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« Dernier message par Ekko le Aujourd'hui à 15:52:19 »
Darius ôte son casque, avant de le ranger dans le top-case de son antique scooter avant de lever les lieux vers le bâtiment devant lequel il vient de se garer. Un de ces nombreux immeubles sans âme construit dans les années 2000. Il renfile, consulte sa montre à son poignet. 15h20. Il a un peu d’avance, comme d’habitude. Il dézippe la fermeture éclair de son blouson de cuir pour offrir son torse à la caresse du soleil printanier en se demandant, sourire aux lèvres, à quoi peut bien ressembler son éventuel futur employeur. Il s’est imaginé un quadra blanc, bien propre sur lui, avec une petite paire de lunettes carrées immaculées et une paire de richelieus cirées, mais ça colle pas complètement. Un mec qui écrit des saloperies pareilles doit porter le vice sur lui, quelque part. Une paire de pompes en croco ? Une calvitie précoce ? Hmm…
Il consulte rapidement ses mails, pour constater que son directeur de thèse a encore une fois reporté leur RDV du lendemain et soupire de dépit. Cinq putain d’années qu’il bosse dessus et il n’en voit décidément pas le bout. Contre toute attente et contrairement aux apparences, Darius avec ses cheveux crépus, ses sneakers et son blouson n’est pas un influenceur branché ou un producteur de rap, mais un étudiant en droit parmi les plus brillant, qui ambitionne de devenir professeur des universités. En attendant… Il vit de petits jobs alimentaires des plus ordinaires aux plus pittoresques, puisqu’il apparaît depuis peu dans de petites productions pornographiques, ou encore dans une pub pour des croquettes pour chien.
“Bonjour heu… j’viens pour le rendez-vous avec Charlie...”
La jolie standardiste l’observe avec un mélange d’amusement et de curiosité, mais sans hostilité. Elle est mignonne, avec une grosse paire de lunettes qui bouffe la moitié de son visage et de longs doigts manucurés. Il lui sourit. Il en ferait bien son quatre heures. Fais pas l'innocente princesse, je parie que t'as un exemplaire du dernier bouquin planqué à côté de ton womanizer dans ta table de chevet...
“Oui bien sûr… Vous êtes Darius Williams ? L’auteur va vous reçevoir dans une dizaine de minutes…”
La brunette se retourne, désigne les ascenseurs chromés derrière elle.
“Ce sera au cinquième étage, rentrez directement dans le petit salon en face de vous lorsque vous sortez de l'ascenseur. “
L'intéressé hoche la tête, trop préoccupé pour lui compter fleurette. L’entretien d’aujourd’hui est d’importance. A la clé, un contrat à durée indéterminé et un salaire stable et plus que satisfaisant. Il se dirige vers les portes chromées en révisant mentalement ce qu’il a prévu de dire à Charlie. Votre style, très vivant, presque charnel a stimulé mon imagination. Un peu chelou de balancer à un mec non ? Même si ce n'est pas complètement faux… Ding. Les portes se referment sur lui. Il s’observe dans le miroir qui lui fait face, s’efforce d’ajuster les épis de ses cheveux noirs. Peut-être qu’il aurait dû se raser le crâne avant de venir. C’est une de mes aman…Amies, qui m’a parlé de vos bouquins. Ça lui a donné envie d’expérimenter quelques-uns de ses fantasmes les plus indicibles. Dans le dos de son mec et avec lui, mais il fallait peut-être éviter de le préciser.
Ding ding.
Avec un sourire Darius sort de l’ascenseur pour se diriger vers la pièce octogonale et impersonnelle qu’on lui a indiqué. Il se demande ce que l’auteur aura pensé du test littéraire qu’il lui a envoyé. Il s’agissait de produire cinq pages de littérature érotique impliquant plus de deux personnages. A vrai dire, si le style concis, explicite et incisif du texte est indéniable, Darius n’a pas vraiment cherché à faire fonctionner son imagination. Il s’est contenté de décrire sa rencontre avec un couple d’âge mur, dont le mari, partageur, souhaitait faire un cadeau d’anniversaire à sa femme en lui offrant deux jeunes mâles athlétiques. Plutôt habile de sa plume, Darius a pris le soin d’adopter le point de vue de l’épouse - renommée caroline, dans le texte - pour davantage d’immersion, même s’il avait eu un peu de mal à décrire son propre personnage, qu’il s’est contenté de brosser à gros traits.
Il s’approche de la table pour s’emparer d’une bouteille d’eau, laissée à l’intention des visiteurs et retire sa veste, qu’il pose sur le dossier d’une chaise avant de s’approcher de la baie vitrée pour observer l'effervescence de la ville. Si la perspective de l'entretien l'angoisse un peu, sa thématique ne le dérange pas vraiment; Darius est à l'aise avec sa sexualité et la place prépondérante qu'elle occupe dans sa vie, y compris avec les échanges épistolaires licencieux qu'il entretien sur internet avec plusieurs jeunes femmes, pour se changer les idées les jours où passe la plupart de son temps à la bibliothèque universitaire.