« Je fais des rêves, ces temps-ci. »
« Rien d'inhabituel à ça, ma douce. »
Allongée dans un immense lit molletonné, le teint vermillon d'Anka ressortait sur la blancheur des draps de satin. A ses côtés, un démon robuste à la peau si sombre qu'elle en paraissait noire. Encore enlacés, ils respiraient la luxure et la sauvagerie. Les draps de satin étaient tout froissés, et les deux démons étaient encore brûlant (plus que d'habitude) de leurs ébats récents.
« Non, mais pas des rêves comme d'habitude. Je ne rêve plus que de sang, de carnage, et d'un combat étrange. »
« Quel genre de combat ? »
« Je ne sais pas trop. Je crois que ça c'est passé il y a longtemps. J'ai l'impression de l'avoir vécu... Il y a eu des carnages, autant chez nous, que chez les humains ou les anges. ... Et le responsable est Abaddon. Je crois que je rêve de cette bataille terrible, où les nôtres conclurent cette alliance avec les sbires du Divin... »
« Tu as dû lire quelque chose dessus, et ça t'obsède pour un temps... »
« Non, je n'ai rien lu. Et j'ai l'impression d'y avoir été. D'avoir participé. D'y avoir souffert, et vaincu. »
Son amant resta silencieux un moment, avant de souffler :
« Vas voir Ey'Raina. Elle saura sûrement te répondre mieux que moi. »
La démone au teint de sang hocha la tête.
« Oui. Je vais aller la voir. »
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« Et donc, tu fais ces rêves depuis plusieurs semaines maintenant ? »
« C'est cela, Sage Raina. »
La vieille démone avait la peau parcheminée. Son teint était aussi pâle que la neige, et ses cheveux également. Ses yeux aux pupilles félines, autrefois écarlates, n'était plus que le reflet opaque de ce qu'ils étaient autrefois. Elle farfouilla un moment dans un placard, remuant fioles et sachets, avant de sortir ce qu'elle cherchait. Une fiole, en cristal, emplie d'un liquide nacré qui tourbillonnait sans cesse.
« Bois ceci, et tu auras l'intégralité de l'histoire dont tu rêve. Mais, ça ne m'étonnerait pas que tu sois la réincarnation d'une Anka ayant participé à cette guerre contre Abaddon. »
La belle démone frotta un instant ses cornes, avant d'hocher la tête. Elle prit la fiole, sans un mot, et vida le contenu entre ses lèvres. Trois gouttes tombèrent, et furent prestement avalées.
Et déjà, Ar'Anka s'enfonçait dans ce rêve, ou ce souvenir, d'un autre temps.
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« Commandante ! Commandante ! »
« Qu'y a-t-il, Astaroth ? »
Le Grand Duc, puissant dans les Enfers, arriva. Il était légèrement essoufflé, mais avait le visage grave.
« Abaddon. Il a... C'est un carnage. »
« Où ça ? »
Astaroth grimaça.
« Khûm-Lûm. Il a décimé les démons qui ne voulaient pas le suivre. Il a aussi fait un carnage parmi les humains, et les anges. »
Ar'Anka, droite et fière, soupira.
« Je craignais que ça n'arrive, un jour où l'autre... Le Destructeur... »
La démone au teint écarlate fit volte-face. Elle rentra dans ses appartements, en donnant un ordre à son lieutenant.
« Ordonne aux soldats de se préparer. Nous partons pour Khûm-Lûm. Je veux voir par moi-même. Puis, nous poursuivrons Abaddon. »
Sans même la contester, Astaroth partit répandre la nouvelle.
Une fois les portes fermées, Ar'Anka murmura pour elle-même.
« Nous partons en guerre... »
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A la tête d'une légion de démons assez conséquente, Ar'Anka déploya ses ailes vermeilles. La peau avait l'aspect du cuir. On aurait presque dit une aile de chauve-souris. A son signal, tous s'envolèrent. Rapidement, ils prirent de la vitesse, et finirent par arriver au sanctuaire de Khûm-Lûm.
Avant même d'y parvenir, la démone sentait déjà les relents de sang et d'horreur. Ce devait être un sacré carnage. Et l'incendie se ressentait nettement.
Finalement, elle et sa légion arrivèrent au sanctuaire en lui-même. Elle se posa la première, et fit quelques pas parmi les cadavres. Elle se penchait de temps en temps, murmurant les noms des démons qu'elle reconnaissait. Ceux qui n'étaient pas trop mutilés.
« Asmodée... Behemoth... Belial... Byleth... Lilu... Rosier... Ronwe... Eurynome... »
Elle avait le visage grave. Le massacre des siens lui soulevait le coeur. Mais les démons n'étaient pas les seuls victimes de cette hécatombe. Près des pyramides, les recouvrant, des centaines de cadavres. Humains, démons, anges...
Ces derniers étaient d'ailleurs également présents, constatant le massacre qui avait eu lieu.
Même si Ar'Anka n'aimait pas beaucoup les anges, elle savait éprouver de la compassion, et elle en éprouvait pour eux. Leur peine devait être la même que celle des démons.
Néanmoins, elle s'hérissa en les voyant.
La tension entre Anges et Démons était palpable, étouffante. Si Ar'Anka n'était pas là, ses légions se jetteraient dans un combat pour laver leur honneur et se venger des insinuation -non, des affirmations- insultantes de l'archange. Mais la démone au corps écarlate restait paisible extérieurement, même si elle bouillait intérieurement. Elle tentait de garder son sang-froid, et fut reconnaissante -elle ne l'admettra jamais- à l'ange qui se chargea d'apaiser les tensions.
Mais la dernière phrases de l'Archange Jezahel la hérissa à nouveau, et elle ne retint pas quelques paroles aigres :
« C'est peut-être nos semblables qui ont commis ces atrocités. Mais regardez. Ils n'ont pas seulement décimé la population angélique de Khûm-Lûm. C'est aussi les nôtres qui se sont fait massacrés ! Mais vous les anges, vous n'avez toujours qu'une seule vision des choses. Celle qui vous arrange. Et vous dites ne pas être égoïstes, mh ? »
Ar'Anka jeta ces derniers mots avec mépris, avant de faire volte-face.
« Astaroth ! Toi qui a fait le tour des morts. Dis-moi. Quel constat en tires-tu ? »
« La majorité sont des démons de haut-lignages. Des démons qui commandaient un nombre importants de légions. Il semble, Commandante, qu'Abaddon ait proposé à ces commandants de se joindre à lui, et qu'il les ait tués lorsqu'ils ont refusés de se plier à sa folie. Il semble aussi qu'une grande majorité de ses légions, sans doute marquée par le massacre, ait suivi Abaddon. Son Exemple était frappant, il faut l'avouer. »
Serrant les dents, Ar'Anka se tourna à nouveau vers les anges, peu amène.
« Vous pouvez vérifier par vous-même. L'état des cadavres n'indique qu'une seule chose. Ce n'était pas de la torture gratuite. C'était des exemples. Pour en effrayer d'autres. Pour avoir le plus grand nombre de partisans avec lui, domptés par la crainte. Alors, revenez nous dire que nous sommes tous pareil, et je vous promet que ce sera les derniers mots que vous prononcerez. »
C'était en effet le dessein d'Abaddon, que de ranimer la rivalité entre Anges et Démons. Sans doute que ça serait plus facile pour lui, une fois que les pertes deviendraient importantes, de prendre le contrôle et de balayer la faible résistance qu'il y aurait.
Tournant le dos aux Anges, Ar'Anka ordonna :
« Faites ramasser nos morts. Nous allons les incinérer pour qu'il puisse revenir sous une autre forme. Ensuite, nous iront à la poursuite d'Abaddon. »
Elle ne se retourna pas vers les anges, mais ajouta d'une voix forte avec un soupçon de défi :
« Peut-être que nos "chers amis" se joindront à nous pour défaire cette menace qui n'est pas que pour les créatures infernales... »