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« le: vendredi 15 novembre 2013, 18:02:40 »
Une nuit, quelque part dans Nexus. Depuis plusieurs heures déjà, la plupart des lumières s'étaient éteintes. Les roturiers dormaient en prévention de la fatigue afin d'être opérationnel demain, pour travailler. Dans quelques tavernes néanmoins l'on trouvait des fêtards, des ivrognes et des voyageurs qui profitaient de la musique et de l'alcool pour rester éveillés. Mais dans l'ensemble, la ville paraissait bien sombre sous ce ciel chargé de nuages. Il y avait en prime un air frais qui parcourait les ruelles, obligeant le passant à resserrer son manteau pour ne pas frissonner. Bref, un temps à rester au chaud, à l'intérieur.
Pourtant, campé sur un toit, Vine observait. Qui ? Quoi ? Nous y venons. Trois heures auparavant, quand la foule était encore vivace et le soleil déclinant à l'horizon, il s'était installé là, sur la pente douce d'un toit d'habitation. Il n'avait eu aucun mal à se mettre en place pour avoir une vue imprenable sur l'établissement lui faisant face : l'auberge du renard. Une enseigne défraichie représentant un goupil en pleine course prévenait le badaud de la présence de l'auberge, et c'était bien le seul signe. De l'extérieur, on aurait pu confondre le bâtiment avec une habitation tant elle semblait commune. Mais pour qui connaissait les lieux et la ville, ce n'était pas une auberge anodine. Hôtel de passe, les initiés savaient pouvoir y trouver des prostituées à toute heure et y assouvir ses pulsions. Ce n'était pas le seul établissement de la ville à proposer ce genre de services, mais clairement l'un des moins voyants. Vine aurait mis sa main au feu qu'il s'agissait là de la raison pour laquelle le nobliau avait choisi cette maison close et pas une autre.
Car sa présence ici, sous le vent froid d'une morne nuit de novembre était dû à cet individu, entré là trois heures plus tôt. Riche héritier d'une haute famille de la ville, le jeune homme - proche de la trentaine, tout de même - semblait avoir quelques appétits à assouvir, que sa femme ne pouvait visiblement pas étancher. Le savait-elle ? Ca n'était pas son problème, et Vine écarta cette soudaine interrogation de son esprit. Cinq ans auparavant, on l'avait trouvé, lui, le voleur en devenir, près du lit du père de famille exangue. Il avait eu beau se débattre, personne n'avait remis en cause sa culpabilité, et surtout pas le fils du macchabé. C'était ce dernier qui avait demandé son transfert aux mines d'Hatshin, il en était persuadé. Il avait vu la colère dans son regard, la haine envers Vine alors qu'il n'avait aucune preuve qu'il était l'auteur du crime. Ce soir, il paierait pour ce que Vine avait enduré.
Trois heures. Que pouvait-il fabriquer là dedans ? Troussait-il plusieurs putains ? Surement, pour mettre autant de temps. Vine était patient, et il le fallait, après tout ce temps à attendre pour se venger. Et puis, il avait de quoi s'occuper depuis son arrivée. Il n'était pas seul à s'intéresser à ce noble visiblement : peu de temps après s'être mis en place, une jeune femme s'était également mise à épier le bâtiment. Il la devinait dans l'ombre d'une ruelle un peu plus loin. Qui était-elle, et pourquoi le suivait-elle ce soir là précisément ? Aplati sur le toit et enveloppé de sa cape grise, Vine était sûr qu'elle ne l'avait pas remarqué. Une sentinelle peut-être ? Après tout, le comte était rentré dans l'auberge avec deux gardes du corps, alors pourquoi pas une troisième à l'extérieur ?
A l'entrée de l'auberge, ça s'agitait : deux clients sortirent, mais aucun des deux n'étaient le comte. Il avait peut-être décidé de dormir sur place. Ce n'était pas ce qui arrêterait Vine. Reptant sur le toit, il glissa partiellement sur le côté et vers le bas. Au dernier moment, il imprima une impulsion à la gouttière métallique en brûlant un peu d'acier en lui. Il s'en vit repousser en l'air, subissant l'égale poussée qu'il avait lancé. Il décrivit une courbe dans la nuit avant d'aterrir sans encombre et sans bruit sur le toit d'à côté. Encore un toit, et il se tenait au dessus de la ruelle où se situait la mystérieuse. Sans l'ombre d'un doute il s'élança dans le vide. Cette fois, il brûla du fer : dirigé contre la gouttière de cette bâtisse, l'attraction retint sa chute sans pour autant l'empêcher, si bien qu'il toucha le sol en l'effleurant à peine, d'un pas de loup. La donzelle était toujours près de l'entrée de la ruelle, à scruter la place et l'entrée de l'auberge, visiblement sourde à l'arrivée du voleur. Il préleva une pièce dans sa poche, la tenant fermement dans sa main. Un objet banal, mais qui dans sa main pouvait se révéler une arme mortelle. En la propulsant, elle se transformait en projectile et il pouvait transpercer un ennemi bien plus vite que ne le ferait une flêche. Pour l'instant il ne comptait pas le faire, cela dépendait de ce qu'elle aurait à lui dire de sa présence ici.
Puis-je savoir qui vous attendez, et pourquoi ?
La voix calme, Vine se tenait dans l'ombre. Mais en même temps, au milieu d'une ruelle sordide et sombre, il n'avait pas trop le choix. Son corps consuma un peu d'étain afin d'accentuer ses sens. Il voyait presque comme en plein jour, et devinait sans peine les courbes de l'inconnue. Il ne l'aurait pas cataloguée dans la catégorie des gardes du corps mais il savait qu'il valait mieux se méfier de l'apparence.
Si c'est le comte Perthuis que vous cherchez, sachez qu'il est à moi.
Pas très partageur le garçon. Il avait clairement affiché ses intentions : dans tous les cas, si elle était avec le comte, il allait devoir la tuer, alors lui révéler son but n'était pas un problème. D'autant qu'il avait observé les deux gardes entrés dans l'auberge, armés d'épées et de poignards. Cela le faisait rire car il était si simple de dévier la trajectoire d'une lame d'une simple pression ... Un duel à l'arme blanche avec lui était perdu d'avance. Mais qui sait, peut-être allait-elle le convaincre qu'elle était du bon côté, et pas de celui des nantis ?