Sweet party (pv)

La nuit s’était levée, balayant de son manteau d’obscurité la journée, bête infâme dévoreuse de lumière. Les nuages étaient bas, menaçants, ils s’amoncelaient tranquillement. L’organe ne tarderait pas à éclater. Dans ces ténèbres denses, la ville brillait d’une pâle clarté. Les lampadaires qui jalonnaient les trottoirs, auraient du devenir des guides, des phares pour les quelques passants ; mais, ceux-ci ne s’appuyaient que sur ces poteaux afin d’éviter les chimères terrifiantes nées de leur imagination qui prenaient vie sur les murs de la cité. S’il y avait bien un endroit où l’on était à l’abri de ces préoccupations, nul doute qu’il s’agissait du casino ! Site de strass et de paillettes, les jetons s’empilaient ainsi que le beau monde.
Ballets incessants, défilés de gens. Derrière ces bavardages insipides, ces grotesques parades, l’on jugeait et l’on était jugé. Les masques se succédaient, se déclinant en toutes sortes de gens. Un rire cristallin, un sourire discret, un hochement de figure constituaient les armes de ces diables endimanchés, signes de leurs plus basses mesquineries.
Dans cet univers de faste et de paillettes, où tout était faux et rien n’était vrai, les aspects possibles et inimaginables de l’hypocrisie et de la bêtise humaine se déroulaient. Néanmoins, un lien supportait les invités attablés à savoir le rang. Leur naissance était un gage de qualité ; ces lords et ces ladies avaient beau se trouver des tares et racontaient les plus odieux mensonges sur leurs confrères et d’autres lignées, ils étaient à part, hors de ce monde vulgaire et commun, hors de cette foule pouilleuse, de cette plèbe dégoûtant, hors de ces pathétiques gens… Quel bon vent l’avait mené jusqu’ici ? Une soudaine passion pour le jeu ? Une envie irrépressible de revoir un être cher ? Pas le moins du monde, l’orgueilleux ne s’était plié là qu’au bon plaisir de ces connaissances qui l’avaient incessamment pressés de venir se divertir en leur compagnie. Et c’est ainsi que ce bon vieux Hastings  de quelques années son aîné, se mit en tête de lui présenter une « demoiselle » des plus délicieuses. Une autre pimbêche pensa-t-il…

« Cher Bruce, voyons ! Venez…Venez, je vais vous présenter…la plus belle personne en ces lieux. »

« Nous savons tout deux que j’ai passé l’âge de.. »

« Roh, venez bougre d’idiot ! »
Un sourcil se suréleva sur la figure de ce diable et malgré toutes ces protestations, il fut entraîné vers la dite « fleur ».,

Une silhouette familière… Féminine et sensuelle. Une impression sûrement, rien de plus, cette dernière se trouvait de dos.

Le « Starlight » était l’un des plus luxueux casinos de Seikusu, ce genre de casino où on n’entrait que sur invitation, et à condition d’avoir un portefeuilles bien rempli. Fort heureusement, Félicia avait récemment réussi à faire l’acquisition de quelques luxueux bijoux. Leur revente lui avait permis de se faire suffisamment d’argent, et la tentation était grande de les dépenser dans les machines à sous, ou au poker. La Chatte Noire s’était infiltrée sans trop de difficultés dans le casino, côtoyant les pontes de la ville. Conseillers municipaux, juges, industriels, hommes d’affaires… Les grands pontes… Voilà qui rappelait à Félicia ce passé lointain où, dans son luxueux appartement de Manhattan, sa mère organisait des réceptions mondaines de ce genre.

Il ne s’agissait pas vraiment ici d’une réception, certes, mais on y retrouvait al même clientèle. Dans un coin, des chanteurs de jazz donnaient quelques morceaux. Le décor était riche et grand, avec des aquariums géants, et des tables. Le « Starlight » faisait aussi office de restaurant, et était, à vrai dire, une couverture pour la mafia locale. Comme dans tout bon film hollywoodien. Il fallait juste remplacer Al Pacino par un acteur asiatique. Ce n’était un secret pour personne, même s’il était difficile de réunir des preuves suffisantes pour fermer le casino. Les Yakuzas étaient influents, si influents qu’ils n’avaient même pas à se cacher. Certains agents de sécurité avaient des épées dans le dos, comme tout bon Yakuza.

*Peu importe, dans le fond… Je ne suis pas là pour faire ma justicière, mais simplement pour dépenser mon argent !*

On la regardait, on détournait le regard. Il fallait dire que Félicia était plutôt une belle femme, et ses vêtements allaient dans ce sens. Elle portait une superbe robe noire avec des collants, au dos nu, ainsi que d’élégants gants de soirée. Un délicat collier ornait également son cou, achevant de la rendre suffisamment désirable pour qu’on vienne lui parler et lui sourire. Elle portait également des bottes. N’osant pas dire qu’elle était une simple professeur de sport au lycée, Félicia se faisait passer pour une secrétaire juridique dans un grand cabinet international spécialisé dans le droit des affaires. Un intitulé suffisamment ronflant pour que personne ne vienne lui demander de plus amples précisions.

La Chatte Noire hésita à s’approcher des machines à sous, et préféra plutôt se porter vers une table de jeu, où une partie de poker avait lieu. Les règles de cette partie étaient les plus usuelles : le poker texan, ou « Texas Hold’em ». Grâce à son ex-mari, Flash Thompson, et à ses années de faculté, Félicia avait quelques connaissances. Elle avait fait plusieurs parties dans des caves étudiantes, du strip poker, et s’en était parfois bien sortie… En d’autres circonstances, elle avait fini en petite culotte. Hésitant, Félicia s’approcha. Elle était joueuse, après tout, et reconnut plusieurs des joueurs. Il y avait l’adjoint du maire, une vieille femme, et un gros Chinois, probablement un « Dragon Head » des Triades.

« Vous désirez faire une partie, Madame ? lâcha l’adjoint du maire en levant la tête.
 -  Mademoiselle » répliqua-t-elle en souriant légèrement.

Il y avait plusieurs gens regardant la partie, mais c’était bien à elle que l’adjoint avait parlé.

« Il reste de la place pour plusieurs joueurs », expliqua le croupier, avant de donner le montant de la blind, la mise de départ.

Elle fut tentée de le faire, lorsque l’adjoint du maire tourna la tête vers quelqu’un se trouvant derrière elle.

« Tiens donc… Une ravissante femme, et voici maintenant Bruce Wayne en personne ! Que faites-vous là, M. Wayne ? Les belles femmes et les soirées arrosées de Gotham ne vous suffisent plus ? »

Tournant la tête, Félicia vit en effet le milliardaire Wayne, dont les frasques défrayaient parfois les chroniques de la presse à sensations. Il devait sûrement être à Seikusu pour affaires… Du moins, Félicia ne voyait aucune autre raison justifiant la présence d’un tel milliardaire ici. Félicia en avait naturellement entendu parler, car elle était après tout une Hardy. L’heure où sa famille côtoyait des sommités new-yorkaises comme Donald Trump remontait à loin, mais elle continuait à suivre le monde des affaires. Bruce Wayne figurait fréquemment dans « Forbes », placé généralement en têrte des sondages sur les célibataires les plus attirants…

Félicia devait plutôt reconnaître qu’il était assez séduisant. Elle lui fit un léger sourire, révélant ses belles dents blanches, avant de lui parler :

« On dit que vous êtes un homme qui apprécie le risque, M. Wayne… Autant que les femmes. Oseriez-vous mélanger les deux ? »

Après avoir dit cela, Félicia, sur un léger sourire espiègle, alla s’asseoir sur une chaise, s’invitant au sein des participants.

Arrogance et suffisance étaient les principales armes de son personnage, ne se devait-il pas d’être oh combien, superficiel ?  Un sourire éclatant, de prince, d’acteur, se dessina, dévoilant au passage une rangée de dents droites toutes plus éclatantes les unes que les autres. Et c’est donc paré de ce masque surfait, détestable quoique brillant qu’il ne tarda pas à répliquer du tac-o-tac avec un certain amusement.

« Ma foi, peut-être cela trahit-il une certaine forme de lassitude et puis reconnaissez qu’il faut demeurer ouvert à tout les charmes qui s’offrent à nous…Il n’y a pas que Gotham… Monsieur ? »

« Monsieur Abrecht, adjoint du maire de notre délicieuse ville de Seikusu, Monsieur Wayne, venez donc vous joindre à nous… Je vais nous faire porter quelques cocktails en vue des accords signés entre les entreprises Wayne et la ville de Seikusu. »

« Tout ce que j’aime, les femmes et les soirées arrosées, monsieur Abrecht, j’apprécie votre sens de l’hospitalité. »

Un léger rire, quelques mots piquants alors que les pupilles sombres s’étaient portées sur la délicieuse Félicia Hardy. L’intérêt vif qui s’éveilla en lui fut-il partagé ? La statue d’albâtre l’avait dévisagé cherchant à la sonder, à déceler les tréfonds de sa pensée, de son être, de ses perles sombres. Leurs regards se rencontrèrent pour mieux se fuir. N’était-il pas de ses êtres détestables, orgueilleux au possible qui ont une opinion importante d’eux-mêmes ? Mais voilà que ce dandy, ce milliardaire de pacotille prenait place parmi  la table entre mademoiselle Hardy et monsieur Abrecht.

« J’imagine qu’il faut savoir prendre des risques. Aurais-je l’honneur de savoir à qui j’ai affaire ? »

 N’avait-il pas une carrure imposante, athlétique ? Sûrement toutes ces folles excursions aux quatre coins du monde. Mais déjà avec un empressement certain, l’adjoint du maire se précipitait pour chercher à annoncer la demoiselle.

« Oh voici…voici…. »

Quelqu’un ne tarda pas à lui souffler dans le creux de l’oreille de manière peu
discrète…

« Félicia Hardy…secrétaire juridique. »

« Félicia Hardy ! Bien entendu, la flamboyante Félicia Hardy ! Mademoiselle Hardy est secrétaire juridique dans un grand cabinet d’affaires… Monsieur Wayne est… »

« Un milliardaire fortuné qui ne passe son temps qu’entre « soirées arrosées et belles femmes ».. »

S’amusa-t-il à rajouter pour se moquer en quelques mots de l’adjoint. Mais passé ce bref moment de gêne, des cocktails furent bientôt portés à leur table, l’adjoint du maire ne tarda pas à déclamer en levant le sien.

« Aux accords entre la ville de Seikusu et les entreprises Wayne… !  Les négociations ont été âpres mais finalement tout le monde est content ! A Bruce Wayne !»

Ils levèrent tous leur toast de concert, répétant ce dernier nom telle une litanie avant de finalement porter le verre à leurs lèvres, la partie débuta. La mise de départ était de 500 $ et alors que les  cartes venaient d’être distribuées, l’adjoint du maire reprit.

« Monsieur Wayne, êtes-vous amateur de poker ? »

« Ma foi, je me débrouille, mais je ne suis pas expert… Je perds souvent pour tout vous avouer. »

Un léger rire s’échappa de ses lèvres, image convenue pour ce golden boy qui jeta quelques regards à sa mystérieuse voisine.

Félicia resta de marbre quand l’adjoint du maire, Abrecht, hésita pour dire qui elle était. Le pauvre ne devait vraiment pas connaître ses fonctionnaires, car il aurait autrement su que Félicia n’était en réalité qu’une simple prof’ de sport. Mais qu’est-ce qu’une prof’ de sport irait faire au milieu de tout ce monde ? Elle avait ressorti l’identité que son contact au sein du S.H.I.E.L.D. lui avait donné : la secrétaire juridique de ce dernier. Son contact était en effet un avocat, Norman Jayden, qui lui avait offert une fausse carte attestant qu’elle travaillait bien à son cabinet comme secrétaire juridique. Elle se contenta donc d’un léger sourire amusé, et trinqua donc au nom des accords fructifiant passés entre la commune de Seikusu et les entreprises de Wayne. Du peu qu’elle en savait, les entreprises Wayne étaient un vaste empire commercial divisé en plusieurs branches, spécialisés dans différentes secteurs, comme l’alimentation, les produits médicinaux, et même l’aérospatial. Un large panel qui faisait de Bruce Wayne un homme passablement fortuné, un énigmatique golden boysemblant tout droit sorti de Wall Street, mais qui s’était parfois fait connaître pour ses opinions politiques.  Un indécrottable de Gotham City. Autant dire qu’il venait de loin.

La partie commença tranquillement. Le poker texan… Félicia n’était pas sûre de se souvenir de toutes les règles, et se demandait ce qu’elle fabriquait ici.

*Ah oui, c’est vrai… J’aime le luxe ! Ça explique tout !*

Le croupier distribua les cartes, et Félicia se retrouva avec deux cartes, les inspectant rapidement. Bon, elle n’avait pas vraiment une bonne main. Outre Abrecht et Wayne, il y avait aussi deux autres joueurs : la vieille femme, et un autre, un Asiatique assez bedonnant. La partie commença tranquillement, Félicia se rappelant peu à peu des règles. Le texas hold’em était avant tout une partie de poker psychologique. Il fallait avant tout réussir à déterminer si les adversaires avaient une bonne main, en tenant compte de leur état psychologique. La Chatte Noire n’avait cependant aucun talent en la matière, et était incapable de lire dans les yeux des autres pour savoir s’ils bluffaient ou non. Félicia se coucha rapidement lors de la première partie, et fut plus chanceuse avec son autre main. Néanmoins, elle perdit face à Abrecht.

« Je sais que je suis un vrai mufle de prendre l’argent d’une aussi belle créature, mais vous savez ce que c’est…
 -  Il faut croire que je ne suis pas la seule à ne pas avoir la main heureuse, M. Wayne, fit Félicia en le regardant en souriant.
 -  Malheureux au jeu… Enfin, vous connaissez le dicton. »

La partie se poursuivit avec les jetons qui s’accumulaient de part et d’autre. L’Asiatique qui était avec eux ne tarda pas à partir, au bout de plusieurs minutes, et il apparut clairement que, des quatre adversaires, Abrecht était le plus efficace. Félicia s’amusait également, quand elle crut apercevoir, parmi les spectateurs, la silhouette de Norman Jayden. Elle fronça les sourcils, pensant reconnaître les lunettes noires de cet avocat hors normes, mais il disparut rapidement. Se replongeant dans sa partie, elle continua à jouer, tout en se demandant ce que Jayden faisait ici.

*Ce n’est pas son genre d’aller dans des casinos…*

Décidant de penser à autre chose, elle regarda à nouveau Wayne. L’homme était plutôt séduisant. Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi il attirait tant la presse people. Elle se souvenait maintenant de ces deux élèves qui lisaient des revues people dans les vestiaires… La première de couverture avait été consacrée à Bruce Wayne, le fameux milliardaire. Il fallait bien reconnaître qu’il était plutôt séduisant.

« Alors, M. Wayne lança Félicia sur le ton de la conversation, comment trouvez-vous Seikusu... Par rapport à Gotham City, notamment ? »

Gotham avait la triste réputation d’être l’une des villes les plus corrompues des Etats-Unis, mais elle se voyait mal lui balancer ça, d’autant plus que Seikusu avait également son lot de corruptions. Félicia était bien placée pour le savoir. Peut-être avait-elle tout simplement halluciné en croyant voir la silhouette de Norman ? Ces derniers temps, elle commençait à devenir de plus en plus parano…

Les cartes s’étalaient avec une étonnante facilité, les mains se succédaient, et, sans prendre véritablement part au jeu, le milliardaire laissait échapper quelques milliers de dollars sans montrer un quelconque signe de désappointement. Le grand vainqueur de la soirée était l’adjoint du maire, monsieur Abrecht, qui s’en donnait à cœur joie, espérant visiblement plumer jusqu’au dernier sou le playboy fortuné. Des éclats de rires se succédaient avec frénésie et ils parsemaient le jeu de commentaires divers et variés !

« Hé bien, monsieur Wayne, je n’ai jamais vu quelqu’un perdre autant ! Mademoiselle Hardy, m’accorderiez-vous un verre si j’arrive encore à prendre 5000 dollars à notre invité de Gotham ?  Roh voyons, Bruce, vous savez bien que je plaisante ! »

 La conversation reprenait peu à peu ses droits, laissant moins de prises au jeu ce qui n’empêchait pas Bruce de lâcher par intermittences quelques jetons de diverses couleurs : rouge, noir, vert…

« Mademoiselle Hardy, je trouve que la ville de Seikusu est des plus charmantes… Même si je n’ai pu la visiter comme il se devrait j’imagine… Peut-être pourriez-vous être mon guide ? »

« Oh monsieur Wayne, voyons… vous n’avez même pas voulu entendre parler de la grande compagnie KPC ! Vous auriez du, nous aurions fait bien plus de partenariats ! Ils ont des jardins magnifiques… ! »

« De la poudre aux yeux, vous en conviendrez, la KPC produit de l’aniline, un gaz extrêmement toxique, il est hors de questions que les entreprises Wayne participent, ne serait-ce qu’un peu dans cette production… Et qui sait, pour défendre mes intérêts, j’engagerais, mademoiselle Hardy, je suis sûr qu’elle ne me contredira pas sur ce point. »

Et soudainement, il abattit sa main, les cartes laissèrent dévoiler une combinaison gagnante et le croupier ne tarda pas à déclarer : «  Monsieur Wayne gagne. » Les pertes accumulées étaient revenues à zéro et avec un rire surfait, le playboy déclara :

« Hé bien, me voilà chanceux finalement…Monsieur Abrecht, messieurs, dames… Je vous souhaite une bonne soirée. Serait-ce déplacé, miss Hardy, de vous offrir un verre au bar ? »

Lui offrant son bras, la statue d’albâtre la dévisageait, attendait patiemment son consentement.

La partie se prolongea. La vieille femme finit également par se coucher, et Félicia en oublia progressivement l’impression fugace d’avoir aperçu Jayden. Abrecht, de son côté, s’en sortait plutôt bien, ce qui le rendait empreint d’assurance, et plus apte à se battre. Félicia finit également par se coucher, mais choisit de rester sur place, Bruce faisant face à Abrecht. Le milliardaire américain répondit à la question de Félicia, en l’invitant à être son guide, ce qui la fit légèrement sourire.

« Pourquoi pas ? Il y a bien des lieux à Seikusu qui sont très intéressants… »

Elle n’en dit pas plus, se contentant ensuite d’observer. Wayne semblait dominé par Abrecht, mais réussit, par miracle, ou alors sous le fruit d’une longue stratégie calculée, à vaincre Abrecht, s’emparant de toutes ses mises. Silencieusement, Félicia l’observait. Elle avait une double-identité, et elle se demanda si ce golden boy si déjanté n’était pas… Aussi quelque chose d’autre. Après tout, il dirigeait les entreprises Wayne, et, à ce qu’on en disait dans les revues économiques et spécialisées, son empire commercial ne cessait de s’améliorer. Or, Bruce Wayne n’avait pas vraiment le profil du PDG soucieux de réaliser des investissements importants. En apparence, du moins… Et la manière dont il retourna Abrecht. L’adjoint du maire en fut estomaqué.

*Il n’est peut-être pas si épicurien que ça, ce jeune homme… Curieux… Et intéressant…*

Félicia ignorait quel avait été le passé de Wayne, soit qu’il avait perdu ses deux parents. Si elle l’avait su, ça aurait sans doute encore accru ses soupçons sur lui, mais elle tâcha de se raisonner. Ce n’était vraiment, ni le lieu, ni le moment, d’avoir de telles idées. Félicia se demandait parfois si elle ne devenait pas paranoïaque…

« Et bien, finit par déclarer Abrecht. C’est ce qui s’appelle avoir une main heureuse, M. Wayne ! »

Abrecht se leva, saluant Félicia, et ne tarda pas à aborder d’autres hommes. Bruce, quant à lui, finit par inviter Félicia à prendre un verre. Celle-ci ne doutait alors pas que l’homme allait sûrement tenter de la séduire, mais ce n’était pas pour la déranger. Elle avait été séduite par bien moins que ça, après tout. Lui, c’était un milliardaire, quelqu’un qui n’était pas de son monde actuel, mais plutôt du monde ancien, quand elle était dans les hauteurs de New York. Elle se releva en lui souriant lentement.

« Oh, mais j’accepte avec plaisir, M. Wayne. »

Contrairement à certaines femmes, Félicia était plutôt habillée de manière simple. Ainsi, elle n’avait pas de fourrures, et observa furtivement les individus, essayant de repérer Norman Jayden. Elle finit par se convaincre qu’elle avait halluciné quand elle ne le remarqua pas. Ils rejoignirent le bar, qui était en cercle, au centre du casino. Félicia s’adossa contre le comptoir, sa poitrine ressortant légèrement, et lui parla :

« Alors, comme ça, vous venez pour affaires, M. Wayne ? J’imagine que ce devait être un coup important, pour vous faire traverser la moitié de la planète… Vous avez prévu de repartir quand ? Si je dois être votre guide, il faut que j’en sache un peu plus sur votre calendrier. Seikusu est une ville assez grande… »

Mine de rien, elle avait l’impression d’être dans une espèce de James Bond, où l’intrépide agent secret était remplacé par un milliardaire mystérieux, et où la James Bond girl était une prof’ de sport se faisant passer pour une secrétaire juridique. Néanmoins, la comparaison avait ses limites, compte tenu du taux de mortalité assez élevé de ces belles dames dans les James Bond. Néanmoins, il fallait bien admettre que Bryce Wayne avait un petit ôté « bondesque ». Beau, riche, avec un charme sombre et ténébreux… Il était plutôt attirant, oui.

*Peut-être que je ne vais pas regretter d’avoir été ici, finalement…*

Un verre et puis un autre qui s'ensuivit que déjà, une musique se faisait entendre et qu'un homme impoli au possible vint proposer à mademoiselle Hardy une danse.

"Miss Hardy, lumière des lumières, puis-je exiger une danse en votre compagnie ? Ou bien préférez-vous ce bon monsieur Wayne ?"

Refus certain... Et pourtant le désir d'une danse assaillait ce pauvre Bruce.
Provocation ostentatoire, défi de pirouettes et d’arabesques ! La bataille gagnait en hauteur, leur joute convenue de palabres se verrait-elle remplacée par un jeu dangereux d’équilibriste ? Le terrain de leur affrontement prenait des allures de valse, à la vérité il n’y connaissait rien en danse. L’aveu d’une telle faute aurait été rédhibitoire et la concession de la défaite était tout bonnement hors de question. Comment se dérober à pareil devoir ?

« Je pourrai très bien me contenter du spectacle de vous voir écarter tout ces gentilshommes. »

Le marbre de ses traits semblait décidé à ne pas bouger, la moindre once de mouvement n’aurait été perceptible en cet instant. Puis d’un pas franc, il s’avança, cassant la distance qui les séparait comme pour répondre à son sourire oppressant et charmant. La suite du programme était plus compliquée, les hostilités étaient déclarées et le troublant milliardaire se trouvait démuni face à son opposante. Cherchant remède à son ignorance, ses yeux se perdirent sur la posture de ses cavaliers qui menaient la danse ; et de cette observation brève, il passa à la pratique, cherchant à reproduire ces miroirs de couple se trémoussant. L’imitation demande plus d’ingéniosité qu’il n’y parait, sinon l’on se retrouve rapidement démasqué ! Pauvre de lui qui tenta en vain à placer correctement ses mains, non de ces menottes d’artiste, mais de ces membres allongées, fières et larges. Ces paumes ouvertes, toutes deux s’entichèrent de ses flancs, l’une prit position sur une hanche délicieuse alors que l’autre plus haute avait gravi en altitude et se trouvait toute proche de l’un de ses seins. Tout occupé à sa copie, la fuyant du regard pour n’entendre moquerie, Bruce ne se rendit compte de sa maladresse. Mais perfectionniste dans l’âme, il parvint à sa corriger et bientôt l’austère avait la plus parfaite des allures, pareille à celle de ses semblables. Bien entendu, l’austère avait des notions, mais il n’avait jugé bon de les retenir, si bien qu’ils débutèrent dans une cacophonie de pas cette valse. Un coup, la secrètaire trouva l’écho de son torse, puis la voilà qu’elle s’éloignait, mais dans cette harmonie dissonante, ce ballet décalé, ils formaient à eux deux le couple le plus élégant de la soirée. Concentré sur ses pas, il fit preuve d’efforts de patience pour ne pas la quitter sur cette vaste scène, et l’aurait-il fait s’ils ne s’étaient retrouvés qu’à deux. N’était-il en cet instant entre ses mains, ne pouvait-elle pas le façonner ici et maintenant ? Un teint de rose vint se coller à l’albâtre, une peinture légère que seul un œil d’expert aurait pu percevoir. Et bientôt, il entreprit d’allier la conversation à la danse pour lui montrer qu’il n’était pas complètement désarçonné. Dans un sourire de défi, le lion déclara bientôt.

« Quel talent pour la danse, Félicia ? Me cacherez-vous d'autres talents ? »

Félicia devait bien reconnaître une chose : l’établissement proposait un vin de très bonne qualité. Difficile de croire qu’elle avait la chance d’être ici. La prof’ avait bien le sentiment de céder à ses tentations pour le luxe, mais elle était ainsi. Une femme qui aimait le luxe, les choses brillantes, les bijoux, l’argent, la richesse. Ils étaient synonymes de pouvoir et d’autorité, et, même si c’était irrationnel, Félicia ne pouvait s’empêcher d’être attirée par ces derniers. Elle sentait bien que Bruce Wayne était riche. Le peu qu’elle en savait de lui en lisant parfois les revues de « Forbes » allaient pleinement dans ce sens.

*Incroyable que je sois avec un tel homme… Devrais-je le voler ? Je suis sûre que son portefeuilles doit être rempli de billets ou de cartes de crédits… Ou peut-être attendre de savoir où il vit… C’est un milliardaire, après tout. Le style à exhiber sa fortune personnelle…*

C’est ça qu’elle aimait chez les milliardaires. Ils voyaient les autres comme de simples objets de conquête, les femmes y compris. Imbus de leur personnalité, ils étaient du genre à ne pas se méfier. La manière dont Bruce l’abordait semblait faire de lui ce riche homme éternellement jeune, au sourire ravageur, et qui séduisait les femmes à tour de bras. Ce n’était pas Félicia qui aurait pu croire que cet homme était en réalité un justicier masqué qui terrorisait les malfrats de Gotham. Pour elle, il n’était qu’un golden boy excentrique, comme n’importe quel milliardaire digne de ce nom. Flirter avec lui, ce n’était pas pour la déranger, même si elle pensait que c’était plutôt lui qui allait la séduire. Ce n’était pas pour la déranger ; Félicia préférait qu’on la séduise, plutôt qu’aller séduire.

Elle fut alors dérangée par un autre individu, qui rejoignit le duo pour se présenter à Félicia. Il avait les yeux pétillants, le sourire étiré. Un homme assez riche, mais qui avait l’air d’avoir bien bu. Il regarda avec envie le corps de la prof’, avant de lui parler :

« Miss Hardy, lumière des lumières, puis-je exiger une danse en votre compagnie ? Ou bien préférez-vous ce bon monsieur Wayne ? »

Félicia se contenta d’un sourire ravissant. Wayne avait l’air plus riche que ce monsieur.

« Je crois que je vais préférer ceux qui sont venus de loin. »

Le jeune homme s’éloigna rapidement, n’étant fort heureusement pas trop insistant. La musique s’ouvrit ensuite. Ce casino était aussi un restaurant de luxe, avec un orchestre, et la soirée commençait. C’était une valse. La piste de danse était assez sombre, avec un sol violet et des diodes fluorescentes dans les coins. Une piste circulaire, avec, au centre, sur une estrade, l’orchestre. Des hommes en costume qui entamaient une lente valse. Félicia accepta l’invitation de Bruce, et dansa avec lui.

Une valse, ce n’était pas très difficile à faire. Peu de mouvements à retenir, et la vase était une danse lente, consistant simplement à tourner sur soi-même. Félicia dansa avec Bruce, déplaçant ses pieds sans problème. Ses anciens amants n’avaient jamais été des danseurs exemplaires. Seul son premier vrai amour, Morbius, avait été du genre à aimer la danse classique. Quant à Flash ou Peter, difficile de les imaginer sur un slow. Félicia avait eu des cours de danse quand elle était jeune. Elle avait adoré la danse. Une passion de jeunesse, éphémère. Elle s’était imaginée en grande danseuse, mais le destin en avait décidé autrement. Fermant de temps en temps les yeux, elle s’absorbait dans la danse. Il lui fut assez facile de retrouver les réflexes ancestraux. Danser, c’était comme le vélo. Un art et une passion. Quelque chose de naturel et de réfléchi. Elle sentit que Bruce n’avait pas ce talent. Heureusement que ce n’était qu’une valse ! Une posture un peu trop rigide, guère assurée. Comme s’il avait peur de lui marcher sur les pieds.

*Je ne comprendrais jamais pourquoi la danse panique tant les hommes… C’est pourtant libératoire, de danser…*

Bruce finit par lui parler, et elle se contenta d’un léger sourire.

« Plus que vous ne pouvez les imaginer » répondit-elle sur un ton énigmatique.

La valse finit par se terminer. Félicia se détacha légèrement de Bruce. Elle avait profité de cette valse pour frotter l’extrémité de ses seins contre son torse. A sa grande surprise, elle avait senti quelque chose d’anormal sur le corps de ce milliardaire. Il avait la carrure d’un véritable athlète. Elle n’était pas sans ignorer que certains riches s’amusaient à faire du sport, mais c’était généralement à titre occasionnel, pour maintenir la ligne. Félicia savait faire la différence entre ce qui relevait du sport et d’un entraînement sportif intensif, pour la simple et bonne raison qu’elle s’entraînait elle-même intensivement.

*Curieux… J’imagine mal quelqu’un comme Wayne faire un exercice physique intense…*

La musique reprit alors, la tirant de ses réflexions. L’orchestre avait décidé de passer à quelque chose de plus moderne, un classique impérissable : un remix du fameux morceau de Chuck, Johnny B. Goode. Félicia tendit avec un sourire amusé sa main vers le milliardaire.

« Vous sentez-vous de taille pour un second tour de piste, M. Wayne ? »

Elle devait bien le reconnaître ; danser lui procurait un bien fou.