Te souviens-tu
de notre chant ?
" Je te le dis, on s'est perdu ! Tout ça pour quelques foutues infusions ! "
" Qui te dit que nous rentrons déjà, Olgiar ? Du nerf ! Et ces quelques infusions sauveront peut-être la jambe de Baltazar. "
" On aurait juste pu payer un guérisseur ... "
" Il n'y en a pas d'assez bon à moins de deux semaines de navigation. Ne t'inquiètes pas. J'ai appris ce remède d'une bonne amie. "
" Une amie ... Et elle t'a appris ça entre deux parties de ... "
" ... Des fois, tu es un imbécile, Olgiar ! Tiens ! En voilà ! Tu vois ? "
Le chef affranchi se pencha sur l'herbe grasse et verte de cette forêt des terres du nord. Malgré la saison, il faisait ici plus frais que dans les régions qu'il avait pris l'habitude de parcourir. La brise fraîche venue des pics enneigés pointant à l'horizon, au nord, lui rappelait ses années passées à Son'Da, à la recherche de lui-même et de sa destinée. D'une touffe de plantes pointant au sommet de la couverture herbeuse, il piqua plusieurs brins, les prenant près du sol et les posant aussitôt dans une poche de tissu humide. Le temps de revenir au bateau, ils seraient presque prêts pour créer le cataplasme. Il en prit bien plus que nécessaire, soucieux de ne pas tomber à court et de n'avoir pas fait ce long détour pour rien.
Pendant un instant, il pensa à cette amie qui lui avait fait découvrir certaines plantes et remèdes. C'était il y a bien des années. Elle vivait loin au nord, en ermite, et il ne l'avait plus revue depuis.
* * *
Le froid du grand nord venait le mordre par le moindre interstice que le vent cinglant ouvrait dans ses vêtements chauds. Même couvert de fourures, Lamnard sentait la gifle d'un froid polaire le caresser de sinistres promesses tandis qu'il luttait pour gagner un abri. Venu braver la nature en ermite en espérant un signe des dieux, il commençait à penser que ces derniers voulaient sa mort.
A l'époque, mis à part sa carrure, il n'avait pas tant à voir avec le chef de guerre qu'il était aujourd'hui. Ses tatouages n'étaient encore qu'un vague projet, et si ses cheveux blonds descendaient à ses épaules dans un fatras de mèches en pleine santé, il n'avait de son bouc qu'une timide brosse de poils en bataille. Il sentait, au fond de lui, que ceci n'était pas vraiment celui qu'il était. Ce jeune homme plein de vie et de projets qu'il était manquait de quelque chose de vital : la confiance en soi. Il était venu ici se mettre à l'épreuve pour l'obtenir.
Mais l'abri qu'il s'était monté avait été emporté dans une avalanche il y a trois jours. Il avait été protégé par miracle par les débris de son logis, et il avait creusé à s'en meurtrir ses doigts bleuis pour retrouver de l'air et un ciel chargé de nuages d'orage. Il avait réuni tout ce qu'il pouvait, et avait marché pendant plus de 48 heures, sans vivres ni eau, avec pour seul espoir la possibilité de trouver un abri quelconque face à la tempête qui faisait rage sans discontinuer.
Il avait fini par gagner l'entrée d'une caverne alors que l'espoir et ses dernières forces menaçaient de le quitter pour de bon. S'engouffrant dans l'étroite faille rocheuse, il s'était glissé entre les stalagmites millénaires à la recherche d'un point d'eau et de mousse, quoi que ce soit qui pourrait l'aider ; mais il n'avait rien trouvé dans la première salle, ni dans la deuxième. L'épuisement lui avait soudainement coupé toute force dans les jambes. Il avait trébuché sur la roche cristalline dans un râle d'agonie. En tentant de se relever une dernière fois, il avait levé la tête et aperçu une silhouette cachée derrière des formations calcaires.
Et il avait sombré dans la nuit.
* * *
Plongé dans ses pensées, il se redressa, la bourse bien remplie de pousses, mais il se figea en voyant une silhouette émerger de buissons proches. Cette silhouette familière fut comme une illusion née de sa nostalgie, comme une salutation bienveillante fabriquée par ses propres souvenirs.
Mais quelque chose n'allait pas. Lamnard eut à peine le temps de réaliser que Yukka, en chair et en os, était bien présente et n'était pas le fruit de son imagination, qu'elle s'effondrait. Il vola à son secours, mais elle avait déjà sombré dans l'inconscience.