Le printemps, belle saison où la nature s’éveille, c’est le moment de l’année que Camille préfère. Finie la torpeur hivernale, et pas encore les chaleurs estivales. Le printemps, c’est aussi la saison où les sens s’éveillent, où la folie revient.
La folie, c’est bien le terme, tant Camille est fou d’amour pour ce beau brun dont il a fait la connaissance sur le site “un mec une nuit”. L’amour n’a pas sa place dans ces rencontres d’une nuit, juste pour le sexe, mais sait-on jamais.
C’est une période où la féminité de Camille a pris le dessus, et il s’est pomponné pour ce rendez-vous galant, sans excès mais sans ambiguïté. Son pantalon de toile ne laisse aucun doute sur sa masculinité, mais tout le reste de son corps vêtu d’un chemisier blanc rappelle sa féminité.
Son amant d’une nuit, et peut-être d’une vie, lui a donné rendez-vous devant le parc de Seikusu, un endroit si romantique, et puis il y a les sous-bois tout proches, s’il faut se cacher pour faire des cochoncetés.
Vingt heures à son smartphone, Camille n’a vu passer personne, hormis un grand brun élancé, précisément, qui aurait pu être son futur amant, mais ne lui a même pas accordé le moindre regard.
Vingt heures et dix minutes, Camille patiente toujours, espérant que ce ne sera pas un rendez-vous manqué, comme il en a déjà trop connus.
“Hé, petite fiotte, j’ai ça pour toi !”, l’expression immonde déchire soudain le silence qui inquiétait Camille. Il aperçoit aussitôt, sur le trottoir d’en face un individu, une batte de base-ball en mains.
Et pas qu’un seul… car d’autres apparaissent, tout aussi menaçants. Cinq au total, tous agitant leur batte sans ambiguïté. L’un de la bande surenchérit “Tu voulais te faire défoncer le cul ? On en a cinq grosses pour toi !”.
Leur effet de surprise est inéluctable, et ils se croient invincibles vu l’effet de masse. Cinq gaillards en gros godillots, un turban noir sur la tête, et la lumière du réverbère montrant clairement le visage de celui qui aurait dû être son amant ce soir.
Pour y passer de longues journées, récemment encore à guetter les éclosions printanières, Camille connaît le parc par coeur, ses coins et ses recoins qui peuvent devenir d’infinies cachettes. Oui mais, contre cinq monstres assoiffés de sang, ça ne suffira pas !
Il se retourne, prend son élan, et saute la grille du parc, ce que les gros lourdauds ne pourront pas faire aussi facilement. Pourtant, leurs cris de haine ont aussitôt déchiré le silence, “Il se barre, chopez-le !” indique clairement ce qu’ils veulent.
Camille court à perdre haleine. Il entend au loin les bruits des bottes massacrer le sol paisible de ce joli parc. Il atteint enfin l’allée des cerisiers sakura, dans un calme presque rassurant. Mais soudain “Il est là-bas, chopez-le !” lui rappelle qu’ils sont encore à ses trousses.
L’allée est trop droite, ils l’ont en point de mire. Il tourne soudain à droite, longeant la petite mare brumeuse qui le dissimulera un peu, et saute la grille du parc pour filer vers les sous-bois. Ce n’est pas un lieu de rendez-vous, mais ça les déroutera peut-être.
Camille connaît aussi ces lieux, qu’il fréquente quand l’automne doré se plaît dans les feuillages. Même à la nuit, il parvient à se repérer dans ces allées innombrables. Eux aussi semble-t-il car il entend encore leurs voix au loin !
Il s’engage dans une plus petite allée sur sa gauche, un chemin peu large même. Quand, soudain, il se sent comme happé par un tourbillon. Il ne comprend pas, il tourne sur lui-même, avant d’être aspiré dans une sorte de tunnel noir où il continue de tourner, avant d’être expulsé vers le dehors.
Expulsé comme un pet, c’est littéralement cela ! Expulsé dans une sorte de clairière, où il parvient à retomber sur ses pieds, et perçoit aussitôt des clameurs au loin, comme si la poursuite continuait toujours, après être passé dans ce mixer.
Pourtant, il y a de la musique qui accompagne ces clameurs. Il semble même y avoir des rires, comme si c’était une fête. Sauvé ! Camille se dirige aussitôt vers le lieu de cette fête ; il va demander de l’aide.
Mais ce qu’il découvre le cloue sur place : une fête médiévale, une sorte de bal costumé. Toutes et tous sont habillés comme au Moyen-Age ou un truc comme ça, les grandes tables et les charrettes entassées corroborent la période, sans oublier qu’ils ne boivent pas du Champagne dans des flûtes en cristal, mais plutôt de la vinasse dans des godets en terre cuite.
Avec son pantalon de toile, et sa chemise de lin, il ne va pas trop dépareiller ; il s’avance, hésitant.
Si c’est une soirée déguisée, c’est très réussi, plus vrai que nature même.
Il avance, hésitant. Nul ne semble faire attention à lui. Il repère le lieu des boissons. Il y a des tonneaux où coule un breuvage rougeâtre, du vin de mauvaise qualité sans doute, dont il ne veut pas s’abreuver. Pourtant, sa course effrénée lui a donné soif, et il avise un pichet en mauvaise ferraille, dont l’eau fraîche, même d’un goût douteux, l’abreuve enfin, versé dans une espèce de godet assorti.
Enfin, il peut mieux regarder cette étrange assistance.