Répondre à l’appel de l’invocation. C’était, pour l’Incube, un peu comme pour certains mortels : on préférait parfois être aux abonnés absents et ne pas y répondre mais il était malheureusement des appels qu’il ne pouvait pas refuser. Et ceux où son nom était utilisé directement faisaient partie de ces appels en questions. Dans un soupir, Asep’Timusoth déposa donc à sa place le grimoire antique qu’il portait entre ses mains, puis s’abandonna à la force irrésistible qui l’attirait désormais dans un autre plan. Le temps de vagabonder entre l’espace et le temps, les mêmes questions revenaient presque obsessionnellement. Dans quel plan allait-il atterrir ? Qui désirait donc l’aide d’un Démon au point d’en réaliser une invocation ? Et la plus rare de toutes, mais que le Démon se posait en cet instant précis, qui avait l’audace de l’appeler lui directement. Et surtout comment cette personne s’était-elle procuré son nom ? Beaucoup de mystères qu’il faudrait résoudre rapidement, même si, bien entendu, il faudrait surtout s’assurer du degré de compétence de son invocateur, avant d’essayer de se sortir de ce qui semblait déjà une situation délicate. Heureusement, le Démon n’en était pas à son premier coup d’essai, et, le plus souvent, ceux qui pensaient avoir le dessus sur lui n’étaient pas aussi malins qu’ils ne l’espéraient. Aussi, la créature des Enfers ne redoutait pas vraiment l’inconnu qui s’étendait devant lui. Au contraire, c’était davantage de la curiosité l’intriguant qu’une appréhension éventuelle. Et satisfaire sa curiosité était une priorité. Le voyage s’acheva dans une pièce relativement sombre, éclairée à la lueur de bougies. De l’encens brûlait dans la pièce et rependait une odeur forte et peu agréable. Au sol, un pentagramme de cendre blanche était parfaitement dessiné. Visiblement, celui qui avait réalisé l’invocation savait ce qu’il faisait. « Bienvenue, Asep’Timusoth. » Le principal concerné cessa d’observer les lieux dans lesquels il venait d’arriver et se concentra sur l’origine de la voix qui venait de s’adresser directement à lui. Il posa alors son regard ambré sur ce qui ressemblait beaucoup à un homme dont la tenue trahissait, presque aussi clairement que son aura, ses capacités magiques. Pour une fois qu’il n’avait pas à faire avec un amateur… « Et, à qui ais-je l’honneur ? » L’intéressé esquissa un large sourire sous sa capuche. « Archbald, Nécromancien de renom. Je requiers tes services, Démon. » L’Incube, qui contemplait le reste de la pièce et ressentait pleinement la puissance des protections déjà en place, reposa finalement son regard sur celui qui venait de se présenter. « Rares sont ceux qui invoquent des Démons pour le simple plaisir de la discussion, ou pour jouer aux cartes. Qu’attends-tu de moi, Archibald ? » L’homme rabattit son capuchon vers l’arrière, dévoilant un crâne chauve et un visage fermé, peu agréable à regarder par ailleurs. « J’ai une épine dans le pied dont j’aurais besoin d’être soulagé. Une petite Terranide, des créatures inférieures, assimilables à des animaux, m’a glissé entre les doigts et bien que mes hommes soient débrouillards, je crains que je ne doive faire appel à un intellect supérieur pour parvenir à mes fins. » C’était bien la première fois qu’on l’appelait pour retrouver une personne, mais, après tout, ses talents étaient variés et cela ne semblait pas être une tâche étonnamment compliquée. « La flatterie est bienvenue mais inutile. Qu’as-tu à offrir pour mes services, Archibald. Et crois-moi, ils ne sont pas gratuits. » Son interlocuteur ne fut pas plus surpris. « Rapporte-moi cette créature, laisse-moi expérimenter ce que je souhaitais faire et je t’offre son âme en échange. Je peux même rajouter quelques âmes de ses congénères que j’aurai réussi à attraper d’ici là pour pimenter notre accord. » L’Incube considéra la proposition. L’idée de devoir traquer sa propre victime n’était pas particulièrement alléchante mais si quelques âmes supplémentaires étaient à la clef, c’était déjà plus intéressant. Cela étant dit, Archibald ne lui était absolument pas sympathique. Le genre d’homme à tout faire faire par les autres sans se salir les mains, la preuve étant qu’il n’était pas prêt à mettre un peu du sien dans cet échange. « Des âmes torturées par une autre personne n’ont pas nécessairement une valeur particulièrement appréciable, sans compter que tu es… vague sur tes intentions les concernant. » L’intéressé, qui faisait quelques pas autour du pentagramme, eut un sourire malsain sur le visage. « Ce n’est pas comme si tu avais le choix. Je suis au courant des pratiques de votre engeance, et je sais également quelle puissance porte vos noms, et également que le fait de le connaître apporte un poids non négligeable à la négociation. » La nuit commençait à tomber lorsqu’Asep’Timusoth sortit de la demeure d’Archibald. Bien entendu, il n’avait plus sa forme démoniaque classique mais était désormais tel un terranide (https://pbs.twimg.com/media/EjuYbE3VkAE2xRP?format=jpg&name=large) lui aussi. L’occasion de récupérer leurs talents naturels pour le pistage et leur affinité naturelle avec la nature. Il avait récupéré l’équipement de l’un des anciens spécimens capturés par le mage noir. Loin d’être réellement satisfait des conditions du marché, il y avait malheureusement des situations où certains choix s’imposaient davantage qu’ils n’étaient réellement choisis Fort heureusement, il y avait toujours des portes de sorties auxquelles même les plus malins ne pensaient pas. Son maître lui avait décrit les attributs de sa proie, qu’il était chargé de ramener, de préférence vive, peu importe le temps que cela pourrait prendre. Visiblement Archibald avait des plans particulièrement précis sur ce qu’il souhaitait faire avec cette dernière, mais il ne s’était pas spécialement étendu sur le sujet. Tout au plus avait-il fourni au Démon quelques-unes de ses affaires afin de lui fournir de quoi pister sa trace. Alors que le soleil flirtait avec l’horizon, l’Incube prit la direction indiquée par le sorcier, vers une forêt. Au moins, il n’aurait pas à supporter la présence de son invocateur particulièrement peu agréable et pourrait-il profiter du voyage. |
Ce n’était pas la première fois que le Démon empruntait une forme de Terranide, car c’était une espèce qu’il avait déjà rencontré par le passé. C’était là l’avantage d’être invoqué dans des mondes et des époques variées : découvrir beaucoup de choses. La première fois qu’il avait rencontré des membres de cette espèce particulière avait été une expérience très intéressante. Après tout, des créatures capables de se transformer n’étaient pas monnaie courante et Asep’Timusoth avait pu apprendre pas mal de choses à leur contact. Leur côté parfois un peu primitif, car souvent moins porté sur la technologie que d’autres races, n’était pas nécessairement synonyme d’ennui, et même si l’Incube ne partageait pas réellement leurs valeurs, cela n’avait pas empêché ce dernier de profiter d’excellentes relations à l’époque. Certes, cela ne l’avait pas non plus empêché de récupérer quelques-unes de leurs âmes en échange de marché plus ou moins avantageux, mais il restait une créature des Enfers quoiqu’il arrive et certaines choses ne changeaient jamais. Malgré tout, le fait de prendre la forme de l’une de ces créatures n’était pas dérangeant. Au contraire, il reconnaissait très volontiers leurs atouts naturels pour le pistage et la chasse, ainsi que leurs capacités de survie dans la nature sauvage que représentaient certaines contrées de Terra. Des compétences qui lui seraient nécessaires s’il voulait mettre la main sur celle qui venait de s’enfuir du laboratoire des curiosités de ce nécromancien. Car il n’avait ni nom, ni visage, mais simplement une odeur, une odeur suffisamment puissante néanmoins pour qu’il parvienne à la suivre jusqu’à l’orée de la forêt. Le flair de ces créatures était réellement impressionnant ! Sans se presser, le faux Terranide avait profité du trajet pour se familiariser avec sa nouvelle apparence, et maintenant qu’il était arrivé à la forêt, l’odeur qu’il poursuivait se faisait un peu plus forte, à croire qu’il se rapprochait donc de sa cible. Peut-être pensait-elle, assez logiquement, avoir un avantage certain sur ses poursuivants humains en restant cachée dans un environnement aussi propice pour elle. Cela aurait été probablement le cas si, bien entendu, il n’y avait pas eu de Démon mêlé à cette histoire et encore moins un qui pourrait utiliser les talents de sa propre race contre elle. C’était un élément de surprise suffisamment intéressant pour espérer parvenir à mettre la main sur cette Terranide, quant à savoir ce qu’il ferait une fois qu’il aurait retrouvé sa piste, il ne le savait pas encore vraiment. Les termes du contrat passé avec Archibald étaient relativement clairs, mais, fort heureusement, certaines closes permettaient toujours au Démon d’avoir un ou plusieurs plans de secours. Apprenant à se fier à son odorat pour suivre la piste de sa proie, le nouveau Terranide prenait également soin d’écouter l’ensemble des sons qui pouvaient parvenir à son ouïe fine. S’il préféré surprendre la personne qu’il poursuivait, il savait également qu’il valait mieux ne pas se laisser prendre à l’audace de penser qu’il ne pouvait pas lui-même être repéré et pris en chasse. Pendant qu’il évoluait entre les arbres, il ressentait l’ensemble de ses muscles rouler sous sa fourrure et appréciait la fraîcheur de la nuit. La lune, non loin d’être pleine, au milieu d’un ciel parfaitement clair, parvenait à éclairer les sous-bois lorsqu’elle traversait le feuillage des arbres. Asep’Timusoth évoluait lentement, veillant à limiter les bruits au minimum. L’odeur devenait de plus en plus forte et laissait penser qu’il se rapprochait encore. Avait-elle décidé de se reposer pendant la nuit ? Alors qu’il s’enfonçait encore au plus profond de la forêt, la créature des Enfers repéra quelques traces du passage de sa proie, ou du moins, de quelque chose qui pourrait s’en approcher en termes de taille. Poursuivant sa traque, il s’enfonça encore dans la forêt jusqu’à apercevoir une forme au pied d’un arbre. Humanoïde, des reflets bleus brillaient à la lueur de la lune. Visiblement, il avait réussi à mettre la main sur la fuyarde qu’il cherchait. Il passa un long moment à l’observer d’assez loin. Elle semblait dormir, prenant très certainement un peu de repos après sa fuite. Se sentait-elle à l’aise au point de prendre ce risque ? Peut-être était-elle confiante en son propre instinct ? Il était vrai que les Terranides avaient déjà démontrés à Asep’Timusoth qu’ils restaient toujours en veille, même endormi, guettant le moindre son ou la moindre odeur qui viendrait perturber leur repos et les mettre en alerte. Ce n’est qu’en repensant à cela qu’il sentit que le vent avait tourné. Et alors qu’il réalisait qu’il fallait qu’il bouge, une voix s’éleva au travers du silence – relatif – l’entourant. Tant pis pour l’approche furtive. Soupirant doucement, le Démon quitta sa cachette de verdure et laissa apparaître sa stature à la lueur de l’astre lunaire. Ses yeux, ambre et turquoise, brillèrent probablement dans la pénombre, tandis qu’il s’approchait doucement en direction de sa proie. « Prendre en traître un Terranide est-il seulement possible ? Entre notre instinct et nos sens affutés, il est rare d’être pris au dépourvu. » Il s’approcha encore un peu, ne redoutant pas particulièrement d’être parfaitement visible, mais restant à une distance raisonnable pour le moment. Après tout, il ne savait pas encore à qui il avait à faire pour le moment. La prudence restait de mise. « Désolé d’avoir perturbé ta nuit à la belle étoile. » |
Après cette traque, venait désormais la phase d’observation. Asep’Timusoth ne perdait pas son objectif de vue, mais s’il y avait bien un trait qui le caractérisait pleinement, c’était bien un méthodisme parfaitement maitrisé et implacable. Certains Démons auraient probablement sauté dans la mêlée les yeux fermés, prêt à affronter n’importe quoi, peut-être même convaincus d’avoir l’ascendant quoiqu’il arrive, mais compte-tenu des pouvoirs d’Archibald, le fait que cette créature ait réussi à s’enfuir témoignait, à minima, d’un certain degré de compétences ou d’intelligence. Dans tous les cas, un signe qu’il était nécessaire de savoir en apprécier justement toutes les qualités avant de décider de quel serait le meilleur mouvement à son égard : la capturer et la livrer à Archibald, ou bien peut-être une autre option, si l’occasion devait se présenter. Aussi, il laissa la créature s’approcher après s’être redressée. Il en apprécia les traits à la lueur de la lune. Elle ressemblait davantage à une humaine normale, si l’on ne comptait pas ses oreilles ainsi que la grande queue qui s’agitait dans son dos. Ses prunelles azur brillaient dans la pénombre alors qu’elle continuait d’avancer vers lui, allant jusqu’à se poster à moins de quelques pas. Cette proximité était étonnante, mais jugeait probablement du fait qu’elle n’avait aucune crainte en ses propres compétences pour repousser une éventuelle tentative de sa part. Ce n’était, heureusement ou malheureusement, pas le genre de l’Incube qui se contenta de baisser légèrement le regard pour croiser le sien tandis qu’elle semblait le dévisager tandis qu’il faisait de même appréciant la stature ainsi que l’apparence de son interlocutrice. Ses mèches bleues reflétaient plus aisément la lueur lunaire mais cela ne représentait qu’une faible partie de sa chevelure, en grande majorité d’ébène, ou peut-être châtain foncé. Malheureusement, la pénombre ambiante rendait délicat l’appréciation des nuances de ce genre. Elle était un peu plus petite que lui, mais ne semblait pas impressionnée le moins du monde par son physique, plus imposant. Encore une fois, les Terranides, dans leur ensemble, n’avaient jamais démontré une quelconque peur spécifique à l’encontre de spécimens plus impressionnants, même s’il n’était pas rare que ces derniers deviennent des meneurs de meutes ou de petits groupes de ces créatures. Celle-ci si elle ne se doutait pas de ce pourquoi il était ici, ne semblait à la fois pas lui faire confiance et, en même temps, espérait probablement qu’un de ces congénères ne soit pas la source d’ennuis potentiels. L’espoir… Encore et toujours la même émotion folle qui parcourait un bon nombre de créatures vivantes. Une fois qu’elle eut satisfait son observation, elle recula un peu. « Les règles ne se confirment que par l’existence d’exceptions. Je pourrais en dire autant de toi après tout. » Il n’était pas rare que les Terranides soient opprimés, d’une manière ou d’une autre. Leur différence avec les peuplades humaines, souvent plus nombreuses, en faisaient des cibles de choix, que ce soit pour le plaisir, la séquestration, l’esclavage ou des plaisirs moins… avouables. La Terranide aux yeux bleus s’écarta davantage, avant de s’installer sur un rocher qui reposait un peu plus loin. Ce fut à son tour de s’approcher. Il s’installa en face d’elle, se posant en tailleur, à même le sol, après avoir enlevé le fourreau de l’arme qu’il tenait dans son dos pour le poser à coté de lui. « Tu es perspicace, dis-moi. » Il esquissa un léger sourire du haut de son visage lupin et haussa légèrement les épaules. « Je suis sur les routes depuis longtemps, voyageant au gré de mes envies ou de celles du vent ; et il m’arrive d’offrir mes services à qui souhaite se les procurer. La région n’est effectivement pas tendre avec les nôtres, mais je sais me débrouiller. » Un bruit subtil attira leur attention respective, mais la jeune femme fut la plus rapide, dégainant deux couteaux de lancer qui fusèrent en direction des buissons. Elle se leva en direction de ses cibles et revint avec deux lièvres, lui proposant de partager sa prise. « Il est sage de ne jamais refuser un repas. Il n’est jamais clair de savoir quand sera le prochain. Je vais chercher du bois pour le feu. » Il se redressa, mais ne ramassa pas son arme. Un calcul tout à fait considéré. Il ne semblait pas avoir à craindre d’elle pour le moment et, de toute façon, son épée n’était pas la seule arme à sa disposition. De plus, si cela pouvait l’aider à se détendre, c’était une prise de risque qui pouvait s’avérer payante. S’éloignant de quelques pas, il commença à ramasser du petit bois sec. « Je m’appelle Havoc. Puis-je connaître ton nom ? » |
Shad... Voilà un nom qui ne lui parlait pas le moins du monde. Avait-il une signification particulière pour les Terranides ? Les langages cachaient parfois des sonorités aux significations cachées et certaines cultures arboraient souvent des noms en relation avec des personnalités ou des compétences insoupçonnables au premier regard. Malheureusement, s’il y avait ici quelque chose du même acabit, le Démon ne saurait en profiter compte-tenu de son inaptitude à le déceler. Toutefois, cela n’avait, au fond, que bien peu d’importance. Certes, toute information était bonne à prendre, mais savoir composer avec peu était également la marque des plus grands. Tandis qu’il dénichait ses petites branches de bois sec, Havoc en profitait pour observer la Terranide à la dérobée. Elle semblait parfaitement concentrée sur les lièvres, les dépeçant méthodiquement avant de leur vider les entrailles pour n’en conserver que les morceaux comestibles. La tâche n’était pas délicate, mais elle était effectuée avec un certain degré d’aisance, témoignant probablement d’une expérience plus que relative dans la survie en pleine nature. De plus, ces créatures ne s’embarrassaient pas toujours d’une préparation aussi civilisée, préférant parfois une dégustation plus nature, l’Incube apprécia cette attention, bien qu’il n’avait pas explicitement spécifié qu’il apprécierait un repas chaud. Après tout, il avait proposé de chercher du bois pour faire un feu certes, mais principalement pour faire sa part et leur fournir un confort supplémentaire s’ils devaient passer la nuit au beau milieu de cette forêt. « Les Humains sont toujours prompts à juger la différence comme une marque d’infériorité, surtout lorsqu’ils estiment pouvoir l’exploiter pour leurs bénéfices. Mais agirions-nous complètement différemment si la situation était inversée ? » Certaines dimensions n’étaient pas tendre avec les hommes et, en réalité, les races supérieures exerçaient très souvent une forme d’esclavage sur les autres. Aussi, lorsque que, comme Asep’Timusoth, on avait pu confronter mille et un scénario sur la question, rien n’était ni tout noir ou tout blanc, il n’y avait qu’une variation continue et, parfois extrêmement fine, de nuances de gris. Avec suffisamment de bois entre les pattes, il déposa le fruit de sa cueillette à proximité de Shad, s’installa à nouveau et prépara un petit tas de brindilles qui servirait aux premières étincelles. La Terranide s’occupa d’allumer le feu et, rapidement, une fumée noire commençait à s’élever vers le ciel étoilé, tandis que les flammes commençaient à danser entre eux deux, leurs lueurs venant éclairer leurs corps, en faisant mouvoir leurs ombres sur la végétation environnante. La question de la jeune femme sortit la créature des Enfers de sa contemplation silencieuse. « Qui donc ? Les Humains ? » Son regard suivit pendant quelques secondes la fumée qui s’élevait au-dessus d’eux, puis il haussa les épaules. « Rares sont les Humains suffisamment aventureux pour braver les ténèbres, qui plus est au cœur d’une forêt. » Son regard vairon se reposa sur Shad tandis que son visage se fendait d’un léger sourire complice. « Et, dans le pire des cas, j’imagine qu’ils auront le droit à un bon comité d’accueil. » Et si, pour jouer le jeu, il fallait trancher dans quelques humains, c’était là quelque chose que le Démon était particulièrement enclin à faire. Après tout, Archibald n’avait pas été particulièrement précautionneux au sujet de ces derniers. En l’absence de contraintes particulières, tout était permis tant que cela ne rentrait pas en contradiction avec la règle initiale. Un délicieux fumet commençait à s’élever devant eux, signifiant que les chairs des lièvres commençaient à être saisies. Le crépitement des flammes qui léchaient ces dernières brisaient discrètement le silence qui s’était fait autour d’eux. Une autre question attira l’attention de l’Incube. Il fixa la Terranide pendant quelques instants, considérant peut-être le pour ou le contre, cherchant peut-être ses mots, ou préférant peut-être refouler des souvenirs qui n’avaient rien de glorieux. « Il m’est arrivé à l’occasion de devoir servir des Humains plus ou moins volontairement. Après tout, tous ne sont pas des assoiffés d’assouvissement avilissant. Mais j’ai toujours réussi à retrouver mon chemin vers la liberté. D’une manière ou d’une autre. » Il arrivait parfois que de jeunes Démons parviennent à se faire avoir à leur propre jeu, mais la situation était extrêmement rare et, avec l’expérience, elle devenait de moins en moins probable. Mais quoiqu’il en fut, aux Enfers, on considérait ces pauvres hères comme indignes de leur condition de Démon et que c’était bien fait pour eux. Leur repas prêt, Havoc récupéra le lièvre qu’on lui tendit, non sans manquer de remarquer que la Terranide avait clairement passé son bras dans les flammes sans en ressentir les effets ni en garder les marques. Appréciant cette spécificité, il n’en fit pourtant aucune remarque. « Bon appétit. » Il mordit dans les chairs, appréciant plus ou moins ce qu’il mettait sous ses crocs. Puis, alors qu’il finissait d’ingérer sa première bouchée, qui somme toute avait déjà bien entamé le pauvre lièvre, il reposa son regard sur la jeune femme. « Pour me demander si j’ai déjà été esclave, j’imagine que cela a été également le cas pour toi. Est-ce les chiens de ton ancien maître qui sont sur tes traces au point que tu imagines les rencontrer cette nuit ?. » |
Peut-être était-il perspicace, mais la réciproque était très probablement vraie également. L’Incube était très habile avec ses mots, les choisissant avec un soin pour ne jamais répondre par un mensonge. L’ensemble de ses réponses étaient toujours vraies, même si, parfois, elles omettaient une partie de la vérité. Il s’agissait là d’un de ses points forts et les raisons pour laquelle il parvenait toujours à se sortir de ses relations d’asservissement avec des invocateurs très souvent bien trop peu pointilleux. Archibald lui-même n’échappait pas à cette règle et cette erreur justifiait à elle seule le comportement actuel d’Asep’Timusoth. Il aurait pu tenter de s’en prendre directement à la Terranide, non sans estimer au préalable ses capacités martiales, pour ensuite la ramener à son ancien propriétaire, mais pourquoi ne pas explorer toutes les possibilités et garder, le plus longtemps possible, le maximum de portes ouvertes. Shad ne s’était pas révélée particulièrement belliqueuse de prime abord et il aurait été dommage de s’en faire une ennemie dès le premier contact. Comme le disait judicieusement l’un des proverbes des hommes, attribuée, à tort, à l’un de leur plus brillant stratège : soit proche de tes amis et encore plus proche de tes ennemis. Havoc haussa les épaules à la remarque de sa congénère se demandant, en prenant une nouvelle bouchée de lièvre, si elle allait répondre à sa question. Elle n’était pas obligée de le faire et il aurait même été logique qu’elle ne le fasse pas, mais son interlocutrice ne sembla pas rechigner à lui fournir davantage d’informations sur elle-même, même s’il était certain qu’elle maîtrisait également tout ce qui passait entre ses lèvres face à lui. Le Démon l’écouta donc attentivement alors qu’elle lui avouait son passé d’esclave et la manière qu’elle avait désormais de s’infiltrer dans des demeures pour libérer ses congénères. Son ton se fit légèrement différent alors qu’elle abordait le sujet de son dernier maître et de ses méthodes. Sans avoir l’air d’être troublé, d’une manière ou d’une autre, parce que ses mots semblaient impliquer, la créature des Enfers ne cilla pas une seule seconde, se contenant de mordre dans son repas. La Terranide, elle, semblait plus encline à enfin régler le quiproquo qui pouvait encore subsister entre eux deux. Elle n’avait visiblement toujours pas tranché sur l’allégeance de la personne qui lui faisait face, mais comptait bien le faire désormais. La jeune femme le confronta donc, insistant sur les horreurs qu’il aurait, semblait-il - et cela n’étonnait pas le Démon outre mesure -, commises. Cependant la remarque concernant la sienne ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Reposant le reste de son lièvre à côté de lui, son regard suivit celui de sa proie alors qu’elle se levait, lui faisant face de l’autre côté du feu, réitérant sa question. Il l’observa en silence pendant quelques instants, observant le reflet des flammes danser sur sa peau. « Tes mots sont durs, mais, il faut l’admettre, probablement justes. » Il soupira doucement, laissant filer de l’air entre ses naseaux et les crocs de sa bouche légèrement entrouverte. « Désires-tu seulement me combattre ? Et ce n’est pas tant une menace déguisée qu’une véritable question. Après tout, tu aurais pu me sauter à la gorge plus d’une fois depuis notre rencontre et tu ne l’as pas fait. » Le faux Terranide reprit une bouchée de son lièvre, l’amputant de quasiment la totalité du reste des chairs qui y restaient accrochées, mâcha tranquillement ces dernières avant de relever son regard vers son interlocutrice. « Je pense que tu peux comprendre que tout le monde est confronté, à un ou plusieurs moments de son existence, à des choix qui n’en sont pas vraiment. Ma présence dans cette forêt est la résultante de l’un de ces choix. » Le Démon termina d’une dernière bouchée son lièvre, non sans observer Shad. Après tout, mieux valait rester sur ses gardes. « J’aime cependant à penser que ce que je fais depuis que je suis dans cette forêt est le fruit de mes propres choix. Mais je ne peux pas t’empêcher de voir en moi un chien obéissant et fidèle, à la solde d’un maître tyrannique et malfaisant. Cependant, si tel est le cas, j’imagine que nous serons amenés à nous combattre, d’une manière ou d’une autre. » Il haussa les épaules en soupirant doucement. « Je n’en ai pourtant nullement l’envie, Shad. Je n’ai aucune raison de m’en prendre aux miens, et pas davantage de m’en prendre à toi. Toutefois, je pense que je peux probablement t’offrir l’opportunité de rattraper l’erreur que tu dis avoir commise. » Cette piste était déjà bien plus intéressante et, en un sens, pas simplement pour lui. S’il avait vu juste, la jeune femme regrettait très certainement de ne pas avoir eu la chance de s’en prendre directement à Archibald. Une erreur qu’il était possible de réparer, pour peu de s’y prendre de la bonne manière. « Que dirais-tu de nous rendre service mutuellement et de nous débarrasser, en même temps, d’une épine dans notre patte ? Un arrangement gagnant-gagnant, avec le bénéfice de ne pas voir deux Terranides s’entre-tuer pour satisfaire les envies d’un misérable humain ? » La question était explicitement posée. Maintenant, elle demandait également une certaine confiance de la part de l’intéressée, qu’elle pouvait ne pas lui accorder. Ceci étant dit, si elle décidait de passer à l’acte, il était prêt à se défendre. |
La vérité était une arme à double tranchant. Elle offrait le mérite de présenter les faits tels qu’ils étaient vraiment et exposait clairement le faux Terranide comme une manipulaton supplémentaire de la part du nécromancien, ce qui, somme toute, restait particulièrement véridique, bien que quelques détails furent explicitement passés sous silence. Toutefois, avouer cette vérité revenait à se présenter comme un potentiel suppôt de l’adversaire de la jeune femme et, par conséquent, l’exposait à des possibles, et immédiates, représailles. Malgré tout, Havoc comptait sur la situation actuelle, et la retenue avec laquelle la Terranide avait engagé leur rencontre, pour émettre la possibilité qu’elle l’écouterait jusqu’au bout et n’essayerait pas de lui sauter à la gorge une fois son petit aveu confessé. Après tout, ils restaient tous les deux des victimes. Certes, ils avaient le choix de se dresser l’un contre l’autre, mais ce n’était pas la seule option qui leur était présentée. Il restait à savoir si la carte de la vengeance sonnerait suffisamment bien aux oreilles de Shad pour qu’elle accepte de prendre cette voie, et, surtout, qu’elle accepte de la prendre aux côtés de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, ou, plus exactement, à peine. N’importe qui aurait été méfiant dans une telle situation, et la fuyarde, dans sa position, devait très certainement l’être encore davantage. Une fois sa position expliquée et son idée offerte au jugement de son interlocutrice, Asep’Timusoth resta silencieux, contemplant cette dernière par delà les flammes du feu de camp qui brûlait entre eux. Il opina très légèrement de la tête lorsqu’elle synthétisa ses propos, affirmant que oui, il souhaitait qu’elle fasse équipe avec lui, bien qu’il ait ouvertement annoncé avoir été envoyé pour la retrouver et la ramener. Shad donnait l’impression de réfléchir à haute voix et le Démon ne jugea pas opportun de l’interrompre d’une quelconque façon. Au contraire. En silence, il l’observait. Les traits de son visage, sa posture, il percevait son souffle et essayait d’imaginer ce qu’elle pouvait penser dans son esprit. Il la regarda prendre une bouchée de son lièvre et lui offrit le temps nécessaire d’alimenter ses réflexions et prendre ses propres décisions. Elle semblait peser le pour et le contre, accentuant le fait qu’elle ne savait rien de son congénère, notamment de ses compétences martiales. L’Incube, lui non plus, ne savait pas de quoi la jeune femme était capable et s’imaginait que, si elle était du genre à mettre des coups de pieds dans les fourmilières pour libérer des Terranides, elle ne devait pas être en reste. Ce qui l’intriguait au plus haut point et réveillait sa curiosité. Enfin, le verdict tomba. Elle acceptait sa proposition, sans toutefois lui accorder pleinement sa confiance, ce qui, au vu de la situation et de son passé, était probablement ce que la créature des Enfers pouvait espérer de mieux. « Parfaitement. » Préférer des réponses courtes et simples. Il n’était de toute façon pas question de tergiverser sur le sujet. Il n’avait pas réellement besoin de sa confiance, au moins pour le moment. Le Terranide observa sa congénère se lever et contourner le feu pour se placer devant lui. Il releva la tête légèrement pour croiser son regard et l’observa en silence pendant qu’elle faisait de même avant de souffler et de lui tendre la main. Une promesse ? Voilà qui était inattendu. Il esquissa un léger sourire et se redressa devant elle, la surplombant, alors que sa tête arrivait au niveau de son torse. Il observa Shad pendant un court instant et tendit sa patte pour serrer sa main. « Si nous parvenons à nos fins, je doute que nous aurons besoin de nous en prendre l’un à l’autre. Je suis soulagé de savoir que nous avons réussi à nous entendre.. » Il avait serré et gardé sa main un peu plus longtemps que nécessaire avant de desserrer son étreinte. Il leva son museau, inspira profondément et jeta un regard autour de lui. « Nous devrions être tranquilles pour la nuit. Les hommes de ce nécromancien ne semblaient pas enchantés à l’idée de courser une Terranide dans les bois en pleine nuit. » Havoc reposa son regard vairon sur la jeune femme. « Nous allons cependant devoir nous reposer un peu si l’on veut avoir une chance. Mais il semble peu opportun de ne pas prendre la précaution de monter la garde. » Il laissa filer cette idée quelques secondes avant de reprendre. « Nous alternerons, bien entendu. Mais… Sauras-tu me faire suffisamment confiance pour veiller sur toi une partie de la nuit ? » Car si le Démon n’avait aucune difficulté à l’idée de s’imaginer dormir en laissant Shad prendre son tour de garde, il n’était pas clair qu’elle serait prête à faire de même. Néanmoins, ne pas se reposer, c’était prendre le risque d’avoir un moment de faiblesse à un moment potentiellement crucial pendant leur affrontement contre le nécromancien. Et cela pouvait leur coûter beaucoup, à elle comme à lui. S’ils étaient d’accord pour ne pas se faire de coup bas, ils n’avaient pas non plus envie de pâtir d’une défaillance de l’autre. D’autant que la porte de sortie du Démon dépendait énormément des capacités de la jeune femme à parvenir à exercer sa propre vengeance. Aussi préférait-il qu’elle puisse se reposer et être en pleine forme lorsque l’affrontement serait venu. |
L’existence était une question de confiance. Celle que l’on pouvait mettre en ses propres compétences pour parvenir à ses fins était facile à trouver. Mais celle dont on devait faire preuve pour reposer sur les autres… Voilà quelque chose qu’il était beaucoup plus difficile de considérer. Remettre son propre futur, son existence ou même simplement ses conditions de réussite entre les mains d’une autre personne, dans un élément indépendant de sa propre volonté, voilà qui pouvait faire réfléchir et, surtout, douter. La Terranide savait qu’il avait été envoyé sur ses traces pour la ramener, et pourtant Havoc lui proposait de but en blanc de plutôt lui faire confiance pour qu’ils puissent se retourner, ensemble, contre le Nécromancien. La proposition était nécessairement alléchante, très certainement, mais il était difficile d’imaginer qu’elle lui ferait aisément confiance. Si l’adage affirme que l’ennemi de mon ennemi est mon allié, cela ne se confirme malgré tout pas toujours dans la réalité. Mais, une fois n’était pas coutume, Asep’Timusoth était sincère. Il n’y avait aucun lièvre dans sa proposition, aucune tentative sournoise masquée sous une courtoisie feinte. Il était impossible de dire qu’il n’y avait pas de tentative de manipulation, car, malgré tout, l’Incube espérait bien utiliser la jeune femme pour se soustraire à un contrat qui l’agaçait au plus haut point, mais il ne comptait pas lui faire du mal, c’était déjà cela, non ? Nul doute d’ailleurs que si elle avait eu vent de sa véritable nature, loin d’être un Terranide lui-même, elle aurait davantage préféré lui coller ses griffes en travers du visage plutôt que de lui proposer de partager un feu, un repas et une bonne nuit de sommeil. Et peut-être aurait-elle eu raison Rares étaient les personnes qui acceptaient sans broncher le fait qu’il soit une créature des Enfers, probablement inquiètes de ce qu’elles pouvaient craindre à son contact. Et à raison. L’Incube n’était pas connu pour sa clémence particulière. Néanmoins la question ne se posait pas pour le moment et Shad semblait encline à accorder sa confiance à l’un des siens, ou du moins reconnaissait-elle le besoin de se reposer comme étant plus important. Le faux Terranide acquiesça à ses conditions. Peu importait qu’il prenne le premier ou le second quart. « Si cela peut te rassurer. » Il esquissa ce qui s’approchait d’un sourire et observa la jeune femme prendre un peu de hauteur pour s’installer pour son tour de garde. Il l’abandonna ensuite du regard, observant le feu qui brûlerait tranquillement pendant quelques heures. L’Incube s’occupa de son épée, ou du moins de celle qu’il avait emprunté à son prédécesseur, et se trouva une position la moins désagréable possible. Couché sur le dos, son arme à proximité, il observa les étoiles pendant quelques temps, la fumée du feu en éclipsant quelques unes au gré des mouvements de la colonne grisâtre. Après plusieurs dizaines de minutes, il se laissa aller à fermer les yeux et plongea dans un sommeil léger. Ses sens de Terranide, et surtout son instinct, toujours aux aguets pour déceler la moindre menace. Il bougea légèrement dans son sommeil, marmonnant quelques sons inaudibles, même pour l’ouïe entrainée de la jeune femme. Ce ne fut que lorsqu’elle revint près de lui, pour le réveiller, qu’il rouvrit les yeux, les posant sur elle. La vision n’était pas désagréable mais le ramena rapidement à la réalité. Il se redressa en silence, s’étira presque comme un félidé, faisant craquer quelques uns des os de sa colonne vertébrale en dégageant sa nuque. L’air était frais et la lune était haute dans le ciel mais désormais dans sa trajectoire descendante. L’aube n’était pas encore pour tout de suite. Havoc se redressa, remit un peu de bois dans le feu pour lui redonner un coup de fouet et s’installa en tailleur face à ce dernier. Contrairement à la jeune femme, il n’avait pas prévu de prendre de position particulière pour améliorer sa visbilité. Son ouïe fonctionnait très bien, son odorat aussi, et si on venait à les déranger, il n’avait aucun doute sur sa capacité à détecter les potentiels intrus. Le Démon observa pendant quelques temps sa partenaire qui semblait s’être assoupie, du moins aussi légèrement que lui à en croire les légers mouvements de ses oreilles. Il ferma les yeux, se concentrant sur sa propre respiration et les sons environnants. Il entendit le bruissement de petits rongeurs qui passaient dans les environs, profitant de la nuit pour vaquer à leurs occupations. Les cris stridents de quelques rapaces nocturnes, bien décidés à trouver également de quoi festoyer cette nuit. Rien ne semblait vouloir troubler la quiétude de cette forêt, du moins pas cette nuit. Il ajouta régulièrement un peu de bois au feu afin de le maintenir suffisamment vivace jusqu’à l’aube. Ce dernier mourut d’ailleurs peu après que les premiers rayons du soleil ne commence à poindre au travers du feuillages des arbres de la clairière. Le ciel s’était teinté de ses couleurs ocres et rougeoyantes, les oiseaux commençaient à s’éveiller. Il ne chercha pas particulièrement à la réveiller et attendit que la jeune femme le fasse d’elle-même. Après tout, ils n’étaient pas pressés. Mais, en même temps, à son réveil, il n’était plus près du feu. Il s’était absenté, à son insu, laissant cependant son arme près de la place qu’il occupa toute la nuit. L’Incube était quelques dizaines de pas plus loin, profitant de la fraîcheur d’un cours d’eau pour prendre un bain. De l’eau jusqu’à la taille, il faisait quelques ablutions. Ses affaires étaient posées sur le bord, sous un arbre, avec, à côté, des baies regroupées dans de larges feuilles faisant office de bol. Ses oreilles bougèrent presque indistinctement, mais il ne se retourna pas tout de suite. L’odeur qu’il avait sentie lui était connue. « Je vois que tu es réveillée. » Il se passa un peu d’eau sur le visage. « J’ai ramassé des baies pour le petit déjeuner. » |
La nuit était passée comme un charme. Asep’Timusoth s’était occupé l’esprit de quelques pensées vagabondes, comme il en avait parfois l’occasion, laissant son instinct et ses sens faire le travail de chien de garde, qui lui avait été dévolu pour la seconde partie de la nuit. Mais l’immobilité et la fraîcheur de l’air ambiant avaient, tous deux, mis légèrement à mal ses muscles, raison pour laquelle il avait décidé d’abandonner son poste, une fois convaincu qu’ils ne risquaient plus rien, pour trouver un endroit où se délasser un minimum et, ainsi, se décrasser. L’eau de la rivière était un peu fraîche, mais probablement juste ce qu’il fallait pour rafraîchir sans avoir à risquer de grelotter par après, parce que la fourrure était un avantage autant qu’un inconvénient. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas revêtu de forme poilue, que ce soit pour le plaisir ou pour la nécessité, et si la sensation pouvait être un peu étrange au début, le Démon s’y était bien vite habitué. La couverture naturelle de poils offrait une protection particulièrement efficace contre le froid ambiant, et la chaleur également, rendant souvent bien inutile le port de vêtements particulier. Cependant, une fois mouillée, il fallait la sécher quelque peu méthodiquement pour éviter quelques menus soucis. Heureusement, avec le soleil qui pointait le bout de son nez et le fait qu’ils étaient tranquilles dans ces bois pour au moins quelques heures encore, l’Incube avait tout le temps nécessaire pour s’occuper méticuleusement de sa fourrure désormais complètement trempée. Heureusement, celle-ci était à poils courts, mais il aurait été inconcevable qu’il ait opté pour quelque chose d’autre. Beaucoup trop de problèmes. Bien trop. Et s’il y a une chose que détestait l’Incube, c’était s’embarrasser de problèmes inutiles. Au milieu de la rivière, le Démon procédait à ses ablutions tranquillement quand son odorat lui indiqua une odeur nouvelle et pourtant familière. Visiblement sa partenaire s’était réveillée et avait décidé de le rejoindre. Il sentit son regard sur lui, esquissa un léger sourire, discrètement, pour lui-même, avant de briser le silence. La Terranide, revenant à la réalité, lui annonça avoir rapporté son arme et tenté de camoufler au mieux leur passage dans la forêt. Allant même jusqu’à lui proposer d’aller vérifier cela par lui-même. Il se tourna vers elle, l’observa tandis qu’elle portait son arme et se dirigeait vers l’endroit où il avait posé ses affaires ainsi que la collection de baies qu’il avait ramassé avant de venir prendre son bain. « Merci. Pour nos traces, je te fais parfaitement confiance. De toute manière, même s’il devait rester quelques restes visibles de notre passage, au mieux cela invitera nos poursuivants à s’attarder dans les environs alors que nous serons déjà loin. » D’une certaine façon, il aurait peut-être même été plus malin de laisser des signes évidents de leur passage pour semer le doute dans l’esprit de leurs poursuivants et les mener sur une mauvaise piste. Après tout, s’ils avaient prévus de rebrousser chemin pour s’en prendre au Nécromancien, l’idée d’éloigner la plupart de ses hommes de main n’était pas mauvaise, mais l’intention de la jeune femme n’était pas mauvaise non plus. Tandis qu’il s’étirait, toujours dans la rivière, elle lui fit remarquer qu’il devait avoir confiance pour prendre ainsi le temps de prendre un bain, non sans mentionner qu’elle ne manquait pas de l’envie de faire de même. Il pencha légèrement la tête sur le côté, l’observant pendant un bref instant avant d’hausser les épaules. « Si tu avais voulu t’en prendre à moi, j’imagine que tu aurais pu le faire pendant la nuit. Quant à nos poursuivants, je doute qu’ils ne parviennent réellement à nous prendre par surprise. » Il posa son regard en direction de la forêt. Le soleil commençait à poindre au-dessus des arbres. Il était encore assez tôt mine de rien. « Je doute qu’ils ne se soient réellement mis en marche pour le moment. Si tu désires te rafraîchir un peu, n’hésite pas. L’eau est fraîche, mais juste ce qu’il faut pour délasser. Ce serait dommage de s’en passer. » Après tout, il restait un Démon de la Tentation, mais au-delà du fait de vouloir la tenter à le rejoindre au milieu de la rivière, il y avait une réelle volonté de lui faire remarquer qu’elle n’avait pas nécessairement besoin d’être à cran, au moins pour le moment. « Ce sera probablement un rare moment de répit avant la tempête à venir, autant en profiter. Tu ne crois pas ? » Il esquissa un sourire avant de plonger ses pattes dans l’eau. Il les remonta, en forme de coupe, relevant avec elles de l’eau qu’il s’aspergea sur le visage. Il attendit de savoir si la Terranide se laisserait prendre à l’invitation. Dans le cas contraire, il se contenterait de rejoindre la berge et de se sécher. Mais si elle décidait de le rejoindre, la suite pourrait être un peu plus intéressante… |
La tentation était une des armes les plus redoutables dont disposait un Démon. C’était même l’une de leur occupation favorite. Cette tentation pouvait revêtir plusieurs formes. Celle de s’abandonner à des plaisirs simples comme la gourmandise, la paresse ou la luxure. Celle de céder à des pulsions plus destructrices comme la vengeance, qu’elle soit brutale, par la force brute d’un meurtre de sang-froid, ou bien patiente et intelligente, par le biais d’un complot politique. Asep’Timusoth les avait toutes essayées, sans exception. Il avait amené des Hommes, des Terranides, et bien d’autres créatures, à mener des actions pour lui, parfois en leur faisant miroiter leurs souhaits les plus fous, parfois simplement par pur plaisir, mais toujours pour les mener à leur déchéance et s’emparer de leurs âmes et les conduire aux Enfers. Après tout, l’Incube n’était pas connu pour sa sollicitude et son altruisme désintéressé. Mais au-delà de ses tentatives volontaires, il fallait admettre que, dans le cas présent, cette tentative n’en était pas réellement une et, pourtant, voilà que cela lui offrait une situation quasiment inattendue. Il n’allait pas jusqu’à admettre être surpris de la réaction de la Terranide, mais il avait imaginé, qu’elle rechignerait davantage à le rejoindre dans la rivière. Peut-être imaginait-il qu’elle puisse faire montre d’une certaine pudeur – notion totalement inconnue de la plupart des Démons – ou simplement de ne pas assez de confiance pour se laisser aller au point de se baigner en sa compagnie Havoc regarda donc sa congénère se mettre à nu, laissant tomber ses affaires non loin des siennes. Elle défit les liens de son armure de cuir, puis abandonna sa chemise et son pantalon de ce qui semblait être du lin. Il observa toute la scène d’un œil appréciateur tout en continuant ses propres ablutions. Après tout, elle pouvait toujours être mal à l’aise à l’idée d’être observée de manière un peu trop insistante. Il apprécia sa manière de s’étirer et eut un léger sourire alors qu’il put l’apercevoir frémir face à la température – légèrement fraîche – de l’eau. Le Démon aussi avait été pris d’un frisson à sa propre entrée dans l’eau, une réaction physiologique, qu’il n’avait pas réprimé, car elle n’avait rien de désagréable. « Certaines choses sont plus simples lorsque l’on ne s’encombre pas de toutes les réflexions qui peuvent tordre les esprits des Humains. » Une réflexion tout à fait naturelle, d’autant plus pour quelqu’un qui avait pu passer beaucoup de temps à les étudier. Les Humains réfléchissaient beaucoup trop pour leur propre bien, ressassant parfois des détails sans importance, obscurcissant leur jugement. Les Terranides, et les animaux en général, utilisaient davantage leur instinct et éviter de trop tergiverser, jugeant leurs compétences adéquates pour réagir au résultat de leur action, plutôt que d’imaginer tous les scénarii possibles et, éventuellement, ne rien faire du tout. Les Démons étaient probablement le meilleur des deux mondes, mais principalement parce qu’ils savaient tirer parti de l’un et de l’autre. Asep’Timusoth avait d’ailleurs arrêté son bain pour jeter un œil plus averti à la jeune femme. Appréciateur, il devait admettre qu’elle était particulièrement séduisante. L’Incube était même curieux de s’imaginer à quoi elle pouvait ressembler sous une forme plus animale. Sans un mot supplémentaire, et sans intention malveillante quelle qu’elle soit, il fendit silencieusement le fil de l’eau de la rivière pour s’approcher d’elle. Il savait qu’elle était aux aguets, probablement autant pour les potentiels hommes du Nécromancien que pour lui, mais il ne lui souhaitait aucun mal, bien au contraire. Il s’approcha par le côté, signe évident qu’il n’avait aucune intention de la surprendre et, arrivé à portée de bras, il avança une de ses pattes qu’il dirigea vers une de ses épaules. « Si tu me permets. » Sa voix était tranquille, assurée mais calme et douce. En réalité, il souhaitait simplement lui proposer, le plus simplement du monde, de l’aider à rincer son dos, une surface difficile d’accès pour n’importe quel bipède. Bien entendu, le geste était légèrement calculé, mais ce n’était pas parce que l’on avait un peu de suite dans les idées que tout geste était nécessairement mal intentionné. Havoc était parfaitement dans son rôle : il était un Terranide, répondant davantage à son instinct animal, en présence d’une femelle attirante. Son instinct ne voyait aucun inconvénient à se montrer avenant, même si, bien entendu, il ne s’attendait pas spécialement à ce qu’elle accepte. Néanmoins, le proverbe le disait souvent la chance souriait aux audacieux ou alors, selon d’autres, qui ne tentait rien…. Heureusement, l’Incube ne laissait pas des adages dicter ses choix. |