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« le: mardi 07 mars 2023, 15:03:37 »
Le cœur de Thibault battait la chamade. Ce soir là, il transgressait plusieurs règles fondamentales imposées par son père, le baron de Limolles. Aussi risible soit son nom, il n'en restait pas moins un homme fabuleusement riche qui s'était élevé dans le monde du commerce par des méthodes légales et en suivant les préceptes d'un foi absolue envers le panthéon des dieux de Nexus. Son sérieux et sa loyauté l'avait amené à côtoyer la Cour et à force d'effort, il avait gagné sa baronnie, récompense aussi octroyée pour ses dons à l'Etat. Ses nouveaux contacts à la Cour avaient permis à son activité déjà florissante de s'étendre à d'autres secteurs et le baron excellait dans le négoce. Cité en exemple, il faisait la renommé du commerce de Nexus. Du point de vue du sieur de Limolles lui-même, sa réussite ne tenait qu'à sa rigueur et à son sens de la minutie. Tout était parfait dans cette famille sauf ... Thibault.
Le jeune homme de vingt ans ne faisait pas la fierté de son père. Ses efforts n'étaient jamais assez, son investissement tout juste recevable, sa foi à peine visible. Les remontrances étaient quotidiennes, les critique permanentes, et le garçon n'en pouvait plus de cette vie monacale.
Il en faisait des efforts mais son père restait buté sur des idées rigides et dépassées. Il s'investissait mais dans des secteurs que le paternel ne considérait pas comme intéressant: l'art, la culture, la musique entre autres; c'était là autre chose que la vente de tissus, le rachat de moissons de blé à bas prix où l'import d'épices exotiques ... Quant à la religion, c'était bien là le dernier centre d'intérêt de Thibault. Les interminables prières et règles qui régissaient la vie de la maisonnée l'insupportait. La famille, donc ses parents et lui seul, malheureux fils unique, vivaient dans un magnifique manoir no loin du palais d'ivoire. Ils avaient à leur disposition une horde de domestiques consciencieux et Thibault bénéficiait de l'esprit de partage de son père qui lui permettait de piocher dans les coffres familiaux pour ses nécessités. Mais à quoi bon ab=voir de l'argent si on ne pouvait pas le dépenser? Thibault sortait peu de chez lui. Un précepteur personnel venait chaque jour lui enseigner les élémentaires et ajoutait toujours une atroce touche religieuse à ses cours. Thibault n'avait pas d'amis vers qui trouver une échappatoire. Son père l'autorisait tout juste à suivre à l'extérieur des réunions d'ouverture à la Foi ... cauchemar des vendredis après-midi. Et les jeunes de son âge qu'il y croisait lui donnaient des nausées ... Ils baignaient dans une hypocrite utopie cléricale ...
Ses évasions, il les recevait de certains domestiques, ces braves gens issus du peuple. Il en avait "apprivoisé" certains, avec quelques pièces, et ils lui racontaient les potins de Nexus, la guerre contre Ashnard et toutes ces choses trépidantes qu'il ne connaissait pas. Et précisément ces derniers temps, une information le captivait: les détails sur une demeure particulière dont on disait des choses bien scabreuses. le récit d'un domestique qui s'y était rendu, y dépensant au passage un mois de son salaire, l'avait empêché de dormir deux nuits durant. Les femmes ... viles créatures dédiées uniquement à la perdition des hommes ... tel était le discours du paternel tandis que sa mère baissait les yeux, honteuse de sa condition ... Mais les femmes étaient bien un sujet qui passionnait Thibault. Sans rien y connaitre, il imaginait leur douceur, ou leur poigne sur ... Lui, voulait tout découvrir de ces corps dits ardents. Le matin au réveil, il était dur au point d'en avoir mal tant il avait rêvé.
Il avait ourdit des plans, préparé des évasions mais avait eu peur jusqu'à présent de les mettre en œuvre. Seulement, ce soir-là, il avait pris son courage à deux mains et s'était vêtu silencieusement, se préparant à sortir par l'entrée de service du manoir, monnayant cette possibilité auprès d'un garde. Il se mira dans un miroir de grande taille. Thibault ne se trouvait pas beau, il avait la peau blafarde de celui qui ne voit pas la lumière du soleil. il trouvait son nez gros, ses oreilles écartées et son regard, inexpressif. Maintenant, il se disait que là où il prévoyait d'aller, seule la rondeur de sa bourse serait jugée. Il portait un ensemble gris, de grande qualité, cela se voyait et hésita à passer une collerette qu'au final il ne mit pas. Pas viril avait souligné son habilleur un jour. Son père ne sortait jamais sans ça ...
Et quelques minutes après, drapé dans une cape grise elle aussi et brodée de fils d'or, paré d'une bourse sonnante de monnaie d'or, il avançait à vive allure en recherchant l'ombre des bâtiments. Mesure inutile car il faisait nuit. Dans ce quartier, l'insécurité était inexistante. Le guet veillait. Il se perdit plusieurs fois, mais à l'aide d'un plan dessiné par jean, le cuisinier libidineux, il trouva enfin ce qu'il cherchait.
Au fond d'une impasse, le manoir brillait des mille feux de la luxure. Enfin ... c'était une image car il n'en était rien. L'endroit était magnifique certes, pour ce qu'il en voyait par dessus l'imposant mur d'enceinte. Autour de lui, des silhouettes, masculines pour la plupart, se pressaient vers l'entrée du domaine. Il les suivit et afficha sa meilleure mine, sous sa capuche pour avoir la permission d'entrer. Quelques pièces d'or firent écho à son sourire et il assura qu'il n'était pas armé. L'idée ne lui était même pas venue à l'esprit qu'il puisse s'armer pour sortir de chez lui.
Il s'apprêtait à présent à investir le saint des saints de sa présence. Une hôtesse souriante et magnifique l'accueillit et le défit de sa cape. Il aurait bien passé la soirée avec elle mais elle l'invita à continuer. On le guida en douceur, on lui proposa une table? Un box privé?
"Euh ... une table oui, un peu à l'écart s'il vous plait mademoiselle."
Il rougissait à chaque regard et quand il fallut commander une boisson, il ne sut quoi demander.
"Quelque chose de sucré et doux s'il vous plait mademoiselle."
Et quant à la présence d'une charmante demoiselle? Il bredouilla une vague réponse paniquée et repoussa poliment la proposition. Seul, il osa faire des yeux le tour du propriétaire. L'établissement offrait un luxe évident, une qualité de service parfaite jusqu'à présent et l'ambiance y était actuellement feutrée. Des clients consommaient, boissons et filles, mais restaient discret dans l'ensemble. Thibault se gavait de la beauté des participantes, toutes plus belles les unes que les autres. Sa main se porta à sa bourse, par réflexe; il espérait en avoir assez sans prendre conscience qu'il pouvait acheter une jolie petite propriété avec ce qu'elle contenait.
Il prit le temps de bien observer toutes ces femmes. Celle qui semblait être la ... patronne ... avait un charme fou mais sa voisine immédiate, assise sur les genoux d'un client à une table toute proche, était l'objet de tous ses regards. Elle avait évidemment capté ses regards maladroits et il plongeait son nez dans son verre en cristal quand c'était le cas.
"La Charmante!"
Une fille interpella la muse. c'était là un bien joli surnom qui se mariait parfaitement avec la personnalité qui se dégageait de la jeune femme. Et plus il la regardait, plus il la trouvait parfaite. Il soupira. Il n'aurait jamais le courage de l'aborder et en plus, elle était occupée avec un autre.