Ville-Etat de Nexus / Vous avez dit...Une blague?[Flint Eklepios Adaenika]
« le: mardi 23 juin 2020, 23:49:34 »L'imprudence de Frolov se manifestait de bien des façons. Elle mettait parfois sa vie en danger. Cependant, ce trait de caractère avait ceci de positif qu'il révélait des dysfonctionnements dans les entreprises de Georges. Là encore, l'imprudence de Frolov s'était révélée salutaire encore une fois :
Frolov avait reçu un rapport l'informant qu'une cargaison de vin avait disparu. Totalement. Envolée. Volatilisée. Délaissant son bureau, Frolov s'était rendu au port en toute hâte. Une heure après son départ, un jeune coursier s'était présenté à la demeure Flemens pour les informer d'une urgence nécessitant l'intervention du chef de la famille et des supérieurs hiérarchiques de Frolov. Georges s'était donc habillé en conséquence et avait convoqué Valor Innokenti ; son chef de la sécurité ; et Grégoire Karrow ; le directeur du service assurance transport et le supérieur hiérarchique direct de Frolov.
Pour le choix de ses vêtements, Georges avait revêtu une redingote grise, une cape assortie dont le fermoir en or en forme de chat était visible au niveau de l'épaule droite, un pantalon de la même couleur et des mocassins marrons foncés à double boucle tirant sur le noir. Le pommeau de sa canne en bois de chêne, ce jour là, représentait la tête d'un chat en train de feuler.
Valor Innokenti avait revêtu son armure complète noire et or. Son heaume cachait les traits de son visage. Il avait sélectionné une vingtaine d'hommes du service de sécurité dans leur livrée sinistre pour composer l'escorte de son employeur. Tous avait la hache au poing et se tenait parés à protéger leur maître.
Grégoire Karrow avait choisi un style vestimentaire que l'on pourrait qualifier de...chatoyant. Tout en manches bouffantes et en couleurs vives, le directeur du service assurance transport, du haut de sa trentaine d'années et de sa suffisance, ne semblait pas très à l'aise avec l'idée de sortir et de potentiellement salir sa tenue.
Georges, Valor et Grégoire se trouvaient sur le pont principal d'un navire: Le sloop transportant la cargaison de vin manquante . Frolov, assis sur un tabouret et adossé au mât était dans un bien triste état. Sa livrée noire du service assurance transport était parsemée d'une sorte de poudre blanche semblable à du sucre, ses narines étaient dilatées et ses yeux rougis et écarquillées semblaient contempler un monde cauchemardesque et inaccessible à ses vis-à-vis. Une sueur glacée perlait au front de Frolov.
«Mais qu'est-ce qu'il vous est arrivé, bon sang ?»Finit par lâcher Georges dans un souffle, alors qu'il contemplait son employé avec une note d'inquiétude dans le regard.
Frolov tourna la tête dans la direction de Georges, très lentement, à la manière d'une marionnette dont l'articulation du cou rencontrerait quelques problèmes.
« Ben...le tonton v'nait tout juste d'accoster qu'il s'est rendu compte que quekechose allait pas avec l'poids du sloop. C'est les lamaneurs qui lui ont signalé qu'y avait un problème de poids. Visiblement, le navire avait été allégé de beaucoup. Alors moi, vous savez comment chuis hein ? J'vais voir moi-même parce que bon, j'veux pas avoir d'infos de seconde main.»
Georges fit un geste d'impatience pour encourager son employé à en venir au cœur du sujet, mais Frolov ne semblait pas l'avoir perçu. Il continua donc de faire son rapport avec lenteur et d'une voix rendu traînante par ce qu'il avait vécu dans la cale du navire.
«J'arrive donc sur l'navire et là, le tonton m'attend déjà et m'emmène à la cale et là... plus rien. Plus un seul tonneau, plus aucun baril. Le bosco m'a assuré qu'aucun marin n'a sifflé la moindre goûte pendant l'voyage et j'le crois. Mais à la place de la cargaison d'vin y avait comme une petite couche de poudre blanche. Alors, j'ai léché mon doigt, j'lai plongé dans la poudre et j'ai goûté. Ah j'vous dit pas comme c'était bon. J'en ai repris un peu, puis encore un peu et... »
«C'est bon, je crois que l'on a compris. »Finit par le couper Georges.
Georges saisit l'arrête de son nez et ferma les yeux pendant quelques secondes. Après un long moment de silence qu'il mit à profit pour récapituler les élément connus sur cette affaire, le jeune noble se tourna vers son directeur du service assurance transport.
«Bon, Grégoire...Nous sommes bien d'accord que nous ne proposons pas à nos clients d'extension de garantie concernant les accidents magiques de quelque nature que ce soit. Par conséquent, même si le transfert des risques n'a lieu qu'une fois les marchandises livrées au destinataire, nous ne sommes pas tenus d'indemniser notre client. C'est bien ça ? »
Grégoire hocha frénétiquement la tête à plusieurs reprises pour confirmer les propos de son employeur.
«C'est bien ça ! Cependant, nous proposons très régulièrement des extensions de garantie pour tous les accidents impliquant des créatures magiques non-démoniaques.»
Georges fit tinter la pointe métallique de sa canne sur le pont du navire et sourit à ses employés. Son regard exprimait du soulagement.
«Aucune créature magique n'est impliquée ici. Nous pouvons donc passer sur les causes de cette accident et nous préparer à objecter aux moyens que notre client ne manquera pas de soumettre à notre attention afin de...Quoi encore ?»
Un petit garçon d'une dizaine d'années à peine, portant la livrée de la maison Flemens, venait d'arriver sur le pont du sloop. Essoufflé par sa course, il n'en brandissait pas moins un cylindre à messages portant le sceau de la capitainerie du port. Valor Innokenti, en bon chef de la sécurité, prit le cylindre des mains du coursier pour l'inspecter lui-même. Le jugeant inoffensif, il finit par le tendre à Georges qui l'ouvrit pour prendre connaissance de son contenu.
À la fin de sa lecture, les mains de Georges se crispèrent sur le cylindre à messages, trahissant l'intense colère de l'assureur.
« Messieurs...Je vous informe qu'un slime aux sucs destructeurs s'est installé dans un entrepôt du port. Le sinistre est pour l'un de nos clients que nous devons indemniser à hauteur de 70 % du montant de la valeur de la cargaison détruite au titre de l'extension de garantie sur les accidents liés aux créatures magiques.»
D'un geste, le jeune noble congédia le messager, non sans lui avoir intimé l'ordre de se rendre à la demeure familiale pour y trouver son chef des services de renseignements afin de l'informer de la situation. Puis, Georges se tourna vers Valor, son regard exprimant une intense concentration.
«Valor...Je vous prie de bien vouloir me conduire à l'entrepôt 119, quai 35-A pour que je puisse me rendre compte de la situation. Je ne quitterai pas les lieux tant que toute la lumière ne sera pas faite sur cette affaire. Je compte donc sur votre entière coopération avec Griselda pour une résolution rapide et efficace du problème.»
Deux heures plus tard, Georges se trouvait devant l'entrepôt. Le slime interdisait l'accès à celui-ci. La créature informe et d'aspect gélatineux ne semblait pas dangereuse. Pourtant, ses sucs destructeurs semblaient parfaitement en mesure de détruire des caisses ou des rouleaux de tissus fins sans la moindre difficulté. De plus, le spécimen installé dans l'entrepôt avait la sale manie de se déplacer rapidement vers tout objet ou individu en mouvement. Les dégâts matériels étaient importants. Fort heureusement, aucun blessé n'était à déplorer et une bonne partie de la cargaison semblait encore intacte. Les hommes du service de renseignements se mirent à enquêter, interrogeant toute personne travaillant sur les lieux. Il leur faudrait sans doute des jours pour obtenir une piste tangible.
«Qu'en pensez vous, Valor?»
Georges était de nouveau installé dans son fiacre et faisait tourner sa canne dans sa main gauche, le regard absent. Déjà, sa paranoïa et son imagination travaillaient à plein régime. Il faisait défiler les noms de ses ennemis politiques dans sa tête.
«Je pense que nous avons affaire à un mage très puissant. Je pense que ce n'est qu'un accident et rien de plus. Ce slime a beau ne pas être agressif, le moindre contact avec lui est visiblement dangereux. Pour capturer et transporter ce genre de créature, il faut soit mettre en place une certaine logistique qui passe difficilement inaperçue ou recourir à des moyens magiques très puissants. Nous n'avons offensé aucun des quelques mages de ce monde en mesure d'accomplir ce genre de prouesse et personne ne semble avoir occupé les abords de l'entrepôt avec les hommes et le matériel nécessaires au transport de la créature. »
Georges regarda vers l'extérieur du fiacre, le menton posé sur le pommeau de sa canne. Il réfléchissait intensément aux moyens à mettre en œuvre pour minimiser les pertes dues à cette étrange affaire. Au bout d'un certain temps, il s'adossa à son siège capitonné de velours noir et soupira.
«Bon...Nous indemniserons notre client comme convenu dans le contrat que nous avons conclu avec lui. Cependant, nous nous retournerons contre les propriétaires de cet entrepôt qui ont visiblement manqué à leur devoir de sécurité le plus élémentaire. Nos provisions nous permettent de supporter le coût d'un procès sans le moindre problème et je pense que nous gagnerons sans coup férir aux vues de la législation actuellement en vigueur. Toutefois, il serait bon que ce genre d'incident ne se reproduise plus. Vous travaillerez donc avec Griselda et son service de renseignements pour identifier l'auteur de ces faits et déterminer ses intentions. Vous n'omettrez pas ce qui est arrivé à Frolov de votre enquête. Je pense qu'il existe un lien entre ces deux événements aux vues de la...magie qui les entoure. Est-ce bien compris ?»
Valor Innokenti hocha vigoureusement la tête pour marquer son assentiment.
«Très clair, monsieur. Ce sera fait.»