Catastrophe [ Nergal ]

Liliza mâchait un chewing-gum depuis maintenant une heure, en scrutant tout autour d’elle la populace qui grouillait, comme une meute de fourmis affamées. Mais elle, elle se moquait des fourmis, elle voulait l’araignée. Elle voulait l’araignée qui, infâme et cruelle, se jetterait sur cette foule pour la dévorer. Ainsi, elle restait assise sur  une statue, au centre d’un parc, jetant des regards - autrefois curieux, aujourd’hui blasé de ce manque de catastrophes en ce bas-monde - et mâchant toujours.
Elle attirait, elle aussi, l’attention des rares promeneurs du parc.
Il faut dire qu’une jeune fille, aux vêtements longs et vieux, à la chevelure presque vivante, aux yeux malicieux, ainsi perchée sur une statue, c’était rareté ici. Bah, qu’importe. Elle cherchait juste la catastrophe. Elle se moquait de ces gens tristes, ennuyeux, qui se moquaient d’elle.
Moquerie totale. Ça lui plaisait.
Elle fit claquer ses dents, à la manière d’un prédateur affamé, et continua son voyage oculaire. Elle serait bien fâchée, si personne ne se présentait pour venir la distraire ! Oh, un caprice, oui, elle faisait un caprice, elle voulait un caprice ! On est pas fille de démon pour rien !

- Tsssk …

Elle tiqua, nerveuse.
Personne pour jouer.
Personne pour venir défaire cette paix si énervante.
Elle croisa les bras sous sa poitrine, boudant, en bonne enfant impatient.

Nergal errait dans le parc, sans but précis. Des gens, trop de gens a son goût... Immondes humains... Ca grouillait de partout, ça faisait du bruit et l'empechait de réfléchir. Peu importe, l'affaire sera règlée bien assez tôt. Croisant un groupe de ce qui semblait être des loubards sur sa route, il bouscula et fendit le groupe sans même un mot, pas un regard en arrière.

Evidemment, cela ne fut pas du gout du groupe d'hommes qui se retournèrent vers lui.

- Hé, toi, le type en robe. Tu nous a bousculés!

Nergal s'arreta, dos a eux.

- Vous avez mis combien de temps pour parvenir a faire ce constat? Cela ne vous a pas donné la migraine j'espère...

Le plus grand des hommes s'avança alors vers lui.

- Ecoute, connard! T'as pas l'air de savoir a qui tu t'adresse. Ici, c'est notre coin, et celui qui cherche a faire le malin, on l'écrase et on le sodomise sur place!

Ce dernier tenta alors de saisir Nergal par l'épaule, mais l'homme sombre se retourna d'un geste, et envoya un simple coup de coude dans les parties génitales du loubard.

- Personne, ne me touche, sans mon accord.

Dit-il simplement, alors qu'il saisit la tête de l'homme se tordant de douleur et le fixa dans les yeu.

- Tu as envie de frapper, hein? Tu te sens humilié, petit, et tu veux frapper. Fais-toi plaisir, vois donc tes "copains", faibles et qui te suivent comme des lâches. C'est pas vraiment a moi que tu en veux, mais a eux, qui ont été témoin de ton humiliation. Va!

Un brin de manipulation mentale, facilitée par l'intelligence détaillante du gars, et l'homme charga alors les autres racailles, et il s'ensuivit une bagarre générale, tandis que Nergal les observa, mi amusé, mi observateur, puis, il s'avança calmement, et s'appuya contre la statue. Bientôt, la police arriverait, avec toute l'agitation qui s'ensuit, et les civilils qui commencent a paniquer... Nergal aimait cela.

Damned ! Ainsi, les vœux se réalisaient ?
La jeune fille remua aussitôt des jambes, regardant la scène, amusée comme une enfant à qui on donne un jouet. Ah, c’était plaisant,  cette situation ! Cet inconnu, étrange, venait de réaliser son vœu quotidien, et elle n’était pas ingrate. Dés qu’il s’adossa à la statue, sans voir la petite, sans doute, elle sortit une carte de son jeu de cartes  - une dame de pique -, et la jeta sur l’homme, de façon à ce qu’elle atterrisse sur son épaule.
Aussitôt, elle eut un petit rire.
Elle n'avait pas perdue sa journée !

- Les humains sont prévisibles, n’est-ce pas ? Lui dit-elle finalement, toujours assise sur la statue. Mais qu'il est amusant de jouer ainsi avec eux !

Elle tapa dans ses mains, ravie. Elle ressemblait vraiment  une enfant, avec sa tenue d’ancienne aristocrate, dans laquelle elle flottait un peu. Elle passa sa main dans ses longs cheveux, les ébouriffant davantage, tandis que la police débarquait, et que la foule commençait à se grouiller autour du lieu où ils étaient. Pendant ce temps, elle essayait d'imaginer qui il était, ce qu'il allait lui répondre ...
Elle sourit à nouveau.

Nergal sentit la carte glisser sur son épaule, et leva calmement la tête vers la jeune fille perchée sur la statue.

Trop prévisibles, et maniables a souhait. Je ne leur en veux pas spécialement, mais parfois, ils se montrent trop bruyants et surtout, trop arrogants. Cela dit, ils ont parfois leur utilité, que ce soit pour posséder un corps lorsque mon enveloppe mortelle est endommagée, ou mieux, pour me procurer ma ration de luxure.

Il sourit légèrement.

Je me nomme Nergal, anciennement un dieu des enfers, quelque part dans le désert. J'avais la charge de surveiller ces crétins mortels dans l'après vie et de règner sur eux. Désormais, le temps a passé, et mon sommeil a été long, alors, disons seulement que je ne suis qu'une sorte d'entité qui tente de survivre dans le monde mortel. Et vous? Vous n'êtes pas humaine je suppose...

Liliza se gratta la gorge, et s’installa mieux sur sa statue, qui commençait à devenir peu confortable. Elle lui rendit son sourire, sans cependant froncer les sourcils ensuite. Un dieu des enfers … ou un démon ? Oh, elle ne voulait pas pactiser avec les démons, ils lui voulaient tellement de mal ! Mais il ne semblait pas la connaître, et cela pouvait signifier que la jeune femme n’aurait pas de problèmes avec lui. Au pire, elle saurait comment réagir.
Elle sauta prestement de sa statue,  atterrissant avec grâce sur le sol, pour se maintenir face à lui, et récupérer sa carte. Elle lui fit une petite révérence.

- Je me nomme Liliza, et je suis la fille de Bélial. Et je suis réputée pour haïr, détester, torturer les démons … qui donneraient beaucoup pour faire pareil de moi. Je leur cause beaucoup de soucis.

Elle inspira, eut un sourire.

- Je suis coincée dans l’apparence d’une pré-adolescente, mais cela ne me gêne pas beaucoup. Les humains font plus confiance aux enfants, et cela me permet une aire de jeu assez libre, avec eux. Ils sont mon passe-temps, ma nourriture et mes jouets.

Elle croisa les bras sous sa poitrine, l’air légèrement hautaine. Mais avec son physique, ça faisait plus penser à une enfant qui joue à la grande qu’à une femme qui se veut autoritaire.

Il regarda la jeune fille descendre et un rictus apparut sur ses lèvres quand elle parlait de son aversion envers les démons.

Techniquement, j'étais un dieu de la mort a l'époque, mais mes pouvoirs se sont tous envolés, aussi, désormais, on me considère souvent comme un démon, bien que je n'en sois pas un, mais j'ai fini par m'habituer a cette appellation. Mais je ne vois pas quel intérêt aurais-je a vous faire du mal.

Votre apparence est en effet très utile, car peu de gens pourraient vous soupçonner de telle ou telle chose. Maintenant, il doit y avoir quelques inconvénients, je suppose, mais vous avez appris a vivre avec.

Il regarda ensuite la foule.

Personnellement, je ne pourrais vivre dans l'enveloppe charnelle d'un pré-adolescent. Depuis mon retour sur le monde mortel, j'ai tellement pris goût a la luxure que l'idée d'avoir un corps non viril me dérange...

C'est d'ailleurs cela qui m'a permit de ne pas sombrer une fois ma renaissance effectuée. Je prends gouts a tout plaisir mortel possible, tout en sachant que si mon enveloppe charnelle est endommagée, je n'ai qu'a en posséder une autre, chose dont sont incapables les humains.

Mais dites-moi, pourquoi les démons chercheraient a vous nuire?

Comme toute réponse, Liliza eut un éclat de rire. Ah, il n’était donc pas si dangereux que cela, cet homme ! Non pas qu’elle se moquait de lui, mais la situation avait changée. Elle qui craignait que cet homme lui fasse du mal, réalisait maintenant qu’il ignorait son identité. C’était rassurant.

- Tout d’abord, mon enveloppe charnelle ne me pose pas de soucis du côté luxurieux, si vous voulez tout savoir. Je peux plaire, même avec ce visage et cette apparence.

Elle eut un sourire, se rappelant cet homme, là, à une soirée étrange, un homme sympathique, mystérieux, auquel elle avait plu. Mais de toute façon, elle n’avait pas le choix, il fallait qu’elle fasse avec ce qu’elle avait. Pour devenir adulte, il faudrait retourner parmi les démons, alors …

-- Quand à mes soucis, je vous avoue que je suis née, mais que le monde infernal m’a traité comme si je n’étais rien. Je n’ai jamais reçu d’amour, là-bas, alors … je me venge. Je les hais, j’ai appris à les détester, au fur et à mesure des années.

Elle soupira, se souvenant de son enfance, mais balaya ses pensées rapidement. Pas question de flancher.

Nergal secoua la tête, et observa de nouveau les gens.

"L'amour" est une émotion dont sont dénué les démons de souche. J'ai une vague idée de ce que ça peut-être, a l'époque, quand j'étais lié a la déesse infernale Erenshingal...

Il faut parfois se battre pour survivre. Et lorsque votre plan d'origine vous rejette, vous devez vous tailler une place dans d'autres plans, comme je fais actuellement, en tentant de gagner ma place dans ce monde physique.

Vous devriez faire comme moi, profitez de tous les délices physiques, quels qu'ils soient. Ils sont éphémères, mais peuvent être amusants, et surtout, n'étant pas mortels a la base, nous pouvons surpasser les limites que les humains doivent se fixer pour leur survie.

Quand a votre attirance... Je crois que beaucoup pourraient être attirés par votre apparence... En effet, j'ai déjà remarqué, notamment chez les humains, que beaucoup avaient le fantasme de jeunes filles a peine pubères... Sans doute leur recherche de jeunesse éternelle, chose qu'ils n'auront jamais contrairement a nous.

La jeune fille éclata à nouveau de rire, et le regarda de ses yeux noirs, indescriptibles et brillants.

- Les plaisirs physiques ? Pour moi, une seule chose vaut ce nom : arracher le cœur de ces idiots pour l’avaler, le savourer, le déguster. Cela est le seul plaisir que je connaisse, mon cher.

Elle soupira un peu, et passa sa main dans sa nuque. Oh, qu’il était étrange, cet homme, qu’il était étrange … Elle n’avait jamais entendue parler de lui, et lui semblait ne pas comprendre le statut de l’enfant. Elle ne pouvait pas se faire accepter partout, elle était jeune, une enfant, une gamine sans aucun état d’âme, qui ne pouvait réfréner ses envies, ses folies.
Elle n’était pas normale. Elle tiqua.

- Vous n’avez pas l’air de saisir … Je suis traquée partout où je vais. Je ne peux faire confiance à personne.

Elle fronça les sourcils. Qui aurait cru, un jour, entendre un enfant prononcer ces mots ? Personne, sans doute, personne … elle soupira, et se frotta les yeux, légèrement engourdis. Oh, non elle n’aimait pas sa vie …

Nergal hocha la tête aux dires de la jeune fille. Peu évident, la vie de semi-démon. On devient un paria parmi les mortels, et un sous-être aux yeux des démons...

Tuer représente un certain plaisir, certes. Mais cela entraine parfois des ennuis. Devoir sans cesse se méfier, être constamment sur le pied de guerre, cela finit par être fatiguant.

Tout dépend de si vous vous sentez prête a prendre des risques pour tenter de donner un meilleur gout a votre existence, ou continuer de vivre ainsi.

Cela ne tiendrait qu'a moi, je ne me consacrerait qu'a la recherche éfreinée de pouvoir pour redevenir un dieu, mais j'ai finalement fait l'autre choix, et je ne m'en plains pas.

Liliza fit la moue, un instant, et croisa les bras sous sa poitrine. Ce n'était pas là un choix, non, il fallait toujours viser haut, être le meilleur, prouver de quoi on était capable, selon elle. Il fallait que les autres comprennent qu'il ne faut pas se mesurer à vous, qu'il faut même se plier à vos désir. Inspirer la crainte et le respect était un délice. Une sensation inoubliable, une drogue. Une fois que l'on a peur de vous, vous pouvez vous permettre énormément de choses.

- Certes, certes ...

Elle se gratta la nuque, et jeta un nouveau regard vers la foule, qui s'agitait. Elle eut un petit sourire, et donna un coup de coude à Nergal.

- Dites, vous n'auriez pas une idée pour me distraire ... Nous distraire, je veux dire ?

Elle lui jeta un regard malicieux. Elle adorait rencontrer des êtres étranges.

Une idée?

Il regarda la foule, et y repéra un jeune couple.

Oh, oui, j'ai peut-être ma petite idée... Je vois deux cœurs a briser, je vois également en eux une occasion de profiter d'un peu de luxure, et si vous le désirez vraiment, vous pourrez également tuer...

Il tourna ensuite son regard vers Liliza.

Dites-moi... avez-vous déjà gouté au plaisir charnel?