause.

En sortant, elle salua deux collègues. Rentrant dans la voiture, elle offrit la blouse masculine à Senji.

- Voilà. Concernant mon idée pour ta blessure.. J'aurais une question avant. Tu peux cicatriser de toi-même ? Je veux dire... Accélérer la cicatrisation ?

Tout en parlant, elle mit le contact à nouveau, et roula jusqu'à chez elle, à vingt minutes du labo. Elle s'arrêta dans une allée de gravillon, devant un garage.

- C'est ici. Viens.

Et elle ouvrit la porte en chêne de la villa assez grande mine de rien, l'introduisant dans un petit hall menant au salon.

J'enfilai la blouse qu'elle m'avait rapporté. M'ouais, moyennement seyant, mais ça restait plus sortable que torse nu. En reprenant la route, elle m'adressa une question un peu étrange.

- Voilà. Concernant mon idée pour ta blessure.. J'aurais une question avant. Tu peux cicatriser de toi-même ? Je veux dire... Accélérer la cicatrisation ?

Je me représentais tous les scénarios possibles et imaginables. Le plus "logique" serait qu'elle essaie de me découper la cicatrice, pour que la peau repousse par-dessus. Je n'avais jamais vraiment essayé, à vrai dire. Mais j'avais de gros doutes malgré tout. Une blessure démoniaque, ce n'était pas rien. Et puis, la douleur était certes moindre que sur un humain - dans la mesure où je ne ressentais rien en me mordant ou en frappant dans une glace - mais elle était bien présente. Dépecer une partie entière de mon torse... Il fallait quand même avouer que si ça fonctionnait, je serais ôté d'un gros poids. Je m'étais attaché à ce pansement, mine de rien. Il faisait un peu partie de moi, de mes "secrets". Et surtout de mes erreurs passées. C'était presque un pense-bête.
Je soupirai et m'apprêtai à lui répondre quand elle arrêta la voiture. On était arrivés. Belle fille, belle voiture et forcément belle maison.

Elle me fit entrer dans un salon assez luxueux. Décorations et ameublements correspondants assez bien à la vision que je me faisais d'elle, cette villa semblait assez confortable.

- Écoute, pour la blessure... Je sais pas vraiment si essayer des trucs c'est une bonne idée. Ça fait un peu partie de moi, et ça me rappelle la première connerie que j'ai faite en arrivant sur Terre. P't-être que l'enlever, c'est pas un truc à faire ?

Je patientai néanmoins. Je lui devais de toute façon un coup d'œil sur la cicatrice. Sans plus attendre, j'enlevai la blouse et, quoique légèrement hésitant, le pansement. La plaie apparut. La même que d'habitude. Une sorte de marque couleur chair, plus claire que mon bronzage naturelle malgré tout.

- À bien y réfléchir, c'est la première fois que je tombe le pansement. La chemise, ça m'arrive assez souvent, mais c'est pas pour observer la partie-là de mon corps. Ça me fait... Je m'arrêtai et essayai de trouver mes mots. Aucune autre ne me vint à l'esprit. Bizarre.

Puis j'attendis qu'elle fasse ce qu'elle avait à faire, les bras croisés derrière ma tête, un air blasé accroché au faciès.

Après l'avoir fait entré, elle était allé chercher une paire de gants. Après cela, elle prit un paquet et s'avança dans une salle où il y avait plusieurs vivarium. Dans chaque, elle sortit une souris du paquet pour le glisser dedans. Dans chaque, le serpent qui l'occupait commençait sa traque de la souris. Elle eut un sourire, et retourna dans le salon, près de Senji.

- Tu.. D'accord. Je ne ferais rien.

Elle enfila tout de même ses gants, et attendit qu'il finisse d'enlever la blouse et le pansement. Là, elle put voir la plaie. Enfin, la cicatrice. Ça n'était pas si moche. C'était même plutôt propre. Elle traça avec hésitation les contours, palpa doucement la peau plus claire, et finalement se redressa. Ôtant ses gants et les jetant dans une corbeille, elle sourit doucement.

- Et bien, c'est pas si mal. Je ne pense pas que j'aurais pu améliorer ça de toutes façons. Un verre tu disais ?

Elle disparu dans la cuisine, lui faisant signe de s'installer confortablement sur les fauteuils ou canapés de cuir, et fouilla dans ses placards.

- Tu veux quelque chose en particulier ? Vin, bière, vodka, mojito, etc... ? Cria-t-elle depuis la cuisine.

Autant savoir ce qu'il voulait, pour apporter les bons verres.

Ranger respectait au moins mon désir de ne pas trop s'intéresser à ma blessure. Après avoir avoué son impuissance face à la cicatrice, elle partit en direction de la cuisine, d'où elle me demanda la boisson que je voulais. Je réfléchis quelques secondes, avant de me lever, sans avoir donné de réponse. Puis, sans même me rhabiller, replaçant simplement mon pansement, je m'approchai de la cuisine. Appuyé contre un pan du mur, je ne pue m'empêcher de laisser couler mon regard le long de sa silhouette. Elle était aussi agréable à regarder de dos que de face. Un sourire illuminant mon visage, je daignai enfin répondre, d'une voix calme.

- La même chose que toi, pas la peine de se compliquer la vie.

Puis, comme pour faire mine de ne pas être trop intéressé par la vision de son dos - notamment le bas - je détournai le regard en direction des différents vivariums. Mon regard se posa sur un serpent, dont j'ignorais foutrement le nom et la "race", qui étouffait la souris. Je pus presque entendre les os du rongeur craquer, se réduisant en poussière sous la pression puissante du reptile. L'étouffement... C'était une idée. Après le coup du taser et les intérêts d'ordre sexuel qui en découlaient, j'avais droit à une nouvelle technique d'assassinat. C'était propre, sans effusions de sang, totalement différent de mes procédés habituels.
Puis mon regard se tourna de nouveau vers la silhouette de la médecin. Je ne me gênai pas pour la dévorer de nouveau des yeux.

Alors qu'elle se demandait quelle sorte de verre prendre, quelle image donner d'elle, la voix de son compagnon. Elle sursauta, encore sur les nerfs à cause de la récente prise de possession de son corps par l'Autre, et tourna un regard vers lui. L'Autre était partie, mais ses pupilles étaient encore en fente, comme celles des reptiles. Elle n'avait pas tout à fait retrouver son calme. Même si, en apparence, elle semblait remise. Haussant les épaules, elle sortit donc deux verres à vin en cristal du placard, et les posa sur le placard. Elle ouvrit une porte au fond de la cuisine, menant à la cave. Là, elle sortit une bouteille de vin rouge. Du Chambertin, un grand cru de 2008 du Domaine Remy. La bouteille ne coûtait pas moins de 134 €. Mais c'était un très bon vin.

Sortant un tire-bouchon, elle déboucha la bouteille et les servit tout les deux avant de la reposer sur le placard. Elle prit les deux verres à la main, et en apporta un à son compagnon.

- J'espère que vous appréciez le vin rouge.

Elle rougit légèrement sous son regard, puis embraya sur un autre sujet.

- J'ai vu que vous observiez mes reptiles.. Trouvez-vous qu'une quinzaine, dans une grande salle à vivarium, c'est trop ?

Elle trempa ses lèvres dans la liqueur et posa son regard sur Senji en s'appuyant elle aussi contre un pan de mur. L'un des reptiles, le premier qu'elle avait eu, levait la tête et l'observait de ses yeux si particuliers. Les même qu'elle avait lorsque Méduse se réveillait. C'était So'Rande. Son petit chouchou.

- J'espère que vous appréciez le vin rouge.
- Ouais, ça se laisse boire.

Tout en prenant le verre, je remarquai que son expression avait changé l'espace de quelques secondes.

- J'ai vu que vous observiez mes reptiles.. Trouvez-vous qu'une quinzaine, dans une grande salle à vivarium, c'est trop ?
- On dit que quand on aime, on ne compte pas. Je suppose que, de toute façon, ils sont sages, vu leur maîtresse.

Je lui souris d'un air jovial, pour souligner la plaisanterie. Puis je portai le verre à mes lèvres. Le vin était vraiment très bon. En tant que piètre connaisseur, je n'aurais pu que dire qu'il est super, alors je me contentai de reprendre une gorgée. Puis, en observant le reste de la pièce, je déclarai :

- C'est une grande maison pour vivre toute seule. Mais j'imagine que tu dois recevoir beaucoup de monde. T'as un métier fascinant et t'es très belle. En plus, tu dois bien être payée au vu de tout ce que tu possèdes. Tu dois ramener pas mal de minets par ici.

Je bus une nouvelle fois.

- J'aimerais bien être un de ces minets,[/i] avouai-je en observant sa réaction, le verre toujours levé.

J'avais réussi à garder un ton calme, et j'avais dit ça comme si je m'en moquais. Enfin, je crois.

Prenant aussi une gorgée de vin, elle sourit. Bien sûr que ça se laissait boire. C'était presque un nectar divin pour elle. Elle préférait largement le vin rouge à la bière. Elle avait des goûts de luxe oui. Mais largement de quoi les assumer. Et puis elle a toujours admiré les chef d'oeuvres dont est capable l'humanité.

Sa réponse à propos des serpents la rassura. Ce n'était pas elle qui était en tort. Elle se détendit un peu plus, s'autorisant un sourire charmant. Après une gorgée de plus, elle se déplaça pour rejoindre le salon, lui faisant signe de la suivre, tout en répondant à ses paroles avec une légère rougeur sur les joues.

- Jusqu'à il y a peu, je ne vivais pas seule. Mais... Il n'a pas supporter mes petits chéris. Il est... Parti.

Plus ou moins.. Pensa-t-elle, mais elle ne rajouta rien. S'installant dans le canapé, virant la blouse précédemment portée par Senji, elle lui offrit un nouveau sourire et posa son verre sur la table basse, sans oublier de piocher un des dessous de verre qui se trouvaient sous la table. Pour ne pas salir ou rayer la vitre parfaitement nettoyée ou le bois du cadre sans une tâche.

- Mon métier est fascinant oui. C'est à moi de faire parler les morts pour coincer les meurtriers. C'est tout un univers. Et eux, ils ne portent pas de jugements. Ils ne peuvent pas mentir. Mais ça ne paye pas assez pour que je me paie tout ça. C'est juste que j'ai la chance d'avoir un héritage assez conséquent, et d'avoir fait des placements judicieux.

Elle marqua un arrêt, avant de sentir ses joues rougir à nouveau.

- Je... Et bien.. Tu es parfaitement dans le type d'homme que j'aime bien...

Ses aveux la gênèrent, mais elle n'aimait pas mentir. Elle se devait d'être franche et honnête, comme ses "clients". Elle avait déjà assez à mentir pour couvrir les bêtises de Méduse. Il fallait qu'elle se rattrape pour le reste.

- Tu... Tu fais quoi dans la vie sinon ? A part avoir investit le corps d'un humain tout juste décédé ?

Elle reprit son sourire, légèrement amusé cette fois. Et elle finit son verre, le reposant correctement sur le dessous de verre.

J'étais son type d'homme. La phrase la plus douce à mes oreilles. Ainsi, cette chère Ursula était riche de naissance. Cela expliquait de nombreuses choses, concernant ses vêtements, son moyen de locomotion...
Je répondis à sa question.

- Pour l'instant, rien de particulier. J'essaie de trouver un job, travailler au lycée en tant que concierge, ça me botte bien. C'est calme et tranquille, et on peut rencontrer des gens intéressants.

Je me rapprochai lentement d'elle, puis posai ma main sur la sienne, la fixant d'un air entendu.

- Est-ce que si je t'embrasse, c'est déplacé ? Ou est-ce que ça risque d'énerver l'Autre ?

Puis sans attendre, je l'embrassai, passant l'une de mes mains au niveau de ses hanches, l'autre posée sur sa jambe.

Après seulement quelques minutes, je reculai pour appréhender sa réaction.