La curiosité est un vilain défaut... [Overlord]

Des bruits de pas. De course, même. Une respiration sifflante. Tels sont les sons que l’on pouvait entendre en cette sombre nuit. Il courait depuis longtemps, et son corps à apparence humaine ne suivait plus le rythme, mais il ne voulait pas reprendre sa forme originelle. Pas encore. Il voulait d’abord savoir combien de temps il pourrait tenir. Quitte à s’évanouir de fatigue. D’ailleurs, cette fatigue commençait à se faire remarquer, puisqu’il peinait à rester sous forme humaine et commençait à devenir transparent. Il continuait de courir sans jamais s’arrêter, poussant son corps au-delà de ses limites. Et jamais son sourire ne quittait son visage, car ça lui plaisait de faire ce genre d’expérience dangereuse.

Le jeune homme heurta un arbre. Mais au lieu de se faire mal et de s’arrêter comme l’aurait fait un humain, il fit simplement disparaître la partie de son corps qui posait problème, pour la rematérialiser juste après l’obstacle. Il ralentit juste un peu pour se retourner et regarder l’arbre avec un large sourire moqueur.

-Désolé mon grand, mais pas cette fois !

Il reporta son regard devant lui et reprit sa course à pleine allure, ou plutôt à l’allure maximale que son épuisement grandissant lui permettait. C’était très instructif pour le jeune curieux de constater que son corps humain était sensible à la fatigue et à d’autres facteurs auxquels il n’était pas sensible sous sa forme originelle. Cette expérience qui pouvait paraître complètement stupide et même suicidaire était pour lui absolument nécessaire. Car à partir du moment où une idée effleurait son esprit et éveillait sa curiosité, il était presque impossible de lui faire abandonner cette idée, ou même de la lui faire mettre de côté. Il ne renonçait jamais.

Après des heures et des heures de course ininterrompue, Thibault s’arrêta enfin et leva la tête. Devant lui, à seulement cinq mètres, il y avait un gigantesque mur.

-Wow… Qu’est-ce que ça peut bien être…

Essoufflé, ce qu’il trouvait particulièrement paradoxal de par sa nature, il s’avança encore un peu, cette fois en marchant. Il avait trouvé un nouvel objet de curiosité. Se concentrant pour que son corps garde une réelle consistance, il alla jusqu’à toucher la paroi et leva encore la tête. Son sourire était revenu.

-À nous deux, nouveau mystère…

Courir comme un dératé dans les landes dévastées était une expérience qui, si elle ne testait pas les limites physiques et mentales de son coureur, serait des plus ennuyeuses. A mesure que Thibaut s'avançait à pleine allure, la végétation se faisait plus rare, les animaux inexistant hormis quelques carcasses aux os blanchis à moitié enterrées et rongées, l'air se faisait épais et ses poumons le brûleraient sûrement un peu plus qu'en début de course.

L'atmosphère de ce coin de lande était oppressante, comme si l'oxygène pesait comme du plomb, et que les nuages noirs qui serpentaient en l'air venaient drainer l'air frais et agréable hors de la nature : c'était un endroit de dévastation, où rien n'avait jamais poussé. Rien, à part une montagne.

Et pour Thibault, qui était visiblement en quête de mystère, c'était un mystère de taille auquel il venait de se heurter : dans ce paysage vide et solitaire, un édifice imposant venait déchirer le sol, s'encastrer dans la montagne et défier même les cieux, comme s'il avait poussé en une nuit. Mais les rudes parois impossibles à escalader, l'assemblage des pierres brutes étaient telles que même Satan n'aurait pu faire surgir une telle création : il y avait eu de la main d'oeuvre derrière cette architecture hors norme et démesurée.

Le sol était relevé et Thibault se trouvait en posture maladroite, sur une pente qui s'arrêtait nette contre le mur qu'il venait de caresser. Au dessus de lui, quelques mètres d'une paroi infranchissable par le commun des mortels, puis une sorte de balcon, d'avancée dans la roche qui le guettait de haut. Rien d'intéressant de ce côté là.

Et pour cause, il était mal placé. Car il ne se trouvait pas face au Colisée, et le Donjon Infernal ne recelait que de quelques rares entrées, disséminées un peu partout, solidement gardées. Lui ne se trouvait que contre un mur plein, et devrait donc contourner un peu ce dernier jusqu'à la prochaine porte.

S'il levait soudainement la tête, il se rendrait compte que de larges cheminées viennent cracher une fumée opaque, noire comme le charbon et aux senteurs de souffre, venant souiller l'air jusqu'à de longs kilomètres à la ronde. Pas un bruit ne venait troubler le silence alentours, et il se retrouvait seul face au Donjon, en compagnie de quelques cadavres par-ci par-là.

Il était encore temps de faire demi-tour...

À gauche, quelques ossements. À droite, quelques ossements. Au-dessus… Ah, autre chose. Un balcon et, au-dessus encore, le bout de quelques cheminées qui dépassait, crachant d’épais nuages de fumée noire. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Qu’est-ce qui provoquait une telle couleur ? Autre question, pourquoi l’air était-il aussi lourd ici ? Oh, Thibault n’en était pas affecté, il avait ce don naturel qui générait une sorte de bulle d’air pur autour de lui, mais il sentait bien que le reste des lieux n’y avait pas droit, loin de là.

Partir ? Héhéhé, quelle drôle d’idée… Il n’en était pas question ! Ce n’était pas dans son caractère. Bien trop curieux. Une fois que quelque chose avait piqué cette curiosité, il en fallait vraiment beaucoup pour l’en détourner. Ce mur avait déjà accompli l’exploit de lui faire oublier qu’il devait courir, ça allait être difficile de lui faire tourner la tête ailleurs.

-Bon… Pas de porte ici, voyons en haut.

Il se transforma. Sous sa forme originelle, celle d’une légère brise, il monta jusqu’à ce balcon qu’il avait vu. Puis il décida que c’était tout aussi bien d’aller jusqu’en haut, et il monta encore, jusqu’aux cheminées. Là, il se posa sur le bord de l’une d’elles et se retransforma…puis encore une fois dans la seconde qui suivit.

-Bon sang, qu’est-ce que c’est que cette horreur…

L’odeur qu’il avait très brièvement sentie était tout bonnement ignoble. Asphyxiante, insoutenable, il trouvait beaucoup de mots assez extrêmes auxquels il pouvait facilement rattacher cette odeur infernale. Il ne comprenait pas, il voulait savoir ce qui pouvait provoquer ça. C’était sûrement un combustible venu du fond des Enfers, que l’on faisait brûler avec un feu démoniaque ! Le jeune Esprit se rendit alors compte qu’il exagérait et se calma. Non, c’était juste une odeur atroce, rien de plus. Pas de quoi parler d’enfer ou de quelque chose dans ce genre. Il redescendit jusqu’au balcon, s’y posa et reprit forme humaine, troublé.

Au terme des léviations de Thibault, il avait pu découvrir que les toxiques fumées n'étaient pas réellement le "must" de l'air respirable, et c'était peut-être là un indice sur l'absence de toute vie aux alentours du Donjon. Cependant, ces épais nuages aux formes originales n'expliquaient pas la sécheresse des sols ou l'absence de plantes résistantes.

Pour quelqu'un avide de mystères, la simple géographie locale pouvait l'intéresser à elle seule. Mais Thibault semblait plus intéressé par le bâtiment qui avait percé la montagne, venant s'envoler un peu plus haut, un peu plus bas jusqu'à se décider à entre par le balcon.

Un balcon au milieu d'une muraille c'était un fait assez peu commun, aussi pouvait-on facilement mettre une telle étrangeté architecturale sur le dos de l'Overlord, narcissique au possible. Mais lorsqu'on connaissait un peu le seigneur démoniaque, ce détail faisait "hic" sur le portrait du stratège. Il était très centré sur lui même, mais n'était pas idiot ou fou pour autant.

La curiosité l'emportant sur la réflexion, Thibault s'avança donc du balcon jusqu'à la salle qu'il ouvrait sur l'extérieur. Une pâle lumière émanait d'une torche derrière ce qui semblait être un rideau de soie rouge, baignant la pièce d'une atmosphère chaleureuse et plutôt agréable, bien loin des rudes parois que l'explorateur avait pu examiner.

La salle était petite, et ressemblait à une chambre de domestique, quelques coffres et une armoire représentant l'unique mobilier de la petite pièce. Une porte classique de Donjon donnait sur un petit couloir, entrouverte comme pour inviter le curieux à s'avancer. Une brise légère régnait dans ce couloir et il n'était pas rare que les flammes de la torche ne dansent sur les murs en de larges ombres inquiétantes.

le plafond était relativement bas et il ne fallait pas mesurer 2 mètres si l'on souhaitait s'y promener librement. En comptant la porte, il allait devoir se baisser pour explorer ce nouveau monde qui s'ouvrait à lui. L'endroit était silencieux, presque inquiétant, ou au contraire accueillant pour l'inattentif qu'il était. A lui de voir.

Tendant l'oreille, il entendrait la voix d'un homme, rauque, graveleuse, même, émanant du fameux couloir venteux, peut-être même d'une pièce voisine. Des pages se tournaient et quelques phrases accompagnaient le bruissement des feuilles, solennelles, comme un récit que l'on dictait à voix haute. Mais elle était encore trop éloignée pour être convenablement audible.

Bien que la pièce soit une chambre, il n'y avait pas de lit, pourtant les quelques coffres, si ouverts, dévoileraient de la lingerie féminine, quelques fioles aux couleurs exotiques et divers ustensiles de satisfaction sexuelle. Tout laissait à penser qu'une succube habitait l'endroit, aussi Thibault pouvait-il se cacher dans l'un des meubles pour attendre la propriétaire, la surprendre et peut-être simplement la ravir.

Cet endroit était particulièrement étrange, inquiétant même, mais ça ne faisait qu’attiser la curiosité du jeune homme. Trop idiot pour être prudent ? C’est le moins qu’on puisse dire… Il regarda quelques instants la fumée noire au-dessus de sa tête, perplexe. Il se demandait ce qui pouvait bien brûler pour faire une telle fumée, et surtout avec une telle odeur. Si on excluait la théorie des Enfers, il ne voyait pas trop quoi…mais il était bien décidé à le découvrir ! Il reporta son attention sur l’endroit où il se trouvait, à savoir le balcon. Personne en vue. Par contre, il avait un champ de vision impressionnant, aussi prit-il quelques secondes pour observer le paysage. Rien du tout, trois arbres morts, dix squelettes éparpillés…pas très varié, comme décor. Rien de bien intéressant, il regarda donc de l’autre côté, vers l’intérieur.

Réflexion, dites-vous ? Certainement pas, la seule réflexion qui était faisable dans son esprit, c’était l’avalanche de questions qui s’y bousculaient ! Questions qui le brûlaient, il devait donc à tout prix y répondre. Il avança, lentement pour avoir le temps de tout voir, dans la salle, qui tranchait nettement avec la muraille. Quel genre d’idée loufoque avait traversé l’esprit du décorateur ? L’atmosphère était plutôt agréable, plus encore en comparaison avec la froideur du mur extérieur noir. Thibault promena son regard absolument partout, mais le mobilier était pour le moins réduit, et il avait suffisamment de politesse pour ne pas ouvrir les tiroirs et les fouiller. C’est donc vers la porte qu’il alla, se baissant légèrement pour la passer.

Une porte classique, débouchant sur un couloir classique. Rien d’intéressant pour l’instant, mais le vent qui soufflait lui apportait des sons qui l’étaient. Des bruits de voix. Thibault se figea. Non par prudence, pensez-vous, mais parce que s’il faisait lui-même du bruit il entendrait moins bien ce qui se disait. Mais de toute façon il ne comprenait pas bien, il devait être trop loin, alors il reprit son avancée lente. Il se dirigeait vers la voix.

"J’aimerais bien savoir ce qu’il raconte, à parler tout seul…" pensa-t-il, sa curiosité tournée vers cet homme qu'il entendait parler.