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Le passage vers la Terre s'était bien déroulé et Amano ne pensait pas avoir été suivi, ni au départ, ni de l'autre côté. Il était arrivé hier soir à Seikusu et avait livré le tube de métal scellé à la personne qui correspondait en tout point à la description qu'on lui avait donné. Ils n'avaient pas échangé le moindre mot et Hate avait reçu une petite sacoche en cuir qui contenait son billet retour et les pièces d'or promises. Affaire classée.
Le Voyageur commençait à très bien connaître les portails les plus au Sud de Nexus, mais il ne se faisait définitivement pas aux habitudes de ce second monde matériel, parallèle à Terra. Sans vraiment savoir pourquoi, il ne s'y sentait pas à l'aise. Il ne s'y sentait pas chez lui. Il faut dire qu'habitué des autres plans, l'existence de la Terre n'était pour lui qu'une réalité de plus, mais dans ce monde là, les gens semblaient encore plus fades et frustrés que dans le sien. La plupart se comportaient étrangement et n'avaient plus aucun sens de l'honneur, du courage ou de la parole donnée. Amano secoua la tête lorsqu'il se dit que, finalement, à bien y réfléchir, ces valeurs se perdaient aussi dans son monde à lui.
La journée était passée et il s'était éloigné du centre. Comme d'habitude, il s'était fondu sans trop de difficultés dans la masse, car vu le nombre de portails qui se trouvaient à Seikusu, les énergumènes qui peuplaient les rues étaient souvent bien exotiques et personne ne faisait attention à quelqu'un qui marchait en silence. De temps en temps, il vérifiait simplement que son marteau n'était pas visible et qu'il était bien calé contre sa hanche.
Amano leva les yeux au ciel et suivit le halo rougeoyant des rayons du soleil qui disparaissait à l'horizon. Il était tard, et s'il voulait rentrer avant la nuit, il ne devait pas trainer. Il sortit de sa sacoche le plan de la ville qu'on lui avait remis hier, le déplia et observa une nouvelle fois l'endroit marqué d'une croix rouge ; le point qui indiquait l'emplacement du portail temporaire qui le ramènerait chez lui.
Je n'ai plus de temps à perdre, pensa-t-il, je dois me mettre en route...
Il longea une longue avenue et tourna dans une allée qui s'éloignait vers l'Est, quittant définitivement les zones les plus peuplées de Seikusu. Il pénétra dans un espace dégagé et arboré. Après une inspection rapide des environs, il poursuivit son avancée.
- Je suppose que c'est par ici. Il ne me reste plus qu'à trouver... une fontaine, apparemment... surmontée d'une statue de bélier.
Hate arriva très vite sur la place principale du grand parc, et malgré l'heure tardive et l'obscurité qui envahissait les lieux, quelques passants traversaient encore la place, rentraient chez eux après une soirée de travail ou un repas tardif au restaurant. En plein centre de la grande place, il aperçut rapidement la fontaine qu'il cherchait et sa statue de marbre blanc. Il tourna autour d'elle mais ne vit aucun portail. Il jeta quelques regards inquiets dans les allées verdoyantes qui semblaient converger vers ce point, mais aucune surface ressemblant de près ou de loin à un portail n'était visible dans les environs.
- Et merde...
Que le portail se soit refermé ou qu'il s'agisse d'un faux-plan, le résultat était le même : il ne retournerait pas sur Terra ce soir. Dès qu'il le pourrait, il lui faudra donc se diriger vers un autre portail de Seikusu, mais ceux qu'ils connaissaient se trouvaient de l'autre côté de la ville, à plus d'une heure de marche, et la fatigue commençait à se faire sentir.
- C'était pourtant bien parti, jusque là...
Sans réellement savoir quoi faire dans l'immédiat, il déambula quelques minutes dans le parc, les faibles lumières des allées l'isolant désormais de l'extérieur et de l'obscurité de la nuit. Il remarqua que le parc était maintenant pratiquement vide, seuls quelques rares passants étaient encore visibles par moment, au détour d'un croisement ou d'un chemin de rosiers. Il trouva bientôt un banc où il voulut se laisser quelques minutes de répits, mais c'est précisément à cet instant qu'une ombre arriva et se posta devant lui.
- Dégage, fils de pute, tu vois pas que t'es sur mon chemin ?
Amano leva les yeux sur une montagne de muscles qui devait bien le dépasser de deux têtes. D'imposantes cicatrices recouvraient ses joues et son œil droit. Son menton était décalé et une horrible haleine s'échappait d'entre ses dents. Le Voyageur garda toutefois son calme et le dévisagea un instant. Il ressentait une énergie négative émaner de cet homme, et malgré son incroyable force physique, son aura était faible.
La brute saisit soudain son manteau et, le poing fermement serré, sembla s'impatienter.
- C'est quoi qu't'as pas compris, trou duc' ? Tu veux mourir ou quoi ?
Hate pensa qu'il pouvait à tout instant disparaître de la vue de cet homme, et sans doute même lui ôter la vie. Il fixa alors son regard puis leva une main pour la poser doucement sur l'énorme avant-bras du colosse, mais un bruit attira son attention au loin, derrière son agresseur. Des bruits de pas... Peut-être un autre passant ?
Amano détourna le regard un court instant et paya instantanément le prix de cette inattention. Il sentit le poing du géant le saisir à la gorge et serrer.
- Ne me touche pas, connard ! Et c'est la dernière fois que j'te le dis : bouge ton cul d'ici ou j't'arrache la gorge, je tire dessus et j'te fais bouffer tes intestins ! T'as compris !?
Amano dû réfréner ses réflexes pour ne pas disparaître dans l'Ether et contrôla tant bien que mal sa respiration. Derrière le colosse, les bruits de pas se rapprochaient. S'il tentait quelque chose maintenant et qu'il se loupait, pour une raison ou une autre, qui sait de quoi serait capable son agresseur, et si lui était hors de sa portée, d'autres vies pourraient être mises en danger.
Le Voyageur fit un pas de côté et tenta de se déplacer, laissant la voie libre au colosse.
- Ah ben voilà, tu vois qu'on parle le même langage, pauv' tâche...
Le géant grimaça de dégoût et reprit enfin son chemin. Amano lui, retrouva son souffle, se massa la nuque et le cou tout en s'avançant vers le banc. Il se retourna et se laissa tomber sur l'assise, qui lui apparaissait presque comme un matelas moelleux. Il relâcha sa tête qui bascula en arrière, le laissant face aux étoiles.
- T'es trop con, Amano...
L'homme eut la politesse de ne la regarder que dans les yeux. Aucun voile graveleux ne vint assombrir son regard et avant de se lever, il avait pris le temps de découvrir qui s'adressait à lui. Si certains s'en seraient réjouis, lui n'haussa même pas un sourcil alors que son nez se trouvait juste devant le ventre découvert de cette inconnue. Et même dans sa façon de s'exprimer, il optait pour la mesure et une certaine distance polie qu'arboraient entre elles les personnes intelligentes. Inviter ne veut pas dire coucher et un sourire ne signifie pas non plus une attirance irrésistible pour celui à qui il est destiné. Excellent point pour lui! Son attitude plait d'autant plus à Lilly. Son accent est charmant et si certains mots semblent lui échapper, il s'en sort bien de sorte qu'on pourrait le prendre pour un citoyen du commonwealth. Pas fataliste mais plutôt désintéressé, il refusa l'offre d'aller informer des faits la police locale. C'était sa décision et Lilly ne se permit aucun jugement. Et puis, pour les bonbons au gingembre, il avait raison, le goût était atroce mais elle n'avait que ça à ce moment-là, elle les avait récupéré au bar.
Elle fut heureuse qu'il accepte de l'accompagner. Elle aurait peut être été vexée du contraire, on ne refusait pas un verre avec Lilly en général. Ils marchèrent côte à côte sans se presser et les passants qu'ils croisèrent se demandaient ce que faisait ici ce joli couple d'étrangers. Le soleil venait de terminer sa course descendante et aussitôt, la lune s'était faite maitresse des cieux, nimbant le parc et la ville de sa lumière blanche. Ils parlèrent simplement, de choses accessibles sans trop tomber dans le personnel. Lilly n'avait rien a cacher sauf ... son adresse, son identité, ses mensurations, son code de carte bleue, ses goût en matière d'homme ... donc elle fit le tri dans ses réponses, sans mentir et s'aperçut que l'inconnu faisait de même. Elle en rit pour elle-même et fit juste un signe négatif de la tête quand elle perçut son regard interrogateur. Elle était plus loquace que lui mais après tout, il n'avait pas demandé à être là ni à subir un interrogatoire en règle, ce dont elle s'abstenait d'ailleurs. Ils restèrent donc flous quand à la situation de l'un et de l'autre même si le ton de Lilly était cordial et entrainant.
Une légère bise se leva au moment où ils atteignaient la rue et elle frissonna. Ils quittaient l'univers soyeux du jardin pour arpenter à présent une rue qui donna sur une avenue bruyante. La foule occupait les trottoirs. Il s'agissait de jeunes japonais sortis pour oublier la tension du quotidien partagée entre études et labeur. Ici pas de karaokés! Dans ce quartier, on buvait et on dansait. Le couple fut bousculé par des excités mais qui tous s'excusèrent, reprenant l'espace d'une seconde leur rigueur traditionnelle. Au milieu de ce troupeau humain, l'homme n'avait pas l'air d'être des plus à son aise mais ils arrivèrent vite à destination et le calvaire se termina.
Comme toute la ville, la façade travaillée du "Old Joe" croulait sous les néons. Vu de l'extérieur, le club ressemblait à un saloon avec sa porte battante et sa déco western. Néanmoins, à l'entrée, deux malabars en costumes rappelaient qu'ici, les débordements n'étaient pas tolérés. Lilly leur fit un petit signe amical auquel ils répondirent par un sourire tranchant avec leur sérieux. Lilly passait bien avec tout le monde. Dedans, un manager fonça vers elle.
"Salut Lilly! Tu as oublié quelque chose?"
"Non, vous me manquiez tous alors j'ai fait demi-tour et j'en profite pour amener un ami."
Un peu jaloux envers cet ami que Lilly semblait fréquenter en dehors du club, le manager le lorgna de la tête au pieds.
"Il faudra que tu me comptes parmi tes amis pour sortir un de ces quatre."
"Tu es mon chef et dans ton pays, ça ne se fait pas. Aux states, tu connaitrais déjà l'odeur de mes draps."
L'autre rougit jusqu'à la racine des cheveux et bredouilla un truc inintelligible ... Ces étrangères étaient vraiment sans-gêne. Lilly lui fit un bisou sur la joue et lui murmura à l'oreille. L'homme sourit aussitôt et disparut ravi.
"Voilà le "Old Joe"! Je bosse ici! Si tu n'aimes pas c'est normal. Au Japon ils ont des idées très préconçues sur notre mode de vie. Leurs copies restent assez loufoques parfois, c'est le cas ici."
La salle était vaste et compartimentée en plusieurs secteurs, une zone libre pour les danseurs fous, un coin box discrets pour ceux voulant un minimum d'intimité et un autre où il était possible de commander de quoi grignoter. Il y avait aussi un stage pour les concerts ponctuels mais ce qui marquait le visiteur plus que tout, c'était le bar immense, en bois, superbe, derrière lequel s'acharnait une équipe de quatre jeunes compétents pour satisfaire la soif de la clientèle. Il y avait du monde ce soir et Lilly, après un coucou à sa team, passa derrière la bar, tout au bout au calme, et invita son compagnon du soir à s'installer en face d'elle sur une selle faisant office de tabouret.
Son côté à elle étant surélevé, elle se pencha devant lui et s'appuya sur ses coudes en lui tendant la carte.
"Je te fais ce que tu veux ..."
A comprendre et mettre au degré qu'on préférait que ce soit ...
Dans la salle, le DJ venait de lancer un cover de Californication des Red Hot Chili Peppers par un groupe nippon. C'était moyen ...
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Le bar du "Old Joe"