« Des cœurs ? Outsider, voilà que vous me donnez faim avec vos paroles. Voilà bien longtemps que je n’ai pas déguster tranquillement dans mon palais le cœur d’une vierge. Vous savez, c’est tout aussi délicieux que les tripes d’un nouveau-né, surtout avec la bonne sauce. »
Ses paupières se refermèrent sur ses yeux alors qu’un sourire rêveur s’affichait sur le visage de Nãar dont l’appétit démoniaque venait d’être subtilement réveillé. Il allait probablement envoyer un de ses esclaves faire de petites emplettes dans un village quelconque. Une petite boucherie sanglante par une nuit sans lune, une scène d’horreur, des cadavres mutilés de la plus atroce manière. On pensera qu’il s’agit de l’œuvre d’un fou furieux ou une bête affamée et, pendant ce temps, l’Orgueil Incarné savourera ce qu’il considère comme un dîner exquis devant sa cheminée.
Mais il laissa de côté ses pensées gourmandes pour focaliser son attention sur le combat qui venait de commencer. Inutile de dire qu’il ne fut guère déçu par les remarquables talents magiques des deux belligérants. Déchaînements de sortilèges de toutes sortes furent au rendez-vous, chacun essayant désespérément de prendre le dessus sur l’autre en s’ingéniant de ruse et de fourberie.
La fin du duel fut … brutale. Le malheureux Alkadizar venait de se prendre de plein fouet un jet d’acide qui mit lentement fin à sa pseudo-vie en le liquéfiant dans une marée fumante et hurlante. Une scène atroce qui ne manqua pas de plaire à l’archidémon dont le sourire carnassier se fit plus grand. Il applaudit lentement, dans un claquement régulier et presque moqueur, ses yeux rouges pétillants d’amusement.
« Voilà un bien beau duel. Très belle performance, miss Langnar. Vous avez fait preuve de beaucoup de talent, chose dont je ne doutais guère mais il est toujours agréable de découvrir qu’on avait raison. »
Il se releva avec une divine prestance, ses boucles brunes volant légèrement au rythme du vent qui soufflait avec malice. Curieusement, son chapeau rond restait aussi immobile qu’une statue de bronze, comme s’il était accroché à la tête de son propriétaire.
« Je déclare donc que votre première épreuve est un succès total. Félicitations. »
Tandis qu’il parlait, une fine vapeur bleutée s’échappa des restes d’Alkadizar, se condensant avant de former les restes d’une âme en peine qui traîna sa faible masse flagellée jusqu’à son maître. Le Péché Originel tandis sa main et l’âme alla s’y emmitoufler en gémissant lentement. On pouvait entendre de sombres plaintes, pitoyables mots d’agonie et supplications. L’Orgueil fixa longuement cette petite âme torturée, la mine sombre. Puis il plissa son front en rides profondes, un rictus de déception se faisant voir.
« Pitoyable. »
Et brutalement, il jeta l’âme du prêtre entre ses crocs et mordit dans un claquement sec. Un cri de détresse fut la dernière chose qu’on entendit de la part de la victime avant qu’elle ne soit consommée par le monstrueux tyran sous le regard des deux personnages présents.
Avalant l’énergie spirituelle comme s’il s’agissait d’un simple goûter, il se lécha les babines avant de s’essuyer les lèvres avec le bout d’un mouchoir grenat qu’il tira de sa poche.
« Bien. Passons désormais à la suite. Je serais bien tenté de vous laisser reprendre des forces dans ma demeure, miss Langnar, mais avant cela il faut que vous passiez une seconde épreuve. Il serait dommage que notre ami commun ne puisse profiter d’avantage du spectacle de vos talents cachés, ne pensez-vous pas ? »
Il tapa des mains deux fois, et voilà que la terre s’ouvrit à ses pieds en un gouffre d’où s’échappait flammes et sulfures en forme de mains qui semblaient vouloir agripper la première proie à portée de griffes. Lentement, une valise remonta jusqu’à Nãar, puis le gouffre se referma.
La valise lévitait doucement au-dessus du sol. Elle ressemblait à n’importe qu’elle valise ancienne en cuir, si ce n’est qu’elle était recouverte d’un grand nombre de glyphes cabalistiques et de runes grotesques au sens douteux. Trois imposants cadenas en bronze retenaient la valise fermée. L’archidémon murmura doucement un mot, et les cadenas s’ouvrirent dans un sifflement de poussière. Des filets de vapeur s’échappèrent de la valise qui s’ouvrit alors lentement, dévoilant … un gant.
https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/93/77/a6/9377a6116d768665cdefe2d4537d0df4.jpg
Un gant de métal, couvert de belles textures et dont les doigts étaient terminés par des griffes de métal. Cet objet reposait sur un coussin de velours poussiéreux.
« Enfilez ce gant, miss Langnar, et prouvez-nous que vous êtes réellement une femme forte au mental d’acier. Survivez, et vous pourrez alors reposer en paix pour un bon moment. Par contre si vous échouez … »
Il laissa en suspens le reste de la phrase, se contentant de lui tendre la valise en veillant bien à ne pas entrer en contact avec le gant. Et pour cause, c’était un objet maudit de très haute puissance, un artefact des plus dangereux.
On racontait qu’il appartenait jadis à l’une des premières sorcières de Terra, immensément puissante. Elle avait scellé ce gant à sa main gauche et l’avait enrobé de multiples sortilèges. La légende raconte qu’un jeune héros avait tranché la main de la sorcière au combat, s’emparant alors de son gant. Ce qu’il ignorait c’est qu’il était maudit. Quiconque portait ce gant était automatiquement agressé par une puissante attaque psychique, lui faisant voir d’atroces illusions et des cauchemars épouvantables. Certains parlaient de vers qui vous dévoraient le corps vivant, et la sensation était terriblement réaliste.
Ceux qui ne résistaient pas au sortilège perdaient la raison et devenaient fous pour le restant de leurs jours. Nãar était avide de voir si Eris partagerait le destin funeste des précédentes victimes ou si elle allait rivaliser contre l’antique malédiction.
Impassible, il récupéra le fameux cristal qui rapetissa rapidement jusqu’à ne plus être qu’une petite perle au creux de sa main brune. Il contempla la petite pierre un instant, hocha lentement la tête et la garda dans sa poche d’un air satisfait.
« Je ne pouvais forcer sur votre protégée, Outsider, après avoir imposé deux épreuves très pénibles. L’obliger à en exécuter une troisième du même niveau équivaudrait à la tuer dans l’effort et … j’ai encore envie de m’amuser. Vous aussi, je présume. »
Se retournant, il fixa la porte qui s’était ouverte, livrant un passage d’où s’échappait des filets de fumée, miasmes grisâtres qui rampaient lourdement sur le sol, formant un tapis sulfureux qui n’attendait qu’à vous happer dans ses obscurs abysses. Une sombre et vibrante énergie en émanait, imperceptible sauf pour les plus sensibles des êtres. D’un geste de la main, il invita Eris à entrer en première, la laissant faire il alla rejoindre l’Outsider et s’arrêta à deux pas de lui, caressant du bout des doigts sa barbe taillée avec le plus grand soin.
« Nous allons vous quitter pour aujourd’hui. Nous nous reverrons pour la suite des épreuves dans le domaine des Eaux, d’ici une semaine. En espérant que vous serez présents à l’heure. »
Se retournant, il allait emprunter le passage à la suite de la fille du désert, mais s’arrêta et ajouta avec sa voix grondante et virilement envoutante.
« N’ayez crainte, je la garderais en vie durant son petit séjours dans mon domaine. Quant à son état le jour des épreuves, tout dépendra de sa docilité. »
Un sourire carnassier fut la dernière chose que put voir l’Outsider sur le visage de Nãar, qui lentement lévitait par-dessus le sol, emporté par la caresse des vapeurs sulfureuses qui l’attiraient dans les entrailles de la porte magique. La porte se referma alors brutalement derrière lui et dans une myriade d’étincelles, elle disparu.
~~~~~~~~~
https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/564x/5c/53/6c/5c536c4e98833a7017b0d5558cbff9e1.jpg
Purgatoire
Un monde de brumes et de lourdeur. Un univers de rédemption et de péchés. Une infinité de miasmes et d’arbres aux branches tordues rappelant quelques mains crochues qui tentaient de vous saisir. Le Purgatoire était très gris, si fade et privé de couleurs. Tout semblait désolé et propice à la mélancolie. Un vent glacé soufflait doucement, vous caressait la peau jusqu’aux os et vous murmurait des mots incompréhensibles mais qui avaient le don de vous arracher un frisson d’angoisse.
Un hurlement se fit entendre au loin, inhumain, pas même celui d’un loup à en juger par le ton lugubre. Des bêtes rôdaient en ces lieux, des monstruosités et des abominations qui n’existent qu’en ces terres brumeuses.
« Ici, au Purgatoire, sont gardées les âmes des créatures, bêtes et monstres qui ont trépassé sur Terra comme su nombre d’autres mondes. Condamnées à se battre et à s’entredévorer dans une lutte sans fin. Un endroit très dangereux. »
Nãar fit un pas et posa sa main griffue sur l’épaule nue d’Eris. Son contact semblait insuffler une aura de mystère et de magie … antique. Plus ancienne que toute vie.
« Mais c’est aussi un lieu de rédemption. Les âmes des pécheurs qui ont fait preuve d’avarice, de gourmandise, d’envie, de paresse, de luxure, de colère ou d’orgueil sont traînées dans cet univers pour tenter d’expier leurs péchés dans le labeur et la douleur. Un large nombre d’âmes ont cette opportunité, mais bien peu parviennent à gagner la rédemption qui les libèrent de leurs fardeaux et la grande majorité finit par errer éternellement ici, à la merci des bêtes affamées qui les dévoreront encore, et encore, et encore … »
Ils se trouvaient dans ce qui semblait être une vaste clairière baignée dans un tapis de brume qui se tordait et s’étirait, formant parfois des semblants grotesques de visages grimaçants. L’archidémon sortit de sa poche une montre en or qu’il examina un instant avant de la refermer et la replonger dans son sur-mesure.